XVI. LE RAPPEL DU RÉGIME ACTUEL D'INDEMNISATION DE L'INFECTION NOSOCOMIALE

Il convient, pour connaître le régime actuel d'indemnisation de l'infection nosocomiale, de rappeler le droit commun applicable à l'indemnisation des risques sanitaires (A), puis d'examiner le mécanisme spécifique de responsabilité et de réparation concernant les infections nosocomiales (B).

A) LE RÉGIME DE DROIT COMMUN APPLICABLE À L'INDEMNISATION DES RISQUES SANITAIRES RÉSULTANT DU FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME DE SANTÉ

Le nouveau régime légal de responsabilité applicable à l'indemnisation des risques sanitaires, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé , est énoncé aux articles L 1142-1 et s. du code de la santé publique .

ð Il est étroitement lié à l'institution d'une procédure de règlement amiable des conséquences des risques sanitaires gérée par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI), la Commission nationale des accidents médicaux (CNAM) et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Cette nouvelle procédure a pour objectif d'éviter pour le patient victime d'un dommage le recours à la justice.

ð Il comporte sept volets majeurs .

1 - L'information du patient ou de sa famille, en cas de dommage

L'article L. 1142-4 du Code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, indique que toute personne victime ou s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins doit être informée des causes et des circonstances de ce dommage . L'information doit être assurée par le professionnel, l'établissement de santé ou l'organisme concerné. Un entretien a lieu dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou la demande expresse du patient, qui peut se faire assister d'un médecin ou d'une personne de son choix.

L'information est délivrée le cas échéant au représentant légal de l'intéressé et, en cas de décès, aux ayants droit.

L'article L. 1142-4 est complété par deux dispositions, la première prévoyant une mise en demeure éventuelle de la part de l'autorité de tutelle (art. L. 1413-13), la seconde imposant la déclaration du dommage à l'autorité administrative compétente (art. L. 1413-14).

2 - La mise en oeuvre de la responsabilité uniquement en cas de faute (art. L 1142-1 I du code de la santé publique)

Désormais, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu ' en cas de faute .

Ce principe exclut toute décision de justice condamnant un acteur de santé en l'absence de faute. La position consistant pour le juge administratif, à des conditions très strictes et dans les domaines spécifiques qui sont la thérapeutique nouvelle, l'acte à risque et la transfusion de produits sanguins, à prononcer la responsabilité des hôpitaux publics, alors même qu'aucune faute ne pouvait être relevée à leur encontre, ne peut à présent plus être retenue .

Cette solution est donc rassurante pour les établissements et professionnels de santé.

3 - La mise en oeuvre d'un disposititf de solidarité nationale en l'absence de faute

(art. L 1142-1 II du code de la santé publique)

En l'absence de faute, la solidarité nationale se substitue à la responsabilité. Elle ne joue cependant qu'à certaines conditions .

ð L'acte en cause est directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins.

ð Il a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci.

ð Il présente un caractère de gravité apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail.

L'article D 1142-1 du code de la santé publique précise cette notion de gravité. Le taux d'incapacité permanente ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale doit être supérieur à 24 %. Le caractère de gravité est également constitué lorsque la durée de l'incapacité temporaire de travail est au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut également être reconnu lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait antérieurement ou lorsque l'acte en cause entraîne des troubles particulièrement graves , y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence.

L'indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des risques survenus en l'absence de faute est de la compétence de l'ONIAM La saisine directe de cette instance par le patient est impossible ; seule une CRCI ou le juge peut y procéder.

Attention, il est important de bien noter que la solidarité ne joue que si le dommage dépasse le seuil ou correspond aux critères énoncés à l'article D 1142-1 du code de la santé publique. S'il n'en est pas ainsi, il n'existe aucun recours possible pour la victime, sauf assurance volontaire et personnelle.

4 - La mise en place d'une procédure de règlement amiable

Les instances nouvelles sont les suivantes :

ð Au niveau régional, les CRCI

ð Au niveau national, l'ONIAM

En vue d'un règlement amiable, les CRCI ne peuvent être saisies qu'au-delà d'un certain seuil de préjudice .

Ce seuil est le même que celui qui vient d'être énoncé pour la solidarité nationale. La procédure, y compris l'expertise, est gratuite. Les délais sont limités (onze mois pour aboutir).

5 - Le délai de prescription de l'action en responsabilité (art. L 1142-28 du code de la santé publique)

Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

Un délai unique de prescription de l'action en responsabilité est aujourd'hui utilisé (auparavant prescription quadriennale pour les établissements publics de santé ; prescription trentenaire pour les établissements privés et les professionnels de santé).

6 - L'assurance obligatoire des professionnels et établissements de santé (art. L 1142-2 du code de la santé publique)

Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé, services de santé et organismes, et toute autre personne morale, autre que l'Etat, exerçant des activités de prévention, de diagnostic ou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santé, sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison des dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité.

