TRAVAUX DE LA MISSION

I. AUDITIONS

Audition de M. Frédéric VAN ROEKEGHEM, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) (mardi 13 mars 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a interrogé M. Frédéric Van Roekeghem sur les voies et moyens d'une meilleure approche globale des comptes publics et lui a demandé son sentiment sur la proposition de fusionner projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé qu'en 1996 l'option consistant à créer des « lois de finances sociales » a été délibérément écartée, au même titre qu'une inclusion des dépenses sociales au sein du budget de l'Etat. Le choix du terme de « loi de financement de la sécurité sociale » ne doit rien au hasard.

Quant à la mise au point d'une meilleure approche globale des comptes publics, elle est incontestablement nécessaire. Mais elle ne saurait se réduire au champ combiné des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Il convient en effet d'y inclure les régimes complémentaires de retraite, l'assurance chômage, les organismes divers d'administration centrale (Odac), les budgets des collectivités territoriales et ceux des hôpitaux. Pour ces derniers, si les recettes hospitalières sont bien retracées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il n'en est pas de même des dépenses.

Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans le sens d'une vision plus globale des comptes publics, avec l'institution, dans les deux assemblées, de débats d'orientation budgétaire couvrant tant le budget de l'Etat que les finances sociales, avec également l'obligation de notification à Bruxelles des données entrant dans le champ du pacte de stabilité, enfin avec la mise en place en 2006 du Conseil d'orientation des finances publiques.

La fusion du budget de l'Etat et des lois de financement de la sécurité sociale supposerait un processus de révision de la Constitution. Si la nécessité de mieux articuler les deux textes n'est pas niable, il n'est pas sûr en revanche que leur fusion pure et simple participe à l'objectif de transparence accrue des finances publiques.

D'une part, en effet, cette fusion ne résoudra pas par elle-même la question de la consolidation des comptes publics, dans la mesure où l'addition des deux textes ne couvre pas tout le champ des finances publiques. D'autre part, comme les rapporteurs l'ont souligné, il n'apparaît pas opportun de remettre en cause certaines règles spécifiques observées en loi de financement de la sécurité sociale, contraires aux principes de base applicables en loi de finances : le principe d'affectation des recettes aux dépenses, le caractère non limitatif de la dépense pour laquelle est simplement fixé un objectif, la pluriannualité de la dépense.

Sur ce dernier point, M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé que pour la sécurité sociale, le court terme se situe à cinq ans, et le moyen terme, à vingt-cinq ans. Or, notre protection sociale pâtit d'une insuffisance globale de projections à moyen terme.

La mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), créée pour répondre aux demandes du Conseil d'orientation des finances publiques, a formulé des propositions pour mieux articuler loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Les calendriers de préparation des deux textes devraient être mieux alignés et les ministres « sociaux » pourraient être mieux associés à l'élaboration des arbitrages et des cadrages. Actuellement, le calendrier d'élaboration de la loi de finances précède celui de l'élaboration du projet de loi de financement, qui est donc tenu par les arbitrages décidés en amont pour le seul budget de l'Etat.

Depuis la mise en place des premières lois de financement, la maturité des gestionnaires sociaux s'est affirmée. Il est aujourd'hui possible de mieux les responsabiliser en les faisant participer aux arbitrages et aux décisions, ce qui plaide pour le maintien de l'outil offert par les lois de financement.

Interrogé sur la nécessité de faire évoluer le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des différentes caisses, il a déclaré approuver le souhait du Gouvernement de mieux les associer à l'élaboration des textes à portée sociale. Le principe, posé en 1993, est un usage qu'il faut assurément maintenir.

M. Frédéric Van Roekeghem a fait observer que depuis les lois d'août 2004, la gouvernance de la branche maladie diffère de celle des autres branches. Cette nouvelle gouvernance fonctionne. Elle a permis de mettre en place des objectifs pluriannuels. Une grande partie des travaux du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a trouvé sa traduction dans la convention d'objectifs et de gestion (Cog) signée avec l'Etat.

Par ailleurs, les profondes modifications apportées aux modalités de financement de la branche maladie avec la montée en puissance de la fiscalisation des ressources ont placé cette branche sous le contrôle accru du Parlement. Les lois d'août 2004 affirment le rôle de l'Etat dans la définition de la politique de santé publique et font de l'assurance maladie un instrument de cette politique, au sein de laquelle elle se trouve ainsi imbriquée. Les relations contractuelles entre l'assurance maladie et les médecins doivent en particulier respecter les objectifs fixés par le Parlement. On peut donc parler d'une gouvernance adaptée pour cette branche universelle.

Au cours des prochaines années, il conviendra de préciser à nouveau le rôle respectif du Gouvernement, du législateur et des partenaires sociaux en ce domaine.

Abordant ensuite le sujet de la fiscalisation grandissante du financement de la protection sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a affirmé qu'il n'existe pas, en la matière, d'assiette « miracle », dans la mesure où aucun gouvernement n'a pu définir une assiette large et dynamique croissant à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale.

La bonne démarche consiste, en premier lieu, à fixer le champ de la protection sociale obligatoire, ce qui revient à se demander si le financement de notre protection sociale est soutenable sur le long terme. Sur ce point, le débat parlementaire paraît insuffisant.

En second lieu, le principe d'équilibre doit être acquis, y compris l'équilibre intergénérationnel, ce qui suppose de provisionner les retraites en s'assurant de l'alimentation du fonds de réserve et d'équilibrer le solde de la branche maladie. Il convient de préciser les modalités les plus appropriées de financement de cette branche et de définir les leviers dont le Gouvernement se dote pour assurer l'efficience de mécanismes gérés par un monopole et donc non soumis à la régulation spontanée dont bénéficie le secteur concurrentiel.

Le mouvement de fiscalisation du financement est la conséquence de la nécessité d'élargir les assiettes des prélèvements, conformément au caractère universel des branches maladie et famille.

L'objectif de Michel Rocard, lors de la création de la contribution sociale généralisée, en 1991, était de faire participer les retraités au financement de la maladie. Alain Juppé a poursuivi la même logique en élargissant l'assiette de la CSG et en instituant la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).

M. Frédéric Van Roekeghem a écarté le débat sur la nature d'impôt ou de cotisation sociale de la CSG, soulignant que la seule véritable question est celle de son efficacité.

Interrogé sur sa position dans le débat relatif à l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, il a jugé plus efficace la taxe à la valeur ajoutée (TVA) que la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), relevant que la TVA a le mérite de taxer les importations et de donner un avantage relatif aux produits fabriqués en France. Quant à la taxation sur le chiffre d'affaires (TCA), elle ne présente un intérêt qu'à petite échelle, seule la TVA permettant d'éviter une taxation en cascade.

En réalité, le vrai sujet porte sur les deux questions suivantes : quelle est l'acceptabilité du prélèvement et quelle est son efficacité en termes économiques ? L'acceptabilité, c'est-à-dire le consentement à l'impôt, implique d'accroître la transparence du prélèvement fiscal aux yeux de nos concitoyens, ainsi que l'efficience de la dépense publique. La réponse de l'assurance maladie à cette exigence a notamment consisté à augmenter les contrôles. A cet égard, une budgétisation des finances sociales ne renforcera pas leur transparence du point de vue des citoyens et il n'est pas sûr qu'une loi unique leur permettra de mieux saisir les enjeux.

Sur la question de l'efficacité, M. Frédéric Van Roeckeghem s'est prononcé contre la fusion de la CSG au sein de l'impôt sur le revenu (IR) préconisée par nombre d'experts, rappelant qu'en leur temps des sénateurs avaient fait un recours auprès du Conseil constitutionnel pour s'opposer à l'introduction d'exonérations qui auraient progressivement « mité » l'assiette de la CSG et créé des niches fiscales à l'image de celles qui affectent l'IR.

Revenant sur le principe de l'instauration d'une TVA sociale, il a souligné qu'au regard du niveau atteint par les dépenses sociales, la solution du financement passe par des prélèvements à assiette la plus large possible. Quant à savoir qui doit financer, en définitive ce sont toujours les ménages qui apparaissent comme les payeurs.

Parmi les prélèvements à assiette large, la TVA apparaît comme la plus acceptable économiquement, si l'on met de côté la CSG. Dans une économie mondialisée, elle présente en effet l'avantage d'une taxation des produits importés et, symétriquement, d'une détaxation des produits exportés. Son mode de prélèvement est, en outre, moins douloureux que ne le serait une ponction directe sur l'assiette des salaires.

Il reste cependant cet obstacle majeur à un relèvement du taux de la TVA, à savoir que toute hausse d'impôt est douloureusement ressentie par le contribuable. Selon le cas, en effet, l'augmentation de la TVA sera payée par l'entreprise si elle ne peut pas la répercuter dans ses prix pour des motifs de concurrence, ou bien elle sera à la charge des ménages si l'entreprise la répercute dans les prix. La TVA présente l'autre défaut majeur de ne pas être progressive, voire d'être un impôt dégressif. Peut-être la solution passe-t-elle par une cote mal taillée, mêlant hausse concomitante des cotisations et de la TVA.

M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé que depuis trente ans, la France est confrontée au problème d'un taux de progression des dépenses de santé supérieur de 1,5 point à celui de l'évolution de la richesse nationale. D'où l'urgence d'une réflexion sur le périmètre de la protection sociale.

Interrogé sur la nécessité de favoriser une meilleure perception du coût de la protection sociale par chaque assuré, il a émis des réserves soulignant la possibilité d'effets pervers résultant d'une démarche individualisée de présentation des coûts. En effet, les dépenses de maladie sont concentrées sur un petit nombre de personnes, alors que plus de la moitié des assurés ne perçoivent que quelques centaines d'euros par an. Si l'on n'y prend garde, ces derniers risquent de parvenir à la conclusion qu'il n'est pas légitime de faire des économies en augmentant, par exemple, le recours aux médicaments génériques, dans la mesure où les sommes perçues de l'assurance maladie seront inférieures au montant de leurs cotisations.

En revanche, il est certainement utile de développer une présentation des dépenses par destination permettant de faire ressortir, par exemple, le coût de l'hôpital ou les coûts de gestion de la branche. Cette transparence a ainsi permis à l'assurance maladie de diminuer ses coûts de gestion de 100 millions d'euros.

M. Frédéric Van Roekeghem a répondu par l'affirmative à la question de savoir s'il existe toujours un espace autonome pour la protection sociale au sein des finances publiques. Il s'est en revanche montré plus réservé sur la possibilité de tracer une frontière claire entre le contributif assurantiel d'un côté et les dépenses relevant d'une pure logique de solidarité de l'autre. Dans le cadre de la protection sociale de base, le fondement de l'assurance maladie est la mutualisation. Par essence, elle gère une logique de solidarité au sein du pays. Le partage assurance-solidarité apparaît plus facile à distinguer, en revanche, au sein de la branche vieillesse.

Pour la branche maladie, on relèvera que paradoxalement la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) est une prestation de solidarité financée par l'Etat, alors qu'elle se situe dans la sphère assurantielle complémentaire.

Dans le passé, le débat sur le partage entre assurance et solidarité, lancé en 1995, n'a pas abouti et s'est finalement concentré sur les recettes, et non sur la nature des dépenses.

Interrogé sur les pistes à explorer dans le sens d'une simplification et d'une plus grande transparence des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a estimé qu'en dehors d'une modification des règles du corpus organique, il n'existe pas de solution simple. Il a cependant pointé les lacunes du droit, donnant comme exemple l'impossibilité, en l'état actuel des textes, de désigner le payeur qui devra couvrir la créance de 90 millions d'euros détenue par les hôpitaux au titre du financement des soins d'urgence.

Il a insisté une nouvelle fois sur le fait que la mise en cohérence des calendriers d'élaboration des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale serait un élément majeur d'amélioration de la situation.

Par ailleurs, force est de constater que les mesures nouvelles inscrites en projet de loi de financement de la sécurité sociale ne bénéficient pas d'une très grande transparence. Bien souvent, seuls, les débats au Parlement permettent d'obtenir des éclaircissements sur leur portée réelle.

Puis M. Frédéric Van Roekeghem a souligné les limites de l'objectif de la loi quinquennale de 1993 tendant à enserrer l'évolution des dépenses de l'Etat dans une norme de progression, en l'occurrence les prix. Au-delà d'un affichage vertueux, tous les gouvernements, depuis le début des années quatre-vingt-dix, ont été tentés de contourner l'obstacle en pratiquant des débudgétisations et en accroissant la dépense fiscale.

Il a estimé qu'ainsi une grande partie de la difficulté à gérer le lien Etat-sécurité sociale prend sa source dans l'affichage de normes de progression de dépenses que les pouvoirs publics n'arrivent pas ensuite à tenir. En effet, notre pays omet souvent, lors de l'élaboration de projections pluriannuelles, y compris lors de la réforme de l'assurance maladie en 2004, de mettre en évidence le poids financier des mesures sous-jacentes qui seront nécessaires au respect de la norme fixée.

Au fond, l'enjeu pour les pouvoirs publics est d'accroître l'exercice vérité sur la situation du pays afin de parvenir à un consensus et de développer la maturité de nos concitoyens pour leur permettre d'accepter des mesures, le cas échéant, douloureuses.

Sur les instruments de gouvernance mis en place par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale d'août 2005, M. Frédéric Van Roekeghem a reconnu le caractère utile de l'annexe B pour l'année n+1, dans la mesure où elle donne une direction à suivre. Il s'est cependant interrogé sur sa crédibilité, relevant le caractère incertain de l'évolution tendancielle (+ 2,5 %) prévue pour les dépenses d'assurance maladie au titre de l'exercice en cours. S'il est indispensable de se fixer des objectifs sur la base de projections, il est tout autant nécessaire de concevoir et de mettre en oeuvre les mesures qui permettront de les tenir. Nos mécanismes paraissent, ici, insuffisants. L'annexe B ne renseigne pas sur l'ampleur des mesures à prendre pour être en cohérence avec les objectifs à atteindre.

De ce point de vue, la solution consisterait à demander, par exemple dans le cadre de la commission des comptes de la sécurité sociale, une clarification de la présentation de l'évolution tendancielle de chaque branche et à mieux encadrer les calculs, quitte à ce que les hypothèses soient affichées sous forme de fourchettes. En d'autres termes, les annexes proposées au Parlement devraient, dans un souci de transparence, souligner les conséquences attachées à l'absence de mesures de redressement et expliquer ensuite le contenu des mesures proposées en indiquant le chiffrage sous-jacent.

Interrogé sur les solutions envisageables pour redresser les situations comptables du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) ainsi que pour purger la dette cumulée de l'Etat auprès des organismes de protection sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que cette dette sera, de manière certaine maintenant, inscrite en créance sur l'Etat dans le cadre de la certification des comptes. Il a salué, de ce point de vue, le travail et l'indépendance de la mission conjointe « inspection générale des finances/inspection des affaires sociales », qui a confirmé la qualité des créances. En principe, le remboursement de la dette ne devrait être qu'une simple opération de trésorerie, sans impact sur les comptes de l'Etat.

La question du retour à l'équilibre du FSV et du Ffipsa relève, pour lui, de la loi, et donc du seul Parlement.

Interrogé sur les instruments qui permettraient d'améliorer la gestion de la dépense sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a estimé qu'il est indispensable de continuer dans la voie des programmes de qualité et d'efficience (PQE).

D'une façon générale, la question de la gouvernance de la sécurité sociale comporte trois parties. En premier lieu, le Parlement doit débattre du champ de la protection sociale. A ce titre, par exemple, il n'est pas normal que la question du remboursement ou non d'un examen aussi coûteux que l'ostéodensitométrie échappe au contrôle du législateur. En deuxième lieu, le Parlement ne pourra pas non plus éviter un débat sur le mode de financement de la protection sociale. La commission des finances du Sénat s'est d'ailleurs emparée du sujet en lançant la réflexion sur la TVA sociale. Enfin, en troisième lieu, la France doit rattraper son retard dans la mise en place d'indicateurs d'efficience. De ce point de vue, on doit déplorer le faible nombre de programmes d'efficience prévus dans le domaine de la santé, alors qu'il serait nécessaire, par exemple, de passer « à la paille de fer » la carte hospitalière.

A la lumière des exemples étrangers, il faut souligner, qu'en matière de TVA, la France ne possède pas de marge importante de majoration car son taux normal est déjà supérieur à la moyenne européenne, à la différence de l'Allemagne qui était, elle, en dessous de cette moyenne avant le relèvement opéré au 1er janvier dernier.

Puis un débat s'est ouvert auquel ont participé MM. Paul Blanc, Bernard Cazeau, rapporteur , et Alain Vasselle, rapporteur .

M. Frédéric Van Roekeghem a exprimé une nouvelle fois sa préférence pour une TVA sociale en comparaison des autres solutions proposées : la contribution sur la valeur ajoutée (CVA) ne taxe pas les importations et pèse sur l'outil de production situé en France, ce qui n'a pas de sens. Quant à la taxe sur le chiffre d'affaires (TCA) telle qu'elle est préconisée par Serge Dassault, elle ne pourrait pas résister à un taux de prélèvement élevé.

Revenant sur la question de l'efficience des dépenses de santé, M. Frédéric Van Roekeghem a souligné le caractère inopérant, en pratique, des instruments coercitifs, comme le plafond d'avance de trésorerie voté dans la loi de financement de la sécurité sociale, que le Gouvernement est conduit à relever en cas de nécessité. Si la définition d'un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est un outil bienvenu, le véritable enjeu de la régulation est la transparence des coûts. Celle-ci existe aujourd'hui en ce qui concerne la médecine de ville. Le taux de progression du revenu des médecins a ainsi été, au cours des dernières années, supérieur de 1 à 1,5 point au taux de progression des prix, permettant aux professions médicales de prendre leur part des fruits de la croissance dans des proportions acceptables.

Il convient désormais de dégager de nouvelles marges en s'attaquant au « dur », c'est-à-dire au prix du médicament.

A titre de comparaison, si la France adoptait en matière d'antibiothérapie un comportement identique à celui de l'Allemagne, elle réaliserait une économie de dépense de l'ordre de 600 millions d'euros. Cette économie serait déjà de 300 millions d'euros avec un simple alignement des pratiques sur la moyenne européenne.

Or, actuellement, le seul instrument utilisé est celui de la conviction, pour un montant d'économies supplémentaires de 30 millions à 40 millions d'euros par an, ce qui implique qu'il faudra dix ans environ pour que le potentiel d'économies réalisables sur les antibiothérapies soit exploité.

Audition de M. Jean-François CHADELAT, inspecteur général des affaires sociales, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle (mardi 13 mars 2007)

M. Jean-François Chadelat , en sa qualité de vice-président du comité d'histoire de la sécurité sociale, a d'abord rappelé quelques faits historiques. En 1956, un document d'une dizaine de pages a été élaboré et intitulé « Budget social de la nation », où figurait un certain nombre de chiffres relatifs à la sécurité sociale. Ce document a ensuite été annexé au projet de loi de finances sous la forme d'un jaune budgétaire. Même si, dès cette époque, le budget de la protection sociale était supérieur au budget de l'Etat, il ne faisait pas l'objet d'un vote. La loi du 24 décembre 1974 a modifié l'intitulé de ce document en le transformant en « Effort social de la nation », mais n'a toujours pas prévu de vote sur les montants qu'il contenait. A la fin des années soixante-dix, plusieurs propositions, dont la proposition de loi de Michel d'Ornano, ont eu pour objet la création d'un budget annexe de la protection sociale, analogue au budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), mais elles n'ont jamais abouti, le Conseil constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnelle la proposition de loi d'Ornano.

Dans le cadre du plan Juppé de 1996, l'évidence selon laquelle la représentation nationale doit se prononcer sur les finances sociales a été inscrite dans la Constitution et a permis la création de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette réforme majeure, maintenue à travers les alternances politiques, constitue un progrès considérable car elle a permis d'introduire une transparence, une clarté et une rigueur qui n'existaient pas auparavant dans la gestion des finances sociales. La commission des comptes de la sécurité sociale, qui ne se réunissait autrefois qu'en novembre, se réunit dorénavant en septembre, pour faire un point précis des comptes et interpeller ainsi le Gouvernement avant qu'il n'adopte le projet de loi de financement en Conseil des ministres. La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005 constitue un deuxième progrès indéniable.

Au total, les finances sociales ont aujourd'hui une véritable avance sur le budget de l'Etat puisque d'une part, leur comptabilité s'effectue en droits constatés, d'autre part, elles répondent au principe de la pluriannualité. A cet égard, il est regrettable que les données pluriannuelles futures ne figurent qu'en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale, car ces données fondamentales mériteraient qu'on leur accorde plus d'importance et que soient mieux justifiées les différentes hypothèses retenues. A titre d'exemple, la projection de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 qui retient une progression en valeur de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) inférieure à la croissance du produit intérieur brut en volume est une absurdité.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue néanmoins un progrès de la démocratie et du débat public, notamment grâce à la mise en place d'une possibilité de contrôle et de vérification réelle. La certification des comptes sera aussi un élément important d'amélioration de la gestion des finances sociales. Enfin, la création du comité d'alerte par la loi de 2004 sur la réforme de l'assurance maladie est une avancée.

La fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale n'a aucun sens, car elle reviendrait à étatiser la sécurité sociale, à remettre en cause la nature spécifique des dépenses, selon le cas, limitatives ou évaluatives, de chacune de ces lois et à rendre moins transparente la situation générale des finances publiques. De ce point de vue, on doit accorder une confiance restreinte à la direction du budget qui sait transférer des dépenses du budget de l'Etat vers les autres budgets publics mais qui n'a jamais su faire d'économies. Les documents transmis à la commission européenne, dans lesquels figurent aussi bien les finances de l'Etat que celles des organismes de sécurité sociale ou des collectivités territoriales, permettent de répondre à l'exigence d'une approche transparente et globale des finances publiques.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, la réforme de la loi du 13 août 2004 a introduit un changement de méthode considérable dans la gouvernance de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Désormais, les membres du conseil d'administration de la Cnam étudient les dossiers en amont et donnent un mandat explicite au directeur général qui, seul, négocie avec les professionnels de santé. Cette procédure, ajoutée à celle du comité d'alerte, a sans doute abouti à un amoindrissement du rôle des partenaires sociaux. Pour autant, le paritarisme reste la moins mauvaise forme de gouvernance des organismes de sécurité sociale, comme en témoigne, d'ailleurs, le retour du mouvement des entreprises de France (Medef) dans les différentes instances qu'il avait quittées. Le paritarisme fonctionne d'ailleurs très bien là où il est appliqué dans toute sa pureté, c'est-à-dire l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite.

Puis M. Jean-François Chadelat a souligné que le financement de la protection sociale doit être évidemment différent selon les branches. Pour la vieillesse, le chômage, les accidents du travail et les indemnités journalières de la Cnam, le financement doit se faire par les cotisations, les prestations ayant un lien direct avec le travail. En revanche, pour l'assurance maladie et les prestations familiales, devenues universelles et totalement déconnectées du travail depuis longtemps, il n'est pas nécessaire de maintenir des cotisations liées au travail. La question qui se pose actuellement avec le plus d'acuité est donc celle de la justification du financement par les employeurs des cotisations famille et maladie.

C'est dans ce contexte que le Premier ministre Alain Juppé lui avait commandé, en 1997, un rapport sur les modalités de réforme des cotisations patronales de sécurité sociale. Ce rapport a été remis à Lionel Jospin, devenu entre-temps Premier ministre. Hostile aux conclusions du rapport Chadelat, il a commandé une autre étude à Edmond Malinvaud, chargé d'établir des propositions pour un financement de la sécurité sociale plus favorables à l'emploi. Depuis la remise de ces travaux, la question n'a pas évolué et le problème reste entier. La France, qui a conservé des cotisations patronales assises sur les salaires pour financer des dépenses sans lien avec le travail, est restée paradoxalement plus bismarckienne que l'Allemagne. Le mouvement lancé dans les années quatre-vingt de substitution aux cotisations salariales d'une contribution à assiette très large assise sur l'ensemble de la richesse nationale doit être étendu à la part patronale selon la même logique.

Le mouvement de fiscalisation de la protection sociale, qui n'a aucun lien avec une budgétisation de la protection sociale, résulte de la nécessité de trouver d'autres recettes pour financer les dépenses sociales. Une très longue liste de taxes est actuellement affectée à cet objet. Il est, à cet égard, regrettable que la taxe de 1967 sur les assurances des véhicules à moteur ait été préemptée pour un autre usage et que la taxe sur les boissons sucrées, qu'il avait proposée dans un rapport récent, n'ait pas été créée en faveur du Ffipsa. En tout état de cause, il est important de préserver la CSG telle qu'elle existe aujourd'hui et de ne pas la fusionner avec l'impôt sur le revenu en raison de la très grande différence d'assiette.

M. Jean-François Chadelat a confirmé que les dépenses sociales, qui ont déjà sensiblement augmenté au cours des dernières années, vont continuer à progresser alors que la situation des finances publiques est mauvaise. A l'horizon de vingt ou trente ans, les dépenses vieillesse vont augmenter de trois ou quatre points de PIB et les dépenses d'assurance maladie à un rythme plus rapide que celui de la richesse nationale. Il faut rappeler que 5 % des assurés produisent plus de la moitié des dépenses d'assurance maladie et qu'avec l'augmentation de l'espérance de vie, les six derniers mois de la vie donnent lieu à 10 % de ces dépenses. Si, en 1945, la sécurité sociale offrait des prestations d'une qualité encore limitée, qui s'est néanmoins améliorée avec l'accroissement de la richesse nationale, il en est tout autrement aujourd'hui, ce qui implique d'en tirer les conséquences.

M. Bernard Cazeau, rapporteur , a souhaité savoir si d'autres recettes peuvent être envisagées pour financer la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que le phénomène nouveau de la dépendance s'ajoute en effet aux cinq à six points supplémentaires de PIB probablement nécessaires pour faire face aux dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie au cours des trente prochaines années. Il a regretté la dispersion des moyens de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) accordée à des personnes jouissant d'une certaine autonomie. Il aurait été préférable de limiter cette prestation à la dépendance lourde, tout en mobilisant d'autres mécanismes pour l'assistance à domicile.

M. Paul Blanc s'est interrogé sur l'utilité de la souscription d'une assurance obligatoire pour la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que la création d'une nouvelle branche est une véritable question car la dépendance est un besoin nouveau auquel il paraîtrait justifié d'affecter un financement propre et particulier. D'une façon générale, la situation actuelle exige que l'on actualise en permanence les dépenses et les risques pris en charge. Dans ce cadre, la Haute Autorité de santé doit être l'organisme qui procède aux recommandations et arbitrages nécessaires.

