b) Un droit touffu

La loi, en France, ne définit ni le jeu de hasard, ni ce qu'est une « maison de jeu ».

Le droit des jeux français n'est, par ailleurs, pas exempt d'étrangetés, au niveau, non pas tant de ses fondements législatifs, clairs dans leurs intentions bien qu'anciens, que de l'ensemble de ses dispositions (lois + règlements), complexe et souvent peu lisible.

Une codification serait souhaitable.

Les systèmes de prélèvements, d'une part sur les casinos, et, d'autre part, sur les paris hippiques par exemple, sont aussi complexes l'un que l'autre avec une superposition d'impôts de droit commun (impôt sur les sociétés pour les casinos, TVA...), de droits de timbre sur les tickets de paris et, autrefois, sur les entrées aux jeux de table, et de différentes autres contributions budgétaires, fiscales, sociales, déjà présentées dans ce rapport 100 ( * ) .

Concernant les prélèvements sociaux, le sommet a été atteint avec la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), dont l'assiette, s'agissant des casinos, correspondait, pour des raisons obscures, à six fois leur PBJ jusqu'à une réforme récente !

Quant à la contribution sociale généralisée (CSG), elle n'est perçue que sur une fraction 101 ( * ) des sommes misées auprès des différents opérateurs, égale à 23 % pour la Française des jeux, 14 % pour les hippodromes et 68 % du produit brut des jeux automatiques pour les casinos (en plus d'un prélèvement de 12 % sur tous les gains d'un montant égal ou supérieur à 1.500 euros).

Les explications de ces disparités, qui existent également au niveau des sanctions des infractions (voir plus haut), ne sont pas toujours évidentes !

Elles procèdent d'un cloisonnement des différents secteurs spécifiques, considérés, pour mieux encadrer leurs offres spécifiques, comme n'étant pas concurrents les uns des autres.

Suite à une saisine de la société « Le casinos du lac de la Magdeleine », le conseil de la concurrence a confirmé, le 13 mai 2005, cette vision des choses selon laquelle « le marché des jeux de hasard des casinos n'est substituable ni aux jeux organisés par la Française des jeux (loterie), ni aux paris sur les courses de chevaux » 102 ( * ) .

Le conseil de la concurrence s'est, par ailleurs, déclaré incompétent pour traiter cette affaire, parce qu' il n'a pas assimilé l'activité des casinos à un service , contrairement à la Cour de justice européenne qui traite comme tel tous les jeux de hasard et d'argent. Il a estimé qu'elle relevait du juge administratif, ce qui est très révélateur des différences d'approche entre les institutions européennes et françaises en cette matière .

De son côté, le Conseil d'Etat a jugé que la réglementation des casinos ne poursuivait pas un objectif de nature économique mais avait pour objet la protection de l'ordre public (voir plus haut) par la limitation des jeux 103 ( * ) .

Dans une décision postérieure 104 ( * ) , il a donné la priorité, au sein de cette même réglementation, aux dispositions de police spéciale limitant la durée des concessions à dix-huit ans sur celles posées par la loi Sapin 105 ( * ) en matière de publicité et de mise en concurrence, qui auraient permis la prise en compte du délai d'amortissement des investissements effectués.

Comme le note M. Benoît Jorion dans un article publié dans la revue « Droit administratif » (n° 1 - janvier 2005), cette limitation dont on peut se demander si elle est compatible avec le principe de libre administration des collectivités territoriales, « ne place pas les communes dans les meilleures conditions pour négocier leur cahier des charges ».

Aux effets de cette limitation s'ajoutent ceux de la période probatoire d'un an d'exploitation des jeux de table avant l'installation de machines à sous dans un établissement.

« Tout se passe - note M. Benoît Jorion, dans l'article précité - comme si l'importance des prérogatives de police dissuadait les contractants de véritablement négocier les délégations de casino... l'imbrication des règles liées, d'une part, au contrôle, d'autre part, à la délégation de service public, a une conséquence sur la concurrence effectivement pratiquée » (prime au sortant, concentration...).