Une dérogation à l'obligation d'assurance peut être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant de ressources financières leur permettant d'indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d'un contrat d'assurance. L'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a bénéficié d'une telle exonération par un arrêté du 3 janvier 2003.

7 - L'entrée en vigueur du mécanisme de réparation issu de la loi du 4 mars 2002

Le nouveau mécanisme de réparation s'applique aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 .

Ce mécanisme s'applique à partir de cette date même si des instances sont en cours, à moins qu'une décision de justice irrévocable n'ait été prononcée.

B) LE MÉCANISME SPÉCIFIQUE DE RESPONSABILITÉ ET DE RÉPARATION CONCERNANT LES INFECTIONS NOSOCOMIALES

La même loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a mis en place, pour les infections nosocomiales, un régime spécifique de responsabilité.

Ce régime légal d'indemnisation de l'infection nosocomiale intéresse uniquement les infections contractées à compter du 5 septembre 2001. Un rappel du régime antérieur au 5 septembre 2001 reste nécessaire.

1 - Le régime applicable aux infections nosocomiales contractées antérieurement au 5 septembre 2001

Les solutions sont entièrement jurisprudentielles.

Elles varient selon le secteur de soins.

ð L'infection nosocomiale est contractée dans un établissement de santé privé ou consécutivement à l'intervention de médecins libéraux.

ð Le juge suprême fait peser sur les cliniques privées, les établissements participant au service public hospitalier, les médecins libéraux, une obligation de sécurité de résultat dont ils ne peuvent se dégager qu'en prouvant la cause étrangère (C. Cass. 29 juin 1999, Gaz. Pal., Rec. 1999, somm. p. 436).

ð L'infection nosocomiale est contractée dans un établissement public de santé.

Les hôpitaux publics, pour échapper à leur responsabilité en cas d'infections nosocomiales, ont l'obligation de prouver l'absence de faute ou encore le respect de toutes les normes d'asepsie (CE 9 déc. 1988, Cohen, D. 1990, p. 487 ; TA Rouen, 17 août 2001, Petites Affiches 2002, n° 50, p. 14).

2 - Le régime applicable aux infections nosocomiales contractées postérieurement au 5 septembre 2001

Désormais, un régime particulier d'indemnisation est prévu aux articles L 1142-1 et L 1142-1-1 du code de la santé publique pour les infections nosocomiales.

Dans le cas où un établissement de santé est en cause, de quelque nature qu'il soit, la victime est placée dans une situation privilégiée . La responsabilité est automatique sauf preuve d'une cause étrangère , c'est-à-dire faute de la victime (patient porteur d'un germe infectieux), fait d'un tiers (fournisseur de l'établissement dont la prestation entraîne l'infection), force majeure (cyclone entraînant la destruction des mécanismes de vigilance) ou cas fortuit (inhérent aux installations sanitaires).

Ce régime de responsabilité automatique est limité aux établissements de santé. Si l'infection nosocomiale a son origine dans un cabinet de ville d'un professionnel de santé , la victime doit prouver la faute selon le régime de droit commun.

Enfin, lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé n'est pas engagée 17 ( * ) , une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale selon les conditions strictes précédemment définies à l'article L 1142. 1 II et D 1142-1 du code de la santé publique.

Il est indispensable de rappeler que lors de l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la charge financière de toutes les infections nosocomiales pesait sur les établissements de santé (via leurs compagnies d'assurances). Or, il était (et il demeure) difficile de s'exonérer de sa responsabilité à cause du nouveau régime institué. Aussi, les assureurs ont fait connaître leur mécontentement en menaçant de se retirer du marché de l'assurance responsabilité civile obligatoire. La loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale adoptée très rapidement a atténué la portée des dispositions de la loi précitée du 4 mars 2002 en introduisant différentes modifications :

Les dommages résultant d'infections nosocomiales graves dans les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins entraînant soit un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) supérieure à 25 %, soit le décès de la victime, sont pris en charge par la solidarité nationale (via l'ONIAM).

L'ONIAM dispose d'une action subrogatoire possible en cas de faute établie de l'établissement, notamment dans l'hypothèse d'un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

Une large information sur les établissements de santé concernés par des cas d'infections nosocomiales à l'origine soit d'une IPP supérieure à 25%, soit d'un décès, est réalisée.

ð La CRCI compétente doit signaler sans délai cette infection au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) et à l'ONIAM (art. L 1142-8 du code de la santé publique).

ð Lorsque l'ONIAM doit indemniser des victimes d'infections nosocomiales à la suite d'une décision de justice, il doit signaler sans délai l'infection nosocomiale au directeur de l'ARH (art. L 1142-21 du code de la santé publique).

ð L'ONIAM doit adresser au Gouvernement, au Parlement et à la Commission nationale des accidents médicaux un rapport d'activité semestriel. Ce rapport comporte notamment une partie spécifique sur les infections nosocomiales dont l'office a eu connaissance en application des articles L 1142-8 et L 1142-21 du code de la santé publique. Il est rendu public (art. L 1142-22-1 du code de la santé publique).