En réponse à M. Alain Vasselle, rapporteur, M. Jean-François Chadelat a estimé souhaitable que la coordination entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale s'améliore tout en soulignant l'excellent apport des programmes de qualité et d'efficience (PQE). En outre, il est important que la loi de financement reste un texte financier, et non une loi fourre-tout, comme l'a d'ailleurs récemment indiqué le Conseil constitutionnel en supprimant près de vingt articles dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Il faudrait revenir à la pratique des textes portant diverses mesures d'ordre social, nécessaires en France où de très nombreuses mesures législatives régissent le secteur social.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir si l'on peut distinguer, au sein des dépenses d'assurance maladie, celles qui relèvent de la solidarité, comme par exemple la CMU-c, et celles qui relèvent de l'assurance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que la distinction entre assurance et solidarité est en grande partie artificielle pour la branche maladie. En revanche, pour la vieillesse, la séparation entre le contributif et le non-contributif a un sens et justifie l'existence du FSV. En effet, on peut assurer un risque mais pas une consommation et, en matière d'assurance maladie, s'il y a bien un risque, il n'en demeure pas moins que l'Etat a le devoir d'assurer cette protection en application des principes inscrits dans le Préambule à la Constitution de 1946. L'exemple américain, qui comporte un système d'assurance pour la majorité de la population et le dispositif Medicare pour les plus pauvres, n'est en tout cas pas transposable à notre pays.

Sur la question particulière de l'équilibre du Ffipsa, il a estimé qu'à défaut de création de taxes nouvelles, le Gouvernement devra verser une subvention budgétaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur , a souhaité savoir si un cinquième risque doit être créé pour la dépendance et comment on organise le maintien à domicile des personnes âgées si l'Apa ne prend en charge que les personnes les plus dépendantes (Gir 1 et 2).

M. Jean-François Chadelat a insisté sur la probable explosion de la question de la dépendance dans les années à venir. L'âge moyen actuel de l'entrée en dépendance est de quatre-vingt-deux ans et même si celui-ci recule, l'accroissement de la durée de vie fera de la dépendance un problème majeur pour les prochaines années. L'assurance ne peut être une réponse suffisante à cette question. Le système actuel de prise en charge apparaît néanmoins trop complexe avec l'intervention de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), de la Cnam et des départements.

M. Paul Blanc a regretté le dévoiement des objectifs initiaux de la CNSA, au départ réservée aux personnes handicapées. Après la canicule, celle-ci a été étendue aux personnes âgées mais il est nécessaire de séparer les modes de financement et de traiter différemment les questions de handicap et de dépendance. En effet, le handicap représente un risque qui n'est pas assurable, contrairement à la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a reconnu la différence de problématique entre les deux risques.

M. Guy Fischer a souhaité savoir où en est la réflexion sur la définition du champ de la protection sociale de l'assurance maladie obligatoire, des assurances complémentaires et de la détermination d'un panier de soins.

M. Jean-François Chadelat a estimé indispensable de réglementer les assurances complémentaires en développant en particulier celles qui s'avèrent réellement utiles. C'est d'ailleurs une des idées de la loi du 13 août 2004 et de la mise au point progressive des contrats responsables. Il faut noter que, dans certains secteurs, les assurances complémentaires sont plus efficaces que la sécurité sociale, par exemple dans le domaine dentaire où certains organismes ont passé des conventions avec les professionnels de façon à encadrer leurs pratiques, ce qui est bénéfique aussi bien pour les assureurs que pour les assurés et les professionnels de santé, mais également pour la sécurité sociale.

M. Dominique Leclerc a souhaité savoir pour quelles raisons la définition du panier de soins a été abandonnée.

M. Jean-François Chadelat a précisé que cette notion n'a jamais vraiment existé officiellement, mais il est certainement nécessaire que soit actualisé en permanence ce que la sécurité sociale prend ou non en charge. Le plus important est que cette prise en charge se fasse dans des conditions efficaces en termes de santé publique et efficiente tant sur le plan de la santé que d'un point de vue économique.

Audition de M. Dominique LIBAULT, directeur de la sécurité sociale (mardi 13 mars 2007)

M. Dominique Libault a d'abord estimé fondamental que le Parlement puisse se prononcer sur les finances sociales, car, seule, une appréciation fine du Parlement sur ces dépenses permet d'avoir une véritable vision globale des finances publiques. Si des progrès sont possibles dans l'amélioration de la cohérence de cet ensemble, il est néanmoins nécessaire de garder l'unicité et la spécificité du regard sur la protection sociale au sein des finances publiques.

La sécurité sociale a été créée en 1945 comme l'ensemble des droits objectifs sociaux reconnus à la personne pour la protéger des risques de la vie, de la naissance à la mort. Elle met donc en oeuvre des droits personnels ainsi qu'une redistribution entre ménages, la puissance publique étant l'organisateur de cette redistribution. Cette organisation de la solidarité collective est l'un des grands progrès des sociétés du vingtième siècle.

La spécificité des dépenses sociales se retrouve également dans ses modes de régulation, différents de ceux des dépenses de l'Etat confiées à la seule responsabilité des gestionnaires publics. En modifiant les montants transférés aux ménages, cette régulation nécessite en effet une grande attention et de l'anticipation, notamment celle des mouvements démographiques. Elle résulte avant tout de la décision politique et passe aussi par une modification du comportement des acteurs privés : assurés, prescripteurs, retraités, etc. La nécessité de modes de régulation adaptés à la nature de la dépense sociale et de l'organisation des droits sociaux justifie donc le maintien d'une loi spécifique.

Le service public de la protection sociale a par ailleurs une organisation particulière, homogène selon les risques, avec des caisses de sécurité sociale et une intervention de la puissance publique, grâce aux conventions d'objectifs et de gestion (Cog). Dans ce cadre, la sauvegarde d'une approche globale, cohérente et spécifique des finances sociales revêt un intérêt majeur et justifie un pilotage à la fois par branche et en fonction des soldes, c'est-à-dire par le suivi de l'affectation des recettes aux dépenses. Ces mécanismes sont nécessaires en termes de pédagogie auprès de l'opinion publique et des acteurs concernés, ainsi que pour obtenir l'acceptation sociale et la confiance de tous, dans un contexte de très grande transparence. La situation du régime des retraites a montré l'importance d'un diagnostic partagé. Un pilotage par les soldes n'exclut toutefois pas la définition de normes de dépenses. Dans ces conditions, un document budgétaire unique, qui remettrait en cause ces principes, représenterait une très forte régression.

Le rôle des partenaires sociaux, présents dans l'ensemble des conseils des caisses, est un aspect très important de la démocratie française. Leur apport est réel et indispensable sur les sujets traités. La loi de financement de la sécurité sociale est en effet non seulement une loi de finances publiques, mais également une loi de politiques publiques, avec la détermination de finalités précises pour l'utilisation des importantes masses financières concernées, soit environ 400 milliards d'euros.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est déclaré en accord avec la philosophie générale du système ainsi défini. Il s'est néanmoins interrogé sur le mouvement de fiscalisation des ressources de la protection sociale, sur la manière de distinguer les dépenses relevant de la solidarité et celles relevant de l'assurance, sur les possibles évolutions en matière d'assiette des cotisations patronales et sur les moyens de faire face à la dynamique des dépenses sociales.

M. Dominique Libault a insisté sur les moyens d'ores et déjà mis en oeuvre pour renforcer la cohérence entre le budget de l'Etat et les finances sociales. La création du conseil d'orientation des finances publiques est à cet égard une avancée, car il constitue un lieu de dialogue et offre une visibilité extrêmement utile. Pour prolonger cette démarche, il pourrait être judicieux de créer, auprès du Premier ministre, un secrétariat général des finances publiques, qui aurait pour mission de veiller à la cohérence des décisions et d'assurer une coordination interministérielle des finances publiques. Enfin, on pourrait imaginer l'élaboration d'une annexe commune Etat-sécurité sociale, permettant une plus grande lisibilité sur l'ensemble des sujets communs aux deux blocs financiers.

Puis il a insisté sur l'absence de parallélisme entre la budgétisation et la fiscalisation de la sécurité sociale. Celle-ci sera en effet amenée à se développer du seul fait que les ressources nouvelles susceptibles d'être créées seront sans doute plutôt d'ordre fiscal. Une telle situation rendra encore plus nécessaire de revoir la définition des frontières entre impôt et cotisation. Pourquoi, par exemple, ne pas décider que, selon un critère de destination, la cotisation pourrait recouvrir tout prélèvement affecté à la sécurité sociale ?

Le débat actuellement engagé sur le financement de la protection sociale est d'un grand intérêt. Plusieurs scénarios sont à l'étude autour des concepts de valeur ajoutée et de TVA sociale. Ces deux questions sont légitimes. D'autres pistes existent néanmoins, comme celle relative aux niches sociales, qui pourrait aboutir à la création d'une cotisation patronale généralisée avec assiette large et taux réduit.

M. Dominique Libault a ensuite rappelé que, spontanément, les dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse augmentent plus vite que les recettes qui leur sont dédiées, ce qui explique le caractère déficitaire de ces branches. Aussi apparaît-il essentiel, qu'avant même de considérer le financement de mesures nouvelles, l'on prenne en compte la nécessité de faire face aux évolutions spontanées. La spécificité de la branche maladie est de présenter encore des gains d'efficience potentiellement considérables, en particulier en matière de maîtrise médicalisée des dépenses et dans le domaine hospitalier. Pour la branche vieillesse, les paramètres ne peuvent être modifiés avec la même facilité, mais des ressources supplémentaires seront rapidement nécessaires. Dans les deux cas, une vision pluriannuelle de l'évolution des dépenses est obligatoire et, à cet égard, le rapport présenté par Gilles Carrez devant le Conseil d'orientation des finances publiques portant sur l'impact du vieillissement de la population sur les finances publiques revêt un grand intérêt.

La question de la distinction entre les dépenses à caractère assurantiel ou solidaire n'est pas pertinente pour la sécurité sociale, car celle-ci recouvre les deux dimensions. Pour l'assurance maladie, les cotisations ne sont pas calculées en fonction du risque, mais en fonction des revenus. De même, pour la branche vieillesse, il existe une dimension solidaire avec la prise en charge des cotisations des chômeurs. Ce mélange d'assurance et de solidarité constitue la caractéristique fondamentale de la sécurité sociale et justifie, notamment, le fait que les règles de la concurrence, en particulier liées au droit communautaire, ne peuvent lui être appliquées.

Un certain nombre d'exemples montre d'ailleurs que la répartition des dépenses sociales entre le budget de l'Etat et le budget de la sécurité sociale n'obéit pas à des critères bien définis. Par exemple, l'assurance maladie couvre, en principe, les dépenses du régime de base des affiliés à la sécurité sociale. Aussi bien l'aide médicale d'Etat, qui ne concerne pas des affiliés, est-elle une dépense de l'Etat, et non de la sécurité sociale. De même, la couverture maladie universelle-complémentaire (CMU-c), qui est une dépense d'assurance complémentaire, relève du budget de l'Etat. La capacité d'édicter une frontière claire s'estompe, en revanche, dès que l'on aborde la question du financement des politiques de santé publique. On pourrait penser que celles-ci doivent être prises en charge par l'Etat, alors que les politiques d'assurance maladie relèvent de la sécurité sociale. Néanmoins, cette dernière ne finance pas seulement des soins, mais également des actions de prévention, comme le dépistage des cancers. Il n'est en effet pas absurde que l'assurance maladie prenne en charge des actes de prévention qui permettront plus tard des économies sur des dépenses de soins. Pour d'autres sujets, tels que la lutte contre le bioterrorisme, la question est moins claire, mais nécessite d'être traitée avec bon sens.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir s'il existe une liste de dépenses indûment mises à la charge de la sécurité sociale.

M. Dominique Libault a indiqué que ses services pouvaient fournir une telle liste, mais que l'important est d'obtenir une stabilité des règles applicables. Par exemple, il est de tradition que les missions d'intérêt général (Mig) dans les hôpitaux soient financées par l'assurance maladie, bien qu'il s'agisse en grande partie d'actions de recherche relevant de la responsabilité de l'Etat. De même, la sécurité sociale finance le fonctionnement de juridictions sociales, ce qui, là aussi, nécessite réflexion.

La principale simplification des relations financières avec l'Etat réside toutefois dans l'élimination des dettes et la construction, aussi sincère que possible, des relations et évaluations financières entre les deux blocs, Etat et sécurité sociale. En effet, non seulement les règles de compensation des exonérations fixées en 1994 ne sont pas toujours respectées, mais encore les anticipations relatives au coût des nouvelles dépenses n'apparaissent pas toujours crédibles, même s'il existe un aléa pour certaines d'entre elles. La différence de mode de comptabilité entre les dépenses de la sécurité sociale - établies en droits constatés - et celles de l'Etat - établies en encaissement-décaissement - crée aussi des décalages préjudiciables à la clarté des relations financières entre les deux entités. En outre, les dettes de l'Etat envers la sécurité sociale ne peuvent être mises en évidence qu'à travers le bilan de l'Etat. Enfin, la fongibilité instituée par la Lolf de 2001, au sein d'un programme comprenant notamment des remboursements à la sécurité sociale, peut inciter son gestionnaire à privilégier les autres dépenses aux dépens de la créance détenue par les organismes sociaux.

Les lois de financement de la sécurité sociale ont permis des progrès dans trois grands domaines : l'instauration d'une pluriannualité, le vote sur les soldes et la présentation de l'Ondam en sous-objectifs. Des marges d'amélioration demeurent néanmoins et les remarques effectuées par la commission des affaires sociales sur l'insuffisante qualité des annexes seront prises en compte dans la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

La résolution des problèmes rencontrés par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) tient essentiellement à la question des recettes de ces deux organismes. Aussi, pourrait-il être judicieux de s'interroger sur le transfert à l'Unedic - si la situation de cet organisme continue de s'améliorer - de la charge des cotisations retraite des chômeurs du régime de base, à l'image de ce qui existe déjà pour les régimes complémentaires. Pour le Ffipsa, la solution réside du côté des recettes de l'Etat.

M. Dominique Libault a ensuite constaté que des objectifs de dépenses existent pour toutes les branches de la sécurité sociale, mais que le mécanisme du comité d'alerte, qui fonctionne bien pour l'assurance maladie, car elle dispose de leviers permettant des réactions rapides, ne pourrait fonctionner de la même façon pour les branches vieillesse et famille. Pour ces deux branches, un pilotage préventif et une efficience accrue de la décision publique paraissent en effet plus judicieux que de simples mesures de gestion.

Enfin, seul un nombre limité d'expériences étrangères peut servir de comparaison avec la situation française, tant celle-ci est spécifique et, somme toute, enviable, avec un pilotage relativement correct des dépenses sociales.

M. Bernard Cazeau, rapporteur , a souhaité savoir quelles sont les marges de manoeuvre en matière d'assurance maladie.

M. Dominique Libault a indiqué que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie peut agir sur la consommation de médicaments, les indemnités journalières pour lesquelles on constate encore de très grandes disparités selon les départements, la gestion des risques, par exemple en analysant les pratiques des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ou la gestion des droits avec un contrôle accru de la condition de résidence ainsi que sur l'hôpital, en particulier dans la comparaison des coûts de gestion au sein même des hôpitaux publics.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur les conséquences, en termes de santé publique et de solidarité, de l'explosion actuelle de la précarité et du phénomène des travailleurs pauvres.

M. Dominique Libault a estimé que la protection sociale ne peut à elle seule lutter contre la pauvreté, même s'il est vrai que le système de retraite et de prestations familiales français a réellement permis de réduire la pauvreté dans notre pays au cours des dernières décennies. La difficulté actuelle résulte surtout de l'exclusion du marché du travail, en particulier des jeunes, des seniors et des moins qualifiés, ce qui rend nécessaire une réflexion sur la réintégration de ces personnes dans le monde productif.

M. Dominique Leclerc s'est déclaré en accord avec l'analyse selon laquelle de véritables marges existent pour permettre le maintien des droits actuels, mais a rappelé que la responsabilité de cette régulation appartient aujourd'hui aux politiques.

Audition de M. Philippe JOSSE, directeur du Budget, et de M. François CARAYON, sous-directeur à la direction du Budget (mercredi 14 mars 2007)

M. Philippe Josse a indiqué qu'une approche plus globale des finances publiques constitue le point de départ du raisonnement sur la situation financière actuelle de notre pays. Celle-ci comporte quatre éléments : le déficit public, la dette publique, l'ensemble des prélèvements obligatoires et l'ensemble des dépenses publiques. Ces dernières, d'un montant total de 900 à 950 milliards d'euros, comprennent le budget de l'Etat pour 268 milliards, les dépenses entrant dans le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit environ 400 milliards qui deviennent 430 à 450 milliards pour l'ensemble des organismes sociaux, et les dépenses des collectivités territoriales, soit 200 milliards.

Pour les institutions européennes, comme dans la plupart des pays européens, aucune différence n'est faite en France entre dépenses de l'Etat et dépenses de la sécurité sociale, l'analyse portant sur l'entité unique des finances publiques. Il est donc indispensable de favoriser autant que faire se peut une approche globale.

De ce point de vue, des progrès importants ont été réalisés depuis deux ans. Ainsi, à la suite du rapport Pébereau, une véritable prise de conscience collective sur l'excès d'endettement public de la France est apparue. La mise en place de la conférence nationale des finances publiques et du conseil d'orientation des finances publiques a permis, pour la première fois, de mettre autour d'une table l'ensemble des acteurs de la dépense publique : ministres et représentants du pouvoir exécutif, présidents des caisses de sécurité sociale, représentants des collectivités territoriales et parlementaires. L'organisation conjointe d'un débat d'orientation budgétaire et sur les finances sociales est également un apport important, même si sa caractérisation sociale pourrait être un peu plus prononcée, ainsi que le souhaite, à juste titre, la commission des affaires sociales du Sénat. L'organisation, dans cette seule assemblée pour l'instant, d'un débat sur les prélèvements obligatoires en présence des ministres sociaux et financiers s'inscrit dans la même logique positive. Il en est de même de l'obligation édictée par la Lolf de rendre cohérent le rapport social, économique et financier annexé au projet de loi de finances avec, d'une part, le programme de stabilité, d'autre part, le cadrage du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, dernière innovation, la lettre de cadrage du Premier ministre envoyée cette année aux ministres prévoit non seulement les grandes lignes d'élaboration du projet de loi de finances, mais encore celles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin d'en mieux coordonner la préparation.

La question de la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale est extrêmement complexe et ne peut, en l'état actuel, recevoir de réponse tranchée. Malgré tous les progrès réalisés, on dispose encore d'un système peu satisfaisant. Ainsi, l'existence de deux textes fait que l'on concentre le débat sur les frontières des champs couverts et sur « qui paye quoi », ce qui en restreint la portée et, surtout, ce qui ne répond pas à un intérêt direct des citoyens. Par ailleurs, avec deux textes, on constate une réelle difficulté à définir des stratégies cohérentes, et cela sur des questions aussi essentielles que le volume global des prélèvements obligatoires ou certaines politiques sectorielles, comme la politique familiale. Enfin, il n'y a pas de justification théorique évidente pour l'attribution d'une dépense au budget de l'Etat ou aux caisses de sécurité sociale selon sa nature. En effet, le budget de l'Etat, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, comporte de nombreuses dépenses de guichet, telles que les prestations aux anciens combattants ou les aides aux agriculteurs. A l'inverse, on trouve dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale un certain nombre de dépenses discrétionnaires, comme les dépenses d'action sociale des caisses, notamment de la caisse nationale d'allocations familiales. Aussi bien le besoin d'une coordination aussi poussée que possible entre les deux textes se fait-il sentir avec acuité, comme en témoignent les conclusions du récent rapport Lambert-Migaud.

M. Philippe Josse a ensuite indiqué que pour faire évoluer la situation, quatre schémas théoriques peuvent être envisagés. Le premier, « Amélioration de l'existant », consiste à poursuivre dans la voie frayée depuis deux ans. Cela pourrait se faire à partir de trois actions : élaborer une lettre de cadrage unique, ce qui vient d'être réalisé ; créer un objectif national de dépenses pour la famille afin de permettre un meilleur pilotage de cette branche par la dépense ; anticiper les arbitrages du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui, jusqu'à maintenant, étaient pris à la dernière minute, soit en août-septembre. Pour atteindre ce dernier objectif, il convient de commencer l'élaboration du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale en même temps, d'organiser très en amont les réunions sur les réformes structurelles, d'arrêter l'arbitrage sur le niveau des dépenses avant le débat d'orientation budgétaire de manière à assurer un véritable débat d'orientation des finances sociales, de déconnecter les arbitrages sur les recettes de ceux sur les dépenses avec des décisions dès le mois de juillet, enfin de lancer l'idée d'un comité d'alerte pour les dépenses de la branche famille.

Le deuxième schéma est celui de la « Juxtaposition des textes ». Il consisterait à n'organiser qu'une seule discussion générale avec, en première partie, le budget de l'Etat et, en deuxième partie, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le seul gain réel de cette approche serait la mise en cohérence des discussions et du débat politique tout en conservant les deux textes. Cela reviendrait, d'une certaine manière, à étendre le débat actuel du Sénat sur les prélèvements obligatoires à l'Assemblée nationale et à l'appliquer à l'ensemble des dépenses publiques. On pourrait même envisager un vote global sur les grands objectifs de dépenses publiques, dont le détail serait ensuite précisé dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le troisième schéma, « Pot commun de recettes », a pour objet d'organiser, d'un côté, le vote de l'ensemble des recettes publiques, de l'autre, l'examen des dépenses, pour l'Etat selon les règles de la Lolf, en crédits limitatifs, et pour la sécurité sociale, en mode évaluatif. L'avantage principal serait une grande cohérence de la politique des prélèvements obligatoires. L'inconvénient majeur serait la perte de la logique de solde des comptes sociaux et de la responsabilisation par la recette. A cet égard, il faut toutefois souligner le danger d'un pilotage exclusivement par le solde, car il expose à un surcroît de dépenses lorsque la situation des recettes est bonne et à un accroissement des prélèvements obligatoires lorsque la conjoncture est mauvaise. Un pilotage pluriannuel par la dépense est donc nécessaire, comme le montrent certaines décisions récentes contestables, pour l'Unedic en 2000 ou pour la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), conçue, en fait, afin d'utiliser les excédents de la branche famille.

Le quatrième schéma est celui de la « Fusion pure et simple ». Les dépenses familiales et maladie deviendraient des programmes du budget général, les caisses étant les opérateurs de l'Etat. Ce scénario rejoint les propositions de M. Philippe Marini dans son dernier rapport sur les prélèvements obligatoires. Une telle fusion exclurait néanmoins l'assurance chômage, vrai modèle de gestion par les partenaires sociaux, la vieillesse, tant en ce qui concerne le régime général qu'a fortiori les régimes complémentaires, et les accidents du travail - maladies professionnelles.

L'intégration de la branche famille dans le budget de l'Etat est la plus légitime, même si elle ne repose sur aucune justification théorique liée aux distinctions entre assurance et solidarité, contributif et non contributif, impôts et cotisations. En effet, d'un point de vue pragmatique, il incombe aujourd'hui à l'Etat de gouverner presque entièrement le dispositif, la gestion paritaire étant assez illusoire par différence avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), et l'Etat finance une part considérable des dépenses à travers l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation de parent isolé (API) et les aides personnelles au logement. En outre, la politique fiscale est très présente dans ce domaine, notamment à travers le quotient familial. Enfin, cette fusion aurait le mérite de supprimer les cofinancements dont les effets sont toujours pernicieux, que ce soit par des politiques conjointes, des politiques partagées ou des partages d'impôts.

M. Philippe Josse a ensuite précisé que la direction du budget a actuellement pour mission la seule mise en oeuvre du premier schéma, celui de l'amélioration de l'existant.

Le vrai problème actuel des politiques publiques est celui de leur soutenabilité, notamment par les générations futures, ainsi que celui de leur performance. Il est donc essentiel de s'intéresser à la dépense, avant même de se pencher sur les questions de financement ou de solde.

En effet, les perspectives du vieillissement démographique pourraient avoir un impact de trois points de produit intérieur brut (PIB), soit 60 milliards d'euros, soit encore l'équivalent d'une deuxième contribution sociale généralisée (CSG).

Face à une telle situation, plusieurs voies sont fermées : laisser filer l'endettement public, c'est-à-dire entrer dans la spirale insoutenable de la dette ; augmenter les prélèvements obligatoires, car cela entraînerait des problèmes de compétitivité internationale (le seuil actuel de quarante quatre points de PIB constitue déjà un niveau de prélèvements obligatoires très élevé), d'acceptabilité par le corps social et d'équité intergénérationnelle. La seule voie possible est donc celle de la maîtrise de la dépense, ce qui nécessitera des réformes structurelles, comme le rendez-vous de 2008 en matière de retraites.

La socialisation des besoins humains est sans doute à son maximum en France mais, aujourd'hui, l'ensemble du système doit être mis sous contrôle.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a alors souhaité avoir des précisions sur la spécificité des dépenses à caractère social, la manière d'assurer la transparence, la clarté et la lisibilité des dépenses sociales en cas de budgétisation de celles-ci, le rôle des partenaires sociaux, la réflexion en cours sur le financement de la protection sociale, la manière de faire face à la croissance inéluctable des dépenses sociales d'environ 1 à 1,5 point de plus que le PIB, le montant des dépenses de l'Etat supportées par l'assurance maladie, les possibilités d'améliorer les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, l'insuffisance du cadrage pluriannuel de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les solutions à apporter aux déficits du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa), les conditions de détermination de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et l'existence de modèles étrangers. Ces questions s'inscrivent dans le cadre du souci permanent de la commission des affaires sociales du Sénat d'obtenir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.

M. Philippe Josse a indiqué qu'en matière de dépenses, il ne peut y avoir de distinction absolue entre ce qui relève de l'Etat ou de la sécurité sociale. Les dépenses de vieillesse, d'accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) et de chômage restent essentiellement financées par le travail, conformément aux principes de la sécurité sociale mis en place en 1945. A l'autre extrémité du spectre, de nombreuses prestations relevant de la solidarité, notamment les minima sociaux, peuvent relever à la fois des caisses et de l'Etat. Ainsi, l'AAH et l'API sont versées par la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) mais financées par l'Etat, les aides personnelles au logement sont mises en oeuvre par la Cnaf avec un financement mixte et le RMI fait intervenir les caisses d'allocations familiales (Caf) et les départements. Les dépenses d'assurance maladie sont un mélange de solidarité et de logique assurantielle rendant toute distinction difficile. L'imputation des dépenses peut alors se faire selon des critères pragmatiques : qui pilote la dépense ? de quelle logique relève l'affectation des recettes ? Comme exemple de réflexion, on peut évoquer le cas des recettes de la branche famille, qui progressent actuellement de façon plus dynamique que les courbes démographiques.

