N° 382

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juillet 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l' enquête de la Cour des comptes relative à l' Établissement public de maîtrise d' ouvrage des travaux culturels (EMOC) ,

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

AVANT-PROPOS

En application des dispositions de l'article 58-2° de la LOLF, notre collègue, le président Jean Arthuis, a, par lettre en date du 3 octobre 2006, demandé à la Cour des comptes de procéder à une enquête sur l'activité et la performance de l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (EMOC) .

Cette enquête a été communiquée à votre commission des finances le 29 mai 2007.

Comme cela est la règle, elle a fait l'objet d'une audition « pour suite à donner » ouverte à la presse, le 11 juillet 2007, à laquelle ont été conviés les membres de la commission des affaires culturelles.

La communication de la Cour des comptes s'inscrit dans un contexte particulier .

Le secteur du patrimoine est en crise depuis quelques années. Le ministère de la culture a pendant longtemps sous-consommé les crédits que lui allouait le Parlement au titre de la restauration du patrimoine. S'en est suivi un double mouvement d'annulation des crédits de paiement non consommés, et d'incitation des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) à ouvrir des chantiers pour consommer les crédits. Dès 2003, et surtout en 2004, des tensions sont apparues et les impayés du ministère de la culture se sont élevés à 70 millions d'euros, mettant les entreprises chargées de la restauration du patrimoine dans une situation difficile, entraînant des crises de paiement dans de nombreuses régions, ainsi que l'arrêt des travaux de restauration entrepris.

Pour résoudre cette crise, 31 millions d'euros ont été ouverts en loi de finances rectificative pour 2004, environ 20 millions d'euros de charges ont été reportées sur la gestion 2005, et 20 millions d'euros ont été redéployés depuis l'administration centrale du ministère vers les DRAC, dont 17 millions d'euros provenant des crédits de l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels .

En 2005, la gestion de la crise du patrimoine n'a pas été pleinement satisfaisante. De nombreux chantiers de conservation ou de restauration du patrimoine monumental ont été arrêtés ou repoussés.

La loi de finances pour 2006 a prévu de verser à l'EMOC, au titre du compte d'affectation spéciale « Produits de cession de titres, parts et droits de sociétés » 100 millions d'euros , sous forme de dotation en capital . L'EMOC a ainsi bénéficié, au titre de la gestion 2005 , des recettes issues de la privatisation des sociétés d'autoroutes. L'utilisation de ces crédits, telle qu'elle était prévue lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, est présentée dans le tableau suivant :

Répartition de la dotation en capital versée à l'EMOC au bénéfice des investissements patrimoniaux du ministère de la culture et de la communication

(en millions d'euros)

Projets

Montant

Grand-Palais, restauration des façades et mise en sécurité

9

Palais de Chaillot, Cité de l'architecture et du patrimoine

19,85

MUCEM*, Fort Saint-Jean

2,33

Schéma directeur de Versailles**

10,7

Musée de l'orangerie

7,64

Union centrale des Arts décoratifs

12,92

BnF, quadrilatère Richelieu

0,6

Cinémathèque française

12,56

Théâtre national de l'Odéon

5,11

Ecole d'architecture de Nantes

15

Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Palais de la Porte Dorée

1

Immeuble des Bons Enfants

3,28

Total

100

* Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée.

** Ces crédits sont gérés directement par l'établissement public du musée du domaine national de Versailles.

Source : ministère de la culture et de la communication

Votre commission des finances s'était alors interrogée sur les mouvements de crédits successifs relatifs à l'EMOC et sur leur efficacité .

L'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés a organisé une réforme globale de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre des travaux réalisés sur les édifices classés. Celle-ci prévoit :

- de recentrer l'Etat sur ses missions de contrôle des travaux de conservation, de restauration et d'entretien des immeubles protégés ;

- de responsabiliser le propriétaire ou l'affectataire domanial du monument classé inscrit, qui, à compter du 1 er janvier 2008 au plus tard, sera maître d'ouvrage des travaux entrepris et sera responsable du choix du maître d'oeuvre.

