XVII. L'ENQUÊTE RÉALISÉE AUPRÈS DES ORGANISMES ET PROFESSIONNELS DE SANTE

A) LA MÉTHODOLOGIE UTILISÉE

Afin d'analyser les effets et le coût des indemnisations accordées aux patients victimes d'infections nosocomiales, une enquête a été menée auprès des acteurs directement concernés par le mécanisme spécifique de responsabilité applicable aux infections nosocomiales :

ð L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

ð Les assureurs et l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris :

La S.H.A.M. qui assure 915 établissements de santé et un peu moins de 1000 professionnels ayant une activité libérale.

La M.A.C.S.F qui assure 280 000 professionnels de santé et une dizaine de cliniques privées.

La direction des affaires juridiques de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (qui est son propre assureur pour 39 établissements, 18 000 médecins et 52 000 personnels soignants non médicaux).

ð Les professionnels de santé :

Professeur Alain LORTAT-JACOB, Chirurgie orthopédique, Hôpital Ambroise Paré, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris

Docteur Jean-Pierre SOLLET, Réanimation polyvalente, Centre hospitalier Victor Dupouy, Argenteuil

Professeur Alain VAILLANT, Chirurgie cardiaque, Clinique Clairval, Marseille

Les résultats de l'enquête reposent essentiellement sur les réponses apportées aux questionnaires communiqués à ces différents acteurs, croisées avec les rapports semestriels de l'ONIAM et les rapports annuels de la Commission nationale des accidents médicaux.

B) LA SYNTHÈSE DES RÉSULTATS

Un premier constat s'impose . Il porte sur la difficulté à obtenir la communication de chiffres précis concernant les demandes d'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales. Certains des acteurs interrogés ont été dans l'impossibilité de nous transmettre le nombre exact des indemnisations financières octroyées en la matière.

L'article L 1142-29 du code de la santé publique a institué une commission rattachée à l'ONIAM à laquelle doivent être communiquées les données relatives aux accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales et à leur indemnisation par les assureurs des professionnels et organismes de santé, par les établissements chargés de leur propre assurance, par la CNAM ainsi que les CRCI. Le recueil et l'analyse des données qui lui sont transmises peuvent être délégués et font l'objet, sous son contrôle, d'une publication périodique. Cette commission prend toutes dispositions pour garantir la confidentialité des informations recueillies.

Au jour de la rédaction du présent rapport, cette commission ne dispose pas encore des données concernant les infections nosocomiales.

1 - Les indemnisations accordées par l'ONIAM

L'ONIAM est au coeur du dispositif d'indemnisation des patients victimes d'infection nosocomiale. Il assure la prise en charge financière des infections les plus lourdes (IPP supérieure à 25% ou décès).

Les chiffres cités ci-dessous sont extraits pour l'essentiel des rapports d'activité successifs de l'ONIAM des années 2003, 2004 et 2005.

LES CAS D'INDEMNISATION DANS LE CADRE DE LA SAISINE DE LA CRCI

ð En 2003 , 1 907 dossiers de demande d'indemnisation ont été déposés auprès des CRCI Sur les 87 avis rendus au fond, 26 constituaient des avis de rejet, après expertise, 6 comportaient des demandes de nouvelle expertise ou d'expertise complémentaire. Sur les 55 avis restants, 13 étaient relatifs à des infections nosocomiales. 11 avis portaient sur des faits antérieurs au 1er janvier 2003. 2 avis concernaient des faits postérieurs au 1er janvier 2003 mais n'étaient pas indemnisables par l'ONIAM car les conditions prévues par la loi (décès ou IPP supérieure à 25%) n'étaient pas remplies. Ces deux avis ont été transmis aux assureurs des établissements de santé concernés pour faire l'objet d'une indemnisation dans les conditions de droit commun.

ð Au cours de cette année, l'ONIAM n'a pas été amené à indemniser des victimes d'infection nosocomiale.