Le rôle des partenaires sociaux est en France bien plus important que leur seule association à la gestion des caisses. Ils sont en effet consultés, voire associés, aux grandes décisions du Gouvernement, notamment au sein des instances récemment créées que sont le Conseil d'orientation des retraites (Cor), le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), le Haut Conseil de l'assurance maladie (HCAM) et le Conseil d'orientation des finances publiques. Cette méthode constitue un grand progrès. Il faut néanmoins observer que, depuis la création du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le partage des rôles est de moins en moins clair entre parlementaires et partenaires sociaux.

La distinction entre impôt et cotisation n'a que peu d'intérêt car il s'agit, dans tous les cas, d'un prélèvement obligatoire. Le seul paramètre à prendre en compte est l'efficacité économique du prélèvement. Dans l'ensemble, les pays de l'Union européenne ont un taux de recettes sociales fiscalisées supérieur à celui de la France, dont la protection sociale demeure alimentée à 60 % par des cotisations.

La mise en place d'une TVA sociale est une question complexe et politique. Elle doit se faire à l'aune de plusieurs critères : l'efficacité économique ainsi qu'une plus grande clarté et une plus grande cohérence dans le financement du système. La réforme adoptée en Allemagne ne relève que pour partie de la TVA sociale, puisque la hausse de la TVA n'a pas été équilibrée par une baisse équivalente des prélèvements sociaux. En outre, il faut observer qu'elle a été précédée de très importantes réformes structurelles et qu'elle bénéficie d'une conjoncture désinflationniste.

S'il est vrai qu'avec la TVA sociale, la charge fiscale est répartie différemment entre produits importés et produits nationaux, ses conséquences en termes de prix sont d'abord liées à la situation concurrentielle ou non du secteur, ainsi qu'aux circonstances au moment de sa mise en oeuvre et à l'ampleur des mesures d'accompagnement prévues.

En tout état de cause, il faut se méfier des partages d'impôt, ce qui signifie que toute augmentation de TVA devra être affectée au budget de l'Etat, seules les dépenses faisant, le cas échéant, l'objet d'une nouvelle répartition. La pire des solutions serait d'attribuer un peu de CSG à l'Etat et un peu de TVA à la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir quelles pourraient être les conséquences d'une augmentation aujourd'hui de la TVA sur la croissance et sur l'emploi.

M. Philippe Josse a insisté sur l'importance du contexte économique et des réformes. Compte tenu de la situation de notre pays, il paraît difficile d'y envisager une transposition parfaite de la réforme allemande.

L'évolution des dépenses sociales suit actuellement une courbe supérieure à celle de la croissance du PIB. Il n'est toutefois pas évident que cette situation se maintienne en l'état. En effet, des comparaisons internationales montrent que, pour l'assurance maladie, le financement public est, en France, de deux points supérieur à la moyenne européenne. Des gains d'efficacité existent, et pas seulement par la suppression de prestations.

La rectification des frontières entre budget de l'Etat et sécurité sociale doit se faire selon la méthode du faisceau d'indices, en particulier dans le champ de la famille. Le réseau des Caf est en effet de plus en plus utilisé comme un guichet de proximité pour toutes sortes de dispositifs, dont le RMI, qui d'ailleurs ne transite pas par les comptes de la Cnaf.

La procédure d'élaboration de l'annexe B de projection pluriannuelle du projet de loi de financement de la sécurité sociale intervient en principe en cohérence et au même moment que celle du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances.

Sur la manière de prévoir l'évolution de l'Ondam, deux difficultés doivent être soulignées : les fréquents changements de périmètre ainsi que l'absence de justification au premier euro de cet objectif de dépense.

M. François Carayon a précisé que, sur ce point, des améliorations devraient pouvoir intervenir dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 grâce à des progrès sur l'analyse tendancielle et sur l'évaluation de l'impact des mesures nouvelles. Il est important de ne pas limiter l'approche à l'évolution en pourcentage de l'Ondam, mais de se pencher aussi et surtout sur le contenu des dépenses couvertes par l'Ondam.

M. Philippe Josse a ensuite fait observer que la solidarité nationale finance, d'ores et déjà, 88 % des dépenses du Ffipsa. Pour trouver une solution à la situation structurellement déficitaire de ce fonds, trois approches sont possibles : considérer que le Ffipsa est un régime de protection sociale autonome qui, modulo les mécanismes de compensation, doit s'autofinancer, ce qui signifie un retour à l'équilibre par une augmentation des cotisations et une maîtrise des prestations ; estimer que s'agissant d'un régime de protection sociale comme un autre, il revient à l'ensemble des régimes de protection sociale de prendre en charge le déficit du Ffipsa grâce à une décision du législateur financier social en ce sens ; rappeler que le Ffipsa était auparavant un budget annexe équilibré grâce à une subvention budgétaire et que celle-ci, actuellement prévue « le cas échéant », s'impose à l'Etat en raison du caractère particulier du secteur agricole.

Les trois solutions ont leur justification, ce qui signifie que chacune des trois parties identifiées devra faire un effort, la difficulté étant évidemment de paramétrer celui-ci pour chacune.

Puis M. Philippe Josse est revenu sur le dispositif du comité d'alerte qui est une très bonne chose et qui pourrait être étendu, comme l'a annoncé le Premier ministre lors de la dernière conférence des finances publiques. Il permet de concentrer l'attention sur la dépense et d'instruire les débats du Parlement.

Enfin, M. François Carayon a fourni quelques éléments de réflexion sur les exemples étrangers. Dans tous les pays, par exemple au Japon, on observe le souci permanent d'une vision d'ensemble et d'un pilotage global des finances publiques. La comparaison avec les pays étrangers fait partie des points inscrits dans la lettre de la mission actuellement menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) sur le rapprochement entre budget de l'Etat et finances sociales. Par ailleurs, dans le cadre de l'examen par la Commission européenne des programmes de stabilité, des données globales standardisées existent pour chaque pays membre de l'Union.

Audition de M. Philippe MILLS, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique (mardi 27 mars 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur, a indiqué que les travaux engagés par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la problématique du financement de la protection sociale traduisent des préoccupations anciennes, régulièrement exprimées par la commission des affaires sociales, notamment lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. L'idée a, par exemple, été avancée de fusionner la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances initiale, soit intégralement, soit pour la seule branche famille, mais on peut craindre, en définitive, que la présentation des comptes de la protection sociale en soit rendue encore plus obscure qu'elle ne l'est aujourd'hui. La mise en oeuvre de cette réforme nécessiterait, en outre, l'adoption d'une réforme constitutionnelle.

Puis il a invité M. Philippe Mills à s'exprimer sur le débat ouvert par le président de la République en janvier 2006 autour de l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée. Le rapport de synthèse réalisé par le groupe de travail « ad hoc » constitué sur cette question a d'ailleurs fourni des éléments d'analyse utiles à ce sujet.

A titre liminaire, il a souligné que si le conseil d'analyse stratégique (CAS), contrairement à la direction de la sécurité sociale et à la direction du budget, n'exerce aucun rôle opérationnel dans le suivi et la gestion des finances publiques, il a néanmoins engagé une réflexion approfondie sur les questions sociales. Ces travaux ont revêtu une double orientation. Le CAS s'est intéressé en premier lieu aux nouveaux risques sociaux et a remis récemment au Gouvernement deux rapports à ce sujet, l'un consacré à la dépendance, l'autre à la notion de service public de la petite enfance. Le conseil a travaillé, en second lieu, sur la dimension sociale de la construction européenne, ainsi que sur la stratégie dite de Lisbonne destinée à promouvoir la compétitivité des pays de l'Union et à accroître le taux d'emploi de la population active.

En ce qui concerne plus particulièrement la question du financement de la protection sociale, la spécificité française tend progressivement à s'atténuer : au début des années quatre-vingt-dix, la part des cotisations sociales représentait encore les quatre cinquièmes des recettes, supérieure à la moyenne des deux tiers observée dans l'Union européenne à quinze. Aujourd'hui, les niveaux respectifs ne sont plus que des deux tiers pour la France et de 60 % pour ses voisins. L'écart s'est donc réduit de moitié en quinze ans.

En revanche, la France se singularise toujours par un niveau très élevé de dépenses sociales, qui la classe au troisième rang européen après la Suède et le Danemark. Compte tenu du taux élevé du chômage, cette caractéristique suscite très régulièrement de vives polémiques sur le niveau des coûts salariaux. En définitive, l'enjeu de ces débats porte sur la « soutenabilité » même du financement de l'Etat providence, aujourd'hui en cause.

M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur les actions qu'il conviendrait d'engager pour permettre une approche plus globale des comptes publics, tout en conservant un niveau de détail suffisant sur la nature et le mode d'évolution des différentes catégories de dépenses.

Après s'être félicité des progrès intervenus dans ce domaine, en particulier l'obligation pour les pouvoirs publics français de transmettre chaque année un programme de stabilité aux instances communautaires, M. Philippe Mills a jugé indispensable de poursuivre ces efforts. Il conviendrait pour cela de porter de trois à cinq ans l'horizon des prévisions, de prévoir la nécessité pour tout nouveau gouvernement de prendre, à l'occasion d'un débat parlementaire au début de chaque législature, des engagements précis sur les niveaux des soldes intermédiaires des prélèvements obligatoires, mais aussi plus simplement d'améliorer la fiabilité des informations statistiques. Sur ce dernier point, la création de la conférence nationale des finances publiques a permis d'enregistrer des améliorations appréciables, mais il existe encore des facteurs de progrès, notamment pour les données des branches famille et retraites ainsi que pour les finances locales. En définitive, il ne paraît pas nécessaire de fusionner loi de finances et loi de financement, la priorité devant être donnée à la poursuite de l'amélioration de la transparence des comptes publics.

Pour l'avenir, il a estimé que le financement de la protection sociale serait probablement de plus en plus largement assuré par l'impôt : de nombreuses dépenses, comme la dépendance ou les affections de longue durée relèvent en effet essentiellement de la solidarité nationale. A cela s'ajoute l'impact prévisible de la concurrence fiscale entre les pays de l'Union européenne qui exerce une pression à la baisse sur les coûts salariaux. Les Etats membres se trouvent par là même incités à réduire les cotisations sociales et à recourir de préférence à la TVA ou à des recettes nouvelles, comme la contribution sociale généralisée (CSG).

En ce qui concerne la forme que pourrait revêtir un schéma théorique optimal de répartition des dépenses en fonction des risques concernés, M. Philippe Mills a indiqué qu'un tel processus de clarification pourrait prendre cinq, voire dix ans. Sous cette réserve, il s'est prononcé en faveur de l'établissement d'une distinction entre trois ensembles distincts : les dépenses de solidarité (branche famille, couverture maladie universelle, minima sociaux, politique du handicap, partie non contributive des prestations vieillesse) qui devraient idéalement être assurées par l'impôt ; les revenus différés, à l'instar des retraites, qui demeurent intimement associés à la notion d'effort contributif et donc aux cotisations sociales ; enfin, les prestations à caractère mixte, comme l'assurance maladie ou l'assurance chômage. Dans ce dernier cas, il est possible, en effet, de moduler les aspects assurance et solidarité nationale et donc d'opter en faveur d'un mode de financement intermédiaire. Par exemple, aux Etats-Unis, les cotisations chômage sont déterminées en fonction d'un système de bonus/malus dépendant du comportement individuel des entreprises.

Or, si la France se situe au dessus de la moyenne européenne en ce qui concerne le montant des dépenses sociales, les performances relatives de notre système apparaissent moins bonnes que celles des pays d'Europe du Nord auxquels on la compare souvent. Cela conduit, d'une part, à renforcer la nécessité de maîtriser les dépenses, d'autre part, à examiner la question de l'assiette optimale de cotisation. A ce titre, il a noté que sur longue période, la TVA et la CSG évoluent au même rythme que le PIB.

Revenant sur les travaux réalisés en 2006, après que le président de la République a lancé un vaste débat sur l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée, M. Philippe Mills a jugé que les échanges intervenus à cette occasion ont mis en évidence les principaux problèmes de cette approche : malgré la technicité du sujet, cette concertation a permis d'associer à la réflexion des experts tous les acteurs du dossier, y compris les partenaires sociaux. D'une façon générale, il a par ailleurs considéré que la protection sociale occupe un espace autonome au sein des finances publiques, ne serait-ce qu'en raison de sa nature : contrairement aux dépenses régaliennes, comme la défense ou la diplomatie, les dépenses sociales sont individualisables.

La France pourrait utilement s'inspirer de l'exemple des Pays-Bas pour améliorer la transparence de ses comptes publics : outre l'établissement régulier de prévisions sur un horizon de cinq ans, ainsi que la définition d'engagements détaillés pris par tout nouveau gouvernement devant le Parlement au début de chaque nouvelle législature, tant sur le niveau que sur la répartition des prélèvements obligatoires, le choix des hypothèses macroéconomiques relève, dans ce pays, d'un comité d'experts qui évalue, en toute indépendance, la marge de manoeuvre dont disposera le nouveau gouvernement.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est interrogé sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et, plus généralement encore, sur le mode de gouvernance du système de protection sociale.

Après avoir rappelé les limites des pouvoirs des gestionnaires des caisses ainsi que celles de la volonté d'implication des organisations syndicales dans ces institutions, M. Philippe Mills a fait valoir que les notions de concertation, de négociation et d'élaboration d'un diagnostic partagé sont pleinement mises en oeuvre dans le cadre du dialogue social. Les débats de l'année 2006 sur l'avenir de la protection sociale ont fourni la preuve de leur utilité, dans la mesure où certaines confédérations ont considérablement modifié leur point de vue à la lumière des échanges intervenus à cette occasion.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est demandé si, à l'instar du plan Biotox, il ne serait pas possible de définir des clefs de répartition précises entre l'Etat et la sécurité sociale pour les dépenses faisant l'objet de contestation ou situées aux confins des finances publiques et des finances sociales.

Après avoir indiqué que le CAS n'a pas engagé d'étude approfondie à ce sujet, M. Philippe Mills a considéré qu'une telle approche serait envisageable, à condition toutefois de raisonner financement par financement. Cela pourrait être effectivement le cas chaque année, à l'occasion de l'examen des mesures nouvelles par le Parlement. Les perspectives de succès d'une telle démarche seraient toutefois meilleures si les pouvoirs publics parvenaient au préalable à améliorer le mode de régulation de notre système de protection sociale.

M. André Lardeux s'est interrogé sur l'opportunité, d'une part, de maintenir la dispersion actuelle entre une multitude d'acteurs institutionnels différents dans la conduite de la politique en faveur des personnes dépendantes, d'autre part, de transférer carrément à des assurances privées certaines dépenses, à commencer par l'exemple bien connu du remboursement des cures thermales.

Sur ce dernier point, M. Philippe Mills a indiqué que le CAS s'est abstenu de prendre l'initiative de travailler sur une question qui apparaît spontanément relever du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. En ce qui concerne le dossier de la dépendance, il est, à son sens, évident qu'une partie des dépenses continuera à relever, quoi qu'il arrive, de la solidarité nationale, dans la mesure où tout n'est pas assurable par des opérateurs privés.

M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité savoir pourquoi les données statistiques sur les finances locales posent un problème pour déterminer le solde des comptes publics.

M. Philippe Mills a indiqué qu'il convient de distinguer les grandes villes, d'une part, des petites communes, des départements et des régions, d'autre part. Pour ce dernier groupe de collectivités territoriales, les remontées d'informations sont trop tardives, ce qui conduit à raisonner sur la base de simples hypothèses. En outre, ce travail n'est effectué que par une poignée d'experts au ministère des finances, au ministère de l'intérieur et grâce aux concours des services du crédit local de France.

M. Pierre Bernard-Reymond en a conclu qu'il s'agit essentiellement d'un problème de moyens et que la responsabilité de ces insuffisances n'incombe donc pas aux collectivités territoriales.

Partageant ce jugement, M. Philippe Mills a toutefois réaffirmé qu'il conviendra à l'avenir d'améliorer le calendrier de remontée de ces données statistiques. D'autres pays que la France, et en particulier l'Allemagne avec ses Länder, connaissent des difficultés similaires. Mais rien ne permet de penser que les autorités communautaires continueront durablement à faire preuve de mansuétude pour l'établissement des programmes nationaux de stabilité.

Audition de M. Robert BACONNIER, président de l'Association nationale des sociétés par actions (mardi 27 mars 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a indiqué que la Mecss a souhaité disposer de l'expertise de M. Robert Baconnier sur la question de l'avenir du financement de la protection sociale, et ce en sa qualité de membre du conseil des prélèvements obligatoires. Il est en effet parfois évoqué l'idée d'une éventuelle fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, ce qui appelle de sa part une expertise approfondie.

En se plaçant tout d'abord sur un plan théorique et conceptuel, M. Robert Baconnier a estimé séduisante l'idée d'une fusion des deux lois financières, dans la mesure où l'addition des finances publiques et des finances sociales constitue effectivement les prélèvements obligatoires et que l'on pourrait en attendre davantage de clarté dans la présentation de l'ensemble des comptes publics. Mais d'un point de vue pratique, ce projet de réforme pourrait s'avérer être une mauvaise idée compte tenu des besoins de financement à venir de la protection sociale, d'une part, en raison de la nature fondamentalement assurantielle de nombreuses prestations, d'autre part. Une expertise approfondie de ces questions complexes apparaît, quoi qu'il en soit, indispensable. Les travaux de la Mecss sur ce point seront d'autant plus utiles que d'autres problèmes méritent aussi réflexion, notamment la question de l'assiette des recettes de la protection sociale et celle des relations entre la CSG et l'impôt sur le revenu. A cela s'ajoute la prise en compte de la divergence d'appréciation sur la nature de la CSG apparue entre le Conseil constitutionnel, pour lequel il s'agit d'un impôt, et la Cour de justice des communautés européennes, qui l'assimile à l'inverse à une cotisation de sécurité sociale. Sans doute la CSG présente-t-elle d'ailleurs effectivement cette nature duale.

Après avoir jugé indispensable de promouvoir une approche globale des comptes publics, il a fait part de ses interrogations sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des différentes caisses. Se fondant sur sa propre expérience de personne qualifiée au sein des instances dirigeantes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), il a regretté que le fonctionnement du paritarisme se traduise par la perte de beaucoup de temps, en raison de l'exposition préalable des positions de principe de chacune des organisations syndicales. Trouver des solutions et dégager un compromis n'est ainsi pas toujours facile à réaliser. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'exigence de « démocratie sociale », exposée dans le Préambule de la constitution de 1946, apparaît déjà, dans les faits, largement effective dans la mesure où la consultation et la négociation avec les syndicats sont de toute façon indispensables.

S'agissant plus particulièrement de la tendance à long terme à la fiscalisation croissante des recettes de la protection sociale, une assiette essentiellement fondée sur les revenus du travail demeure, à son avis, justifiée pour le financement de l'assurance chômage, et celui des prestations contributives d'une façon générale. La question est posée, en revanche, pour les dépenses de solidarité. Il s'est par ailleurs prononcé en faveur de la CSG, tout en estimant qu'il n'y a pas d'assiette miracle ou unique et qu'il est parfaitement concevable de combiner entre eux plusieurs modes de financement différents.

L'invention de la CSG en 1990 a constitué, au même titre que la généralisation de la TVA en 1966, une réforme fondatrice. A l'origine, la CSG était essentiellement assise sur les revenus du travail et se substituait largement à des cotisations maladie. Mais elle a ensuite été étendue aux revenus du capital, ce qui permet désormais à notre pays de disposer, à l'instar de ses partenaires européens, d'un outil de financement moderne et dynamique compensant les défauts de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, notamment son excessive personnalisation.

Si la tendance à la fiscalisation de la protection sociale est probablement inéluctable, l'idée d'une budgétisation de son mode de financement apparaît quant à elle beaucoup plus contestable : compte tenu de la logique assurantielle de nombreuses prestations versées, il ne semble pas opportun de confier au budget général l'ensemble des transferts sociaux.

S'agissant plus particulièrement du débat lancé en janvier 2006 par le Président de la République sur l'élargissement à la valeur ajoutée de l'assiette des cotisations patronales, M. Robert Baconnier a souligné, d'une part, que cette idée ancienne avait été formulée dès 1974, d'autre part, que le rapport publié par le conseil d'analyse stratégique est apparu assez réservé sur une telle perspective. Cette notion peut certes sembler séduisante en première analyse, car elle vise à mieux répartir la charge de l'Etat providence et à réduire les coûts salariaux. Mais le risque d'une pénalisation des investissements n'est pas négligeable et on peut craindre des transferts de charges massifs entre les assurés sociaux : il conviendrait donc de faire preuve de beaucoup de prudence. Pour autant, ce débat lancé par l'actuel président de la République ne sera pas sans conséquence sur la prochaine législature et de nombreuses études ont été récemment publiées à ce sujet.

Ce dossier est extrêmement complexe, y compris sur le plan juridique. La Cour de justice des communautés européennes instruit en effet actuellement un recours formulé contre un impôt régional sur la valeur ajoutée créé au bénéfice des régions italiennes. Le débat français sur le financement de la protection sociale comporte donc nécessairement une dimension européenne, d'autant plus qu'en l'absence d'unanimité des vingt-sept pays membres sur les questions fiscales, le rôle du juge communautaire est ici décisif.

Invité par le président à développer sa vision de l'avenir du système français de protection sociale, M. Robert Baconnier a estimé qu'il ne sera pas possible d'accroître indéfiniment les prélèvements obligatoires et qu'à échéance de dix ou quinze ans, les mécanismes personnels d'assurance auront certainement tendance à se développer. On constate déjà l'impossibilité d'une généralisation de la prise en charge du coût de la dépendance sur des fonds publics et l'intérêt d'un développement complémentaire des assurances privées.

Il a également exprimé son hostilité à la proposition de M. François Hollande de financer les retraites par la CSG, le recours à l'impôt ne devant, à ses yeux, être opéré que pour le minimum vieillesse, c'est-à-dire le financement de la solidarité.

Le projet de fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG est certes séduisant, mais aussi dangereux, dans la mesure où la « mauvaise assiette » risque de chasser la « bonne ». Il convient de préserver, en effet, la simplicité de la CSG face à un impôt sur le revenu mité par les « niches fiscales ».

Considérant à son tour qu'il n'existe pas d'assiette miracle pour financer la protection sociale, M. André Lardeux s'est demandé s'il ne serait pas grand temps de faire des choix et de définir des priorités pour les risques couverts par la collectivité nationale, quitte à transférer certaines dépenses à des assurances privées. Faisant référence à la crise de l'Etat providence qu'a connue la Suède au milieu des années quatre-vingt-dix, il s'est inquiété de la perspective de voir, en France aussi, la politique familiale devenir à terme la principale variable d'ajustement en cas de graves difficultés financières.

M. Pierre-Bernard Reymond s'est interrogé sur la compatibilité de la TVA sociale avec les règles de l'organisation mondiale du commerce, car il s'agit de mettre à contribution les importations pour financer l'Etat providence.

M. Robert Baconnier a estimé que, dans la mesure où cette réforme se limiterait à la France, le risque d'une telle contestation apparaîtrait singulièrement limité.

Audition de M. Pierre-Louis BRAS, inspecteur général des affaires sociales (mardi 27 mars 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a précisé que la Mecss a souhaité engager une réflexion sur l'intérêt éventuel d'une fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, hypothèse évoquée par certains.

M. Pierre-Louis Bras a estimé au préalable que la distinction traditionnelle entre l'Etat, assurant des services publics financés par l'impôt, et la sécurité sociale, distribuant des prestations en contrepartie de cotisations, n'apparaît plus guère opérationnelle. Pour ne prendre que deux exemples, force est ainsi de constater que l'assurance maladie prend naturellement en compte les impératifs de la politique de santé publique, tandis que les allocations familiales obéissent également à des considérations sociales.

Cette relative confusion sur le plan conceptuel n'implique pas pour autant la nécessité d'un bouleversement institutionnel par la fusion de la loi de finances initiale et de la loi de financement. Ce refus de principe tient à plusieurs raisons de fond, à commencer par l'attachement persistant des grands acteurs sociaux à cette distinction. A cela s'ajoute l'utilisation par les instances européennes de la notion de comptes de la protection sociale, qui vise précisément à englober l'ensemble des transferts sociaux, y compris, contrairement à la France, l'indemnisation du chômage, ainsi que les dépenses d'aide sociale. En définitive, les finances sociales présentent une réelle spécificité et disposent d'une puissante légitimité. Il serait tout aussi inopportun de retirer au ministère des affaires sociales la mission de contrôler les comptes de la sécurité sociale, ce qui aboutirait à le transformer en une structure centrale purement dépensière.

Cela étant, le cadre institutionnel actuel présente effectivement de graves défauts et alimente de nombreuses querelles stériles sur la question de la définition du champ respectif des finances publiques et des finances sociales. Les responsables politiques et administratifs des ministères des finances et des affaires sociales consacrent ainsi une grande énergie à chercher à transférer les déficits existants sur la partie adverse, ce qui est regrettable.

M. Pierre-Louis Bras a ensuite suggéré plusieurs pistes de réflexion pour améliorer la transparence et la gestion des finances publiques et des finances sociales. On constate, par exemple, la multiplication des sous-totaux partiels, correspondant aux comptes des grandes catégories de personnes publiques et à chacune des branches de la protection sociale, ce qui nuit à la lisibilité de l'ensemble et exerce par là même un effet « anesthésiant » sur les pouvoirs publics. Pour l'éviter, il faudrait que le Parlement vote le solde global cumulé de la loi de finances, de la loi de financement, ainsi que des fonds sociaux comme le fonds de financement de la protection sociale (Ffipsa) et le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ne resteraient plus à l'écart de cette présentation globalisée que les chiffres de l'assurance chômage, des retraites complémentaires et les budgets des collectivités locales, ce qui représenterait déjà un progrès considérable.