L'article 48 de la loi de finances pour 2007 1 ( * ) affecte au Centre des monuments nationaux , à compter du 1 er janvier, une fraction égale à 25 % du produit de la taxe instituée au profit de l'Etat par le III de l'article 95 de la loi de finances rectificative pour 2004, c'est-à-dire les droits de mutation à titre onéreux d'immeubles et titres immobiliers, dans la limite annuelle de 70 millions d'euros .

Votre commission des finances s'est longuement interrogée sur l'impact de cette réforme, et de ses conséquences sur l'équilibre de la maîtrise d'ouvrage assuré par différents services de l'Etat ou établissements publics culturels . Il lui a semblé qu'il serait sans doute nécessaire de réfléchir à la cohésion de l'ensemble des acteurs concernés, que sont le Centre des monuments nationaux, le service national des travaux, les DRAC, et plus précisément les conservations régionales des monuments historiques (CRMH), mais aussi l'EMOC.

L'EMOC a succédé à l'établissement public du Grand Louvre (EPGL). Il est le premier opérateur du ministère de la culture et de la communication en matière de travaux immobiliers. Il conduit certains d'entre eux en qualité de maître d'ouvrage de plein exercice , c'est le cas notamment des opérations héritées du programme du Grand Louvre, mais son coeur de métier est aujourd'hui la maîtrise d'ouvrage déléguée sur des opérations dont la réalisation lui est confiée par convention de mandat.

Afin d'avoir une vision complète de l'établissement public, la Cour des comptes a donc porté ses investigations sur la gestion de l'établissement lui-même, mais aussi sur les opérations dont il a été chargé.

Elle a articulé ses observations en respectant cette distinction, s'intéressant tout d'abord à l'activité et au métier de l'EMOC ainsi qu'à ses résultats comptables et financiers, puis, en examinant, dans un second temps, la performance de l'établissement public par l'analyse de cinq opérations de maîtrise d'ouvrage.

I. L'ACTIVITÉ ET LES MÉTIERS DE L'EMOC

A. L'EMOC DANS L'ORGANISATION DE LA MAITRISE D'OUVRAGE DU MINISTÈRE DE LA CULTURE

1. Un établissement constructeur professionnel, dont la gratuité des mandats pose des questions

En 1998 2 ( * ) , l'EMOC a été créé en vue de rationaliser et de professionnaliser la maîtrise d'ouvrage du ministère de la culture. Il succède à l'établissement public du Grand Louvre (EPGL) et à la mission interministérielle des grands travaux (MIGT). Au terme de cette évolution, le ministère de la culture et de la communication a choisi de recourir à un service national des travaux (SNT) pour les opérations de gros entretien et à un établissement public, l'EMOC, pour les opérations de construction et de réhabilitation relevant des anciens « grands travaux ».

Trois raisons ont poussé à la mise en place d'un établissement constructeur professionnel : le souhait de conserver des équipes spécialisées et compétentes, la volonté d' améliorer le pilotage des opérations , et le désir de confier un rôle de médiation à l'établissement public dans les cas où la maîtrise d'ouvrage serait partagée entre le ministère et un établissement utilisateur.

L'EMOC assure pour le compte de l'Etat, et à titre gracieux, la maîtrise d'ouvrage déléguée des opérations de construction et de réhabilitation d'immeubles à vocation culturelle, et se voit, le cas échéant, confier les études préalables des projets. Au terme de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) 3 ( * ) , les prérogatives du maître d'ouvrage mandant sont la programmation en amont, la fixation de l'enveloppe financière, le pouvoir de validation des titulaires des marchés et des avant-projets, et le pouvoir de contrôle et de sanctions sur le mandataire. Les responsabilités du maître d'ouvrage délégué, c'est-à-dire de l'EMOC, sont l'exécution du projet et le respect du programme, de l'enveloppe, ainsi que du calendrier fixé au départ et consigné dans les conventions de mandat. Notons que lorsque l'EMOC se voit confier la responsabilité des études préalables, il est en position d'intervenir en amont des opérations, son rôle excède alors, avec l'aval politique, la maîtrise d'ouvrage déléguée.