Dans les autres cas d'infections nosocomiales (celles qui sont à l'origine d'une IPP inférieure à 25%), lorsque l'établissement de santé n'établit pas la cause étrangère, l'établissement (via son assureur) assure l'indemnisation financière du patient victime d'une infection nosocomiale.

Dans les cas d'aggravation des dommages résultant d'une infection nosocomiale, qui entraînent ultérieurement une IPP supérieure à 25% ou le décès du patient, la solidarité nationale indemnise le patient et rembourse à l'assureur les indemnités initialement versées à la victime.

Les mêmes règles que pour le droit commun (seuils de gravité du préjudice) s'appliquent pour l'accès aux CRCI (règlement amiable).

N.B.

La mise en oeuvre de la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 a posé le problème de la rétroactivité des modifications insérées qui aboutissent au transfert de la charge financière des infections nosocomiales les plus graves à la solidarité nationale. Lors de sa réunion du 22 octobre 2003, le Conseil d'administration de l'ONIAM a considéré à l'unanimité (avec une abstention) que la loi du 30 décembre 2002 n'a pas de portée rétroactive et s'applique aux infections nosocomiales survenues après le 1 er janvier 2003. A ce jour, plusieurs contentieux relatifs à la question de l'application dans le temps de ces dispositions sont en cours. Deux décisions ont été prises en faveur de l'application rétroactive de ces dispositions à compter du 5 septembre 2001. Quatre décisions ont été prises en sens inverse (rapport de l'ONIAM, 2 ème semestre 2005, en cours de publication).

Régime légal de réparation des risques sanitaires

depuis la loi du 4 mars 2002

DROIT COMMUN

INFECTIONS NOSOCOMIALES

Principes

Hypothèse de la faute

Ä Victime prouve la faute

Hypothèse de l'absence de faute

Ä Si absence de faute et conditions réunies : solidarité nationale par Oniam - Conditions (3) :

o Lien direct

o Conséquences anormales au regard état antérieur

o Gravité

§ Soit IPP supérieure à 24%

§ Soit ITT 6 mois

§ Soit inaptitude professionnelle

§ Soit troubles conditions d'existence

Principe s

Hypothèse de la faute

Etablissements de santé

Ä Etablissement responsable sauf preuve cause étrangère

Médecin libéral

Ä Victime prouve la faute

Si IPP supérieure à 25% ou décès, l'Oniam paie et peut se retourner contre le responsable (loi About)

Hypothèse de l'absence de faute

L'établissement prouve la cause étrangère.

Ou encore le professionnel libéral prouve qu'il n'a pas commis de faute.

La victime a droit à la solidarité nationale aux mêmes conditions que dans le droit commun.

o Soit IPP supérieure à 24%

o Soit ITT 6 mois

o Soit inaptitude professionnelle

o Soit troubles conditions d'existence

Procédure (règlement amiable)

Accès à CRCI (et si besoin Oniam pour solidarité nationale)

Ä Soit IPP supérieure 24%

Ä Soit ITT 6 mois

Ä Soit inaptitude professionnelle

Ä Soit troubles dans conditions d'existence

(mêmes seuils de gravité que pour la solidarité nationale)

Synthèse

des points essentiels du régime juridique applicable

aux infections nosocomiales

depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303du 4 mars 2002

ð Le texte confirme la jurisprudence de la Cour de cassation et retient un régime favorable au patient hospitalisé dans un établissement de santé.

En conséquence, il est difficile pour un établissement de santé de s'exonérer de sa responsabilité. La preuve du respect des règles d'hygiène et d'asepsie n'est plus suffisante.

ð Une différence existe entre les patients victimes selon que l'infection nosocomiale est consécutive à une prise en charge par un établissement de santé ou un professionnel de santé. Dans la première hypothèse, il y a renversement de la charge de la preuve et il incombe à l'établissement de s'exonérer de sa responsabilité par la preuve de la cause étrangère ; dans la seconde, il incombe au patient de prouver la faute du professionnel de santé.

ð La solidarité nationale assure la prise en charge financière des infections nosocomiales les plus importantes (décès ou IPP supérieure à 25%) avec une possibilité d'action subrogatoire ; les autres sont indemnisées par les compagnies d'assurance.

ð Des interrogations subsistent sur la rétroactivité de la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, dans l'attente de décisions de justice irrévocables. La charge financière des dommages générés par les infections nosocomiales les plus graves survenues entre le 5 septembre 2001 et le 30 décembre 2002 pèse-t-elle sur les compagnies d'assurance ou sur l'ONIAM ?

* 17 La responsabilité n'est pas engagée dans deux situations :

- Pour les infections contractées dans des établissements de santé, la structure de soins a apporté la preuve de la cause étrangère.

- Pour les infections survenues consécutivement à une prise en charge libérale dans un cabinet de ville, le professionnel de santé n'a pas commis de faute.

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