XV. L'ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA LÉGISLATION AMÉRICAINE
Les USA ont fait évoluer en 2005 leur législation sur la publication des données en matière de sécurité des patients, évolution qu'il est intéressant de noter dans cette discussion.
Auparavant, était en vigueur la loi du 20 mars 1997 (`Patient Safety Act') qui stipulait que les institutions de soins devaient rendre publiques certaines informations sur les effectifs des personnels de soins et les résultats. Au minimum, devaient être rendus publics les éléments suivants :
ð Le nombre d'infirmières dans les services de soins ;
ð Le nombre des autres personnels délivrant des soins aux patients ;
ð Le nombre moyen de patients par IDE délivrant des soins ;
ð Le taux de mortalité ;
ð L'incidence des accidents médicaux ;
ð Les méthodes utilisées pour determiner et adjuster les effectifs et les besoins des patients.
De plus, les établissements devaient rendre publics les résultats des enquêtes engagées suite à des dépôts de plaintes.
Cette loi vient très récemment d'être modifiée et complétée par `The Patient Safety and Quality Improvement Act' (29 juillet 2005). L'objectif de ce nouveau texte est de permettre aux offreurs de soins de contracter de manière volontaire avec des PSOs (`Patient Safety Organizations') pour les aider à :
ð Identifier et analyser les risques en matière de sécurité des patients et autres problèmes de qualité des soins ;
ð Modifier leurs structures et procédures afin d'améliorer les résultats de santé sans crainte que les données soient diffusées publiquement ou utilisées contre eux dans le cadre d'une assignation judiciaire ou d'une procédure disciplinaire. Cette protection, qui assure donc une confidentialité complète pour l'offreur de soins comme pour les patients et les professionnels, n'est acquise que dans le cadre de ce contrat, pour les données, rapports, enregistrements... déclarés au PSO (la levée de cette confidentialité conduit à des pénalités financières).
Ces PSOs sont des nouvelles entités, dont la liste est établie par le Secrétariat à la Santé, qui peuvent être de statut public ou privé ; ils doivent être financés dans le cadre des contrats passés avec les offreurs de soins et/ou par cotisations des adhérents. La certification du PSO par le Secrétariat à la Santé est conditionnée à un certain nombre de clauses restrictives (notamment sur la nature des relations avec les offreurs de soins avec lesquels le PSO contracte) et peut être révoquée.
Ces nouvelles dispositions n'affectent pas les précédents droits et obligations. Ainsi, les protections apportées par cette Loi n'empêchent pas les demandes d'accès aux informations dans le cadre de plaintes pour mauvaise pratique avant le vote de cette Loi. Les offreurs de soins ne peuvent pas masquer (shield) ces informations vis-à-vis de futures plaintes, ni aux organismes de régulation et d'accréditation. Pour ces organismes, les offreurs de soins peuvent mettre en place des procédures distinctes pour recueillir l'information qui leur est nécessaire. Les offreurs de soins doivent aussi continuer à adresser à la FDA les données obligatoires.
Le Secrétariat à la Santé HHS apporte une assistance technique aux PSOs, et doit maintenir un réseau de bases de données sur la sécurité des patients afin de recueillir et analyser les données anonymisées sur la sécurité des patients recueillies par les PSOs et les fournisseurs de soins. Ces informations serviront pour des analyses régionales et nationales, et donneront les tendances (disponibles pour le public).
En bref, cette loi établit une relation contractuelle garantissant la confidentialité des données de tous ordres concernant la sécurité et la qualité des soins, où les médecins, les hôpitaux et les autres institutions de soins peuvent de façon volontaire donner des informations sur les erreurs médicales aux `PSOs'. Ces PSO, listées par le Secrétariat à la Santé, analyseront les données afin de développer des stratégies pour améliorer la sécurité du patient.
Le corps médical américain a salué cette avancée : « Cette loi établit un système pour déclarer et analyser les erreurs lors de soins de santé, dans le but d'améliorer la sécurité des patients et la qualité des soins. Les erreurs lors des soins seront prévenus en transformant l'actuelle culture du `blame', qui conduit à cacher les informations sur les erreurs, et une culture de la sécurité, qui met l'accent sur le partage de l'information...dans le but de prévenir le renouvellement des erreurs...Quand les médecins peuvent signaler les erreurs d'une façon volontaire et confidentielle, cela est bénéfique pour tout le monde...Cette loi a cherché l'équilibre entre la confidentialité et le besoin de renforcer la notion de responsabilité dans le système de santé. Les PSOs analyseront les problèmes, identifieront les solutions et les mettront en place pour éviter de nouvelles erreurs. » (cité dans Hygiènes, 2005, vol XIII).