En outre, rien ne justifie que la dette de la sécurité sociale fasse l'objet d'une gestion distincte de celle de l'Etat, dans le cadre de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

En ce qui concerne les polémiques récurrentes sur la porosité des finances sociales à l'égard du budget de l'Etat, ainsi que sur les transferts de charges indues dont pâtissent régulièrement les comptes sociaux, il est heureux que le législateur organique de 2005 ait décidé la création d'une nouvelle annexe spécifique au PLFSS relative à l'évolution des périmètres d'intervention entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités publiques. Cette initiative est utile mais insuffisante car mal connue et généralement ignorée des médias. Il conviendrait donc de compléter cette démarche par la mise en place d'un comité d'experts indépendants, chargé de se prononcer sur la pertinence de ces transferts. Ce point revêt d'ailleurs une importance toute particulière dans le cas des exonérations de charges sociales. Plutôt qu'une compensation stricte à l'euro près, l'Etat procède en effet de plus en plus souvent par le biais de l'affectation au coup par coup d'une ressource nouvelle aux finances sociales. Or, une fois cette opération réalisée, on ne dispose d'aucune garantie sur le dynamisme de la recette transférée... Certes, ce mode de compensation s'explique par l'obligation faite dorénavant au budget de l'Etat de respecter la norme de progression des dépenses. Mais il serait préférable d'en revenir à un système de compensation, quitte à ce que celle-ci ne soit plus calculée à l'euro près, partant du principe que la sécurité sociale peut bien supporter une partie de la charge de l'exonération, dans la mesure où celle-ci est, à terme, créatrice d'emplois et donc de ressources nouvelles pour la sécurité sociale.

Il a par ailleurs regretté la différence de normes applicables entre les comptes de l'Etat, qui demeurent établis en encaissements/décaissements, et ceux de la sécurité sociale, qui respectent depuis plusieurs années les contraintes de la règle des droits constatés. Cette distorsion est précisément de nature à faciliter les opérations de débudgétisation.

Puis M. Pierre-Louis Bras a évoqué l'idée de ne fondre, dans un premier temps au moins, que les comptes de la branche famille dans le budget de l'Etat : l'équilibre structurel de la caisse nationale d'allocations familiales pousse effectivement les associations et les acteurs institutionnels à réclamer sans cesse des mesures nouvelles. Or, il serait sans doute utile de réfléchir à la meilleure façon de redéployer les marges de manoeuvres disponibles en fonction des nouveaux besoins de la population. Au-delà, le problème principal est ailleurs : la fragilisation du PLFSS trouve essentiellement son origine dans l'importance des déficits accumulés, soit 12 milliards d'euros en moyenne par an au cours des quatre dernières années. En dehors de toute considération polémique, jamais les comptes sociaux n'ont atteint un tel niveau de déséquilibre sur une aussi longue durée. Cela justifierait, à ses yeux, de rétablir l'effectivité du principe d'équilibre des branches de la sécurité sociale, notamment en élevant cette exigence au niveau organique.

M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité savoir comment les débats sur ces questions sont perçus par les instances européennes.

M. Pierre-Louis Bras a indiqué que les comptables d'Eurostat parviennent sans difficulté à déterminer les soldes des comptes publics de la France. Ainsi, paradoxalement, les polémiques récurrentes auxquelles donne lieu dans notre pays l'opacité de la frontière entre la sécurité sociale et l'Etat semblent ne trouver aucun écho à Bruxelles.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité connaître l'opinion de M. Pierre-Louis Bras sur le rôle joué par les partenaires sociaux dans la gestion des caisses, d'une part, sur la question de la recette qui permettrait le mieux de faire face à la dynamique des dépenses sociales, d'autre part. Sur ce dernier point, il s'est félicité au passage des progrès accomplis dans le domaine de la maîtrise des soins de ville, tout en observant qu'une reprise de la tendance inflationniste antérieure ne saurait être totalement écartée dans un avenir plus ou moins proche.

M. Pierre-Louis Bras a considéré au préalable que la gestion paritaire des organismes de protection sociale ne constitue plus aujourd'hui qu'une fiction juridique. C'était déjà le cas depuis longtemps à la Cnav, à la Cnaf et à l'Acoss. Seule la Cnam faisait exception, mais le pouvoir de signer les conventions avec les partenaires du monde de la santé a été transféré en 2004 au directeur de l'Uncam.

Ni le conseil d'administration de la Cnav, ni celui de la Cnaf n'ont joué un rôle actif à l'occasion des grandes réformes de la législature, à commencer par celle des retraites et la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Les partenaires sociaux ont en effet respecté les prérogatives du pouvoir politique. Ils continuent en revanche à exercer un réel pouvoir décisionnel dans deux domaines directement issus de la négociation collective : la gestion de l'assurance chômage et celle des organismes de retraite complémentaire.

Ces appréciations réalistes ne constituent nullement une remise en cause du rôle des partenaires sociaux et il est peu probable que ceux-ci manifestent l'intention d'être plus fortement impliqués dans le fonctionnement de la protection sociale. Cela ne signifie pas que les organisations syndicales ne doivent pas être informées et consultées sur les projets de réforme, au contraire. Mais le processus institutionnel visant à déboucher sur un diagnostic partagé avec les confédérations syndicales intervient dans le cadre du conseil d'orientation des retraites et dans celui du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

En ce qui concerne la meilleure façon de faire face à la dynamique des dépenses de protection sociale, il n'y a pas de recette miracle et l'idée d'une contribution sur la valeur ajoutée ne constitue pas la panacée. De fait, ce concept repose sur des données techniques à la fois complexes et contestées : le partage entre les salaires et la valeur ajoutée est d'ailleurs stable depuis la fin des années quatre-vingt suivant un rapport deux tiers-un tiers. Cela conduit à s'interroger sur le dynamisme supposé de cette nouvelle ressource. A cela s'ajoute une dimension idéologique - l'idée de faire payer le capital et les importations - qui ne facilite pas la sérénité des débats.

Audition de M. Roger GUESNERIE, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique (mardi 27 mars 2007)

M. Roger Guesnerie a d'abord indiqué qu'il ne pouvait s'exprimer qu'au titre de l'avis donné par le CAE sur le projet de cotisation sur la valeur ajoutée, n'étant pas lui-même spécialiste des questions sociales, de la sécurité sociale ou des finances publiques.

Il est très rare que le CAE soit saisi de questions d'actualité avec un délai d'examen extrêmement bref. Dans le cas précis, la lettre de saisine du Premier ministre était datée du 30 mai 2006 et l'avis a été rendu le 15 juillet. Ces circonstances ont justifié une procédure de travail inhabituelle : le président délégué du CAE, M. Christian de Boissieu, a demandé de courtes notes aux économistes du conseil puis une synthèse de ces travaux a été réalisée. L'avis du CAE représente ainsi l'opinion majoritaire en son sein.

Cet avis s'est appuyé, d'une part, sur le travail très approfondi du rapport préalable réalisé par le ministère des finances, d'autre part, sur l'ensemble des travaux antérieurs du CAE relatifs à des sujets proches. Ainsi, toutes les pistes du rapport préalable ont été envisagées : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), la modulation des cotisations patronales en fonction de la valeur ajoutée, la TVA sociale, le coefficient emploi-activité, la cotisation patronale généralisée ainsi que la piste de la CSG.

D'une façon générale, la synthèse des opinions émises au sein du CAE témoigne d'un grand scepticisme sur les diverses variantes de la CVA, en dépit d'opinions assez variées malgré tout. Le premier constat est une réelle crainte sur la complexité de la formule et les difficultés de sa mise en oeuvre. En effet, si la poursuite de la fiscalisation du financement de la sécurité sociale, amorcée depuis assez longtemps, est inéluctable, la question de la création d'un nouvel impôt est sujette à réflexion. Certains y voient un avantage car cela permettrait de sanctuariser la dépense et donc d'en assurer un meilleur contrôle. Mais, pour la plupart des économistes du CAE, les diverses formules envisagées apparaissent trop complexes et manquent de lisibilité, en particulier sur leur impact en fonction des secteurs économiques. En tout état de cause, la CVA ne devrait être applicable qu'à la valeur ajoutée nette car il conviendrait de ne pas taxer l'amortissement. Dans cette hypothèse, la CVA nette et la cotisation patronale généralisée seraient deux formules assez voisines. Au passage, le CAE a fait le constat qu'il existe beaucoup de niches dans la structure actuelle des prélèvements sociaux et qu'il conviendrait d'analyser de façon plus approfondie leur légitimité.

Puis M. Roger Guesnerie est revenu sur l'instauration d'une CVA nette qui pourrait presque s'apparenter à une augmentation de l'impôt sur les sociétés. Or, dans le contexte actuel, le taux de l'impôt sur les sociétés français est déjà supérieur à la moyenne européenne, même si certains estiment qu'il existe une légère marge d'augmentation. En fait, le débat reste ouvert entre trois impôts existants : l'impôt sur les sociétés, la CSG et la TVA sociale. Au sein du CAE, les opinions sont très diverses sur le recours à ces différents impôts. Elles tiennent à une analyse plus générale de l'« optimalité » du système fiscal.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir quels sont, pour les membres du CAE, les avantages et les inconvénients de chacun de ces trois impôts et si ceux-ci sont équilibrés. En effet, l'absence de choix du CAE est-elle justifiée par des raisons économiques ou bien par le transfert de la responsabilité au pouvoir politique ?

M. Roger Guesnerie a indiqué que, dans les rapports spécifiques des membres du CAE, des choix précis sont proposés et justifiés. Seul l'avis sur la CVA fait l'objet d'un consensus plutôt négatif. Les autres solutions ont été évoquées mais non débattues de façon approfondie. Sur la TVA sociale, un risque d'incompatibilité avec le niveau de TVA de nos principaux partenaires européens a été souligné. Par ailleurs, si un effet positif indéniable apparaît à court terme sur les exportations détaxées, l'avantage semble moins évident, à moyen terme, puisqu'une partie du pouvoir d'achat supplémentaire est reprise. La piste de la TVA sociale mériterait un rapport beaucoup plus approfondi du CAE.

Il a également présenté les quelques observations du CAE sur l'architecture globale de nos prélèvements sociaux. En effet, la logique initiale de 1945 a été assez profondément modifiée. Aujourd'hui, le principe du salaire différé ne vaut que pour les retraites. L'assurance chômage offre un salaire de remplacement et s'apparente réellement à une assurance. En revanche, l'assurance maladie relève d'une logique très différente, le financement du service public de la santé n'étant ni de l'assurance ni du salaire différé. Dans ces conditions, la question de la différence entre son mode de financement et celui d'autres services publics, comme celui de l'éducation, doit être posée, l'assurance maladie évoluant vers une toujours plus grande universalité.

Dans un rapport récent sur l'assurance chômage, le CAE a proposé de réformer le système en associant une logique de mutualisation et une logique de responsabilisation, en s'inspirant de l'expérience américaine. D'une façon générale, il paraît justifié de modifier les règles antérieures dès lors qu'elles n'apparaissent plus adaptées à la spécificité des différentes branches de la protection sociale. Cela signifie qu'il convient aujourd'hui de repenser l'architecture de notre sécurité sociale dont certains aspects ne sont plus adaptés ou ont mal vieilli.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est interrogé sur l'élément déclencheur d'une telle réforme : l'évolution de la nature des dépenses ou bien le constat de la dynamique de ces dépenses ?

M. Roger Guesnerie a estimé que la réponse doit être cherchée dans une dialectique entre la logique financière et la logique intrinsèque du système.

Audition de Mme Marguerite BÉRARD, inspecteur des finances, MM. David LUBEK, inspecteur des finances, Michel DURAFFOURG, inspecteur général des affaires sociales, et Thomas WANECQ, inspecteur des affaires sociales (mercredi 28 mars 2007)

Mme Marguerite Bérard a indiqué que le rapport de la mission commune Inspection générale des affaires sociales - Inspection générale des finances (Igas IGF) sur l'articulation entre les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale a été remis au Premier ministre il y a une semaine. L'objet de la mission était de se pencher sur l'enjeu essentiel du rapprochement des deux sphères au regard des engagements européens de la France, de la nécessaire coordination des décisions sur les prélèvements obligatoires et de l'existence d'un certain nombre de politiques cofinancées par les différentes branches des finances publiques. La mission a fait un constat en trois temps : sur les enjeux de la gouvernance d'ensemble des finances publiques, sur la coordination entre les administrations chargées de l'élaboration des projets de loi financiers et la procédure parlementaire de leur examen, enfin sur la répartition des charges et des ressources entre les deux secteurs.

M. David Lubek a exposé le constat de la mission sur les enjeux de la gouvernance de l'ensemble des finances publiques en partant du principe selon lequel le déficit global public au sens de Maastricht est le point de référence pour la défense de la stratégie des finances publiques françaises à Bruxelles. Or, il existe actuellement en France deux textes, préparés par deux ministères, selon deux procédures différentes. Le budget de l'Etat est en effet construit dans le cadre d'une norme de dépenses limitées tandis que la loi de financement de la sécurité sociale s'inscrit dans des objectifs de solde. Les difficultés proviennent donc d'un calendrier structurellement décalé et d'une absence de conception cohérente de la politique des prélèvements obligatoires, puisque les recettes de la sécurité sociale ne sont mesurées qu'en fin de parcours et que la politique fiscale est construite indépendamment des dépenses de l'Etat. Par ailleurs, des problèmes récurrents de frontières existent entre les deux sphères. On peut notamment citer les difficultés tenant aux exonérations de charges sociales, aux transferts de recettes et à la dette de l'Etat envers la sécurité sociale, elle-même liée à des modes de comptabilité de l'Etat et de la sécurité sociale différents.

Mme Marguerite Bérard a ensuite présenté les observations de la mission sur la coordination dans la préparation et le vote de la loi de finances et de la loi de financement. Du côté des administrations, d'importants progrès ont été enregistrés depuis 2005, date d'un précédent rapport conjoint de l'Igas-IGF sur le sujet. Les directions de la sécurité sociale, du budget et du trésor et de la politique économique ont renforcé leurs travaux communs notamment pour l'élaboration de tendanciels techniquement validés et pour l'élaboration commune d'un certain nombre de mesures nouvelles. Toutefois, la phase d'arbitrage interministériel de l'été reste très insatisfaisante et est donc perfectible. En ce qui concerne la phase parlementaire, il n'est pas dans le rôle des corps d'inspection de l'Etat de faire des propositions. Néanmoins, la mission s'est fait l'écho des observations recueillies. Il en résulte qu'un certain nombre de progrès sont possibles, en particulier dans le travail en commun des commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées. En outre, les débats sur les enjeux plus globaux des finances publiques sont trop rares et sans conséquence puisqu'ils ne donnent pas lieu à des votes. Enfin, il apparaît qu'un certain nombre de documents annexés aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pourraient être améliorés.

M. Thomas Wanecq a ensuite présenté les conclusions de la mission sur l'analyse de la répartition entre les deux sphères des finances de l'Etat. Au total, cette répartition apparaît à la fois complexe, fluctuante et finalement très contingente. Pourtant, le financeur est presque toujours le même, c'est-à-dire le contribuable ou le cotisant, et le destinataire final aussi. L'important est donc de dépasser cette discussion sur les frontières entre les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale afin de centrer le débat sur les véritables enjeux des finances publiques.

Puis Mme Marguerite Bérard a présenté les principales propositions faites par la mission qui s'orientent autour de trois axes : l'évolution des modes de gouvernance, sans doute la plus facile à mettre en oeuvre, la clarification de la ligne frontière entre l'Etat et la sécurité sociale, même si ce travail peut conduire assez vite à une impasse, enfin, des solutions sur certains points précis comme la budgétisation de la branche famille.

M. David Lubek a ainsi souligné la nécessité de rapprocher les modes d'élaboration des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. L'idée serait de partir de la trajectoire nationale de désendettement en fixant des objectifs pluriannuels pour les administrations centrales, les administrations locales et la sécurité sociale. Ces objectifs pluriannuels seraient ensuite déclinés de façon annuelle avec la définition d'objectifs de dépenses précis pour l'Etat, l'assurance maladie, la famille, etc. Dans ce cadre, il serait judicieux d'étendre les compétences du comité d'alerte à la famille avec un objectif national de dépenses consacré à cette branche.

Une deuxième série de propositions concerne les arbitrages interministériels et prône un arbitrage préalable sur les dépenses dès la fin du mois de juin et un arbitrage sur les recettes à la fin de l'été. En assurant une meilleure cohérence entre les évolutions des dépenses et des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale, on devrait limiter les problèmes de frontières entre les deux sphères et les incitations aux transferts. Cela permettra aussi une discussion consolidée de la politique fiscale. Enfin, afin d'éviter la constitution de dettes de l'Etat vis-à-vis de la sécurité sociale, plusieurs mesures sont proposées : l'avance des versements de prestations aux caisses, la définition de montants d'autorisations d'engagement dans le budget de l'Etat compatibles avec ceux figurant dans les conventions passées avec les caisses, enfin, la fixation d'une norme de dépenses de l'Etat élargie à la dette de la sécurité sociale.

Mme Marguerite Bérard a ensuite présenté les deux pistes principales pour l'amélioration de la phase parlementaire d'examen des deux projets de loi financiers : un renforcement du travail en commun des commissions, par exemple sur le modèle des commissions élargies de l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances, ainsi qu'une normalisation du contenu des annexes notamment du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Thomas Wanecq a fait valoir que les propositions de la mission en matière de clarification des lignes frontières entre l'Etat et la sécurité sociale répondent avant tout au souci d'éviter un examen polémique des très nombreux sujets concernés, compte tenu du nombre des politiques publiques pour lesquelles existent des cofinancements. L'idée est de fixer des règles pragmatiques afin de minimiser les risques de conflit et de responsabiliser les gestionnaires. Dans ce cadre, plusieurs scénarii types ont été élaborés, avec leurs avantages et leurs inconvénients. A titre d'exemple, sur les trois allocations logement actuellement en vigueur, deux sont cofinancées par l'Etat et la sécurité sociale. Or, aujourd'hui, la question du financeur paraît très secondaire par rapport à la réforme du dispositif d'allocation lui-même, que plusieurs rapports suggèrent de simplifier. Une autre difficulté majeure résulte de la multiplication des exonérations spécifiques de cotisations sociales qui a pour effet de complexifier le droit de la sécurité sociale, alors même que l'efficacité de ces dispositions est rarement mesurée en raison de la quasi absence d'études d'impact. En outre, malgré la loi organique du 2 août 2005, certaines mesures d'exonération non compensées ont été récemment décidées, dans la loi sur le volontariat associatif par exemple. De ce point de vue, la piste la plus intéressante, qui nécessite cependant une analyse juridique plus détaillée, pourrait être de modifier la loi organique afin de donner un rôle obligatoire et décisif aux lois de financement de la sécurité sociale pour la création de niches sociales. Le même principe pourrait être retenu pour les lois de finances, mais cela nécessite l'accord du Conseil constitutionnel sur la conformité d'une telle procédure à l'article 34 de la Constitution.

M. David Lubek a ensuite évoqué plusieurs scénarii de budgétisation examinés par la mission en particulier du point de vue de leurs incidences financières. S'agissant de l'assurance maladie, la budgétisation ne semble être une option réaliste pour personne dans le cadre actuel. Pour la famille, la budgétisation paraît être en revanche justifiée, à la fois pour les dépenses et pour les recettes. En effet, pour la famille, l'affectation des recettes aux dépenses limite les arbitrages et conduit à un effet pervers sur l'utilisation des excédents de recettes. L'idée sous jacente de la budgétisation est que la branche famille recouvre des prestations universelles, ce qui rend son financement par les salaires contestable tant en terme d'équité que d'efficacité. Le transfert à l'Etat de 40 milliards d'euros de dépenses serait dès lors financé par le « rapatriement » du panier de recettes transféré au titre de la compensation des exonérations de charges et par une légère augmentation de la TVA en contrepartie d'une baisse des cotisations patronales. La budgétisation n'est cependant pas impérative ; un changement de mode de gouvernance permettrait aussi d'atteindre ces objectifs. En tout état de cause, il convient de mettre en cohérence l'ensemble de la politique familiale, par exemple à travers un « jaune budgétaire » qui fournirait une vision cohérente et transversale de cette politique en incluant notamment le quotient familial et les allocations familiales.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir si la constitution de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale est uniquement imputable à une différence de comptabilité entre les deux sphères. Sur la proposition d'une réforme des allocations logement préalable à la définition d'une ligne de partage sur le financeur de ces allocations, il a craint que cela ne conduise en définitive seulement à reporter des décisions pourtant nécessaires. Il s'est enfin interrogé sur le scénario de transfert à l'Etat de 40 milliards d'euros de la branche famille alors que celle-ci engage 50 milliards de dépenses aujourd'hui : il en résulterait une augmentation importante de la TVA, de l'ordre de trois points.

M. André Lardeux s'est déclaré favorable à l'idée d'une budgétisation de la branche famille puisque les objectifs de la politique familiale relèvent d'une politique régalienne de l'Etat mais, au-delà de la question des ressources, se pose le problème de la gouvernance et de l'association des partenaires sociaux et associatifs aux décisions relatives à la famille.

M. Guy Fischer a constaté que la budgétisation de la branche famille entraînerait une diminution voire une suppression des cotisations patronales qui lui sont liées.

M. David Lubek a précisé que la constitution de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale est facilitée par l'existence de la différence de comptabilité entre l'Etat, qui pratique le principe des encaissements-décaissements, et la sécurité sociale, qui a une comptabilité en droits constatés. Toutefois, d'autres raisons expliquent aussi la progression de cette dette.

M. Guy Fischer a souligné que dans ce domaine de la dette comme sur d'autres sujets, la loi de financement de la sécurité sociale est une variable d'ajustement du budget de l'Etat.

M. David Lubek a rappelé que cette dette de l'Etat sera néanmoins constatée en loi de règlement.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a également fait valoir que si les comptes de la sécurité sociale ne sont pas dégradés par cette pratique de l'Etat, sa trésorerie en revanche l'est.

M. David Lubek a reconnu la possibilité d'une forte optimisation budgétaire pour l'Etat puisque même la prise en charge des frais financiers par celui-ci ne représente qu'environ 4 % du montant de la dette. C'est pourquoi la mission a proposé que la norme de progression des dépenses de l'Etat soit dorénavant élargie à sa dette vis-à-vis de la sécurité sociale.

Mme Marguerite Bérard a noté que la mission avait fait des propositions pour éviter la constitution de cette dette, mais, qu'en tout état de cause, cette difficulté n'a aucun impact sur la situation générale des finances publiques au regard des critères de Maastricht.

M. Thomas Wanecq a souligné que la définition de lignes frontières entre les deux sphères de l'Etat et de la sécurité sociale doit répondre plus à des choix de politique publique qu'à des choix théoriques. Pour les aides au logement, deux scénarii sont proposés : le premier avec deux aides, l'une destinée aux familles et financée par la branche famille, la seconde pour les autres publics et financée par l'Etat. Le deuxième scénario prévoit une seule aide au logement, la décision de savoir qui doit la financer, de l'Etat ou de la sécurité sociale, étant assez arbitraire et finalement non fondamentale. En revanche, l'important est d'éviter une multiplication des règles du jeu et surtout de ne pas les changer car l'incertitude a un effet démotivant pour les responsables. Aussi, la création d'une structure destinée à examiner, voire arbitrer, ces transferts de charges pourrait être judicieuse. Un autre exemple peut être cité : celui de l'aide médicale d'Etat (AME), de la couverture maladie universelle (CMU) et de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c). Le plus cohérent serait d'attribuer l'AME à l'Etat, puisque la politique migratoire est une mission régalienne sur laquelle la sécurité sociale n'a aucun moyen de contrôle, mais de confier à la sécurité sociale la CMU et la CMU-c pour des raisons essentiellement pragmatiques. Cela modifierait la ligne de partage actuelle puisque la CMU-c est financée par le budget de l'Etat.

M. Michel Duraffourg a insisté sur le fait que la création de la CMU-c étant avant tout un choix de politique publique, la mission s'est contentée d'examiner cette politique cofinancée et les voies d'amélioration possibles. De même, pour la branche famille, le scénario étudié par la mission est avant tout un scénario financier dont les conséquences sur le réseau et l'organisation des caisses n'ont pas été mesurées.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a reconnu la cohérence de la proposition consistant à transférer la CMU-c à la sécurité sociale. Néanmoins, si l'arbitrage est fait en ce sens, il devra être tenu et les recettes correspondantes nécessaires dûment transférées.

M. David Lubek a ensuite précisé que les dépenses de la branche famille s'élèvent bien à 50 milliards d'euros mais que si l'on en soustrait les dépenses financées par l'Etat, soit 6,7 milliards, et les transferts à la Cnav et au fonds de solidarité vieillesse, il n'en reste plus que 40 milliards. L'équilibre en recettes de la budgétisation de cette somme peut être obtenu de plusieurs façons, en particulier par le recours à la contribution sociale de solidarité sur les sociétés qui serait rapprochée de l'impôt sur les sociétés ou encore par l'utilisation du reliquat disponible des droits sur le tabac. Il est évident que la compatibilité de ce scénario avec les fonctions remplies par les caisses d'allocations familiales devra être regardée de près, même si l'on doit bien constater que l'Etat décide aujourd'hui de la plupart des missions de ces caisses.

M. Thomas Wanecq a observé qu'il n'existe aucune nécessité à baisser les cotisations patronales ou à les transformer en CSG ou en TVA pour mettre en oeuvre la budgétisation de la branche famille. Il a noté, par ailleurs, la forte croissance des allégements de charges sociales entre 2005 et 2006, plus de 10 %, essentiellement liée à l'augmentation du Smic. Or, aucune recette ne peut être assez dynamique pour faire face à de telles augmentations.

M. André Lardeux a souhaité savoir si l'application des préconisations de la mission permettait de dégager des marges de manoeuvre et donc d'améliorer les comptes publics.

Mme Marguerite Bérard a rappelé que la lettre de mission avait un double objet : d'une part, pacifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, d'autre part, favoriser la vision d'ensemble des finances publiques pour permettre les meilleurs arbitrages en dépenses comme en recettes. En effet, une vision consolidée entraînerait une réelle amélioration sur deux points : en rapprochant les diverses catégories de dépenses sur une politique donnée, comme la politique familiale, et en évitant l'effet pervers inflationniste que peut avoir un mécanisme de recettes affectées. Dans le passé, on a en effet constaté un surcroît de dépenses au titre des excédents enregistrés dans la branche famille.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a insisté sur l'exigence de lisibilité et de transparence des dépenses pour chacune des branches de la sécurité sociale.

M. Thomas Wanecq a indiqué que le rapport de la mission n'a pas pour objet de créer des marges de manoeuvre mais de permettre de les identifier, ainsi que de clarifier les arbitrages à rendre.