La gratuité , caractéristique des mandats confiés à l'EMOC, emporte deux conséquences, l' absence de mise en concurrence préalable 4 ( * ) et l' absence de mécanisme de sanction de la performance du mandataire. Si l'EMOC présente ce dernier élément comme un gage d'efficacité, l'absence de sanction lui permettant de réagir rapidement à toute demande du ministère, la Cour des comptes et la direction de l'administration générale du ministère de la culture et de la communication (DAG) mettent en avant les difficultés liées à une certaine déresponsabilisation de l'établissement public constructeur, que traduisent les dépassements des coûts et des délais.

2. Le niveau d'activité future de l'EMOC est incertain

Les chantiers conduits par l'EMOC depuis sa création sont au nombre de 46 conventions de mandats et 21 conventions d'études préalables 5 ( * ) .

En 2005, les autorisations d'engagement ouvertes en loi de finances au titre des dépenses d'investissement du ministère de la culture ont atteint 236 millions d'euros, dont 63,4 millions d'euros ont bénéficié à l'EMOC, soit 27 % de la dotation. En 2006, la part de l'EMOC est passée à 36 % , soit 93,6 millions d'euros, pour un total de 257 millions d'euros de dépenses d'investissement. Si l'on s'en tient à la catégorie dite « grands projets » 6 ( * ) , la part de l'EMOC est prépondérante, puisqu'il reçoit 90 % des autorisations de programme dédiées aux grands projets en cours, jusqu'en 2005. La faible diminution enregistrée à partir de 2006 tient à la montée en puissance des établissements publics exerçant directement leur maîtrise d'ouvrage. L'exemple de l'établissement public du musée du Quai Branly renforce les aspirations en ce sens des grands musées, devenus autonomes. De plus, la volonté de ne laisser au SNT que les opérations de taille moyenne ou petite semble s'émousser, puisqu'il est prévu de lui attribuer des chantiers plus importants, notamment les rénovations de l'Opéra comique, soit 34 millions d'euros, et du Palais-Royal, soit 37,5 millions d'euros.

De 2002 à 2007, l'établissement public a engagé et mandaté 7 ( * ) environ 135 millions d'euros par an 8 ( * ) . Notons que pendant cette période, les effectifs de l'EMOC dédiés aux projets sont demeurés stables . La Cour des comptes estime qu'au 31 décembre 2006, l'EMOC dispose d'un plan de charge, permettant de maintenir le taux d'occupation de ses équipes 9 ( * ) , correspondant à un an d'activité . Le portefeuille des opérations confiées à l'EMOC ne garantit pas aujourd'hui le maintien de son niveau d'activité. Ce dernier dépendra donc de la capacité de l'Etat à mettre en place et à affecter les autorisations de programme correspondant aux conventions de mandat qu'il a lui-même signé d'une part, et à gérer la montée en puissance de la maîtrise d'ouvrage des grands établissements publics, d'autre part. Bien qu'indispensable, la réflexion stratégique sur l'avenir de l'EMOC fait défaut à ce jour.

3. Une carence évidente de vision stratégique

La diversification des métiers de l'EMOC l'écarte des objectifs qui ont présidé à sa création et au regard desquels sont appréciés ses résultats. Confier à l'établissement public la gestion domaniale du Grand Palais ou le déménagement du musée de l'Orangerie entraîne un risque de dispersion de l'établissement, à seule fin de combler les défaillances des moyens de gestion du ministère de la culture. La Cour des comptes estime que cette diversification doit viser à l'accomplissement du coeur de métier de l'EMOC, et semble encourager ainsi le développement des études préalables , dans le cadre de projets dont l'établissement assurera ensuite la maîtrise d'ouvrage déléguée. La diversification des clients de l'EMOC, la part des directions centrales du ministère de la culture passant de 79 % à 58 % du total des mandants entre 2000 et 2006, se traduit par une hausse des coûts de gestion et devrait faire l'objet d'une tarification explicite fondée sur la vérité des coûts de l'établissement.

La Cour des comptes remarque que l'EMOC n'a pas été classé parmi les opérateurs principaux de l'Etat, et que la composition de son conseil d'administration reflète mal la cotutelle des ministères de la culture et des finances 10 ( * ) . La tutelle exercée par le ministère de la culture est diffuse et traduit l'absence d'une vision d'ensemble, qui a pour conséquence la dispersion des crédits destinés à l'EMOC sur les différents programmes et actions de la mission « Culture ». Le ministère de la culture a d'ailleurs reconnu, au cours de la procédure contradictoire, que des mesures de simplification d'imputation budgétaire et la désignation de l'EMOC comme opérateur principal seraient les bienvenues.