Cette Loi trouve donc le compromis entre la recherche d'amélioration de la sécurité des patients, la surveillance et le signalement des problèmes de qualité, la fiabilité des données. J. Fabry (HCL) note dans son éditorial : « De plus, elle rend plus difficile la pratique de diffusion publique des taux d'IN et autres indicateurs censé refléter la qualité des établissements de santé. Cette publicité des performances a été expérimentée par certains états américains et de façon peu concluante à ce jour. Plusieurs états ont fait marche arrière. »
Un dernier élément intéressant concernant la situation aux Etats-Unis est la publication récente de recommandations par le Comité consultatif des pratiques pour la maîtrise des infections liées aux soins (HICPAC) 16 ( * ) . Ce Comité, après avoir constaté que plusieurs états avaient édicté des législations obligeant les établissements de santé à publier leurs taux d'infections liées aux soins, a fait le point sur l'état de la question :
Un premier enseignement important est le constat qu'il n'existe pas de preuve de l'intérêt de telles publications, ni d'ailleurs la preuve qu'elles soient néfastes. Le comité ne prend ainsi pas position sur l'opportunité de ces procédures.
Par contre, il émet de nombreuses recommandations sur les modalités et le contenu de ces tableaux de bord.
Cinq indicateurs en particulier semblent répondre à l'ensemble des contraintes de fiabilité, de pertinence, de faisabilité, de fréquence :
ð Indicateurs de procédures (qui ne nécessitent pas d'ajustement selon le risque du patient) :
Pratiques de pose d'une voie centrale
Antibioprophylaxie avant chirurgie
Vaccination antigrippale du personnel
ð Indicateurs de résultats :
Bactériémie primaire confirmée biologiquement associée à une voie centrale (stratification par type d'unité)
Infection du site opératoire, par acte (stratification selon l'index NNIS), en tenant compte toutefois de la difficulté à disposer de l'information après l'hospitalisation (50% des ISO se déclarent après la sortie) et de la difficulté à traiter de petits effectifs d'événements
Aucun indicateur n'est proposé par exemple sur les infections urinaires, pourtant très fréquentes, puisque la morbidité induite est faible et les mesures de prévention auront un impact plus limité.
Les pneumonies liées à la ventilation artificielle ont été écartées en raison des difficultés de recueil précis de ces événements.
ð Les données publiées doivent être utiles pour le public, mais surtout pour les établissements, pour accompagner leurs efforts d'amélioration de la qualité. Il a été démontré que le retour d'informations vers les professionnels sur les taux d'ISO par exemple constituait un incitatif fort à s'améliorer. Cela a pu être observé dans les systèmes privés de recueil et de restitution dans des établissements volontaires.
ð Il faut cependant éviter le biais d'observation qui conduirait à ce que les établissements assurant le meilleur recueil soient pénalisés du fait même qu'ils comptabilisent correctement les IN ! Des incitations pour le recueil seraient utiles.
ð Le système doit être conçu au sein d'un groupe multidisciplinaire associant des professionnels de l'infection liée aux soins, des institutionnels, des usagers, des fournisseurs de soins.
ð Un système de validation des données doit être mis en place.
ð Le Comité remarque en outre qu'il ne faut pas arriver à une situation où trop d'énergie et de temps sont mis dans le recueil et l'exploitation des données, au détriment du temps passé à la prévention et aux soins...
Synthèse La diffusion publique de données de résultats de soins poursuit deux objectifs : la transparence vis-à-vis des usagers, et l'incitation des établissements à s'améliorer, via un effet de réputation. En pratique, ces démarches ne produisent pas d'effets favorables évidents dans les pays qui se sont lancés dans cette démarche. Elles présentent par contre le risque de pervertir la qualité des données si les établissements se trouvent pénalisés par un mauvais classement. Pour contourner cet inconvénient, les Etats-Unis ont par exemple mis en place des structures neutres indépendantes qui collectent les données d'accidents médicaux par établissement de manière anonyme, dans un esprit d'amélioration de la qualité de soins. L'intérêt de ces procédures est surtout de produire un nouvel incitatif en faveur de mesures de prévention au sein des établissements de santé. La diffusion de données comparatives aux établissements eux-mêmes a un intérêt démontré pour les inciter à s'améliorer. Il pourrait être ainsi conçu deux modèles de tableau de bord : un pour le grand public, donnant une information robuste et claire, un pour les établissements, plus détaillé, plus complet, plus opérationnel. La France a engagé en matière d'IN une politique de publication d'indicateurs, les établissements étant répartis en catégories homogènes pour produire des comparaisons valides. Le premier de ces indicateurs, l'ICALIN, indicateur de moyens, a été publié début 2006. Doivent suivre l'indicateur sur la consommation de produits hydro-alcooliques et celui sur le taux de Staphylocoques dorées résistants à la méticilline. |
ETUDE JURIDIQUE |
* 16 McKibben et al., Guidance on public reporting of Healthcare-associated infections : Recommendations of the Healthcare Infection Control Practices Advisory Committee. Am J Infect Control 2005, 33:217-226.