D. ENCOURAGER ET RESPONSABILISER LES PROFESSIONNELS

La responsabilisation de l'ensemble des acteurs du BTP est une des conditions du succès de la lutte contre les fraudes et abus constatés. En effet, l'essentiel des interventions étrangères d'entreprises ne respectant pas les règles de détachement se font en sous-traitance d'une entreprise française du secteur.

A ce titre, il convient de saluer l'énergie déployée par les organisations professionnelles 87 ( * ) pour expliquer aux entreprises du secteur quels sont les différents cadres juridiques d'emploi des salariés étrangers ainsi que les risques encourus en cas de réponse favorable à des offres de main d'oeuvre détachée à des taux horaires anormalement bas. Doivent aussi être mentionnées les démarches volontaristes de ces organisations, qui n'hésitent pas à poursuivre une entreprise française en justice pour violation des règles de détachement afin que la publicité faite à une éventuelle condamnation dissuade d'autres entrepreneurs éventuellement tentés 88 ( * ) .

Ces différentes actions ont été prolongées par la vigilance des représentants des salariés des entreprises françaises ainsi que des syndicats. Toutes ces démarches doivent être poursuivies dans un cadre juridique qui les renforce.

1. Responsabiliser davantage les donneurs d'ordre

La responsabilisation du donneur d'ordre 89 ( * ) est un des éléments essentiels de la limitation des fraudes et des abus. En effet, les fraudes au détachement concernent souvent des cas de sous-traitance et, en particulier, de sous-traitance « en cascade », faisant intervenir plusieurs niveaux d'intervenants.

Or, une des limites du droit français est précisément de n'imposer d'obligations aux entreprises que vis-à-vis de leurs sous-traitants directs, sans préoccupation à l'égard des sous-traitants des autres niveaux.

La responsabilité du donneur d'ordre vis-à-vis des sous-traitants directs

La mise en cause des donneurs d'ordre peut se faire, actuellement :

- soit dans le cadre de la solidarité financière prévue à l'article L. 324-14 du code du travail, lorsque l'un des documents prévus à cet article n'a pas été demandé par un donneur d'ordre (maître d'ouvrage, entreprise titulaire d'un lot, sous-traitant par rapport à ses propres sous-traitants) à son co-contractant lors de la conclusion du contrat puis tous les six mois ;

- soit en ayant recours à la qualification de travail dissimulé, directement par le donneur d'ordre ou par personne imposée. Cette procédure nécessitant alors de prouver que le donneur d'ordre avait connaissance de la situation de travail dissimulé ou qu'il ne pouvait l'ignorer.

Pour les sous-traitants autres que ceux du premier niveau, la seule obligation est d'informer le maître d'ouvrage de leur existence (à des fins de garantie financière en cas de défaillance des sous-traitants intermédiaires). L'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dispose ainsi que « l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal 90 ( * ) est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître d'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande ».

Toutefois, cette obligation, imposée aux marchés publics comme aux marchés privés, est très peu respectée pour ces derniers dans la mesure où son non respect ne constitue pas une infraction. Il est pourtant essentiel de s'assurer que le donneur d'ordre final connaisse les différents niveaux d'entreprises impliquées, afin notamment d'engager, sinon sa responsabilité juridique, au moins sa responsabilité sociale.

Aussi, afin d'améliorer l'efficacité de la règle posée par la loi de 1975, convient-il de renforcer l'obligation d'information du maître d'ouvrage par les entrepreneurs.

PROPOSITION N° 12

Assortir l'obligation prise par l'article 3 de la loi n° 75-13334 du 31 décembre 1975 de faire accepter chaque sous-traitant d'une peine d'amende.

Il convient ensuite que le maître d'ouvrage soit tenu d'attester qu'il a bien été informé.

PROPOSITION N° 13

Rendre obligatoire pour le donneur d'ordre l'affichage sur le chantier du nom de toutes les entreprises intervenant, quel que soit leur rang de sous-traitance.

Cette proposition d'affichage consisterait simplement en un complément de l'obligation d'affichage sur les chantiers déjà posée par l'article R. 324-1 du code du travail. Elle viserait surtout à rendre impossible pour le maître d'ouvrage, le fait d'affirmer qu'il ne connaît pas les entreprises concernées, alors même que les sous-traitants intermédiaires auront été plus fortement incités à l'informer.

2. Renforcer le contrôle par les salariés

Le renforcement de l'obligation d'information du donneur d'ordre pourrait d'ailleurs faciliter l'intervention des représentants du personnel.

La vigilance des salariés vis-à-vis des conditions d'emplois des sous-traitants est, en effet, un des garde-fous visant à assurer le respect du droit social, notamment par leur faculté d'alerte sur des situations suspectes.

Dans l'organisation actuelle des entreprises, le comité d'entreprise doit être obligatoirement informé et consulté sur la marche générale de l'entreprise, et notamment « sur les questions de nature à affecter le volume et la structure des effectifs » 91 ( * ) , ce qui inclut le recours à la sous-traitance. Le comité d'entreprise est ainsi destinataire de documents de nature commerciale (par exemple : un contrat de sous-traitance) auxquels n'ont pas accès les délégués du personnel ni les représentants syndicaux 92 ( * ) . Il est donc institutionnellement le mieux placé pour exercer un droit de regard sur les modalités de la sous-traitance.

De plus, le fait que l'existence obligatoire d'un comité d'entreprise ne concerne que les entreprises de plus de cinquante salariés est nuancé par le fait que, sur la base de l'article L. 620-10 du code du travail, les salariés des sous-traitants sont intégrés prorata temporis dans les effectifs du donneur d'ordre.

Encore, faut-il s'assurer que le comité d'entreprise du maître d'ouvrage aura, au titre des « questions affectant le volume et la nature des effectifs » effectivement accès aux informations relatives à tous les sous-traitants, y compris à ceux des rangs inférieurs, alors qu'ils ne sont pas en relation directe avec ce maître d'ouvrage.

Ceci n'est pas a priori certain et il convient de s'en assurer.

PROPOSITION N° 14

Préciser que les informations et documents relatifs à tous les niveaux de sous-traitants dont dispose le maître d'ouvrage sont obligatoirement accessibles à tous les élus de son comité d'entreprise.

* 87 La Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et la Confédération de l'Artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB).

* 88 Ces mesures ne sont d'ailleurs pas spécifiques aux questions de détachement des travailleurs, elles s'inscrivent dans l'engagement plus général des organisations professionnelles du secteur contre le travail illégal, comme en témoigne la mise en place récente du badge personnalisé obligatoire destiné à prévenir le travail dissimulé.

* 89 Celui-ci pouvant être le maître d'ouvrage ou une entreprise faisant appel à des sous-traitants.

* 90 Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l'égard de ses propres sous-traitants.

* 91 Article L. 432-1 du code du travail.

* 92 Etant toutefois bien noté que ces derniers jouent un rôle important en matière de lutte contre les pratiques de dumping social, rôle qui ne saurait être remis en cause.

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