B. LE FINANCEMENT ET LES RÉSULTATS DE L'ACTIVITÉ DE L'EMOC

1. La nécessité d'apurer les opérations sous convention de mandat

L'enjeu fondamental pour l'EMOC est de financer son cycle d'exploitation , c'est-à-dire l'avancement d'opérations dont il ne maîtrise pas les sources de financement . Le compte de résultat de l'établissement public fait l'objet, depuis 2001, d'une triple présentation correspondant à ses diverses activités : les opérations liées à la liquidation de l'établissement public du parc de La Villette 11 ( * ) (EPPV), la gestion du Grand Palais, et la gestion de l'EMOC. Le bilan présente de manière consolidée l'ensemble des opérations en capital de l'EMOC, du Grand Palais et de l'EPPV, ainsi que les opérations liées au programme du Grand Louvre exécuté en maîtrise d'ouvrage directe. L'ensemble de ces éléments détermine le fonds de roulement de l'établissement, soit 30,7 millions d'euros en 2005 et 17,48 millions d'euros en 2006 . La Cour des comptes remarque que les opérations conduites sous convention de mandat figurent au bilan , via les comptes de tiers, l'excédent de ressources qu'elles procurent à l'EMOC ne peut donc pas être lu directement dans le fonds de roulement. Cette présentation via les comptes de tiers aboutit à un fonds de roulement négatif et à une trésorerie significative dans la mesure où l'Etat verse les crédits de paiement dès le début des opérations. La trésorerie de l'établissement constructeur s'est élevée, de façon exceptionnelle, à 155 millions d'euros en 2005, et à 82 millions d'euros au 31 décembre 2006.

Cette présentation est conforme aux instructions comptables en vigueur, mais elle est peu lisible . Elle correspond à une comptabilité de caisse, et ne retrace ni les engagements de l'Etat ni ceux de l'établissement. Il conviendrait donc de compléter la lecture des comptes financiers de l'EMOC par des annexes extra-comptables présentant les engagements noués entre l'établissement public et l'Etat.

Enfin, pour reconstituer un tableau de bord global des opérations d'investissement prises en charge par l'EMOC, il faudrait solder au plan comptable les opérations ayant fait l'objet d'une remise des ouvrages à leur affectataire final , ce qui n'est pas le cas actuellement 12 ( * ) .

2. Un équilibre financier assez fragile

La Cour des comptes rappelle que le résultat de fonctionnement de l'EMOC connaît d' importantes variations annuelles . Il a été déficitaire de 5,89 millions d'euros en 2003 en raison du non-versement de la subvention de fonctionnement à l'établissement public. La communication transmise à votre commission des finances ne fait pas état du déficit de 2,61 millions d'euros de l'EMOC en 2006, car au moment où la Cour des comptes réalisait son enquête les chiffres définitifs n'étaient pas connus, mais le déficit s'établissait déjà à 1,6 million d'euros, du fait d'un abattement de la subvention de fonctionnement supérieur à celles des charges.

Le fonds de roulement s'établissait à 20,4 millions d'euros en 2000, il s'est élevé à 37,7 millions d'euros en 2001 et a diminué relativement régulièrement depuis, pour atteindre 17,6 millions d'euros en 2006. Pour autant, la Cour des comptes estime que la capacité de l'établissement à financer ses investissements propres et les opérations primaires en maîtrise d'ouvrage direct apparaît solide. Deux arguments amènent à relativiser cette conclusion. En 2006, 4,29 millions d'euros ont été prélevés au profit de l'EMOC sur la part du fonds de roulement issu de la liquidation de l'EPPV alors qu'ils auraient dû être restitués à l'établissement public du parc et de la grande halle de la Villette (EPGHV). De plus le fonds de roulement n'inclut pas les opérations sous convention de mandat.

Le besoin de fonds de roulement s'établit à environ - 60 millions d'euros chaque année. En 2005, il a pris une tout autre ampleur, pour atteindre - 119 millions d'euros , soit un an d'activité. Ceci est dû à l'opération budgétaire intervenue à l'automne 2005, allouant à l'EMOC, sous forme de dotations en capital, 100 millions d'euros issus des recettes de privatisation des autoroutes .

