XVIII. LES VOIES DE RÉFLEXION
Après quatre années de mise en oeuvre, il est encore difficile d'établir un bilan au plan du droit. Le nouveau mécanisme de réparation des infections nosocomiales est utile et intéressant. Il n'est probablement pas encore parfait et pourrait être amélioré.
Trois voies de réflexion se présentent.
A) PREMIÈRE VOIE DE REFLEXION : QUELLE VALEUR POUR LE RÉGIME ACTUEL D'INDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES ?
1 - Le régime actuel est complexe
ð L'indemnisation est tantôt supportée par la solidarité nationale pour les infections nosocomiales les plus graves (IPP supérieure à 25% ou décès) contractées dans un établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, tantôt par les assureurs dans les autres cas. Cette distinction n'existait pas lors de l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé19 ( * ). Elle a été introduite par la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale.
ð Il existe des incertitudes quant à la date d'entrée en application de la loi précitée du 30 décembre 2002. La règle du transfert de la charge financière des infections nosocomiales les plus graves à la solidarité nationale a-t-elle ou non une portée rétroactive ? En d'autres termes, s'applique-t-elle aux infections nosocomiales contractées après le 5 septembre 2001 ou de manière plus restrictive aux seules infections nosocomiales survenues après le 1er janvier 2003 ? A ce jour, aucune réponse certaine n'a été apportée ; la jurisprudence est d'ailleurs partagée.
ð Lorsque la responsabilité de l'établissement ou du professionnel de santé n'est pas engagée, le patient peut saisir la CRCI qui renvoie l'affaire sur l'ONIAM. Attention, seuls les dommages présentant un certain caractère de gravité sont indemnisés (IPP supérieure à 24%, décès, incapacité temporaire de travail d'au moins 6 mois consécutifs,...) à ce titre. Ce seuil correspond à ce qui vient d'être dit pour la solidarité nationale.
ð Ainsi, du point de vue de la victime , la procédure d'indemnisation est difficile à appréhender . Trois situations au minimum sont à distinguer.
§ La responsabilité de l'établissement de santé est engagée : le patient aura pour son indemnisation comme référent soit l'ONIAM (après saisine préalable de la CRCI) pour les infections nosocomiales les plus graves, soit l'assureur de l'établissement de santé dans les autres cas. Il peut également saisir le juge.
§ La responsabilité d'un professionnel de santé est engagée : le patient devra solliciter l'assureur du professionnel de santé. Il peut aussi saisir le juge.
Lorsque la responsabilité de l'établissement ou du professionnel de santé n'est pas engagée et que l'ONIAM refuse la prise en charge financière du préjudice consécutif à l'infection nosocomiale, le patient peut saisir la juridiction compétente. Mais, si celle-ci confirme la décision de l'ONIAM, aucune indemnisation ne sera versée à la victime, sauf si celle-ci avait souscrit une assurance personnelle couvrant ce risque.
2 - Le régime actuel est source d'inégalité
Le mécanisme de responsabilité applicable à l'infection nosocomiale n'est pas commun à toutes les formes de prise en charge. Des différences de traitement subsistent pour les professionnels et établissements de santé ainsi que pour les patients.
ð Du point de vue des établissements et des professionnels de santé
La responsabilité des établissements de santé , qu'ils soient publics ou privés, est automatique, sauf preuve de la cause étrangère. Il y a un renversement de la charge de la preuve. Il incombe à la structure concernée d'apporter cette preuve pour s'exonérer de sa responsabilité.
En pratique, la cause étrangère est très difficile à démontrer. Il faut par exemple parvenir à soutenir avec succès que le patient était déjà porteur d'un germe lors de son arrivée dans l'établissement. C'est d'ailleurs pour cette raison que les établissements réalisent de plus en plus de prélèvements systématiques à l'admission du patient dans la structure.
Dans ces conditions, les assureurs et les établissements qu'ils représentent sont confrontés à une impossibilité presque absolue de s'exonérer de leur responsabilité . D'ailleurs, le triplement du coût des infections nosocomiales pour la S.H.A.M. depuis 2002 (date de mise en oeuvre du nouveau régime) ainsi que l'accroissement important du nombre d'indemnisations accordées par l'ONIAM illustrent certainement ce point.
Ce dispositif est d'autant plus pénalisant que la S.H.A.M. considère que 50% des infections nosocomiales contractées à l'hôpital sont inévitables, quelles que soient les mesures préventives déployées. Beaucoup d'infections survenant lors ou à la suite d'un séjour dans un établissement de santé ont pour origine, non pas l'hospitalisation, mais l'état de santé du patient ou les germes présents dans son organisme mais habituellement inoffensifs (cas spécifique des infections endogènes).
Quant aux professionnels de santé libéraux exerçant en cabinet, le régime de droit commun de la responsabilité est retenu. La responsabilité est engagée uniquement en cas de faute du professionnel concerné.