Audition de M. Jean Luc TAVERNIER, directeur général de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et vice-président du Conseil d'orientation pour l'emploi (mercredi 28 mars 2007)

M. Jean-Luc Tavernier a jugé essentielle une meilleure approche globale des comptes publics pour deux motifs : le pacte de stabilité européen, d'une part, l'existence de transferts entre l'Etat et la sécurité sociale, d'autre part, qui obligent à garantir une présentation consolidée de l'ensemble des finances publiques. La comptabilité nationale permet d'avoir cette approche globale qui se retrouve dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances. Or, ce document apparaît moins détaillé dans le projet de loi de finances pour 2007 que dans celui pour 2006 et ne semble pas être suffisamment exploité par les parlementaires. En particulier, le rapport économique, social et financier contient des prévisions de croissance, puis les réalisations effectives l'année suivante. Or, personne ne relève les différences qui peuvent apparaître d'une année sur l'autre entre les prévisions et leur réalisation. Ainsi, la croissance des dépenses publiques effectivement constatée pour 2005 s'est révélée finalement beaucoup plus élevée en réalisation (+ 2,4 % telle qu'elle apparaît dans le rapport de septembre 2006) qu'en prévision (+1,7 % telle qu'elle figurait dans le rapport transmis au Parlement en septembre 2005, donc avant la fin de l'exercice). Il serait pourtant utile d'établir les raisons du dérapage constaté.

Par ailleurs, s'il existe un rapport sur les prélèvements obligatoires, il est tout à fait regrettable que la représentation nationale ne dispose pas d'un rapport sur la dépense publique.

En conclusion sur ce point, M. Jean-Luc Tavernier a estimé qu'il serait possible, sur la base des chiffres disponibles, de poser plus de questions et d'engager des débats plus approfondis.

Il s'est ensuite déclaré très surpris de la renaissance du débat sur la fusion possible du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sans comprendre les arguments avancés pour la justifier.

Premièrement, la loi de financement de la sécurité sociale constitue un immense progrès en ce qu'elle a permis de lier les politiques sociales et leur financement et d'entraîner une plus grande responsabilisation des ministres concernés, santé et protection sociale.

Deuxièmement, il est faux de vouloir inférer du taux de croissance plus rapide des dépenses sociales une quelconque supériorité de la gouvernance de l'Etat par rapport à la gouvernance de la sécurité sociale. Les dépenses de ces deux entités sont de nature différente : elles sont limitatives pour les dépenses de l'Etat, alors qu'elles constituent un droit de tirage pour la sécurité sociale. Du reste, la supériorité supposée de la gouvernance de l'Etat est battue en brèche par le constat que lorsque l'Etat gère, par dérogation avec le partage précédemment énoncé, des dépenses qui constituent des droits de tirage, par exemple l'allocation adulte handicapé ou le RMI, sa maîtrise de la dépense n'est pas mieux assurée que par les organismes de sécurité sociale. A l'inverse, les dépenses administratives des caisses de sécurité sociale qui ont, elles, un caractère limitatif, sont aussi bien tenues, voire mieux, que les dépenses administratives de l'Etat.

Troisièmement, il existe aujourd'hui une logique forte qui ne saurait être remise en cause dans le fait de financer les risques professionnels et les salaires différés, comme les indemnités journalières et les retraites, par des cotisations sociales assises sur le travail.

Enfin, quatrièmement, si la fusion est justifiée par le souci esthétique de mettre à disposition un seul document couvrant l'ensemble des finances publiques, cette ambition apparaît tout à fait chimérique car le regroupement du budget de l'Etat et de la loi de financement n'engloberait ni la sphère paritaire (retraites complémentaires de l'Agirc et de l'Arrco) ni les finances des collectivités locales.

Du reste, a poursuivi M. Jean-Luc Tavernier , quel serait l'intérêt d'une telle fusion ? Elle aboutirait en effet tout d'abord à étatiser le fonctionnement de la sécurité sociale, et donc à chasser les partenaires sociaux, ce que personne ne semble souhaiter. Si l'on veut être assuré d'avoir un débat sur l'ensemble de la dépense publique, la bonne réponse n'est pas alors dans la fusion mais plutôt dans l'élaboration du document unique précédemment évoqué, dépassant le cadre des lois de finances et de financement.

Si l'objectif de la fusion est d'éviter les conflits de frontière entre loi de finances et loi de financement, il faut reconnaître que les « bisbilles » qu'ils engendrent prennent bien trop de temps alors que le vrai sujet devrait être la maîtrise de la dépense. L'enjeu n'est cependant pas suffisant pour justifier la fusion. L'essentiel est que les arbitrages soient faits et que les intéressés s'y tiennent. La mission commune Igas-IGF a ainsi proposé des solutions pour clarifier les périmètres respectifs des deux projets de loi financiers. En particulier, s'agissant de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale, il existe des solutions faciles qu'il suffit d'adopter.

Enfin, si l'intérêt recherché dans la fusion est de permettre à tout moment de faire de la régulation budgétaire, cela n'apparaît ni souhaitable ni possible dans la mesure où les dépenses de sécurité sociale ne sont pas limitatives.

En outre, deux inconvénients majeurs pourraient résulter de la fusion au regard de l'objectif de maîtrise de la dépense sociale et, en son sein, de la dépense d'assurance maladie qui est la plus dynamique. Il est tout d'abord vital d'identifier un solde financier pour chaque branche de la sécurité sociale, dans un souci pédagogique à l'égard des assurés. Il est ensuite indispensable que des dépenses spontanément dynamiques, comme celles de l'assurance maladie, soient financées par une ressource clairement identifiée. En l'absence d'une telle ressource, les pouvoirs publics perdent un levier d'action essentiel, notamment dans le cadre des négociations avec les professionnels de santé.

Pour conclure sur ce point, M. Jean-Luc Tavernier a estimé que la branche vieillesse, les indemnités journalières et le chômage doivent continuer d'être alimentés par des cotisations et la branche maladie par des prélèvements affectés. La question reste ouverte en revanche pour la branche famille. Il est vraisemblable que si l'on devait mettre en place cette branche aujourd'hui, on ne le ferait pas dans les mêmes conditions qu'en 1945 avec une ressource assise sur les revenus du travail. En théorie, il serait possible de rebattre les cartes et de prévoir pour cette branche un financement budgétaire, même si les dépenses correspondantes n'ont pas de caractère limitatif.

Il faut cependant tenir compte du fait que l'organisation de la sécurité sociale repose sur un équilibre syndicalo-politique et qu'il faudrait beaucoup de courage, voire même un brin d'irréalisme, pour s'attaquer à cet équilibre.

Il a posé la question du caractère inéluctable d'une fiscalisation progressive des recettes de la protection sociale. Quatre phénomènes sont propres à susciter ce mouvement : en premier lieu, la substitution de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA) aux cotisations sociales, conformément au voeu exprimé par le Président de la République en janvier 2006 ; deuxièmement, le transfert de recettes fiscales en compensation d'exonérations, comme cela a été fait par exemple en 2006 avec l'attribution d'un panier de neuf taxes à la sécurité sociale en compensation d'exonérations générales ; troisièmement, la recherche de recettes nouvelles pour tenir compte du fait que les dépenses de protection sociale progressent à un rythme plus rapide que la richesse nationale ou que la masse salariale ; enfin, même si ce point peut paraître anecdotique, le fait que l'Etat consente à financer les intérêts de la dette contractée à l'égard des organismes de protection sociale, ce qui l'a obligé à affecter à ceux-ci une fraction des recettes des droits sur les tabacs.

Revenant sur le débat lancé par le Président de la République sur l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, M. Jean-Luc Tavernier a indiqué, cette fois en sa qualité de vice-président du conseil d'orientation pour l'emploi (COE), que la cotisation sur la valeur ajoutée recueille en l'état un profond scepticisme. Les deux arguments traditionnellement avancés pour défendre la CVA n'apparaissent pas, à l'examen, suffisamment convaincants.

Le premier argument consiste à souligner la baisse tendancielle de la part des salaires au sein de la valeur ajoutée et l'accroissement concomitant du poids des profits qui justifierait que ceux-ci soient plus taxés qu'ils ne le sont actuellement. Or, cette affirmation s'appuie sur des courbes démarrant au début des années 1980 au moment où la part des salaires avait atteint un point haut tout à fait conjoncturel pour des motifs liés au choc pétrolier des années soixante-dix. En réalité, sur le long terme comme sur le court terme, le partage salaire-profit au sein de la valeur ajoutée apparaît extrêmement stable.

Le second argument est celui selon lequel une assiette sur la valeur ajoutée aurait un effet favorable sur l'emploi dans la mesure où elle transférerait une partie des charges sociales sur les profits. Cette analyse est sans doute exacte à court terme et la mise en place d'une CVA pourrait conduire à créer quelques dizaines de milliers d'emplois supplémentaires. A long terme en revanche, il apparaît tout à fait présomptueux de vouloir taxer l'assiette la plus mobile qui a toutes les chances de pouvoir s'évader. En réalité, les emplois gagnés à court terme risquent d'être perdus du fait de la chute de la productivité et du taux de progression de la richesse nationale.

Si les arguments en faveur de la CVA apparaissent ainsi peu convaincants, sa mise en place poserait en outre un certain nombre de problèmes. En premier lieu, des complications administratives sont à prévoir avec une nouvelle assiette, de nouvelles obligations déclaratives et de nouveaux circuits de recouvrement. Ensuite, les risques d'évasion d'assiettes sont réels, ouvrant un chantier considérable pour les cabinets d'experts en optimisation fiscale.

Enfin, le ratio masse salariale sur valeur ajoutée apparaît très variable d'une entreprise à l'autre et d'un secteur économique à l'autre. L'institution d'une CVA créera ainsi des gagnants, mais aussi des perdants, y compris au sein d'une même branche économique.

Les difficultés soulevées expliquent le caractère très nuancé du rapport du COE qui a également exprimé de fortes réserves sur les autres solutions proposées, notamment la modulation du taux de prélèvement en fonction du ratio masse salariale sur valeur ajoutée, ou encore la mise en place d'un coefficient emploi sur activité, lequel revient en réalité à une taxation du chiffre d'affaires.

M. Jean-Luc Tavernier a estimé cependant que deux pistes méritent d'être explorées : la première consisterait à supprimer les niches sociales, c'est-à-dire l'ensemble des exonérations, en contrepartie d'un taux de prélèvement faible portant sur une assiette la plus large possible ; la seconde solution est la TVA sociale. Contrairement à la CVA, qui entraînerait des transferts mal maîtrisés entre entreprises, la TVA sociale allège le producteur en reportant le coût sur le consommateur.

Dans une conception « angélique », la TVA sociale n'engendrera pas d'inflation car les producteurs et les détaillants baisseront leur marge. On ne constate cependant que l'Allemagne, qui a mis en place ce mécanisme, subit actuellement un peu d'inflation. Si une répercussion n'est pas possible sur les marges commerciales, il faudra donc accepter que ce soit le consommateur qui paie, et donc tolérer un peu d'inflation. Ceci se traduira par une baisse du pouvoir d'achat dans la mesure où il ne sera vraisemblablement pas possible de relever les salaires.

Il a ensuite souligné le coût en gestion des exonérations qui s'ajoute à leur coût en trésorerie pour l'Acoss, citant en exemple l'exonération « gazelle », c'est-à-dire le décalage de douze mois du paiement des cotisations sociales prévues par la loi de finances pour 2007 pour les entreprises super innovantes. De ce point de vue, le foisonnement actuel des exonérations a atteint un seuil critique pour l'Acoss qui doit les gérer.

Puis il est revenu sur l'idée de financements additionnels dans la mesure où l'on prendrait acte du fait que les dépenses de protection sociale progressent plus rapidement que celle du PIB. En ce qui concerne les retraites, il n'est pas possible d'envisager d'autres ressources que les cotisations. S'agissant de l'assurance maladie, il est tout à fait possible de concevoir que les dépenses seront contenues au niveau de la hausse du PIB. Il conviendrait d'avoir à tout le moins l'ambition d'éviter de recourir à des financements supplémentaires. En ce cas, un financement additionnel ne serait pas indispensable.

Au final, il n'existe donc aucune raison pour que les quatre phénomènes justifiant une fiscalisation accrue du financement de la protection sociale connaissent une expansion, sauf peut-être en ce qui concerne la TVA sociale. En tout état de cause, si la fiscalisation devait effectivement se développer, rien ne justifierait qu'elle s'accompagne parallèlement d'une budgétisation de la sécurité sociale. Si l'on s'en tient au transfert du panier de neuf taxes prévu pour la compensation des exonérations générales, celui-ci apparaît non comme une budgétisation, mais au contraire comme un facteur de cloisonnement entre le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale.

Abordant ensuite la question du rôle des partenaires sociaux, M. Jean-Luc Tavernier a estimé que la démocratie sociale dans son fonctionnement n'apparaît pas parfaite, mais qu'elle reflète malgré tout un certain équilibre.

Si les caisses sont formellement saisies des textes qui les concernent, cette règle est cependant largement contournée. Pour ne s'en tenir qu'à l'Acoss, seul un tiers des dispositions adoptées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ont été soumises à son examen en septembre 2006, avant l'examen du projet de loi par le Parlement. Les deux tiers manquants correspondent à des mesures adoptées dans le projet de loi de finances, notamment l'affectation d'une recette tabac pour le financement des frais de trésorerie produits par la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale ; de nombreux dispositifs ont également été pris sous forme d'amendements, en principe d'origine parlementaire, mais dont certains avaient été en fait suggérés par le Gouvernement.

Sur la question des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, il a fait observer que la dette du premier à l'égard de la seconde s'est encore accrue d'un milliard d'euros en un an, passant de 5 à 6 milliards entre le début de 2006 et le début de 2007. Cette dette devrait en principe apparaître dans le bilan d'ouverture de l'Etat, conformément à l'engagement pris par écrit par les ministres concernés auprès de l'Acoss.

Il convient cependant d'observer que, sur le milliard d'euros d'accroissement de la dette sociale, 600 millions d'euros proviennent de la non-compensation d'exonérations. Cette anomalie est rendue possible par les différences qui affectent les règles comptables du budget de l'Etat et de la sécurité sociale. En effet, la loi de finances est établie en comptabilité de caisse, ce qui autorise une sous-budgétisation des postes de dépenses correspondant aux compensations d'exonérations de cotisations et de contributions sociales, afin de respecter la norme de dépenses imposée à l'Etat. A cela s'ajoute le fait que certains responsables de programmes disposant de crédits fongibles sacrifient délibérément les engagements financiers qu'ils ont à l'égard de la sécurité sociale afin d'assurer le financement d'autres mesures qu'ils jugent prioritaires. A titre d'exemple, au cours de l'été 2006, une administration a ainsi prévenu du jour pour le lendemain qu'elle n'acquitterait pas la somme de 200 millions d'euros d'exonérations dont elle était pourtant redevable à l'égard de la sécurité sociale.

Cette technique est rendue possible par le fait qu'en face, la sécurité sociale fonctionne pour sa part selon une comptabilité en droits constatés, qui a pour résultat que les défaillances de l'Etat ne pèsent pas, optiquement, sur l'équilibre de ses comptes. En effet, les compensations d'exonérations, même non payées par l'Etat sont bien inscrites en recettes et ne viennent pas accroître le déficit de la sécurité sociale.

Abordant enfin les questions de gouvernance de la sécurité sociale, M. Jean-Luc Tavernier a réitéré son souhait d'un rapport général transversal sur la dépense publique. Il a reconnu le caractère indigent de l'annexe à la loi de financement de la sécurité sociale et a jugé scandaleuse l'absence d'obligation d'étude d'impact, ce qui est pourtant une exigence minimale de la démocratie.

Il a en revanche estimé que l'annexe 8 sur les comptes des organismes concourant au financement de la sécurité sociale ou financés par la sécurité sociale n'est pas à franchement parler défaillante.

Avouant son scepticisme initial, il a reconnu que le comité d'alerte créé par la loi d'août 2004 sur l'assurance maladie fonctionne bien. Ce comité a un sens pour la branche maladie dans la mesure où il est possible de prendre des mesures de redressement. La proposition consistant à l'étendre à la vieillesse et à la famille est en revanche plutôt contestable. S'agissant en particulier de la branche famille, les seules surprises en exécution peuvent venir d'une démographie plus forte que prévu et la seule masse financière sujette à des variations est celle du fonds d'action sociale qui, il est vrai, rencontre des problèmes ces dernières années. L'intérêt de la mise en place d'un comité d'alerte dans ce cas apparaît cependant faible.

D'autres pistes peuvent être explorées. On pourrait ainsi imaginer que le débat d'orientation qui se tient en juin débouche sur la définition d'objectifs de dépenses publiques qui s'imposeraient autant à la loi de finances qu'à la loi de financement de la sécurité sociale. Ce débat acquerrait ainsi un caractère plus normatif qu'aujourd'hui.

Il serait, par ailleurs, souhaitable que l'ensemble des documents budgétaires et annexés à la loi de financement comporte un éclairage permettant d'expliquer les écarts entre les prévisions de croissance et les réalisations. Par exemple, en matière de dépenses de retraite, il serait intéressant de savoir quelle est la part de la décote dans les dérapages constatés.

Enfin, M. Jean-Luc Tavernier a proposé que l'article de la loi de financement de la sécurité sociale fixant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) soit suivi automatiquement d'un autre article fixant « à froid » les mesures qui seront mises en oeuvre en cas de dérapage en cours d'exercice.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité plus de détails sur les modalités de budgétisation éventuelle de la branche famille.

Il a également souligné la multiplication des exonérations de cotisations ou de contributions sociales décidées hors loi de financement et sans qu'une compensation soit prévue, et donc en infraction avec les dispositions de la loi organique. Cette pratique de plus en plus répandue fausse la qualité des soldes votés en loi de financement.

M. Jean-Luc Tavernier a indiqué que l'Acoss n'a pas d'intérêt particulier au maintien des excédents de la branche famille dans le giron de la sécurité sociale dans la mesure où les trésoreries des différentes branches font l'objet de gestion séparée depuis 1994. En fait, la mesure la plus intelligente pour utiliser l'excédent structurel dont bénéficie cette branche consisterait peut-être à lui transférer le financement des avantages non contributifs actuellement à la charge de la branche vieillesse. Ce serait d'ailleurs là un argument pour conserver la famille au sein de la sécurité sociale.

S'agissant des exonérations, il s'est déclaré favorable à ce qu'elles ne puissent être votées qu'en projet de loi de financement. Il a partagé l'analyse de M. Alain Vasselle sur la nécessité d'accompagner les textes par des études d'impact, évoquant le rapport Lasserre qui préconise la généralisation de ce type d'étude, à l'instar de ce qui se fait en Grande-Bretagne.

Au terme d'un débat auquel ont participé MM. Alain Vasselle, rapporteur, Guy Fischer, André Lardeux et Pierre Bernard-Reymond , il a souligné la difficulté pratique que soulèverait la proposition de la mission Igas-IGF en faveur de l'adoption simultanée lors du même Conseil des ministres des projets de loi de finances et de financement, dans la mesure où ce dernier fait l'objet d'un avis préalable des conseils d'administration des caisses.

Il a indiqué qu'en sa qualité de directeur de l'Acoss, il n'a aucun contact professionnel avec la commission de Bruxelles, mais qu'il en a eu beaucoup à l'époque où il était directeur de la prévision.

Sur la question de la gouvernance, enfin, il s'est déclaré satisfait des conventions d'objectifs et de gestion (Cog) et a réclamé une annexe pluriannuelle plus fouillée permettant de mieux structurer les débats parlementaires.

Audition de M. Rémi PELLET, avocat en droit social (mercredi 28 mars 2007)

M. Rémi Pellet a considéré qu'il est très difficile de combiner une approche globale des finances publiques tout en conservant un niveau suffisant de détails. L'agrégat des comptes publics est certes une exigence du droit communautaire, mais cet impératif de consolidation ne doit pas entraîner une disparition des détails. De ce point de vue, la création des lois de financement de la sécurité sociale contenant des équilibres de branche est un progrès. Peut-être conviendrait-il d'aller plus loin et d'élaborer un document dans lequel les prélèvements obligatoires seraient distingués en deux catégories : ceux avec une contrepartie individualisable et ceux sans contrepartie individualisable.

Actuellement, les prélèvements obligatoires sont perçus comme écrasants. Or, cette notion de prélèvement obligatoire est typiquement française et n'apparaît pas pertinente. S'il est courant de critiquer le poids de ces prélèvements ou de promouvoir un alignement sur la moyenne européenne de ces prélèvements, il ne faut pas oublier que les comparaisons internationales sont délicates en raison des différences de périmètre de cette notion. Par exemple, aux Etats-Unis, les prélèvements obligatoires sont d'un montant très inférieur aux prélèvements français mais ils ne comprennent pas les sommes versées aux assureurs privés au titre des assurances médicales. De fait, en France, l'augmentation des prélèvements obligatoires a le plus souvent été acceptée dès lors qu'elle faisait l'objet d'une contrepartie telle que l'accroissement de la prise en charge des soins ou l'augmentation des prestations familiales. Cette présentation distinguant les prélèvements obligatoires avec une contrepartie individualisée (maladie, vieillesse, famille, etc.) et les prélèvements obligatoires sans contrepartie individualisée, c'est-à-dire servant à la couverture des besoins collectifs, ne recoupe pas parfaitement le partage entre budget de l'Etat et loi de financement de la sécurité sociale. Par exemple, les pensions des fonctionnaires figurent dans la masse des crédits du budget de l'Etat.

Puis M. Rémi Pellet a estimé que la séparation entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale revêt de nombreux avantages. Tout d'abord, elle lève le grief d'étatisation concernant la sécurité sociale. Certes, dès 1945, l'Etat a été compétent et présent en matière de sécurité sociale, les partenaires sociaux n'ayant jamais vu leurs compétences aller au-delà de la détermination des budgets administratifs des caisses ou de l'action sociale de celles-ci. De fait, l'essentiel des décisions ont toujours été prises par le gouvernement par la voie réglementaire. L'instauration du projet de loi de financement de la sécurité sociale a cependant, en quelque sorte, « parlementarisé » la sécurité sociale et a donc permis sa désétatisation, ce qui a constitué un réel progrès. Grâce à l'existence de deux lois, il y a moins de risques de détournement des ressources de la protection sociale et de mainmise au bénéfice du budget de l'Etat.

Un deuxième avantage de l'existence de deux textes distincts est de préserver l'application de règles différentes au sein des deux sphères financières. Ainsi, le principe de l'universalité et de la non-affectation des recettes aux dépenses qui s'applique au budget de l'Etat peut être conservé. En revanche, le principe de l'affectation des recettes aux dépenses en matière de sécurité sociale a été renforcé, notamment grâce à la dernière loi organique du 2 août 2005. Ce principe d'affectation, qui découle de la logique assurantielle, permet de repérer le déficit là où il existe. La fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale rendrait extrêmement difficile la cohabitation de logiques aussi différentes.

Le rôle des partenaires sociaux peut être différencié selon les branches. En matière assurantielle, le financement des prestations repose sur des cotisations assises sur le travail, ce qui confère une légitimité indéniable à la participation des partenaires sociaux à leur gestion. Pour ce qui est de l'assurance maladie, il faut distinguer les indemnités journalières qui représentent 10 % des dépenses de la branche et relèvent de cette logique assurantielle, ce qui justifierait une autonomisation de cette sous-branche. Ainsi, on pourrait, comme pour le régime agricole, maintenir le caractère obligatoire de l'assurance arrêt de travail tout en permettant à l'employeur de choisir l'assureur. Néanmoins, il subsiste le problème tenant au fait que les indemnités journalières sont couvertes aujourd'hui par une cotisation de 0,75 % déplafonnée alors que le montant de la prestation est, lui, plafonné.

M. Rémi Pellet a ensuite souligné le caractère contestable de la distinction entre retraite de base et retraite complémentaire, l'affiliation à ces dernières étant obligatoire depuis 1972. Il y aurait, en effet, une réelle légitimité à soumettre ces régimes complémentaires au contrôle du Parlement et à les inclure dans le champ de la loi de financement. C'est pourquoi on pourrait imaginer de transférer aux partenaires sociaux également la gestion effective du régime de base de l'assurance vieillesse en soumettant les accords conclus à l'agrément des pouvoirs publics. A l'inverse, il conviendrait de soumettre dorénavant à un tel agrément les accords conclus en matière de régimes complémentaires. Un tel système renforcerait l'implication des partenaires sociaux. Il faut toutefois savoir que des propositions totalement différentes sont faites par un certain nombre d'experts qui préconisent la mise en place d'un système de retraite par points entièrement géré dans une logique de solidarité et ne laissant donc aucune place aux partenaires sociaux.

En matière d'assurance santé, le rôle de ces derniers est plus complexe à légitimer. Aujourd'hui, le Medef lui-même s'interroge sur son rôle dans ce domaine où une très large part des dépenses lui échappe, en particulier les dépenses hospitalières. D'un autre côté, la gestion des conventions médicales se fait par négociation avec les syndicats des médecins.

M. Rémi Pellet s'est déclaré favorable à une régionalisation du système d'assurance maladie avec un processus de conventionnement régional, la définition d'objectifs de planification médicale sur les différentes parties du territoire, éventuellement de réelles incitations à s'installer dans les zones les moins dotées grâce au versement de primes. Enfin, la récente loi relative au dialogue social, actuellement limitée au champ des relations du travail, pourrait être étendue aux questions de santé voire de vieillesse ou à d'autres sujets sociaux.

Interrogé sur l'importance qu'il convient d'accorder au principe de « droits acquis par le travail », il a souligné l'ambiguïté de la question posée. Il est difficile, en matière de protection sociale, de parler de droits acquis, alors que les règles font l'objet d'une renégociation permanente, comme c'est le cas en particulier pour les retraites. S'agissant des retraites complémentaires, la Cour de cassation a ainsi estimé que la valeur du point peut être librement revue, même si le nombre de points dont bénéficie le cotisant constitue un droit acquis. Cette question est très sensible car elle touche aux arbitrages entre ceux qui cotisent et les inactifs, avec le risque que ces arbitrages soient faits au détriment de ces derniers. On ne peut exclure une intervention de la Cour européenne des droits de l'homme sur ce point qui aurait pour effet de mieux protéger certains droits ouverts dans une optique patrimoniale de ces droits. Peut-être le rôle des pouvoirs publics serait-il également d'intervenir dans le domaine des retraites complémentaires pour affirmer l'existence de droits acquis afin de protéger les retraités ?

Puis il a indiqué que des mouvements de fiscalisation et de budgétisation de la sécurité sociale recouvrent deux notions très différentes et relativement fluctuantes comme en témoigne par exemple la procédure suivie pour la compensation des exonérations de charges sociales.