Votre commission des finances regrette que la Cour des comptes ne qualifie pas cette opération budgétaire, tout juste note-t-elle que « La raison d'être de cette opération tient à la controverse nouée entre le ministère de la culture et la direction du budget au sujet des abattements de crédits de paiements intervenus dans le cadre de la régulation budgétaire des exercices 2003 et 2004, alors que les autorisations d'engagement correspondant avaient été préservées ».

Plusieurs remarques peuvent être faites. Le ministère de la culture avait-il ainsi un « droit de tirage » permettant de rétablir des crédits précédemment abattus ? Les abattements de crédit avaient touché durement les DRAC qui accumulaient les impayés, fallait-il que ces 100 millions d'euros bénéficient à l'EMOC ? Comment ont été utilisés ces 100 millions d'euros en 2006 ?

II. LA PERFORMANCE CONTRASTÉE DE L'EMOC

Sur la base de cinq exemples d'opérations , à savoir, la rénovation du musée d'Orsay , la réhabilitation du théâtre national de l'Odéon , la reconstruction de l' immeuble des Bons Enfants , la réalisation de la Cinémathèque française , et la rénovation du Grand Palais , la Cour des comptes a analysé la performance de l'EMOC dans l'exécution de ses missions. Elle a constaté que la question de la qualité des réalisations se trouve déplacée vers celle du budget et des délais. En raison du caractère prestigieux du chantier, le maître d'ouvrage donne toujours les moyens en temps et en argent à son mandataire afin de remédier aux éventuelles difficultés. La grille d'analyse de la performance de l'établissement public est donc essentiellement constituée des trois questions suivantes : l' enveloppe financière allouée à chacune des opérations a-t-elle été respectée ? Les délais impartis à l'EMOC pour mener à bien les travaux ont-ils été tenus ? Enfin les actes, marchés et décisions afférents aux opérations ont-ils été pris dans le respect de la réglementation ?

A. LES CONDITIONS D'EXERCICE PAR L'EMOC DE LA MAÎTRISE D'OUVRAGE DÉLÉGUÉE

1. La qualité de l'exécution technique doit être nuancée

L'exécution technique des projets confiés à l'EMOC est jugée bonne par ses mandants et par les utilisateurs de l'ouvrage.

Quatre remarques doivent toutefois être faites.

Dans plusieurs cas, le programme finalement mis en oeuvre ne correspond plus au programme initial jusqu'à abandonner certains de ses principes directeurs, par exemple, les regroupements de services envisagés lors de la conception de l'immeuble des Bons Enfants n'ont pas tous eu lieu. Les vicissitudes techniques existent, mais sont corrigées en cours de chantier comme ce fut le cas pour la climatisation et le chauffage de la marquise du musée d'Orsay, au prix d'un surcoût non négligeable. Certaines caractéristiques des projets se révèlent, à l'usage, inutiles, inadéquates, ou délaissées . Enfin il convient de rester prudent dans la mesure où les véritables défaillances, si elles existent, apparaîtraient au bout de plusieurs années .

2. Les dépassements des enveloppes initiales et des délais de réalisation

Toutes les opérations prises en charge par l'EMOC et terminées à ce jour témoignent d'un dépassement conséquent de l'enveloppe financière. Le total de ces dépassements s'élève à 73,9 millions d'euros . Sur 15 projets recensés, cinq dépassements sont supérieurs à 60 % , et quatre dépassements seulement sont inférieurs à 20 % de l'enveloppe initialement allouée.

Sur les 15 opérations achevées par l'EMOC depuis sa création, le retard minimum de réalisation s'est élevé à neuf mois pour l'extension de la Cité de la musique, le retard maximum est quant à lui de 45 mois pour la Cinémathèque. Seules 3 opérations sur 15 enregistrent un retard inférieur à 20 mois .