ð Du point de vue du patient
Le patient victime d'une infection nosocomiale contractée dans un établissement de santé est dans une situation privilégiée , puisqu'il n'a pas à apporter la preuve de la faute.
A l'inverse, lorsque le dommage résulte d'une prise en charge libéral e dans un cabinet de ville, le patient doit prouver la faute du professionnel concerné.
B) DEUXIÈME VOIE DE REFLEXION : PEUT-ON ENVISAGER DE RENFORCER LE RÉGIME PRÉFÉRENTIEL ?
La protection du patient victime d'une infection nosocomiale pourrait-elle être accentuée ? Le champ de la solidarité nationale devrait alors être étendu.
Dans cette hypothèse, il serait nécessaire d'une part d'élargir le champ de la responsabilité automatique aux prises en charge libérales dans les cabinets de ville ; d'autre part d'abaisser le seuil d'indemnisation de l'infection nosocomiale par l'ONIAM.
Plusieurs questions se posent alors :
ð Quels seuils pourraient être utilisés ?
ð Quelles pourraient être les sources de financement d'une solidarité nationale qui serait une nouvelle fois élargie ?
ð Doit-on transférer l'intégralité du risque nosocomial à la solidarité nationale ? Dans ce cas, quelle en est justification ?
Mais, l'extension de la solidarité nationale ne serait pas sans soulever certaines objections :
ð Elle pourrait conduire à une déresponsabilisation progressive des établissements et professionnels de santé dans la lutte contre les infections nosocomiales. Afin de garantir un certain équilibre, il conviendrait de faciliter les voies de recours de l'ONIAM .
ð Elle placerait la victime d'une infection nosocomiale dans une situation « privilégiée ». Le patient bénéficierait d'un régime plus favorable que la personne victime d'un autre risque médical. Une telle solution se justifierait t-elle ?
C) TROISIÈME VOIE DE RÉFLEXION : LE RÉGIME PRÉFÉRENTIEL POURRAIT-IL ÊTRE ALLÉGÉ SI CE N'EST SUPPRIMÉ ?
Le patient victime d'une infection nosocomiale ne disposerait plus alors du régime préférentiel d'indemnisation de l'infection nosocomiale.
Le mécanisme de responsabilité automatique de l'établissement de santé serait supprimé. La notion de faute serait réintroduite . Il serait alors clairement opportun de définir avec précision cette notion dans le cadre particulier de l'infection nosocomiale.
Dès lors, deux solutions seraient envisageables :
ð Le régime de responsabilité pour faute de droit commun serait rétabli pour les infections nosocomiales. Dans ce cas, l'assureur n'assumerait que la responsabilité financière des infections nosocomiales fautives, par exemple celles liées à un non respect de la réglementation applicable en matière de lutte contre les infections nosocomiales, et cela quel que soit le degré de gravité du dommage.
ð Les infections nosocomiales obéiraient à un régime de présomption de faute . Le professionnel ou l'établissement de santé pourrait s'exonérer de sa responsabilité par la preuve de l'absence de faute, en démontrant le respect des règles d'hygiène et d'asepsie. Il s'agit là de la solution jurisprudentielle retenue par la juridiction administrative antérieurement à la loi du 4 mars 2002.
Cette solution présenterait un inconvénient majeur, à savoir la non indemnisation de l'infection nosocomiale non fautive. Pour préserver une certaine cohérence, il faudrait maintenir une prise en charge de l'infection nosocomiale non fautive par la solidarité nationale .
D) AU VU DE CES TROIS VOIES DE RÉFLEXION, QUELLES CONSIDÉRATIONS PEUT-ON FAIRE EN TERMES DE RÉPARATION DES RISQUES SANITAIRES LIÉS AUX INFECTIONS NOSOCOMIALES ?
A ce jour, il est certainement trop tôt pour opter pour une voie plutôt qu'une autre. Les textes sont récents. Les premières applications en sont faites. Avant que d'envisager leur modification, mieux vaut approfondir les premiers bilans et les premiers effets.
L'accord doit être mis sur l' information des patients et des familles :
ð En terme de risques d'infections nosocomiales, tout d'abord, lors d'actes de prévention, de diagnostic et de soins, quelque soit le mode de traitement : public, privé, en libéral ou en hospitalisation.
ð En termes de dommage ensuite. La nécessité d'informer sur l'infection nosocomiale, lorsque le risque s'est réalisé, est encore mal connue dans les établissements. Sa pratique n'a rien de facile, mêlant transparence et nécessité de ne pas placer l'acteur de santé dans une situation difficile notamment vis-à-vis de sa compagnie d'assurances.