Le même auteur souligne cette bizarrerie du droit français empêchant les communes d'exercer elles-mêmes les activités de service public des casinos, qui ne peuvent donc qu'être déléguées à des personnes privées, alors que certaines autres activités de service public, au contraire, ne peuvent être exercées que par des personnes publiques, faute de pouvoir être déléguées.

« C'est seulement parce qu'elle est obligatoirement accompagnée d'activités annexes liées à l'animation culturelle et au développement touristique de la commune - note le même auteur - que l'activité des casinos est constitutive d'une activité de service public » 106 ( * ) .

Cette qualification n'était pas évidente. Elle a été refusée ensuite aux courses de chevaux 107 ( * ) et aux activités de la Française des jeux 108 ( * ) .

Pourtant, la mission des sociétés de courses pourrait être considérée, à certains égards, comme un service public et la loterie nationale s'était vu reconnaître auparavant cette qualité 109 ( * ) .

Mais dans ses conclusions sur l'affaire Rolin, la commissaire du gouvernement, Mme Agnès Daussun, a fait valoir que les produits de la Française des jeux « ne présentent pas de caractère véritablement récréatif ou sportif, culturel ou intellectuel ».

« La circonstance que cette activité procure d'importantes recettes à l'Etat - a-t-elle ajouté - ne suffit pas non plus à donner à celle-ci un intérêt général ».

L'argument décisif semble toutefois être celui-ci :

« ce n'est pas - écrit-elle - parce qu'une activité, qui présente des risques, fait l'objet d'une réglementation rigoureuse et restrictive (ce qui est le cas aussi des courses de chevaux) pouvant aller jusqu'à l'institution d'un monopole, que cette activité présente un caractère d'intérêt général suffisant pour l'ériger en service public ».

On notera, au passage, cette observation humoristique de la commissaire : « Le rêve est indispensable à l'homme mais nous n'irons tout de même pas jusqu'à en faire un service public par nature ».

Ainsi, le droit français des jeux ne paraît pas toujours rationnel dans ses dispositions du fait qu'il traite parfois différemment chaque catégorie d'opérateurs (en matière de prélèvements, de qualification juridique de leurs activités), pour des motifs qui ne semblent pas clairement justifiés par leurs spécificités. Il est archaïque et complexe, comme cela a déjà été souligné par le premier rapport.

Mais il est cohérent dans la priorité qu'il accorde à la défense de l'ordre public, par rapport à toute autre considération économique ou financière, ainsi que par l'exclusivité qu'il confère à certains opérateurs (publics, privés, à but non lucratif) dans l'exploitation des activités concernées (loteries, courses, machines à sous et autres jeux de casinos), pour mieux les contrôler.

Ce modèle, qui se veut protecteur (des intérêts de la société, des joueurs et des opérateurs), apparaît néanmoins aujourd'hui comme un modèle en même temps vulnérable , car il est confronté aux défis :

- de l'offre de jeux à distance ;

- de l'unification européenne.

* 100 - Casinos : prélèvement forfaitaire et progressif (après abattements) sur le PBJ, prélèvement conventionnel au profit des communes.

- Sociétés de courses : prélèvement proportionnel sur les enjeux (partagé avec l'Etat et la Fédération nationale), prélèvement supplémentaire progressif sur les gains des joueurs au profit de l'Etat, affectation des arrondis aux sociétés-mères, plafonnement de l'ensemble à 32 % du montant global des mises selon l'article 53 de la loi de finances rectificative pour 1996.

* 101 Article 16-III de la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 (article L. 136-7-1 du Code de la sécurité sociale).

* 102 Décision « Française des jeux » n° 00-D-50 du 5 mars 2001.

* 103 Décision précitée CE 15 mai 2000 - confédération française des professionnels en jeux automatiques.

* 104 CE 3 octobre 2003 - commune de Ramatuelle.

* 105 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

* 106 CE 25 mars 1966 - ville de Royan. Le contrat négocié par la ville avec le casino a été qualifié de « concession de service public conclue dans l'intérêt de la station touristique et balnéaire ».

* 107 CE 25 septembre 1996 - Bellenger.

* 108 CE 27 octobre 1999 - Rolin.

* 109 CE 17 décembre 1948 - Angrand.

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