3. L'application de la réglementation n'est pas satisfaisante

Sur la masse des marchés passés chaque année, les cas litigieux sont relativement peu nombreux, mais notables. On pense par exemple au marché de maîtrise d'oeuvre du Grand Palais, mais aussi aux recours répétés à la procédure négociée suite à des appels d'offres infructueux dus le plus souvent à la sous-estimation du coût des travaux par la maîtrise d'oeuvre. De plus, de nombreux avenants viennent s'ajouter aux marchés initiaux et les modifient grandement, dans des proportions incompatibles avec l'application rigoureuse du code des marchés publics . Toutefois, ces avenants sont liés à des aléas de gestion, à des accidents sur les chantiers ou à des modifications de programmes touchés par les maîtres d'ouvrage ou des futurs utilisateurs. Les causes sont donc extérieures à l'application de la réglementation et tiennent aux conditions de pilotage des projets.

B. LES CAUSES DE CETTE PERFORMANCE CONTRASTÉE

1. La sous-évaluation chronique du coût des chantiers

Le coût des projets est très nettement sous-évalué. Il apparaît qu'afin d'être validés les projets sont conçus sur une « base minimale », politiquement acceptable, qui est ensuite amplifiée au fil de la réalisation, grâce à des extensions budgétaires . Ce n'est pas tant la qualité des études préalables qui est à mettre en cause, qu'une pratique administrative et politique connue et habituelle . Les études préalables devraient toutefois être mieux calibrées afin d'éviter les appels d'offres, sous-dimensionnés, ne soient déclarés infructueux .

La valeur de l'enveloppe initiale d'un projet est toujours exprimée à une date antérieure au lancement des travaux (valeur novembre 1998 pour une convention signée en août 1999 dans le cas de l'immeuble des Bons Enfants). Cet effet est particulièrement dommageable, puisqu'entre 2000 et 2005, l'indice des prix à la construction, sur lequel sont indexés les prix de la plupart des prestataires de l'EMOC, a connu tous les ans une augmentation supérieure de 1 à 2 points à celle de l'indice des prix à la consommation. Dans le cas extrême du quadrilatère Richelieu, on estime « qu'avant le premier coup de pioche » la sous-évaluation était déjà de 12,6 % du montant total du projet soient 15,2 millions d'euros . Les tutelles se sont déclarées prêtes à afficher, dès la convention de mandat initial, le coût des révisions de prix nécessaires jusqu'à la date d'achèvement des travaux, ce qui permettrait une meilleure transparence et une meilleure lisibilité.

2. Une complexité juridique mal maîtrisée et une insuffisante implication opérationnelle de l'EMOC

Par ailleurs, il est évident que les projets conduits par l'EMOC présentent une certaine complexité juridique . Les permis de construire ne sont jamais « standards », et la longueur du délai de leur obtention est sous-évaluée, alors que les commissions techniques de l'EMOC ont assuré à la Cour des comptes porter systématiquement leur attention sur les règles d'urbanisme. L'application d'un régime mixte de maîtrise de l'oeuvre basé sur la loi MOP précitée et sur la législation relative aux monuments historiques aboutit souvent à la mise en place une double maîtrise d'oeuvre, dans des conditions non optimales pour la conduite du projet. La Cour des comptes remarque également que l'EMOC recourt à un allotissement très large, fondé sur l'idée d'une spécialisation de chaque prestation, pratique qui n'est adaptée qu'aux petits chantiers. Cet allotissement mal calibré conduit systématiquement ou presque l'EMOC à recourir à un marché public d'ordonnancement, de pilotage et de coordination du chantier dont le coût est substantiel .

A la différence d'autres maîtres d'ouvrage, l'EMOC ne s'implique pas assez dans la conduite opérationnelle des chantiers , ses équipes ne sont que très occasionnellement présentes. La professionnalisation attendue de la création de l'EMOC pour une meilleure conduite des chantiers culturels n'a donc pas eu tous les effets escomptés qu'il s'agisse de la capacité à organiser des opérations complexes ou à en assurer le pilotage .