La rétroactivité ou l'absence de rétroactivité des dispositions de la loi du 30 décembre 2002 sur la responsabilité civile médicale pose question. Le texte attribue compétence à l'ONIAM pour réparer les conséquences des infections nosocomiales entraînant un lourd préjudice. S'applique-t-il pour les infections survenues à compter du 5 septembre 2001, ou seulement à compter du 1 er janvier 2003 ? Il y a là une question méritant d'être clarifiée .
Le risque lié aux infections nosocomiales en médecine de ville est mal connu 20 ( * ) . Le régime juridique de la réparation - cela a été exposé - n'est pas le même qu'en hospitalisation. Une telle différence en droit se justifie-t-elle par des éléments de fait qui seraient encore mal identifiés ?
Il conviendrait d'approfondir ce domaine de l'activité libérale placée face aux risques d'infections nosocomiales.
Les compagnies d'assurances peuvent mener, semble-t-il, des politiques de contrats d'assurances liés à la prévention des risques d'infections nosocomiales.
On ne peut qu'encourager de telles actions et conforter les organismes assurantiels qui agissent ainsi. L'ajustement primes-politique de gestion des risques nosocomiaux est à conforter et à renforcer.
Des organismes tels que la Fédération Française des Assurances ou encore le BCT (Bureau Commun de Tarification) pourraient être pilotes ou associés dans une telle démarche. Des actions de sensibilisation - formation pourraient être systématiquement proposées par les compagnies assurant le risque médical à leurs adhérents, portant sur la bonne gestion et la prévention des infections nosocomiales. Des abattements de primes ou au contraire des surcotes devraient être systématiquement pratiquées. Les compagnies ou mutuelles assurant le risque médical sont en fréquents contacts avec les autorités ministérielles chargées de la santé. Ce thème de la liaison primes-politique de gestion des risques nosocomiaux serait à intégrer dans les négociations.
Conclusion générale ð Les effets et les coûts des réparations des risques sanitaires liées aux infections nosocomiales sont mal connus dans le pays. Ce constat n'est pas spécifique aux infections nosocomiales. Dans l'attente du fonctionnement de la commission mise en place auprès de l'ONIAM, les informations sont éparses sur le coût général des sinistres sanitaires. L'accent doit être mis sur la nécessité de disposer enfin de tous les éléments chiffrés nécessaires. ð Le régime de réparation des risques liés aux infections nosocomiales est spécifique. ð Ce régime est complexe. ð Ce régime est inégal pour les patients et les acteurs de santé, dépendant du mode de soins. ð Plusieurs voies de réflexion sont possibles : maintenir le régime juridique actuel ; renforcer encore la solidarité nationale dans le domaine des infections nosocomiales ; ou à l'inverse aligner la réparation du risque lié aux infections nosocomiales sur le régime juridique applicable à tous les accidents médicaux. ð Il est prématuré, peu de temps après la mise en oeuvre des dispositions liées à la loi du 4 mars 2002, de prétendre déjà à une modification de textes. ð Mais des travaux doivent se poursuivre dans les domaines suivants : Information des patients et de leurs familles Approfondissement des connaissances sur les risques nosocomiaux dans l'activité de ville Clarification de la rétroactivité ou de l'absence de rétroactivité de la loi du 30 décembre 2002 Incitation pour les organismes assurantiels à accentuer et renforcer la liaison primes-politique de prévention des risques d'infections nosocomiales |
ENQUETE IPSOS : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS |
Note méthodologique :
Cette enquête a été réalisée par téléphone auprès d'un échantillon national représentatif de 502 français âgés de 15 ans et plus les 6 et 7 janvier 2006 et de 200 professionnels de santé (50 médecins généralistes libéraux, 75 médecins spécialistes hospitaliers et 75 infirmiers(ères) hospitaliers) du 10 au 13 janvier 2006.
Pour le grand public, un échantillon de 500 individus, pour un intervalle de confiance à 95%, induit une marge d'erreur variant de 1,91 à 4,38 selon le pourcentage observé.
Pour les professionnels de santé, une taille d'échantillon de 200 individus pour un intervalle de confiance à 95%, induit une marge d'erreur variant de 3,02 à 6,93 selon le pourcentage observé.
Chacun de ces échantillons sont parfaitement représentatifs de l'univers étudié (la population française d'une part, les professionnels de santé d'autre part) selon la méthode des quotas.
Les résultats détaillés sont donnés en annexe 11.
* 19 L'indemnisation financière de toutes les infections nosocomiales, quelle que soit leur gravité, était alors entièrement à la charge des assureurs.
* 20 Quelques études existent. Par exemple, une étude lyonnaise récente menée chez 50 médecins généralistes a indiqué la présence de germes pathogènes chez 10 d'entre eux. 31 ne sont pas équipés d'essuie-mains à usage unique, 14 n'ont pas de savon antiseptique, et le temps de frictionnement n'est pas toujours respecté.