Sur la question du meilleur mode de financement de la protection sociale, seuls les économistes peuvent donner une opinion avisée. L'avis du juriste ne peut donc que se limiter à relever le problème de clé d'affectation que ne manquerait pas de poser une éventuelle répartition de la recette nouvellement créée entre différentes branches. Une telle difficulté pourrait intervenir si la piste de la TVA sociale était retenue et si l'on décidait d'affecter son produit à plusieurs régimes. Pour le coup, une budgétisation complète des branches concernées pourrait se justifier, ce qui conduit à se montrer très réservé sur le sujet. De ce point de vue, la CSG ne pose pas ce type de problème dans la mesure où elle est recouvrée par trois organismes distincts respectant une clé de répartition préétablie.

Il est envisageable de budgétiser la santé et la famille et de laisser aux partenaires sociaux la responsabilité de l'assurance vieillesse et des indemnités journalières. En ce cas, cependant, il faudra impérativement créer une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat et externaliser les dépenses correspondantes, ce qui supposera de définir des recettes. Une telle mesure aurait l'avantage de rendre plus lisible l'effort de cotisation des fonctionnaires et de permettre des comparaisons avec les autres régimes.

S'agissant du contrôle et de la gestion des caisses, M. Rémi Pellet a fait part de son expérience, constatant que ce contrôle est aujourd'hui important mais lourd et mal ciblé. L'enjeu n'est pas de l'alourdir encore, mais bien plutôt d'accentuer la fonction de contrôle des caisses elles-mêmes et donc de les aider à améliorer leurs performances dans ce domaine, tant la fraude reste massive.

Il s'est déclaré favorable à la mise en place d'un équivalent de l'Ondam pour définir le taux d'effort des cotisants à la branche vieillesse, ainsi que pour la partie indemnités journalières de la branche maladie.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité avoir une précision sur la manière de concilier le maintien de la distinction entre projet de loi de finances et projet de loi de financement tout en individualisant les pensions des fonctionnaires de l'Etat. Par ailleurs, il a demandé si le fait de basculer la famille et la maladie vers la solidarité signifie que tout le reste de la protection sociale relève d'une logique assurantielle.

M. Rémi Pellet a insisté sur la nécessaire transparence et lisibilité des dépenses de pension des fonctionnaires qui selon lui justifierait une caisse spécifique à l'image de ce qui existe pour les collectivités territoriales.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir s'il n'existe pas d'inconvénient à budgétiser les 90 % des dépenses d'assurance maladie.

M. Rémi Pellet a indiqué que l'importance de la fiscalité affectée à la maladie représente déjà une forme de budgétisation. Le problème majeur aujourd'hui est que le financeur - à savoir l'assurance maladie - ne contrôle pas la moitié des dépenses qui lui incombent, c'est-à-dire ce qui concerne les hôpitaux pour lesquels les décisions sont prises par l'Etat et les agences régionales d'hospitalisation (ARH). Il y aurait d'ailleurs une réelle légitimité à créer une unité de trésorerie entre les hôpitaux et les finances sociales, alors que la trésorerie des hôpitaux est aujourd'hui confiée au Trésor public.

M. Dominique Leclerc a estimé que l'analyse de M. Pellet sur la distinction entre les lois de finances et de financement conforte sa propre opinion d'une nécessaire séparation. La logique de branche n'exige pas forcément des règles de gouvernance identiques. En matière de vieillesse, le problème de la transparence est fondamental, en particulier sur les pensions de l'Etat, afin d'atteindre une meilleure équité et un minimum de règles communes.

M. Rémi Pellet a considéré que le document retraçant comptablement l'équilibre du régime des fonctionnaires de l'Etat est un véritable acquis de la dernière loi organique relative aux lois de financement. Toutefois, il demeure nécessaire de normaliser ce régime et il est clair que seul un système de caisse permettra de bien identifier les équilibres.

M. André Lardeux a souhaité savoir si le raisonnement suivi est applicable à la branche famille. Il s'est interrogé sur les conséquences d'une distinction entre des prélèvements obligatoires non affectés et des prélèvements obligatoires individualisables, celle-ci risquant, si le raisonnement était poussé à son terme, de justifier une distinction entre dépenses incompressibles qui devraient être prises en charge collectivement et dépenses de nature assurantielle qui seraient à la charge des individus.

M. Rémi Pellet s'est élevé contre le raisonnement selon lequel la fiscalisation est l'antichambre de la budgétisation. Il a rappelé l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes de 1999 sur les fonds de pension néerlandais qui a confirmé la possibilité d'instituer, en matière de retraite, un système de monopole public fondé sur la capitalisation dès lors que ce système inclut des mécanismes de solidarité. Le fait d'opérer une distinction entre l'assurance et la solidarité ne signifie donc pas qu'il y a privatisation du risque couvert.

S'agissant de la famille, aucune raison ne justifie un financement par les cotisations patronales. La question est de savoir quelle recette fiscale peut être utilisée. La CSG est sans doute la recette qui serait la plus adaptée à la famille tandis que la TVA pourrait s'appliquer à la maladie.

M. Guy Fischer a souhaité avoir plus de détails sur les propositions en matière de régionalisation de l'assurance maladie.

M. Rémi Pellet a indiqué qu'il s'agirait de régionaliser les dépenses et non les recettes de l'assurance maladie. L'exemple catastrophique de l'Italie où l'on a régionalisé les recettes et institué un mécanisme de péréquation en permanence contesté conduit à maintenir un système centralisé de recettes. En revanche, pour la dépense, certaines régions sont réellement déshéritées et il conviendrait de mieux planifier les objectifs et de développer les mécanismes incitatifs à l'échelon local, en faisant même - pourquoi pas - intervenir les conseils économiques et sociaux régionaux.

Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) (mercredi 28 mars 2007)

Abordant la question de l'approche globale des comptes publics, Mme Danièle Karniewicz a considéré que l'approche différenciée des comptes de l'Etat et des comptes sociaux n'est pas source de confusion. En ce qui concerne plus précisément la sécurité sociale, le suivi assuré par les services des caisses nationales, par l'Etat et par le Parlement permet de garantir la bonne gestion des comptes. L'approche globale des déficits, demandée au niveau de l'Union européenne, peut donc être assurée dans le cadre du système actuel.

Elle s'est déclarée opposée à la fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale car la sécurité sociale, notamment sa branche vieillesse, reste financée par des cotisations sociales. Ainsi 80 % des fonds de la Cnav proviennent des cotisations et les pensions versées constituent une forme de revenu différé.

De plus, la sécurité sociale assure la couverture de risques pour lesquels les assurés cotisants peuvent s'ouvrir des droits individuels, alors que les dépenses financées par l'Etat constituent des engagements collectifs, qui peuvent varier au gré des gouvernements.

Elle a également rejeté la possibilité d'appliquer aux dépenses de la sécurité sociale les principes d'enveloppes limitatives fermées applicables au budget de l'Etat. Selon elle, la fusion des lois de finances et des lois de financement porterait un coup fatal au paritarisme dans la gestion de la sécurité sociale.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, Mme Danièle Karniewicz a confirmé qu'ils gardent toute leur légitimité pour gérer la sécurité sociale, à la double condition d'une réforme du système de la représentativité syndicale et d'une obligation - notamment pour le patronat - de participer à la démocratie sociale.

Abordant la notion de « droits acquis par le travail », il lui a paru important de préserver le double caractère contributif et redistributif de la sécurité sociale française, notamment dans le domaine de la retraite. La nature contributive des pensions garantit l'adhésion de tous, quel que soit le niveau de revenu, au fonctionnement du régime général, tandis que les mécanismes redistributifs, comme le minimum contributif, la validation des périodes de chômage ou de maladie ou encore les majorations de pensions pour enfants, en assurent l'équité. Elle en a conclu que les droits au régime général, contrairement à ceux des régimes complémentaires, ne peuvent pas être assis exclusivement sur les droits acquis par le travail.

S'agissant du financement de la protection sociale , Mme Danièle Karniewicz est favorable à un élargissement de son assiette, afin de faire peser cette charge sur d'autres ressources que les seuls salaires et d'assurer un meilleur dynamisme général des recettes de la sécurité sociale. Un tel élargissement devrait toutefois se faire de façon différenciée selon les branches : un financement par l'impôt se justifie pour la branche famille et pour une partie importante des dépenses d'assurance maladie, alors qu'il importe de préserver une prépondérance des cotisations sociales dans le financement des retraites. L'élargissement de l'assiette de financement devrait vraisemblablement s'opérer par le biais de la création d'une forme de TVA sociale.

Il ne faut pas confondre système contributif et système assurantiel : le propre de la sécurité sociale française, qui est sans aucun doute un système contributif, est de reposer sur une logique assurantielle mâtinée de solidarité. Vouloir à tout prix poser une distinction stricte entre droits contributifs financés par le système assurantiel et solidarité financée par l'impôt risque de conduire à une forme de sélection des risques entre « bons cotisants » confiés au secteur privé et « mauvais cotisants » relevant de la sphère publique. D'ailleurs, en matière de retraite, le recours à l'épargne individuelle comme solution au problème du vieillissement démographique est un leurre : cette solution est sans aucun doute favorable au financement des entreprises mais pas au pouvoir d'achat des futurs retraités. Elle a donc réaffirmé son attachement au système de la retraite par répartition.

Elle a également plaidé pour une plus grande transparence des comptes sociaux, notamment en ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite. L'absence d'information des Français sur le niveau de financement des régimes spéciaux par le régime général n'est pas une chose normale. Au moment où l'on demande aux salariés du secteur privé des efforts supplémentaires pour équilibrer leur régime de retraite, ils doivent savoir que ces efforts visent en réalité en grande partie - à travers la compensation démographique ou les mécanismes d'adossement - à rééquilibrer d'autres régimes dont les cotisants ne sont, eux, pas sollicités dans les mêmes proportions.

Abordant enfin la question de la gouvernance, Mme Danièle Karniewicz a estimé que le système des rendez-vous quadriennaux mis en place depuis la réforme des retraites de 2003 permet une gestion prévisionnelle efficace de la branche vieillesse. Elle a donc repoussé la création d'un comité d'alerte inspiré de celui mis en place pour l'assurance maladie, estimant qu'une telle instance n'est pas adaptée au cas de la branche vieillesse.

M. Dominique Leclerc a confirmé les incertitudes qui pèsent sur l'avenir des retraites et regretté que cet état de fait reste mal connu des Français, la plupart pensant que la réforme de 2003 a réglé définitivement ce problème.

Le financement de la branche vieillesse doit continuer à reposer sur une logique contributive. On doit toutefois souligner l'importance des droits dérivés, notamment des majorations de pension pour enfants qui concernent 80 % des Françaises et représentent 30 % du montant de leurs pensions.

L'information sur le financement des régimes spéciaux de retraite doit être plus transparente : les Français doivent être conscients que ces régimes bénéficient largement de la solidarité de l'impôt alors que l'équilibre du régime général repose sur les seuls efforts d'adaptation des pensions des salariés du secteur privé. Il est donc indispensable d'assurer un socle commun à l'ensemble des régimes.

Mme Danièle Karniewicz a souligné que le principe de solidarité intergénérationnelle sur lequel repose le régime par répartition devient de moins en moins crédible pour les jeunes générations, puisqu'on leur demande de travailler plus sans pouvoir leur garantir un taux de remplacement décent lorsque eux-mêmes prendront leur retraite. Cette perte de crédibilité explique que beaucoup risquent de se tourner vers l'assurance privée, ce qui ne fera finalement que des perdants. C'est la raison pour laquelle il faut un engagement clair en matière de taux de remplacement afin d'éviter la fuite des cotisants vers le privé. C'est à ce prix que les salariés pourront accepter un effort supplémentaire en faveur du régime général.

M. André Lardeux a souhaité savoir quel est le niveau de prélèvement obligatoire souhaitable pour financer les retraites sachant que celui-ci s'établit d'ores et déjà aujourd'hui à 12,5 % du PIB.

Mme Danièle Karniewicz a expliqué que le taux de prélèvement obligatoire affecté à la branche vieillesse ne retrace pas l'intégralité de l'effort consenti par chaque Français pour financer sa retraite en raison de l'existence d'une épargne privée. Certaines entreprises ont une attitude incohérente lorsqu'elles refusent toute augmentation des prélèvements en faveur du régime général mais acceptent d'abonder des régimes d'assurance privée. Il faut afficher un objectif décent de taux de remplacement par rapport au dernier salaire car le cumul emploi-retraite ne peut pas être la solution à la faiblesse actuelle de ce taux.

M. Guy Fischer a dénoncé les inégalités sans précédent dans la répartition des richesses et les perspectives offertes aux travailleurs de cotiser plus pour toucher moins. Le cumul emploi-retraite est un recul social et il est choquant d'observer la « financiarisation » de la protection sociale et les chiffres d'affaires colossaux de l'assurance-vie et de la prévoyance. On ne peut passer sous silence la situation des personnes qui ont vécu grâce aux minima sociaux ou qui ont cotisé sur des salaires très faibles et qui touchent ensuite des pensions modiques, souvent proches du minimum vieillesse. En comparaison, les salariés des grands groupes font figure de privilégiés car ils bénéficient d'accords collectifs plus favorables.

Mme Danièle Karniewicz a expliqué que pour contenir le niveau des prélèvements obligatoires, on a progressivement abaissé le minimum garanti aux retraités et le niveau général des pensions. Mais l'effort individuel nécessaire pour maintenir le pouvoir d'achat à la retraite reste identique puisque chacun doit épargner dans cette perspective. Le débat sur les prélèvements obligatoires doit donc tenir compte de cet effort global en faveur des retraites.

M. Alain Vasselle, rapporteur , s'est interrogé sur l'élargissement du financement des retraites par la CSG et a voulu savoir si la distinction entre dépenses relevant de l'assurance obligatoire et dépenses de solidarité reste pertinente. Il a également plaidé pour un renforcement des moyens du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Il a demandé si la Cnav dispose d'études économiques précises sur les fonds consacrés par les Français à l'assurance privée. Il serait en effet intéressant de savoir si le rapatriement de ces sommes vers le régime général réglerait réellement le problème de la pérennisation du financement des retraites. La même question se pose s'agissant des effets d'un alignement des régimes spéciaux.

Mme Danièle Karniewicz a estimé que les cotisations sociales doivent rester prépondérantes dans le financement des retraites, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour la branche famille ou pour l'assurance maladie. La TVA sociale, parfois envisagée comme nouvelle recette pour le financement de la sécurité sociale, présente toutefois l'inconvénient de peser plus fortement sur les catégories sociales les plus faibles.

La Cnav a engagé des travaux sur les efforts d'épargne privée des Français et leur impact sur le taux de remplacement mais l'exhaustivité de ces études se heurte à des problèmes de transmission d'information entre le régime général et l'association générale des institutions de retraite des cadres - association des régimes de retraite complémentaire (Agirc Arrco). Une des pistes de travail pour l'amélioration du taux de remplacement pourrait être d'autoriser les assurés à cotiser au-delà du taux d'appel.

En tout état de cause, la répartition offre potentiellement plus de perspectives que la capitalisation : le rendement des cotisations aux régimes complémentaires atteint, en effet, encore aujourd'hui 7 % alors que le rendement des retraites par capitalisation n'est supérieur que de deux points à la progression du PIB.

Audition de M. Philippe GEORGES, directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) (mercredi 28 mars 2007)

M. Philippe Georges s'est dit sensible à l'idée d'une approche globale des comptes publics, estimant que les distinctions entre comptes de l'Etat et comptes de la sécurité sociale sont peu compréhensibles pour les citoyens. Une approche globale leur permettrait de se réapproprier les débats sur les déficits publics. En revanche, il s'est déclaré opposé à la fusion des lois de finances et des lois de financement, considérant que cette fusion remettrait en cause les principes fondateurs de la sécurité sociale, notamment la place des partenaires sociaux dans sa gestion.

La branche famille est sans aucun doute la plus menacée par les projets de rebudgétisation de la sécurité sociale. La dissociation des règles de gestion de la branche famille par rapport aux autres branches poserait des problèmes importants et serait même contraire au processus de rapprochement des règles de fonctionnement des caisses locales entamé depuis plusieurs années.

Quelle serait, en outre, la place des partenaires sociaux en cas de rebudgétisation de la sécurité sociale ? Le départ des représentants du patronat des instances dirigeantes de la sécurité sociale pose un problème et peut conduire certains à nourrir des projets de transformation des conseils d'administration des différentes caisses en simples conseils d'orientation, à la composition éventuellement élargie.

S'agissant plus précisément de la branche famille, le caractère pluriannuel de ses modes de gestion s'accommoderait mal des règles budgétaires applicables au budget de l'Etat. Pour ces raisons, il serait d'ailleurs justifié de modifier la conférence de la famille, aujourd'hui annuelle, pour la transformer en conseil d'orientation de la politique familiale et d'abandonner la pratique des thématiques annuelles au profit d'un suivi des différentes politiques à moyen et long termes. L'existence d'une branche famille de la sécurité sociale garantit la pérennité des recettes affectées à la politique familiale et met celle-ci à l'abri des à coups d'une politique conjoncturelle. Toutefois, l'existence d'excédents structurels implique soit une adaptation et donc une baisse des recettes nécessaires pour faire face aux besoins, soit la définition de règles claires en matière d'affectation de ces excédents. On pourrait imaginer la création d'un fonds de régulation destiné à recevoir les excédents de la branche famille.

S'agissant de l'élargissement de l'assiette de financement de la protection sociale, les projets de TVA sociale sont disproportionnés par rapport aux effets vraisemblablement modestes susceptibles d'en découler en matière de recettes. La CSG avait été présentée, en son temps, comme une révolution, sans finalement avoir permis de résoudre le problème de financement de la sécurité sociale. M. Philippe Georges s'est en revanche déclaré favorable à la transformation de l'ensemble des cotisations patronales en cotisations salariales, cette unification présentant l'avantage d'une plus grande transparence des coûts de la sécurité sociale pour l'ensemble des acteurs. Il reviendrait aux Français, dans ce cadre, de procéder eux-mêmes à un arbitrage entre salaire immédiat et salaire différé.

Il serait excessif de vouloir établir une distinction stricte entre système assurantiel et solidarité, la sécurité sociale française ayant toujours reposé sur un système mixte. Une telle distinction est en tout état de cause inapplicable à la branche famille.

Le principal enjeu pour la branche famille est celui de la gouvernance, la régulation par les seuls syndicats de salariés et par le mouvement familial étant d'ailleurs difficile. Si les représentants du patronat refusent de revenir siéger au sein du conseil d'administration de la Cnaf, il deviendra légitime de s'interroger sur la transformation de celle-ci en une agence gouvernementale, à condition qu'elle continue à disposer d'une autonomie juridique et financière renforcée.

M. André Lardeux s'est déclaré défavorable à la fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale et a rejoint les craintes exprimées sur l'intégration de la branche famille au sein du budget de l'Etat. Toutefois, la politique démographique relève des compétences de l'Etat, ce qui pourrait théoriquement justifier une rebudgétisation de la branche famille.

Il s'est interrogé sur la façon la plus pertinente de gérer les excédents structurels de la branche et a voulu savoir si la Cnaf est disposée à assurer le financement intégral des majorations de pension pour enfants. Il a également souhaité connaître les propositions de la caisse en matière de simplification des allocations logement.

M. Philippe Georges a reconnu que la politique familiale et démographique relève de la compétence de l'Etat. La marge de manoeuvre de la branche famille réside dans son fonds d'action sociale (FAS) géré par les partenaires sociaux. La rebudgétisation de la branche famille remettrait en cause cette gestion paritaire de l'action sociale et se heurterait donc à l'opposition des syndicats. Elle serait aussi contraire aux objectifs de décentralisation et de déconcentration, dans la mesure où une partie du FAS, à hauteur de 800 millions d'euros, est gérée par les caisses locales. La compétence de l'Etat en matière de politique familiale ne doit donc pas entraîner automatiquement l'intégration de la branche famille dans le budget de l'Etat.

Il est au contraire important de préserver l'indépendance de la branche famille afin de garantir la stabilité de la politique familiale et de sanctuariser ses recettes. S'agissant des excédents de la branche, le reproche fait aux partenaires sociaux de dilapider ces réserves à travers des dépenses ponctuelles est un mauvais procès car la fonte des excédents résulte bien davantage de la création par l'Etat de nouvelles prestations légales. Il serait possible de résoudre la question des excédents en abaissant le taux de la cotisation patronale affectée à la branche famille mais une telle solution est politiquement difficilement praticable. Il faut donc fixer des règles d'affectation de ces excédents, ceux-ci pouvant par exemple être redéployés vers des dépenses qui pèsent aujourd'hui sur les familles comme la prise en charge de la dépendance.

S'agissant des aides au logement, leur complexité provient de leur nombre et de leur mode de calcul : toute simplification supposerait une fusion des allocations et un alignement coûteux sur la prestation la plus favorable.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a voulu savoir si l'exercice consistant à mieux identifier les dépenses liées aux droits acquis par le travail et les dépenses de solidarité a un sens pour la branche famille.

M. Philippe Georges a expliqué qu'un exercice approchant était mis en oeuvre en matière d'allocation logement, consistant à répartir les dépenses entre l'Etat et la branche famille en fonction du type de foyer bénéficiaire. Cet exercice comporte cependant des limites importantes et constitue une source de complexité pour le financement de ces prestations. S'agissant des droits acquis par le travail, seules certaines prestations en faveur de la petite enfance peuvent être considérées comme liées à la sphère professionnelle. Mais ce lien est si ténu qu'adopter une telle distinction pour la branche famille serait surtout source de confusion.

Audition de M. Bertrand FRAGONARD, président de la 2e chambre de la Cour des comptes (mercredi 28 mars 2007)

Interrogé sur la nécessité d'assurer une meilleure approche globale des comptes publics, M. Bertrand Fragonard a estimé que cette question donne en elle-même le sentiment que cette approche globale n'existe pas. Sa vision n'est pas aussi pessimiste : l'essentiel des questions est aujourd'hui connu ; les administrations publiques préparant le projet de loi de finances et le projet de loi de financement se parlent beaucoup. Si on regarde rétrospectivement ces trente dernières années, ce qui frappe n'est pas le manque d'approche globale, mais le manque de cohérence des politiques car trois grandes zones de faiblesse demeurent :

- le travail interministériel n'est parfois pas suffisamment approfondi. Le ministre des finances en particulier, lorsqu'il met en place une modification de l'impôt sur le revenu, ne pense pas nécessairement à prévenir son collègue chargé des affaires sociales, en dépit des répercutions évidentes sur la CSG. 600 millions d'euros ont ainsi été perdus en matière de CSG du simple fait de la réforme de l'avoir fiscal ;

- il reste des zones de friction entre budgets de l'Etat et de la sécurité sociale, notamment dans le domaine des exonérations, ce qui a conduit à l'apparition d'une dette importante du premier à l'égard de la seconde. Chacune des deux parties joue sa partition et avance ses pions, mais il ne s'agit en aucun cas d'un problème d'approche globale insuffisante des finances publiques ;

- certaines propositions, comme celle actuellement explorée tendant à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, montrent qu'il existe sans doute trop peu de lieux où la législation fiscale et la législation sociale sont également connues et maîtrisées.

M. Bertrand Fragonard s'est ensuite déclaré opposé à la fusion loi de finances et loi de financement, y voyant trois obstacles. D'abord, la différence de nature des crédits adoptés dans les deux lois : les crédits de loi de finances sont limitatifs, alors que l'on imagine mal que la loi de financement soit bâtie à partir d'enveloppes de même nature ; ensuite, la fusion des deux lois sera automatiquement vécue par les partenaires sociaux comme une dépossession et celle-ci aboutira à réduire le nombre des personnes ayant une compétence dans le domaine de la protection sociale ; enfin, on peut avoir des doutes sur la possibilité d'appréhender ce « grand tout » que deviendront les lois de finances et les lois de financement rassemblées dans une gigantesque loi unique.

Au demeurant, jusqu'à présent personne n'a véritablement été capable d'expliquer les raisons positives qui pourraient justifier cette fusion. Le risque, en outre, est que les administrations concernées passent beaucoup de temps à concevoir les voies et moyens de cette fusion, au détriment d'autres sujets plus importants ces prochaines années.

Interrogé sur le rôle des partenaires sociaux, M. Bertrand Fragonard a relevé leur rôle très limité en tant que partenaires institutionnels au sein des conseils d'administration de la Cnaf et de la Cnav. Pour ne citer qu'un exemple, le débat de septembre 2003 sur la réforme des pensions de réversion devant le conseil d'administration de la Cnav s'est révélé très lacunaire. S'agissant de la branche famille, les partenaires sociaux ne sont intéressés que par la partie « action sociale » et ne discutent jamais des prestations légales. En réalité, l'Etat a aujourd'hui totalement la main sur les prestations légales et l'on peut se demander effectivement pourquoi il faudrait conserver les partenaires sociaux au sein des caisses.

La question inverse mérite cependant aussi d'être posée : pourquoi faudrait-il supprimer leur présence ? On peut en effet considérer qu'il est nécessaire de conserver un groupe de personnes capables de servir de relais dans la connaissance des mécanismes de la protection sociale. Pour ce qui est de la branche maladie, l'option mise en oeuvre par la réforme d'août 2004 a été de laisser au bénéfice de la Cnam et de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) une zone de discussion conventionnelle maintenant l'Etat à distance. Toutefois, l'expérience le prouve, et tout particulièrement les discussions récentes sur la rétribution des médecins généralistes, l'Etat n'accepte pas véritablement son dessaisissement et continue de surveiller les discussions en usant de son droit d'agrément et de son rôle normatif.

Il jugé qu'en définitive, même si les partenaires sociaux n'ont pas la main sur les décisions les plus importantes, il faut cependant essayer de faire vivre le paritarisme afin de laisser un maximum de personnes « dans le coup ». Par ailleurs, beaucoup de sujets peuvent être abordés dans le cadre de conversations parallèles avec les membres des conseils d'administration.

Il paraît en revanche difficile d'envisager d'aller plus loin dans la gestion paritaire de ces caisses. On pourrait certes théoriquement envisager que les prestations familiales constituent une enveloppe dont la gestion serait donnée en totalité aux partenaires sociaux, à l'instar de ce qui se fait déjà en matière de chômage et de retraite complémentaire. On n'imagine pas cependant l'Etat se retirer de sujets aussi importants, ayant de telles implications dans la vie de tous les jours.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a demandé s'il est important de conserver le principe de « droits acquis par le travail ».