3. L'instabilité souvent injustifiée des programmes

La Cour des comptes a constaté que les suspensions de programmes dus à des « tergiversations politiques » étaient fréquentes et avaient un effet mécanique sur le coût du seul fait de l'allongement des délais qu'elles induisaient. Rappelons la suspension d'un an du projet de Cinémathèque. La programmation peut également être bouleversée par la survenance d'événements imprévus , tels que la corrosion de la marquise du musée d'Orsay, où la découverte dans le cadre du chantier du musée de l'Orangerie de vestiges du mur d'enceinte des Fossés Jaunes. Dans ce dernier cas toutefois le choix de modifier le schéma de présentation des salles du sous-sol, pour un coût de 3 millions d'euros , repose moins sur un choix scientifique ou sur un aménagement réfléchi du musée de l'Orangerie que sur le souci de ne pas heurter la communauté archéologique au moment où l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) perdait certains de ses droits exclusifs, suscitant un mouvement de protestation relayé par les médias. Il arrive également que les modifications de programmes viennent combler des omissions injustifiables du programme initial, tels que l'éclairage d'une salle « oubliée » de la Cité de l'architecture et du patrimoine.

Souvent les modifications de programme relèvent de préférences changeantes avec le temps, et les dirigeants des établissements publics. A titre d'exemple, le déplacement du niveau consacré aux expositions temporaires demandé par le nouveau président de la Cinémathèque lors de son arrivée en septembre 2003 a coûté 6,81 millions d'euros . Les aménagements demandés par le nouveau président de la Cité de l'architecture et du patrimoine ont coûté 4,23 millions d'euros . La Cour des comptes ne discute pas de la pertinence des aménagements en cause, mais souligne le fait que l'EMOC se soit montré incapable de discuter de ces modifications. Il semble même qu'il n'estime pas que cela fasse partie de son rôle . Comme le note la Cour des comptes dans ce contexte, « la seule solution pour pallier les inconvénients majeurs de la stabilité des programmes réside donc de façon générale dans une autodiscipline des maîtres d'ouvrage eux-mêmes , et dans l'obligation qui devrait être imposée à l'EMOC de chiffrer très précisément le coût des changements demandés ainsi que leur impact en termes de délais et d'exploitation future avant d'accepter au besoin un avenant ».

C. LES PERSPECTIVES D'AMÉLIORATION

La Cour des comptes recommande une association plus systématique de l'établissement aux études préalables, et le développement de ses capacités d'expertise financière et opérationnelle . Elle estime qu'il doit être en mesure de contredire les programmes avant d'en prendre la responsabilité et d'en assumer les différents paramètres. L'établissement se dit prêt à déployer une analyse beaucoup plus approfondie, notamment dans la programmation des délais nécessaires à la réalisation des projets. La Cour des comptes rappelle dans ce contexte que le coût prévisionnel des projets devrait être évalué sur la base d'une analyse des prix fondée sur les données les plus récentes , et être exprimé en valeur à la date de conclusion de la convention de mandat. La convention devrait intégrer des provisions de révision fondées sur des prévisions d'évolution des prix réalistes . De même la provision pour aléas devrait être augmentée mais gelée pour ne couvrir que des éléments réellement imprévisibles.

La Cour des comptes conseille d'encadrer les modifications de programme surtout lorsque celles-ci interviennent au moment où elles sont le plus coûteuses, c'est-à-dire en phase de travaux. L'EMOC devrait se voir reconnaître le droit de refuser d'exécuter les modifications . Tout le moins il devrait pouvoir se livrer à une analyse exhaustive de leur implication en termes de coûts et de délais et en informer clairement le maître d'ouvrage . Enfin les modifications devraient faire l'objet d'avenants aux conventions de mandat ou lorsqu'elles s'y prêtent de conventions connexes assorties d'un suivi budgétaire et opérationnel spécifique destiné à en isoler l'impact au sein du bilan global des projets.

La Cour des comptes estime également que la responsabilité du maître d'ouvrage délégué doit s'étendre à la surveillance constante et sur place des conditions d'avancement des chantiers. Ceci est d'autant plus indispensable que le recours à la rémunération forfaitaire , dans le sens d'une facturation au temps passé, des prestataires des marchés doit conduire à un renforcement de leur surveillance .

Il conviendrait que les conventions de mandat donnent lieu à un véritable suivi , fondé sur un bilan continu des différents postes de dépenses initialement prévus et permettant, à l'issue des opérations, de dresser un bilan d'exécution économique complet. L'EMOC doit rendre compte de son activité comme tout mandataire, c'est-à-dire en rapportant les résultats des opérations aux programmes initiaux et modifiés par ses mandants et en décomposant systématiquement les éléments de coûts et de délais afin d'en expliquer l'origine . En réponse aux observations de la Cour des comptes, l'établissement public a reconnu la nécessité de développer ses instruments de suivi, mais a souhaité distinguer les indicateurs administratifs et les indicateurs de performance, ce qui serait bien sûr contre-productif .