ð En 2004 , 3 553 dossiers de demande d'indemnisation ont été déposés auprès des CRCI. Sur les 1 226 avis rendus au fond, l'ONIAM a été destinataire pour indemnisation de 19 avis d'infections nosocomiales entrant dans le champ d'application de l'article L 1142-1-1 du code de la santé publique (décès ou taux d'IPP >25%) et ouvrant droit à la prise en charge par la solidarité nationale.

ð En 2005 , 2 939 dossiers de demande d'indemnisation ont été déposés auprès des CRCI. Sur les 2 113 avis rendus au fond, l'ONIAM a été destinataire pour indemnisation de 48 avis d'infections nosocomiales entrant dans le champ d'application de l'article L 1142-1-1 du code de la santé publique (décès ou taux d'IPP >25%) et ouvrant droit à la prise en charge par la solidarité nationale.

LES CAS D'INDEMNISATION DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE

Il s'agit des hypothèses où la juridiction compétente a été saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'un acte et estime que les dommages subis en raison d'une infection nosocomiale sont indemnisables au titre de la solidarité nationale ; l'ONIAM est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure.

Au jour de la rédaction du présent rapport, l'ONIAM a été appelé dans 14 contentieux supposant une infection à l'origine d'une IPP>25% :

ð Dans 4 cas, l'ONIAM a été mis hors de cause pour non atteinte des seuils.

ð Dans 4 cas, l'ONIAM a été mis hors de cause pour accident antérieur à la loi du 30 décembre 2002.

ð Dans 2 cas, l'ONIAM a été condamné, bien que l'accident soit antérieur à la loi du 30 décembre 2002.

ð Le reste est en cours d'instance.

LES MONTANTS D'INDEMNISATION ACCORDÉS

Aucune réponse n'a été apportée sur le montant exact et le coût total des indemnisations accordées par l'ONIAM dans le cadre des infections nosocomiales.

Il a été précisé que l'appréciation du préjudice est strictement identique à ce qui se fait pour l'ensemble des dossiers traités par l'ONIAM.

En particulier, l'ONIAM suit, en matière d'infections nosocomiales, son barème comme pour les autres cas (cf. barème indicatif diffusé sur le site internet : http://www.oniam.fr).

Synthèse

des points essentiels des indemnisations accordées par l'ONIAM

ð Le coût total des infections nosocomiales à la charge de la solidarité nationale n'est pas connu dans le détail. Il obéit au barème général applicable à tous les dossiers traités par l'ONIAM.

ð Le nombre d'avis portant sur les infections nosocomiales les plus graves et justifiant une saisine de l'ONIAM a plus que doublé en deux ans.

ð Pour autant, le nombre d'avis rendu paraît peu important au regard du nombre de décès imputables, chaque année, à des infections nosocomiales (nombre estimé entre 2 000 et 4 000 décès par an).

2 - Les conséquences judiciaires des infections nosocomiales

Il est difficile dans le pays de connaître avec précision la nature des poursuites judiciaires et leurs conséquences au plan médical. Nul observatoire n'existe en ce domaine ; nul recensement en provenance du Ministère de la justice n'est réalisé.

Les assureurs eux-mêmes ne sont pas tous en mesure de fournir des chiffres exacts en matière d'infections nosocomiales résultant pourtant de la gestion de leur propre portefeuille de clients. Les observations suivantes peuvent être formulées.

SUR LES DÉCLARATIONS DE SINISTRE

D'après les statistiques élaborées par la S.H.A.M. (cf. graphique ci-après), les déclarations de sinistres 18 ( * ) concernant des infections nosocomiales ont presque triplé de 2002 à 2004 . Il en est de même du coût des sinistres. En 2004, 721 déclarations de sinistres portaient sur des infections nosocomiales et représentaient un coût total de 16,3 millions d'euros ; le poids des sinistres d'infections nosocomiales dans le coût total des sinistres était de 17%.

SUR LES INDEMNISATIONS RÉSULTANT DES RÉCLAMATIONS ISSUES DES CRCI

En 2004, selon le panorama du risque médical des établissements de santé édité par la S.H.A.M., parmi les 15% d'avis émis par les CRCI mettant l'indemnisation de la victime à la charge de l'assureur, près de la moitié étaient consécutifs à des infections nosocomiales pour lesquelles les établissements de santé étaient automatiquement responsables.