M. Bertrand Fragonard a estimé que l'on a déjà beaucoup « décollé » de ce principe. En 1979, à la date de généralisation des prestations familiales, 17 % des dépenses de la branche étaient déjà versés au bénéfice des non-cotisants. Parallèlement, les prestations en nature de l'assurance maladie et les minima sociaux sont aujourd'hui déconnectés du travail.

La protection sociale ne naît d'ailleurs pas exclusivement du travail. Si les prestations vieillesse, chômage, accidents du travail - maladies professionnelles et les indemnités journalières sont comme « l'ombre portée » de la carrière, elles n'obéissent pourtant pas complètement à une logique de retour proportionnel au bénéfice du cotisant. Dans une optique libérale, il serait même envisageable de casser les liens entre travail et protection sociale. On pourrait pousser les gens à se constituer eux-mêmes leur retraite en contrepartie de mécanismes de crédit d'impôt ou à acquitter des cotisations maladie auprès de l'organisme assuranciel de leur choix, l'Etat se donnant comme seule responsabilité d'aider les plus modestes.

Evidemment, ce schéma n'est pas celui aujourd'hui appliqué en France. Les retraites restent, pour une large part, contributives, alors que le lien entre cotisations et prestations a complètement disparu pour la branche famille.

La fiscalisation n'implique pas obligatoirement une budgétisation parallèle de la protection sociale. La mise en place de la CSG n'avait pas entraîné l'insertion de la branche maladie dans le budget de l'Etat. S'interroger sur une éventuelle budgétisation revient à se demander si les dépenses de la protection sociale peuvent entrer dans un cadre limitatif. Les interrogations sur la fiscalisation renvoient en revanche à une réflexion sur la nature de la recette.

A la différence de la budgétisation, la fiscalisation progressive des recettes des organismes de protection sociale répond pour le coup à un mouvement inéluctable. Il ne sera plus possible ensuite d'asseoir le financement de la protection sociale sur le seul coût direct du travail. On ne voit pas, en effet, autour de nous de pays qui accroissent les prélèvements directs sur la masse salariale. Les recherches s'orientent aujourd'hui vers les assiettes les plus larges possibles et le principe selon lequel c'est le travail qui fonde le droit à la protection sociale s'efface de plus en plus, au point que l'on pourrait presque dire dorénavant que c'est plutôt l'absence de travail qui fonde ce droit.

En ce qui concerne le débat lancé par le Président de la République en janvier 2006 sur l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, M. Bertrand Fragonard a estimé qu'il existe deux écoles : la première envisage de conserver une cotisation patronale tout en s'interrogeant sur la restructuration de cette cotisation afin de la réorienter vers les secteurs à plus forte valeur ajoutée ; la seconde prône un changement pur et simple d'assiette. Toutefois, tout changement d'assiette risque d'entraîner des transferts considérables d'une catégorie de contribuables à une autre.

Par exemple, la substitution de la TVA sociale aux cotisations patronales se fera au détriment du revenu des personnes âgées et créera un profil dégressif dans la taxation de ce revenu. Sans doute serait-il plus pertinent de réfléchir aux niches fiscales dont bénéficient les retraités. La TVA sociale reviendra également à taxer les familles alors que les prestations familiales sont aujourd'hui exonérées d'impôt sur le revenu.

En fait, il est indispensable de s'interroger, préalablement à toute réforme, sur le type de financeur que l'on estime légitime. Pour autant, il est vraisemblable qu'à l'avenir, on ira de plus en plus vers une taxation du consommateur pour financer la protection sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a ensuite demandé comment il sera possible d'assurer à l'avenir le financement des dépenses à caractère social, compte tenu de leur caractère extrêmement dynamique.

M. Bertrand Fragonard a proposé que l'on envisage aussi qu'il soit possible de ne pas accroître la dépense publique de nature sociale. Certes, on imagine mal que le poids des retraites n'augmente pas au cours des prochaines années. En matière de santé, il apparaît également évident qu'en l'absence de toute mesure, le poids des dépenses va s'accroître.

La question est néanmoins posée de savoir si l'on peut accepter que, dans l'avenir, une partie importante de la progression de la richesse nationale soit détournée au profit exclusif du domaine de la santé. Il est nécessaire de se demander jusqu'à quel point de pourcentage du PIB la société est prête à porter le niveau des dépenses de la branche maladie, car c'est sur cette branche que les choix se feront.

On pourrait parfaitement imaginer de reporter une partie de ces dépenses sur les ménages tout en les aidant à recourir à des couvertures de prévoyance. Le plus probable est cependant que le poids de la dépense socialisée continue d'augmenter, y compris pour la branche maladie.

En termes de recettes, il apparaît évident que l'assiette masse salariale ne pourra pas être plus sollicitée qu'elle ne l'est aujourd'hui pour assurer ce financement croissant et qu'il sera nécessaire de recourir soit à la TVA sociale, soit à une augmentation de la CSG.

A ce sujet, il a jugé que les Français ont admis la CSG dont ils acceptent la proportionnalité et l'assiette large mais dont ils ignorent le caractère dégressif lié à sa déductibilité partielle. La montée en puissance dans les réflexions de la TVA sociale apparaît plus récente. Elle date d'il y a deux ou trois ans, lorsque les Allemands ont commencé à envisager d'y recourir.

Interrogé sur la question de savoir s'il existe toujours un espace autonome pour la protection sociale au sein des finances publiques, M. Bertrand Fragonard a écarté une interprétation du concept d'autonomie comme pouvant signifier que la protection sociale se trouverait placée en dehors de la sphère de contrôle de la puissance publique.

Mis à part l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, les autres composantes de la protection sociale ne sont pas placées en dehors de ce contrôle et il n'est pas souhaitable qu'elles le soient. En tout état de cause, la puissance publique, lorsqu'elle délègue, ne le fait qu'avec « mauvaise humeur ».

L'autonomie dont on peut parler aujourd'hui pour les branches de la sécurité sociale recouvre une certaine démocratie sociale qui se reflète dans le paritarisme, doublée d'une relative autonomie financière.

En ce qui concerne la simplification et la transparence accrue des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, il n'existe aucun motif de confusion dès lors que les comptes sont clairs et que les règles fixées sont respectées. Sur la question particulière de la dette de l'Etat à l'égard des organismes de protection sociale, les différents éléments du dossier sont techniquement parfaitement établis et la difficulté ne provient actuellement que d'un manque de volonté politique. Cette « guerre picrocholine », coûteuse en temps, mobilise les différentes administrations et le Parlement et occulte des sujets bien plus importants.

Ces questions sont d'autant plus irritantes qu'il n'existe en définitive qu'assez peu de surface de contact entre la sécurité sociale et l'Etat. L'essentiel est donc de fixer des règles et de s'y tenir afin de ne pas empoisonner l'atmosphère avec des sujets qui ne représentent pas des enjeux macroéconomiques majeurs. De ce point de vue, la dette de l'Etat à l'égard de la protection sociale n'est un problème insurmontable ni dans son étendue, ni dans sa technicité.

Interrogé enfin sur les voies et moyens d'une amélioration de la gouvernance de la sécurité sociale, M. Bertrand Fragonard a estimé que de grands progrès ont été faits en matière de cadrage. La question se pose de savoir s'il faut aller plus loin.

On observe que le comité d'alerte prévu pour l'Ondam n'a jamais été mis en oeuvre jusqu'à présent. La force de ce mécanisme d'alerte est de permettre de visualiser un dérapage éventuel et surtout d'obliger les responsables publics à prendre des mesures de redressement. L'assurance maladie se prête bien à ce type de pratique dans la mesure où le législateur a créé un lien entre un objectif voté, le contrôle en cours d'exercice du respect de cet objectif et la mise en place automatique de mesures de redressement en cas de non-respect.

Il n'est pas certain qu'il soit en revanche possible de généraliser cette mécanique aux autres branches. L'assurance vieillesse et les prestations familiales sont des dispositifs règlementaires pour lesquels le seul instrument de régulation en cours d'année ne serait que le gel de l'indexation sur les prix à laquelle ces prestations obéissent. Les dépenses de ces deux branches n'ont donc pas la plasticité de celles de la branche maladie.

Au demeurant, si un dérapage doit être constaté en cours d'exercice pour les retraites et la branche famille, il ne peut provenir que de l'élaboration d'un budget insincère par les gestionnaires des caisses. Il n'existe aucun motif de dérapage de l'ordre de 0,75 % comme celui envisagé pour l'Ondam s'agissant de prestations indexées sur les prix et dont le nombre de bénéficiaires peut en principe être établi a priori.

Il est néanmoins possible que les gestionnaires fassent des erreurs, parfois de bonne foi. Ainsi la loi famille de 1994, qui a créé l'allocation parentale d'éducation, contenait des évaluations fautives sur trois points : natalité sous-estimée (sur la base des données de l'institut national des études démographiques, on tablait sur 710 000 naissances par an au lieu de 800 000 effectives) ; progression des recettes fixée à 2,25 %, sur la foi des prévisions du ministère du budget, alors qu'une croissance aussi forte ne s'est pas vérifiée en pratique ; mauvaise anticipation du fait que les femmes bénéficiaires demanderaient en priorité à toucher l'allocation pour passer ensuite dans le dispositif de chômage, et non l'inverse.

Relevant également les erreurs d'évaluation commises sur la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), M. Bertrand Fragonard en a renvoyé une partie de la responsabilité sur le Parlement, regrettant que celui-ci accepte trop souvent de discuter de textes de loi à partir de fiches d'impact qui ne sont pas toujours bien faites.

Dans le même ordre d'idée, la réforme des retraites de 2003 a réservé deux surprises : les bénéficiaires ont usé, plus qu'on ne l'avait anticipé initialement, de la possibilité qui leur était offerte de partir plus tôt à la retraite ; en outre, les Français, effrayés par l'échéance de 2008, ont préféré partir plus tôt à la retraite, même lorsqu'ils n'avaient pas acquis l'ensemble de leurs droits. Là encore, il n'est pas dit que ces dérapages de la loi Fillon aient été faciles à prévoir.

En conclusion, la mise en place de l'Ondam ou la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale, par exemple, ont introduit plus de clarté et un meilleur niveau de connaissance. La direction de la sécurité sociale apparaît en outre comme un maillon solide en dépit de la modestie de ses moyens et cette structure travaille en bonne entente avec la direction du budget. Il est donc tout à fait possible de piloter correctement la sécurité sociale. Ce qui manque aujourd'hui n'est pas la connaissance mais la volonté d'arrêter l'augmentation continue des prélèvements obligatoires.

A M. André Lardeux qui souhaitait connaître son opinion sur le projet de rapatriement de la branche famille dans le budget de l'Etat, M. Bertrand Fragonard a indiqué que cette branche est d'ores et déjà dans le giron de l'Etat et s'y est toujours trouvée. Même l'action sociale de la Cnaf est surveillée de très près par les ministres compétents. La budgétisation complète de la branche famille poserait un problème au regard de la nature des prestations qu'elle offre, dans la mesure où elles n'ont pas le caractère de dépenses limitatives. On imagine mal en effet que l'Etat puisse décider un arrêt du versement des prestations familiales en cours d'exercice pour des motifs de régularisation budgétaire.

Néanmoins, une budgétisation serait techniquement possible et aurait au moins le mérite de contraindre les pouvoirs publics à réfléchir à la cohérence d'ensemble des différentes composantes de la politique familiale. Force est de constater en effet que chaque bloc constitutif de cette politique (quotient familial, prestations familiales, minima sociaux, etc.) évolue indépendamment l'un de l'autre. A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a regretté que le Parlement n'ait pas organisé un grand débat permettant d'aborder l'ensemble de ces sujets.

A M. Alain Vasselle, rapporteur , qui demandait son sentiment sur la création éventuelle d'un fonds chargé de recueillir les excédents structurels de la branche famille, M. Bertrand Fragonard a répondu que ces excédents sont mécaniquement provoqués par l'indexation des prestations familiales sur les prix, ce qui aboutit de fait à une sous indexation de ces allocations. Estimant que cette sous-indexation relève d'une volonté délibérée de la puissance publique, il a qualifié de « digue de sable » le fond de stabilisation ici envisagé. En réalité, l'excédent structurel de la branche famille s'explique par le déficit de la branche maladie, la seule pour laquelle le politique ne sait pas ce qu'il veut ni où il va.

Revenant à la question du rôle des partenaires sociaux, il a estimé que, même dans les secteurs où ceux ci sont seuls aux commandes, comme l'assurance chômage et les retraites complémentaires, il n'est pas sûr qu'ils soient capables d'assumer correctement la gestion des organismes dont ils ont la charge. Il est en effet difficile de piloter les prestations alors que l'on ne dispose d'aucun moyen d'action sur les recettes. Néanmoins, il ne paraît pas opportun de diminuer le rôle, même modeste, dont disposent les partenaires sociaux. Il s'est par conséquent une nouvelle fois déclaré favorable au maintien du statu quo pour les conseils d'administration des différentes branches de la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur , l'a enfin interrogé sur la nécessité de s'assurer qu'il existe bien un lien entre la recette et la dépense dans le domaine de la protection sociale, même si l'on peut penser que ce débat est finalement secondaire dès lors que les règles fixées sont claires et appliquées.

M. Bertrand Fragonard a mis en doute la possibilité de désigner, en matière de prestations familiales, une recette qui se justifierait par nature pour financer des dépenses de type allocation de parent isolé (API) ou allocation de logement familiale (ALF). L'essentiel est, à ses yeux, qu'avant de prendre une décision, les responsables aient une vision claire du problème et aient une idée tout aussi claire de la politique qu'ils veulent mener pour y répondre.

Audition de M. Henri LAMOTTE, chef du service des politiques publiques à la direction générale du trésor et de la politique économique (mardi 22 mai 2007)

M. Henri Lamotte a indiqué que la toute récente création du ministère des comptes publics rend encore prématurée toute volonté d'en tirer des enseignements. Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une réflexion particulièrement intense depuis quelques mois, à la suite des rapports de MM. Alain Lambert et Didier Migaud et de la mission commune Igas/IGF (Inspection générale des affaires sociales/Inspection générale des finances). A titre personnel, il considère que la création de ce nouveau ministère permet d'aborder de la bonne façon la question d'une meilleure approche globale des comptes publics, ce que n'aurait pas autorisé la fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. En effet, ces deux lois sont de nature très différente avec des crédits budgétaires à caractère limitatif d'un côté et des prévisions de dépenses sociales de l'autre. En outre, il paraît préférable de conserver deux lois pour affirmer la responsabilisation des acteurs concernés. Par ailleurs, au-delà de la nature même des dépenses, les mécanismes de régulation en cours d'année de ces dépenses sont très différents. Cela étant, une meilleure intégration des deux projets de loi est souhaitable. Des avancées ont déjà été réalisées dans la préparation et la coordination des deux textes par les services responsables (direction de la sécurité sociale, direction du budget et direction générale du trésor et de la politique économique). Aujourd'hui, il s'agit d'achever l'articulation des calendriers et l'harmonisation des hypothèses économiques sous-jacentes.

Si les finances publiques répondent bien à des enjeux globaux, il n'en demeure pas moins que de réelles particularités existent tant en ce qui concerne les finances des collectivités territoriales que les dépenses liées à la famille, à la retraite ou à la santé. Il est certain, en tout état de cause, que l'on ne peut régler des problèmes de finances publiques par de simples transferts entre acteurs publics. A cet égard, il est particulièrement regrettable qu'une grande partie des efforts des administrations en charge de ces comptes se soit concentrée, au cours des dernières années, sur ces mécanismes de transfert et de « tuyauterie » qui sont stériles et inutiles. La création du nouveau ministère devrait permettre de faire disparaître ces habitudes et d'orienter l'attention des responsables sur les véritables questions de fond.

M. Henri Lamotte a ensuite souligné le caractère fondamental de la question du financement de la protection sociale. Ce débat comporte en effet des enjeux très importants en termes de dépenses publiques, d'emploi, de croissance et de démocratie sociale, questions cruciales pour la direction générale du trésor et de la politique économique. Depuis 1945, la sécurité sociale a connu trois grandes évolutions : une augmentation des dépenses sociales, qui s'élève à plus de six points de PIB depuis 1978 et qui s'accroîtra avec le vieillissement de la population ; la mise en place de la politique d'allégement des charges sociales sur les bas salaires, qui a conduit à substituer un financement progressif à un financement de nature proportionnelle ; enfin, la fiscalisation, avec la création de la CSG au début des années quatre-vingt-dix.

Dans ce contexte, il existe une manière réductrice d'aborder le sujet du financement de la protection sociale en en faisant un but en soi et donc en examinant le seul problème de la dynamique des recettes de la sécurité sociale. Or, depuis la fin des années quatre-vingt, le partage de la valeur ajoutée entre le taux de marge des entreprises et les rémunérations s'avère extrêmement stable, deux tiers allant au travail et un tiers au capital. Cette tendance, que l'on retrouve dans la plupart des autres pays, signifie qu'il n'existe pas de recette-miracle qui pourrait fournir à long terme une évolution plus dynamique que la masse salariale. Aussi, la taxation de la valeur ajoutée et celle de la masse salariale ne peuvent évoluer que de la même façon, c'est-à-dire comme le PIB. La réflexion, menée au début des années quatre-vingt sur la taxation de la valeur ajoutée, est née du fait que, pendant cinq années, la masse salariale a progressé moins vite que le PIB, ce qui a pesé sur les recettes de la sécurité sociale et a conduit à la création de la CSG. Cette situation, historiquement datée, ne peut être envisagée aujourd'hui, car aucun élément économique n'en autorise la prévision. Aussi, si la part des dépenses sociales dans le PIB doit s'accroître au cours des prochaines années, cela impliquera d'augmenter les cotisations sociales ou les impôts, car aucune recette ne verra son produit augmenter dans les mêmes proportions que l'ensemble des dépenses sociales.

Ce cadre étant posé, M. Henri Lamotte a estimé que toute réflexion sur de nouvelles recettes doit être conduite au regard de trois questions fondamentales : ses enjeux en termes d'emploi et de croissance, c'est-à-dire en abordant la question par une approche macro-économique ; l'adéquation de la taxation à la nature des dépenses de protection sociale, en adoptant une approche micro-économique ; enfin, un examen du champ de la socialisation, c'est-à-dire du périmètre des dépenses sociales.

Si l'on examine les trois alternatives généralement évoquées aux cotisations sociales que sont la TVA, la CSG et la CVA (cotisation sur la valeur ajoutée), l'opinion dominante des économistes n'a pas changé depuis une dizaine d'années et le rapport Malinvaud de 1998 sur le financement de la protection sociale, continue, en ce domaine, à faire référence. Il en ressort qu'il n'existe pas d'assiette-miracle, que l'on ne peut attendre de grands résultats d'un changement d'assiette et que les allégements ciblés de charges sur les bas salaires sont les plus efficaces en termes d'emploi. Les conclusions auxquelles sont parvenus les divers travaux menés en 2006 par le groupe de travail interadministratif, le conseil d'analyse économique et le conseil d'orientation pour l'emploi vont d'ailleurs dans le même sens.

Ainsi, il apparaît que, sur un plan économique, le remplacement des cotisations sociales par la CVA aurait un effet positif sur l'emploi à l'horizon de deux ou trois ans, mais dans des proportions modiques, de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'emplois seulement. A moyen et long terme, les effets seraient très différents, le capital étant plus mobile que le travail, puisqu'on pénaliserait l'investissement, ce qui diminuerait l'accumulation de capital et donc la croissance ainsi que, par voie de conséquence, les salaires. Une taxation frappant le facteur le plus mobile rendrait donc vain ce changement d'assiette en termes d'emploi et produirait des effets négatifs sur la croissance et le niveau de vie, notre pays se situant dans le cadre d'une économie ouverte. Les tendances ainsi décrites résultent de la plupart des modèles utilisés, même si l'on relève quelques variations selon les simulations effectuées.

En faveur de la TVA, et plus particulièrement de la TVA sociale, les deux principaux arguments invoqués sont l'emploi, grâce à une diminution des charges sociales, et la compétitivité, en favorisant les exportations tout en taxant les importations. La décision allemande de porter le taux normal de TVA de 16 % à 19 % plaide également en faveur de cette mesure. Or, pour les économistes, l'une des questions clés à examiner est celle de l'indexation des salaires, et notamment du Smic et des minima sociaux. En effet, si la TVA augmente, il faut bien que quelqu'un paye l'augmentation. Dans le cas allemand, analysé de très près par la direction du trésor, il faut souligner un double contexte très favorable : la reconstitution de leur marge par les entreprises allemandes et la baisse du prix du pétrole. Cela signifie que la hausse récemment décidée de la TVA n'a pas eu d'impact trop sensible sur les prix à court terme. Néanmoins, cet impact est réel et pourrait s'élever à 0,9 point en 2007, malgré la poursuite de la baisse du prix du pétrole.

Ainsi, à échéance de douze ou dix-huit mois, une augmentation de la TVA se répercute nécessairement dans les prix. Dans ce cas, soit les salariés acceptent la baisse de leur pouvoir d'achat, ce qui signifie que les salariés paient la hausse de la TVA, soit les salariés n'acceptent pas cette baisse et revendiquent des hausses de salaire, ce qui revient à augmenter le coût du travail pour les entreprises. En effet, dans pratiquement tous les pays du monde, les salaires apparaissent de fait indexés sur l'inflation, même si le délai de répercussion peut être de douze à quinze mois. En France, se pose aussi le problème du Smic, puisque son indexation est automatique, conformément à la loi. S'ajoute à cette potentielle difficulté politique majeure celle de l'ensemble des prestations sociales indexées, des retraites, des minima sociaux, des prestations familiales ainsi que des salaires de la fonction publique. Il en ressort que l'impact d'une telle réforme est avant tout conditionné par la résolution de sujets « lourds ». Elle aurait, au total, un effet faible sur l'emploi et un impact inflationniste certain.

Une hausse de la CSG ne conduirait pas aux mêmes problèmes économiques. En effet, elle pèserait sur le revenu des ménages, mais n'aurait pas d'impact macro-économique sur les salaires. La problématique serait plus proche de celle que l'on analyse en matière d'impôt sur le revenu.

L'approche micro-économique relative au financement lui-même des politiques sociales conduit à faire une différence entre, d'une part, les dépenses de redistribution et de solidarité, d'autre part, celles qui ont une logique assurantielle. Ces deux types de prestations ont vocation à être financés de façon différente, par l'impôt pour les premières, c'est-à-dire les prestations maladie et famille, par des prélèvements sur les revenus du travail pour les secondes, c'est-à-dire l'assurance chômage, les retraites et les accidents du travail.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si une telle logique est aussi tranchée pour l'ensemble de l'assurance maladie.

M. Henri Lamotte a convenu que pour la maladie, le système est mixte puisque les indemnités journalières relèvent avant tout d'une logique assurantielle. Le schéma ainsi décrit, sorte de « jardin à la française », est en réalité un idéal à atteindre, car il n'a jamais été entièrement mis en oeuvre. En effet, si l'on examine le tableau des cotisations sociales actuelles, on constate qu'une très grande partie des cotisations sociales salariées maladie et famille a déjà été basculée sur la CSG. Aussi, en l'absence de telles cotisations, tout nouveau basculement qui pourra être fait sur la CSG est celui de cotisations patronales maladie et famille, ce qui constituerait une opération très différente de ce qui a été réalisé par Martine Aubry en 1998. Une telle opération nécessite en outre de modifier les salaires bruts et d'augmenter le Smic, voire de renvoyer à la négociation salariale les hausses de salaires qui, dès lors, pourraient s'avérer très différentes - et sujettes à critiques  - selon les branches ou les entreprises. Si la mesure apparaît donc techniquement possible, elle n'est pas d'une réalisation facile.

La deuxième difficulté résulte du fait qu'au niveau du Smic, les cotisations employeur au titre de la maladie et de la famille sont presque inexistantes. En outre, à compter du 1 er juillet 2007, celles-ci seront nulles pour les entreprises de moins de vingt salariés. Dans ces conditions, comment pourra-t-on compenser la hausse de la CSG pour un salarié au Smic, sachant que toute augmentation du Smic conduira à une augmentation du coût du travail ? Ces deux difficultés montrent que le schéma du « jardin à la française », très cohérent intellectuellement, masque des problèmes pratiques majeurs.

En matière de fiscalisation, il convient également d'évoquer les impôts qui ont pour objet d'agir sur le comportement des agents. En effet, il y a une grande logique à affecter au financement des dépenses de santé la taxation des tabacs et alcools. Son analyse fait apparaître que, parmi les pays de l'Union européenne, la France a un taux d'imposition du tabac très élevé et une des consommations de cigarettes les plus basses. En revanche, pour l'alcool, la France connaît un taux d'accises faible pour une consommation parmi les plus élevées. Cela signifie qu'il existe encore des marges d'augmentation de ces recettes affectées à la sécurité sociale, tout en agissant sur les comportements, aussi bien pour le tabac que pour les alcools, mais pour ces derniers produits, il ne semble pas actuellement exister de consensus social.

Audition de M. Olivier FOUQUET, président de la section des finances du Conseil d'Etat (mardi 22 mai 2007)

Après avoir indiqué que la section des finances du Conseil d'Etat n'a pas à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais seulement le projet de loi de finances, M. Olivier Fouquet a évoqué les nombreux débats en assemblée générale sur ces deux textes. En effet, depuis l'entrée en vigueur des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale, on constate un certain parallélisme entre les deux textes, même s'il reste encore assez formel. En l'état actuel des choses, une fusion entre les deux lois paraît impossible du fait de la différence de portée des dépenses, à caractère limitatif pour la loi de finances et à caractère prévisionnel pour les dépenses de la loi de financement.

S'agissant des recettes, on pourrait imaginer que le rapprochement est plus facile. Toutefois la hiérarchie entre les textes reste différente puisque, dans le domaine fiscal, l'essentiel doit figurer dans la loi, y compris la fixation des taux, même si le Conseil constitutionnel a admis la définition d'un plafond de taux dès lors que les modalités de décision sont strictement encadrées, tandis que dans le domaine social, le pouvoir réglementaire définit les modalités des prélèvements sociaux.

Pour autant, M. Olivier Fouquet a fait valoir qu'une définition précise existe de tout ce qui doit ou peut figurer dans la loi de finances comme dans la loi de financement de la sécurité sociale. La combinaison des textes applicables produit un résultat bizarre puisque toute mesure impliquant un financement budgétaire figure dans la loi de finances, surtout dans les collectifs de fin d'année, y compris les mesures relatives à des financements sociaux. On constate d'ailleurs qu'environ un tiers des mesures budgétaires incluses dans ces textes sont des dispositions entrant dans le champ social. Cela se traduit régulièrement par des critiques en assemblée générale du Conseil d'Etat sur le fait que la section des finances présente plus de mesures sociales que la section sociale. Aussi, il paraît anormal que sous prétexte d'un financement budgétaire même limité, ce type de disposition figure dans la loi de finances au lieu d'être inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale. Cela aboutit à une grande confusion et à l'absence de vue d'ensemble empêchant une vraie discussion.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé qu'à l'occasion de la discussion de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, il avait présenté, en vain, des amendements rendant obligatoire l'inscription en loi de financement de la sécurité sociale de mesures à caractère social figurant dans la loi de finances par l'application d'un effet-miroir.