Enfin, la Cour des comptes rappelle que l'EMOC reçoit entre le quart et le tiers des crédits d'investissement du ministère. Elle regrette qu'il n'ait pas fait jusqu'à présent l'objet d'une intégration au projet annuel de performances . Elle recommande qu'il soit désigné opérateur principal de l'Etat et qu'un contrat de performance , responsabilisant et plus exigeant en termes de qualité, soit signé entre l'établissement public et ses tutelles. Ce contrat de performance doit aussi être le cadre permettant de délimiter les conditions dans lesquelles la diversification des activités de l'EMOC peut se développer et contribuer à la performance, sans dispersion, de l'établissement.

Au terme de la communication de la Cour des comptes transmise à votre commission des finances, il apparaît que le régime du mandat de maîtrise d'ouvrage suppose un véritable transfert de responsabilité qui n'est pas opéré dans le cas de l'EMOC . En conclusion, la Cour des comptes rappelle que l'établissement ne peut pas être tenu pour le seul responsable des difficultés qu'il rencontre puisque les moyens de jouer pleinement son rôle de mandataire ne lui ont jamais été donnés.

La performance contrastée évoquée par la Cour des comptes est donc davantage celle des ensembles indissociables que constituent les cabinets ministériels, les directions d'administration centrale, et les utilisateurs finaux des grands équipements culturels.

* 1 Loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007. La mesure prévue par l'article 48 de la loi de finances pour 2007 est valable rétroactivement pour l'année 2006.

* 2 Décret n° 98-387 du 19 mai 1998 portant création de l'Etablissement public de maîtrise d'ouvrage et travaux culturels.

* 3 Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage public et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée.

* 4 Le code des marchés publics exclut de son champ d'application les mandats, et ne vise que les contrats conclus à titre onéreux.

* 5 Ces opérations concernent pour 41 % d'entre elles, 12 écoles et instituts (Conservatoire national des arts et métiers, Cité de l'architecture et du patrimoine, écoles d'architecture, etc.), pour 32 % d'entre elles, 12  musées et lieux d'exposition (palais de Tokyo, Orsay, château de Versailles, Cité de l'histoire de l'immigration...), pour 17 % d'entre elles, 2 bâtiments administratifs (immeuble des Bons Enfants et Centre des archives nationales de Pierrefitte) et pour 10 % d'entre elles, 7 salles de spectacle (Théâtre national de l'Odéon, Cinémathèque, Cité de la musique, Grand auditorium de Paris, etc.).

* 6 Cette catégorie est une création méthodologique conjointe de la direction de l'administration générale du ministère de la culture et de la communication et de la direction du budget du ministère de l'économie, des finances de l'industrie.

* 7 Le niveau d'activité de l'EMOC peut être mesuré par le montant total des conventions de mandat, indicateur d'activité, le montant total des engagements passés au cours de l'exercice, et le montant total des mandatements, traduisant l'exécution des engagements.

* 8 A titre de comparaison, le SNT a engagé et mandaté 52 millions d'euros en 2005.

* 9 Ce niveau est calculé sur la base du montant moyen des engagements atteints au cours des huit dernières années, soit 135 millions d'euros par an.

* 10 Ces deux ministères disposent de 4 voix sur 14 au conseil d'administration.

* 11 Le décret n° 2000-1247 du 19 décembre 2000 prononçant la dissolution de l'établissement public du parc de La Villette a transféré à l'EMOC à compter du 1 er janvier 2001 ses biens, droits et obligations, et l'a chargé de sa liquidation, de la clôture des comptes de l'apurement des archives.

* 12 A titre d'exemple, la passerelle Solferino figure toujours au bilan de l'EMOC en immobilisations pour 15,06 millions d'euros. Rappelons qu'il s'agit de la passerelle piétonnière qui franchit la Seine entre le musée d'Orsay et le jardin des Tuileries, dernier élément du programme des travaux du Grand Louvre, et qui a été livrée en octobre 2000.

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