Il est précisé que l'analyse des prochains exercices permettra d'apprécier les effets de la loi du 30 décembre 2002 qui a mis à la charge de l'ONIAM les conséquences des infections nosocomiales entraînant une incapacité permanente partielle supérieure à 25% ou le décès du patient.

SUR LES INDEMNISATIONS RESULTANT DES PROCÉDURES JUDICIAIRES

Aucun des assureurs interrogés n'est à ce jour capable de déterminer ni le nombre de contentieux en cours portant sur les infections nosocomiales, ni le nombre des affaires jugées ayant donné lieu à des condamnations au cours des trois années précédentes.

De même, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris n'a pas pu fournir, au jour de la rédaction du présent rapport, d'éléments de réponse.

Il est donc impossible de définir la nature des contentieux (civil, administratif ou pénal) ainsi que le montant des indemnités attribuées aux patients ayant subi une infection nosocomiale.

Par contre, il apparaît clairement que les disciplines médicales les plus touchées par les infections nosocomiales dans les contentieux sont la chirurgie orthopédique, la chirurgie cardiaque et thoracique, la neurochirurgie et la chirurgie urologique.

Synthèse

des points essentiels des conséquences judiciaires des infections nosocomiales

ð Le coût exact des indemnisations financières octroyées dans le cadre des procédures contentieuses reste inconnu. C'est là un constat important.

ð L'essentiel des contentieux est lié à un acte chirurgical. La chirurgie orthopédique est particulièrement concernée.

ð Selon les chiffres de la S.H.A.M., le coût des sinistres portant sur des infections nosocomiales a triplé en l'espace de trois ans du fait de la multiplication par trois du nombre de réclamations formulées en ce domaine.

ð Selon la S.H.A.M., en 2004, la moitié des avis émis par les CRCI mettant à la charge de l'assureur des indemnisations concernait des infections nosocomiales.

3 - L'impact des infections nosocomiales sur les professionnels et les établissements de santé

Il convient à présent de mesurer et d'analyser l'impact des infections nosocomiales sur les professionnels et établissements de santé sous deux angles :

ð L'assurabilité

ð Le ressenti psychologique.

SUR LA DÉTERMINATION DE LA POLICE D'ASSURANCE ET LE MONTANT DES PRIMES D'ASSURANCE

Seule la S.H.A.M. parmi les assureurs interrogés a depuis 2004 introduit une franchise dans les contrats nouveaux ou renouvelés pour les sinistres dus à une infection nosocomiale, équivalente à 20% des dommages avec un minimum de 10 000 euros et un maximum égal au montant de la cotisation d'assurance annuelle.

Les polices d'assurances n'intègrent pas de plafond de garantie propre aux infections nosocomiales.

L'IMPACT DU TAUX D'INFECTION NOSOCOMIALE SUR LA PRIME D'ASSURANCE

La S.H.A.M. exige de tout établissement souhaitant s'assurer en responsabilité civile médicale et hospitalière la production de sa statistique « sinistres » sur 10 ans si possible. Les réclamations résultant d'infections nosocomiales sont ainsi connues par la société.

A l'inverse, la M.A.C.S.F. n'a pas cette exigence.

L'IMPACT DE LA GESTION DU RISQUE NOSOCOMIAL SUR LA PRIME D'ASSURANCE

La S.H.A.M. effectue depuis 2005 une visite des zones à risques, comme le bloc opératoire dans les établissements de court séjour candidats à l'assurance. Cette visite est effectuée à partir d'un référentiel incluant les questions relatives à la prévention des infections nosocomiales. La cotisation est fixée en fonction de l'exposition au risque, et des rabais sont consentis si l'établissement assuré met en oeuvre les recommandations de la compagnie.

Les compagnies d'assurances recommandent toutes bien évidemment la mise en place d'une politique de gestion des risques propre aux infections nosocomiales, notamment le respect de la réglementation et des normes applicables ainsi que des préconisations élaborées par elles. Pour autant, le non respect des règles de prévention ne peut conduire à un refus de prise en charge du sinistre, lorsqu'il survient.

