PREMIÈRE PARTIE - LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE

En matière pénale, il convient d'abord de distinguer la prescription de l'action publique qui fait obstacle à l'exercice des poursuites au terme d'un certain délai, de la prescription de la peine destinée à éteindre les peines restées inexécutées, en tout ou partie, par l'effet de l'écoulement du temps depuis la décision de condamnation.

Héritier du droit romain, le droit pénal français a toujours admis le principe de la prescription.

Les délais actuels de prescription et leur déclinaison tripartite selon la gravité de l'infraction (crimes, délits, contraventions) ont été fixés par le code d'instruction criminelle de 1808.

Depuis deux décennies, la remarquable stabilité de ces règles est remise en cause par la multiplication des dérogations à l'initiative du législateur et du juge qui, toutes, concourent à l'allongement des délais de prescription. Peut-être ces évolutions sont-elles facilitées par le caractère procédural traditionnellement reconnu aux règles de prescription (inscrites, s'agissant de la prescription de l'action publique dans le code de procédure pénale et non dans le code pénal).

Elles semblent traduire en tout état de cause une hostilité croissante au principe même de la prescription . Faut-il y voir la marque d'une société soucieuse de faire prévaloir la mémoire sur l'oubli ? Quoiqu'il en soit, la situation présente est source de confusion et d'insécurité juridique.

Votre commission s'est opposée, à plusieurs reprises, à des révisions fragmentaires des règles de prescription qui ne peuvent que fragiliser davantage le système actuel. Elle a plaidé en revanche pour une approche cohérente fondée sur un diagnostic précis des difficultés actuelles 4 ( * ) .

Telle a précisément été l'objectif assigné à votre mission. Vos rapporteurs se sont d'abord efforcés de dresser un état des lieux avant de prendre la mesure des difficultés soulevées et d'esquisser les pistes d'une réforme d'ensemble des règles de prescription.

I. LA « CRISE » DU DROIT DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE

Avant de s'interroger sur l'opportunité d'une réforme d'ensemble et, le cas échéant, sur sa teneur, il convient de tirer les enseignements de l'état présent du droit et des difficultés soulevées.

A l'issue des auditions auxquelles la mission d'information a procédé, un double constat peut être dressé : les fondements traditionnels de la prescription n'apparaissent plus aussi assurés tandis que les évolutions législatives et jurisprudentielles tendent à un allongement des délais de prescription.

A. LES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE LA PRESCRIPTION EN QUESTION

Comme le notait M. Jean Danet, maître de conférences à l'université de Nantes, lors de ses échanges avec vos rapporteurs, la partie des manuels de procédure pénale consacrée aux fondements de la prescription n'a cessé de se réduire au fil des éditions successives. Les raisons de principe avancées pour justifier la prescription de l'action publique et des peines ont perdu de leur force et ne semblent plus retenir qu'une attention de principe. La doctrine privilégie désormais des fondements plus pragmatiques qui sont d'ailleurs, eux-mêmes, parfois remis en cause.

Les fondements de la prescription de l'action publique et de la peine sont en partie communs.

En premier lieu, la paix et la tranquillité publique commanderaient, après un certain délai, d'oublier l'infraction et non d'en raviver le souvenir. Cette « grande loi de l'oubli » contredit le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés ou de les rappeler à la mémoire. Ainsi, l'oubli d'affaires pénales risque davantage aujourd'hui de heurter l'opinion publique que de conduire à l'apaisement. En outre, le sentiment commun prête au rappel de faits traumatiques, sous la forme d'un procès et d'une condamnation, des vertus thérapeutiques qui permettent aux victimes de « faire leur deuil » et de leur apporter le réconfort nécessaire.

La prescription a aussi été considérée comme la contrepartie de l' inquiétude dans laquelle vit l'auteur des faits aussi longtemps qu'il échappe à la poursuite et à la punition. Il y a, à l'évidence, quelque naïveté à placer l'état d'incertitude psychologique au même plan qu'une peine effective. Faut-il d'ailleurs souligner que certains délinquants -par exemple l'auteur d'un crime pervers- nient toute responsabilité dans les faits qu'ils ont commis ? Ils sont peu enclins au remords, a fortiori s'ils échappent à toute condamnation.

Deux arguments en faveur de la prescription conservent leur valeur même s'ils suscitent aussi certaines objections.

Ainsi la prescription serait la sanction de la négligence de la société à exercer l'action publique ou à exécuter la peine. Comme le soulignait Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation, « parce que tout temps mort excessif laisse présumer le désintérêt de la victime ou du ministère public et leur renoncement, dans un système marqué par le principe d'opportunité des poursuites, la prescription apparaît nettement comme la réponse procédurale apportée à l'inaction ou l'oubli, volontaire ou involontaire » 5 ( * ) . Cependant, cette justification peut s'apprécier différemment selon que la négligence est antérieure ou postérieure à l'engagement des poursuites. Selon M. Jean Danet, le principe selon lequel la prescription est une sanction de la négligence à exercer les poursuites engagées est parfaitement fondé et rejoint l'impératif de juger dans un délai raisonnable. En revanche, la perte du droit de punir apparaît plus contestable lorsque les poursuites n'ont pas été engagées. Le contentieux des infractions sexuelles ou des violences conjugales témoigne d'ailleurs des difficultés des victimes à dénoncer les faits dans le temps de la prescription : « La sanction de la négligence de la victime ne peut être aujourd'hui acceptée comme fondement général de la prescription » 6 ( * ) .

Le dépérissement des preuves est, enfin, souvent présenté aujourd'hui comme l'une des justifications les plus solides de la prescription. Il ne vaut cependant que pour l'action publique.

Avec les années, en effet, les traces ou les indices disparaissent et les témoignages deviennent plus fragiles. Le risque de l'erreur judiciaire conduit logiquement à renoncer à exercer l'action publique. Toutefois, les nouveaux moyens scientifiques de preuve, en particulier le recours aux empreintes génétiques, permettent de rendre justice de plus en plus tard. L'argument pourrait d'ailleurs s'inverser : les avancées technologiques commandent de retarder le plus possible la prescription. Qui sait si les traces de l'infraction ne livreront pas, à la faveur de nouveaux moyens d'investigation, les éléments permettant de découvrir l'auteur des faits ?

Les différents fondements de la prescription apparaissent ainsi ébranlés dans une société réticente à l'oubli.

* 4 Tel fut en particulier la position de votre commission -et du Sénat dans son ensemble- lors de l'examen en première lecture de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Débats du 7 octobre 2003 - JO Sénat).

* 5 Mme Dominique-Noëlle Commaret, Point de départ du délai de prescription de l'action publique : des palliatifs jurisprudentiels faute de réforme législative d'ensemble, Revue de science criminelle, 2004.

* 6 M. Jean Danet, Prescription, amnistie et grâce en France, Université de Nantes (recherche subventionnée par le GIP « Mission Recherche Droit et Justice »), mars 2006, p. 125.

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