Les assureurs acceptent de baisser la prime d'assurance quand le professionnel ou l'établissement de santé assuré ne connaît pas de sinistre et déploie une politique active de gestion du risque nosocomial. La mise en oeuvre d'une minoration (ou à l'inverse d'une majoration) du tarif concerne toutes les activités à risque, et pas uniquement la lutte contre les infections nosocomiales. En ce qui concerne la S.H.A.M., pour les établissements ayant choisi un tarif modulable, le cumul des boni successifs peut atteindre 15%.

L'IMPACT DES NOUVELLES RÈGLES LÉGALES APPLICABLES À LA PRISE EN CHARGE DES INFECTIONS NOSOCOMIALES

Selon la S.H.A.M., de multiples facteurs ont conduit à la majoration des tarifs des assurances souscrites par les établissements de santé sur la période 2002-2005. Pour autant, la loi du 30 décembre 2002 a restauré « l'assurabilité » des établissements de santé d'une part en aménageant le fonctionnement dans le temps des contrats d'assurance responsabilité civile, d'autre part en transférant une partie de la charge de l'indemnisation des infections nosocomiales sur l'ONIAM (celles correspondant à une IPP supérieure à 25% ou à un décès).

Selon la M.A.C.S.F., les nouvelles règles d'indemnisation du risque nosocomial n'ont pas eu à ce jour d'effet sur le montant des primes.

SUR LE RESSENTI PSYCHOLOGIQUE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LIÉ À LA JUDICIARISATION DE LEUR ACTIVITÉ

Il est important de noter que le nombre de professionnels de santé interrogés (3) n'est en rien représentatif de l'ensemble des pratiques mises en oeuvre en matière d'infections nosocomiales. Les réponses appellent toutefois quelques commentaires.

Le dispositif juridique global à respecter lors de la survenue d'infection nosocomiale est connu des trois professionnels de santé (signalement aux autorités sanitaires, protocoles à appliquer, information des professionnels, etc.). En particulier, les nouvelles dispositions introduites par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé imposant une information des patients sont bien appliquées même si le terme « nosocomial » n'est pas toujours utilisé. Cette information est délivrée dès la confirmation du diagnostic. D'ailleurs, les professionnels de santé savent tous que le fait de ne pas informer un patient de la survenue d'une infection nosocomiale peut engager leur responsabilité.

Les trois professionnels interrogés procèdent à des bilans et des prélèvements systématiques des patients lors de leur admission à l'hôpital, notamment lorsque ceux-ci viennent d'autres structures de soins (ex : centres de long et de moyen séjour). Certains vont même jusqu'à réaliser des prélèvements hebdomadaires jusqu'à la sortie du patient.

Deux professionnels sur les trois interrogés ont déjà connu (eux-mêmes ou les services dans lesquels ils exercent) une mise en cause en raison de dommages subis par le patient victime d'une infection nosocomiale. Certains craignent un engagement de leur responsabilité, mais connaissent le dispositif de prise en charge des infections nosocomiales introduit par la loi du 4 mars 2002 qu'ils trouvent adapté. C'est surtout la responsabilité pénale qui est redoutée.

Synthèse

de l'impact des infections nosocomiales

sur les professionnels et les établissements de santé

ð Une attention est portée à la sinistralité attachée aux infections nosocomiales. Pour autant, la majoration ou la minoration des primes n'est pas spécifique aux infections nosocomiales et s'intègre aux activités dites à « risque ».

ð Les assureurs sont de plus en plus vigilants quant aux démarches initiées en matière de lutte contre les infections nosocomiales et les prennent, le cas échéant, en considération.

ð Les professionnels connaissent bien le régime juridique applicable aux infections nosocomiales et à leur indemnisation. Ils redoutent une éventuelle mise en cause.

* 18 Sont seules recensées les déclarations de sinistre ayant fait l'objet d'une réclamation auprès de l'assureur.

Page mise à jour le

Partager cette page