M. Olivier Fouquet a estimé que la création du ministère des comptes publics constitue une occasion historique de revoir un certain nombre de procédures, en particulier en ce qui concerne les financements conjoints. Il lui semble nécessaire d'exiger du nouveau ministre, dans le débat parlementaire, qu'il y ait quelque chose de commun entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, avant même de s'engager dans une réforme des deux lois organiques. Afin de permettre plus de clarté, il paraît également souhaitable qu'un document commun sur tous les financements conjoints de politiques à caractère social soit établi.

Puis il a regretté le rattachement à la direction générale du trésor et des politiques économiques de l'ancienne direction de la prévision, qui est avant tout une administration transversale, dont la fonction principale est d'être l'instrument d'analyse et d'étude de l'économie nationale à l'attention de l'ensemble des administrations, collectivités et acteurs économiques. Aujourd'hui, sous la tutelle du ministre Jean-Louis Borloo, elle pourrait créer un nouveau problème de coordination pour le ministère des comptes publics.

Il est également anormal que le projet de loi de finances ou les divers collectifs puissent constituer des sortes de textes « fourre-tout » portant notamment diverses dispositions d'ordre social. En tout état de cause, la réunion en un seul ministère des administrations responsables des divers aspects des finances publiques nécessitera de revoir la primauté de la direction du budget sur tous ces sujets.

Audition de M. François MONIER, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale (mardi 29 mai 2007)

M. François Monier a tout d'abord souligné le caractère essentiel d'une approche globale des comptes publics. En effet, il est important que le contribuable cotisant puisse disposer d'informations précises sur l'ensemble des dépenses publiques financées par prélèvements obligatoires. Cet ensemble est déjà regroupé dans les documents transmis aux institutions européennes, ainsi que dans la comptabilité nationale, dont les résultats sont toutefois méconnus du grand public et difficiles à utiliser. D'autres documents, récemment institués, permettent une certaine approche globale : le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances, d'une part, le rapport de la Cour des comptes, préparatoire au débat d'orientation budgétaire et des finances sociales du mois de juin, d'autre part. A partir de cette base, il faudra encore progresser et développer, à côté de la notion de prélèvements obligatoires aujourd'hui bien connue, celle de dépenses publiques de l'ensemble des administrations. Cette notion est en effet essentielle pour pouvoir, par exemple, constater la forte progression en volume des dépenses publiques enregistrée au cours des dernières années, en moyenne annuelle de 2 %, c'est-à-dire supérieure à la croissance du PIB. La mise en exergue de cette notion de dépenses publiques permet ainsi de démontrer que les dépenses n'ont en rien contribué à la réduction des déficits des derniers exercices. Le retour sur les évolutions passées est nécessaire, puisque l'objectif de progression des dépenses de l'Etat, aussi bien que celui de l'Ondam, ont presque toujours été dépassés. En outre, ces deux ensembles ne recouvrent pas la totalité des composantes de la dépense publique, ce qui justifierait l'élaboration de ce nouveau concept. La nouveauté de 2006 d'une comptabilité générale de l'Etat effectuée en droits constatés, se rapprochant de ce qui existe déjà pour la sécurité sociale, est, à cet égard, prometteuse. En tout état de cause, il est important de conserver un niveau de détail suffisant dans la présentation des comptes de l'ensemble des administrations publiques.

L'idée d'une fusion des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale a un peu surpris, dans la mesure où elle a été complètement absente des débats tenus en 2005 lors de l'examen de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Elle ne peut en tous cas pas s'appliquer à certaines branches de la sécurité sociale, en particulier la vieillesse et les accidents du travail, en raison du lien étroit de leurs dépenses avec le travail. Pour la maladie, le mode de gouvernance particulier de la branche semble également exclure une telle fusion. Pour la branche famille, le principe de la création d'une grande mission qui rassemblerait tous les éléments de la politique familiale peut être posé. Cette branche étant structurellement excédentaire, une telle approche permettrait en effet de gérer la dépense seule, sans considération des recettes, et donc d'éviter les tentations de dépenses supplémentaires ou de recyclage des excédents de la branche. Néanmoins, cette solution aurait beaucoup d'inconvénients. Il n'est pas certain, tout d'abord, que la gestion des prestations familiales soit mieux effectuée par l'Etat que par la sécurité sociale, comme l'a par exemple montré la gestion du RMI ou de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). En effet, pour ces dernières, les crédits limitatifs inscrits en loi de finances étaient régulièrement sous-dotés, ce qui a conduit à l'accumulation d'une dette auprès de l'organisme verseur, sans la moindre incidence sur la croissance budgétaire des dépenses concernées. Par ailleurs, l'organisation du transfert des recettes de la branche famille à l'Etat, soit 40 à 50 milliards d'euros, ne serait pas simple à réaliser. Enfin, les partenaires sociaux sont très attachés à leur rôle au sein des caisses de sécurité sociale, même si, dans la réalité, leur pouvoir n'apparaît pas considérable. Au total, la budgétisation de la branche famille paraît donc présenter plus d'inconvénients que d'avantages, en dépit du fait que cette solution, retenue par de nombreux autres pays, soit cohérente en théorie.

M. François Monier a alors insisté sur le rôle des partenaires sociaux, même si leur pouvoir réel est souvent limité. Leur participation à un certain nombre d'instances, comme le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie et le Conseil d'orientation des retraites (Cor) est importante et doit continuer à exister pour permettre au Gouvernement et au Parlement de jouer pleinement leur rôle de décideur.

Il est naturellement essentiel de conserver la notion de droits acquis par le travail, en particulier dans le domaine des retraites.

Le mouvement de fiscalisation de la sécurité sociale est sans doute inéluctable. Il faut rappeler que la part des impôts et taxes dans le financement de la sécurité sociale, qui était de 5 % il y a seulement quinze ou vingt ans, est aujourd'hui de 28 %. Cela résulte essentiellement de la création de la CSG, qui apporte 60 milliards d'euros de recettes sur un produit total d'impôts et taxes de 80 milliards d'euros pour le régime général. Si on considère en France que la CSG est un impôt, il convient de reconnaître sa nature particulière, puisqu'elle remplace des cotisations, est recouvrée par le réseau des Urssaf et de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et n'a jamais été affectée à l'Etat. Elle n'a d'ailleurs pas la qualité d'impôt pour les autorités européennes. En 2006, le transfert d'un panier de recettes d'environ 20 milliards d'euros, principalement la taxe sur les salaires, a constitué une nouvelle fiscalisation des recettes sociales.

A l'avenir, cette tendance devrait se poursuivre, notamment pour financer une augmentation des dépenses de retraite et de maladie supérieure à celle du PIB. Pour les retraites, les réformes de 1993 et 2003 ont permis de combler une grande partie des déficits, mais le problème demeure surtout en raison d'un taux de départ anticipé à la retraite très élevé. Pour la maladie, des marges d'économies potentielles importantes subsistent, comme le prouve le freinage des dépenses réalisé au cours des deux ou trois dernières années, mais leur progression reste plus forte que celle du PIB, comme l'a montré une étude récente de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Cela signifie qu'il est impératif de poursuivre les réformes, de maintenir une gestion active de la branche, afin de ralentir l'accroissement des dépenses. Mais si des besoins de financement subsistent, une augmentation d'impôt s'imposera. En effet, il existe trois manières de financer la sécurité sociale : les cotisations, qui constituent la ressource historique, les impôts et taxes, qui se sont beaucoup accrus au cours des quinze dernières années et des transferts de l'Etat.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a estimé qu'au nombre des modes de financement possibles de la sécurité sociale, on peut ajouter les assurances complémentaires et la participation des usagers eux mêmes.

M. François Monier en a convenu, mais il a considéré que la mise à contribution des usagers ou des assurances complémentaires permet avant tout de diminuer la dépense plutôt que d'accroître les recettes. En 2006, les régimes de base de la sécurité sociale ont été financés par 200 milliards de cotisations, 100 milliards d'impôts et taxes et 15 milliards de transferts de l'Etat. Si des besoins de financement futurs apparaissent pour la branche vieillesse, il faudra sans doute les combler par une augmentation des cotisations. La même solution devra être retenue pour les accidents du travail ou l'assurance chômage. En ce qui concerne la famille, le mode de financement actuel constitue une véritable anomalie, puisqu'il est composé de cotisations patronales et d'un peu de CSG. Or, le financement patronal prête à discussion. L'idéal serait que l'intégralité de la branche soit financée par les impôts, en particulier la CSG. Tant sur le plan économique que sur le plan de la logique des risques, puisqu'il s'agit d'une branche à vocation universelle, ou d'une meilleure transparence, il faudrait donc remplacer les cotisations employeurs par de la CSG, ce qui exigerait d'augmenter les salaires.

En ce qui concerne la branche maladie, les prestations en espèces des indemnités journalières doivent rester entièrement financées par des cotisations. Pour le reste, les dépenses d'assurance maladie ont plutôt vocation à être financées par des recettes de nature fiscale, comme la CSG, ou, pourquoi pas ? la TVA. Le recours à un impôt général est certainement la meilleure méthode, au moins pour les besoins futurs. A cet égard, la CSG apparaît comme l'impôt le plus satisfaisant, comportant le moins de défauts sur le plan économique en raison de son prélèvement immédiat et présentant une assiette touchant directement les principaux intéressés par les dépenses. Le débat mené en 2006 sur un changement d'assiette des recettes de la sécurité sociale a été rendu difficile par le faible montant de cotisations qui subsiste au niveau du Smic. Il en est toutefois ressorti que, pour un changement d'assiette aussi important, on ne pouvait en attendre que très peu d'avantages, en particulier en termes d'emploi. La TVA sociale peut éventuellement être une solution acceptable, mais elle présente sans doute un risque inflationniste et sa mise en oeuvre ne peut être que limitée compte tenu des taux déjà élevés applicables dans notre pays.

M. François Monier a souligné que, seuls, des prélèvements simples à assiette large facilitent réellement la clarté des choix. En outre, aucun prélèvement ne possède les caractéristiques d'une croissance supérieure à celle du PIB sur longue période. Cela signifie qu'un apport de recettes supplémentaires est inévitable pour la sécurité sociale, mais pas qu'il doit y avoir une augmentation des prélèvements sociaux, puisque les prélèvements de l'Etat doivent pouvoir continuer à baisser, de même que ceux de la branche famille, par exemple.

La distinction entre le contributif et l'assurantiel n'est pas totalement pertinente. Il vaut mieux distinguer, d'une part, les prestations universelles comme la maladie, hors indemnités journalières, et la famille, qui doivent être financées par des impôts ou des cotisations salariales, d'autre part, les prestations en lien avec le salaire, comme la retraite ou le chômage, qui doivent être financées par les cotisations. Un partage précis est toutefois très difficile, puisque la plupart des branches mélangent solidarité et universalité.

Puis il a insisté sur le problème majeur des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, même si les montants financiers en cause ont beaucoup diminué au cours des dernières années et ne s'élèvent plus qu'à 15 ou 20 milliards d'euros sur un total de 400 milliards d'euros de dépenses. Le jaune budgétaire, qui fait la synthèse de ces mouvements financiers, mériterait d'être clarifié, car il ne fait pas bien ressortir ce qui entre dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale et ce qui constitue des concours de l'Etat à la sécurité sociale. Favoriser la réduction de cette masse de transferts, voire sa suppression, en raison des problèmes systématiques qu'ils posent notamment pour la sécurité sociale, est une piste à étudier. Il paraîtrait, en effet, plus intéressant de remplacer les transferts par des impôts et taxes et de créer une étanchéité encore plus grande entre les ressources de l'Etat et celles de la sécurité sociale. Dans ce cadre, il conviendrait alors de réfléchir au meilleur moyen de respecter la loi de 1994 en matière de compensation des allégements de charges sociales.

Au cours des deux dernières années, de véritables progrès ont été enregistrés dans la coordination des différents services responsables de la préparation des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale. La création du ministère des comptes publics devrait encore améliorer cette articulation, en particulier à l'étape des derniers arbitrages pour laquelle le rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF) de 2005 reste d'actualité.

Puis M. François Monier a convenu des très grandes insuffisances de l'annexe B sur le cadrage pluriannuel du projet de loi de financement de la sécurité sociale, trop peu développé et explicité. A cet égard, il faut constater que tous les documents de prévision pluriannuelle présentés au cours des dernières années ont été démentis par les faits. Il est regrettable qu'ils ne comportent aucun caractère contraignant pour le Gouvernement. Leur appropriation par les ministères sociaux est également encore insuffisante, car fixer des objectifs ambitieux est une chose, mais déterminer les moyens d'y parvenir en est une autre. Il pourrait donc être judicieux d'introduire des éléments contraignants dans la projection pluriannuelle, comme le font certains pays, sur une durée de trois ans : si un engagement n'est pas tenu une année, il devra impérativement l'être l'année suivante afin de permettre le respect des objectifs fixés à l'échéance de ces trois années. Par ailleurs, il est important d'effectuer un meilleur chiffrage des mesures nouvelles et d'en contrôler la pertinence a posteriori, car il faut éviter de revoir un dérapage comme celui lié à la nette sous-estimation de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje).

M. François Monier a ensuite présenté les trois conditions nécessaires au bon fonctionnement d'un comité d'alerte : un objectif public de référence, des moyens de suivi infra-annuel, enfin des moyens de corriger la dérive si celle-ci est diagnostiquée. De telles conditions existent pour l'assurance maladie, du moins en partie, puisque les moyens de corriger la dérive des dépenses hospitalières ne sont pas totalement disponibles. En revanche, pour la branche famille, ces moyens ne paraissent pas exister, puisque l'essentiel des dépenses correspond à des droits. La seule marge sur laquelle on pourrait intervenir est la masse relativement limitée des dépenses d'action sociale. En outre, pour les branches vieillesse et famille, on observe depuis quelques années des modifications de comportement de grande ampleur, particulièrement difficiles à prévoir, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Mme Marie-Thérèse Hermange s'est élevée contre l'impossibilité de connaître en détail les dépenses du secteur hospitalier, qui nécessiteraient, selon elle, d'entreprendre une véritable réforme. Sur la Paje, elle a estimé indispensable d'effectuer une comparaison entre le coût des prestations individuelles accordées et le coût d'un système collectif public de garde d'enfants.

M. François Monier a insisté sur la nécessité d'agir sur les dépenses avant d'envisager le recours à de nouvelles recettes. Il a réaffirmé la très grande insuffisance des travaux de chiffrage du coût de la Paje pour la branche famille.

M. François Autain a souhaité savoir quel pourrait être l'avenir de la commission des comptes de la sécurité sociale, dès lors que la Cour des comptes est investie d'une nouvelle mission de certification des comptes des organismes sociaux.

M. François Monier a répondu que la commission des comptes s'intéresse principalement à la prévision des comptes sociaux, tandis que la Cour des comptes se penche sur les comptes clos. Les deux principaux intérêts de la commission des comptes de la sécurité sociale sont, d'une part, de réunir à échéance régulière l'ensemble des partenaires sociaux avec les ministres concernés, d'autre part, de produire un rapport qui a pour but de faire un peu de pédagogie dans un domaine compliqué.

M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur les moyens d'analyse du comité d'alerte en matière de maîtrise de la dépense d'assurance maladie.

M. François Monier a indiqué que ce comité comprend trois membres et que son rôle au regard des textes est très précis : alerter le public en cas de dérapage des dépenses puis, un mois après la notification de l'alerte, examiner les propositions de rectification de la dérive présentées par les caisses et, le cas échéant, le Gouvernement.

Audition de M. François MERCEREAU, directeur du pôle sanitaire du groupe Korian (mardi 29 mai 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur, a précisé que M. François Mercereau est inspecteur général des affaires sociales. Il a été directeur de la sécurité sociale au milieu des années 1980 avant d'être directeur du cabinet de M. Jean-Louis Bianco, ministre des affaires sociales et de l'intégration, au début des années 1990. En 1993, il a rejoint les assurances générales de France, dont il a été directeur général adjoint avant d'être directeur central santé d'Axa France Assurances de 1998 à 2002. Après un passage au centre technique des institutions de prévoyance en 2005 2006, il est entré, en décembre dernier, dans le groupe Korian, dont il est le directeur du pôle sanitaire.

M. François Mercereau a tout d'abord présenté le groupe Korian qui résulte de la fusion, au mois d'octobre 2006, des sociétés Suren et Medidep. Ce groupe assure la gestion de 127 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de cinquante établissements de soins de suite, de réadaptation et cliniques psychiatriques ; ses activités sont en forte croissance.

A son sens, les dépenses sociales ne présentent pas de particularité par rapport aux autres dépenses publiques et il est indispensable d'introduire de la rigueur et de la concurrence dans la gestion de ces dépenses. Par ailleurs, aucune présentation des comptes ne peut, à elle seule, suffire à régler un problème d'équilibre ; elle peut seulement clarifier le débat.

Sur la question du rôle des partenaires sociaux, des évolutions importantes ont eu lieu au cours des dernières années, notamment en 1996 et en 2004 pour l'assurance maladie. Pour la famille, les retraites et la branche recouvrement, l'Etat a toujours été l'élément décideur, les partenaires sociaux ayant un rôle consultatif ou de simple gestion administrative, c'est-à-dire le suivi du service des prestations et du recouvrement des cotisations. Ce rôle est utile, mais il conviendrait sans doute de le renforcer au niveau régional et de supprimer tous les échelons locaux inférieurs, qu'ils soient départementaux ou infradépartementaux. Il est en effet impératif de redéployer les moyens des caisses au niveau régional, voire au niveau de plusieurs régions.

A la Cnam, les partenaires sociaux ont essentiellement un rôle d'observation puisque, désormais, le directeur général a le pouvoir de décision, ce qui semble être une bonne évolution. Néanmoins, on constate que dans le cadre d'un paritarisme complet, comme tel est le cas pour les retraites complémentaires et l'assurance chômage, les partenaires sociaux assument très bien leur mission, car ils ont la totalité du pouvoir, aussi bien sur les dépenses que sur les recettes. On pourrait imaginer de transposer cette solution à la branche vieillesse dès lors que les dépenses de solidarité sont bien identifiées et isolées dans le cadre du fonds de solidarité vieillesse.

Puis M. François Mercereau a considéré indispensable de conserver le principe des droits acquis par le travail, en particulier pour les retraites. Ce lien apparaît toutefois aussi à travers la CSG. Aussi bien, se déclare-t-il opposé aux franchises sous condition de ressources, car cela concentre la recette sur un faible nombre de personnes, principalement les cadres. En revanche, une franchise par acte, non remboursée par les assurances complémentaires, même d'un très faible montant, présente un caractère civique utile.

Il pourrait également être intéressant de renforcer le lien entre cotisations et prestations en espèces, par exemple pour les indemnités journalières, en faisant comme pour l'assurance chômage, c'est-à-dire en les rendant proportionnelles à la durée de cotisation. En effet, la logique des indemnités journalières est d'être un revenu de remplacement, et non de substitution, pour lequel existent les minima sociaux. Ce raisonnement pourrait aussi s'appliquer aux prestations d'invalidité ainsi qu'à la retraite, en rapprochant les régimes de base de régimes à points, c'est-à-dire en rendant applicable le principe de proportionnalité.

M. François Mercereau a alors insisté sur le caractère inévitable de la fiscalisation des ressources de la sécurité sociale qui, d'ailleurs, ne fait plus l'objet d'un débat aujourd'hui, contrairement aux années qui ont précédé la mise en oeuvre de la CSG. L'intégration des cotisations patronales dans les salaires serait une bonne chose, car elle permettrait aux salariés de mieux percevoir le coût économique de la protection sociale. En ce qui concerne l'évolution de l'assiette des prélèvements sociaux, le rapport de référence est celui de Charles-Amédée de Courson et de Claire Bazy-Malaurie, publié en 1984, selon lequel l'utilisation de la TVA présenterait un faible avantage pour la plupart des entreprises et un intérêt très fort pour quelques secteurs bien ciblés comme l'industrie pétrolière ou les secteurs très capitalistiques.

Puis il a souligné le caractère paradoxal des transferts sociaux actuels, devenus des sortes de transferts à rebours. En effet, les retraités consomment actuellement 45 % des prestations sociales et le transfert des actifs vers les retraités s'élève à environ 50 milliards d'euros par an. Ce transfert serait acceptable s'il s'agissait uniquement de solidarité, mais, en réalité, il reflète une sous-cotisation des retraités dont les revenus sont supérieurs à ceux de nombreux actifs. On estime que sur les 50 milliards transférés, 30 sont justifiés et 20 s'apparentent à de la sous-cotisation des retraités, ce qui rend à l'évidence nécessaire une redistribution du prélèvement entre actifs et inactifs.

Pour les retraites, l'augmentation des cotisations est à son sens inéluctable, puisqu'entre 1995 et 2030, la part des retraités dans la population française doit passer de 16 % à 24 %. En augmentant de 0,1 % par an les cotisations, on peut régler un tiers du problème, mais il convient également de diminuer les droits et sans doute de sous-indexer les pensions de vieillesse.

En matière de dépendance, le coût d'un séjour en établissement est de 60 euros par jour en province et de 80 euros par jour à Paris, pour une durée moyenne de quinze mois. Au regard de cette somme, il est probable que deux tiers des Français peuvent épargner la ressource nécessaire. Mais cela signifie qu'il faut inciter les retraités à constituer cette épargne.

M. François Mercereau a ensuite fait observer que l'existence d'un comité d'alerte ne suffit pas à équilibrer des comptes en déficit et que, s'agissant de l'assurance maladie, il faut faire des économies et prendre des décisions importantes, même si elles sont difficiles. Parmi les pistes envisageables, on peut citer la mise en concurrence de la sécurité sociale et l'instauration d'une pluralité de gestionnaires qui, d'ailleurs, ne doivent pas forcément appartenir au secteur privé lucratif. Il en est de même pour les hôpitaux, pour qui il faut aller au bout de la mise en concurrence entre établissements publics et privés.

M. François Autain s'est interrogé sur les conséquences de la mise en concurrence, puisque celle-ci peut aboutir à remettre en question l'égal accès de tous aux soins, comme tel est le cas aux Etats-Unis, où 50 millions de personnes n'ont pas de protection sociale et où, de surcroît, les dépenses de santé sont plus élevées qu'en France. Il a également souhaité savoir pour quelles raisons il n'est pas possible d'instaurer une franchise sous condition de ressources. Enfin, il a voulu connaître les raisons d'une diminution de la durée moyenne de séjour en Ehpad.

M. André Lardeux a constaté que la durée de la dépendance varie selon les personnes et peut parfois être très longue, ce qui pourrait justifier un financement de la dépendance par l'assurance. Il a demandé l'avis de M. François Mercereau sur le mode de gouvernance actuel très complexe de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

M. Claude Domeizel a fait observer que le revenu moyen des retraités est aujourd'hui égal à 90 % du revenu moyen des actifs hors revenus du patrimoine. Or, cette statistique ne doit pas masquer le fait que certains inactifs ont des revenus très inférieurs à la moyenne, tel est le cas pour 800 000 veuves dont les revenus sont inférieurs à 277 euros par mois.

M. François Mercereau a précisé que la mise en concurrence de la gestion des dépenses sociales doit naturellement se faire à l'intérieur d'un cahier des charges précis comportant le respect de quelques grands principes comme ceux d'une assurance universelle, de l'absence de sélection des assurés ou de la garantie d'un niveau minimum de prestations. Ce système serait très différent du système américain, mais se rapprocherait de ce qui existe en Suisse ou aux Pays-Bas. L'accès de tous aux soins doit évidemment être préservé, mais il convient d'éviter le sur-accès aux prestations sociales.

Il s'est ensuite déclaré très favorable à la contribution d'un euro par consultation ou d'un euro par boîte de médicament, car il s'agit de petites sommes qui, a priori, ne posent pas de problème pour les assurés, y compris pour ceux qui sont inscrits à la CMU. Si la durée de séjour en Ehpad diminue, cela est avant tout lié au fait que l'âge d'entrée dans ces établissements recule et qu'il est aujourd'hui supérieur à quatre-vingt-cinq ans. La dépendance est bien évidemment assurable et, seule, la mutualisation permettra effectivement de faire face à des durées de dépendance très différentes. Mais trop peu de personnes encore veulent y penser en France, où l'on constate que ce type de produit d'épargne ou d'assurance reste très peu développé.

Après avoir convenu de la complexité des structures et des mécanismes de la CNSA, malgré la qualité des intervenants, M. François Mercereau a confirmé que la situation de certaines veuves est à l'origine d'une réelle pauvreté. Il faudrait que les retraites soient plus directement liées au travail et que l'on mette par exemple en place un système patrimonial où le conjoint survivant pourrait bénéficier de la moitié des points de retraite engrangés pendant la durée du mariage.

Audition de M. Gilles JOHANET, président du comité maladie à la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), directeur général adjoint des Assurances générales de France (AGF) (mardi 29 mai 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé à titre liminaire l'expérience acquise par M. Gilles Johanet en matière de financement de la protection sociale comme directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) puis, à partir de l'année 2003, comme directeur général adjoint des Assurances générales de France (AGF), enfin, comme président du comité maladie de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) à compter de 2004.

M. Gilles Johanet a d'abord estimé que le niveau de détail et de pertinence des comptes sociaux est encore insuffisant pour permettre au Gouvernement, au Parlement et aux partenaires sociaux de suivre convenablement les évolutions du système de protection sociale et de juger sa performance. De réels progrès ont été faits pour la branche vieillesse grâce à la création du conseil d'orientation des retraites (Cor) et à la réforme Fillon de 2003. Toutefois, les besoins de clarification des comptes sont encore considérables pour la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui se caractérise par des résultats sensiblement différents d'une caisse régionale à l'autre. Pour la branche maladie, l'analyse de la performance médicale, financière et sociale du système est encore très insuffisante.

Pour un niveau d'information optimal, il conviendrait idéalement de disposer d'un « carré magique » comprenant la ventilation des dépenses, leur contrepartie productive, la pertinence de cette contrepartie ainsi que le coût de celle-ci. Or, ces informations restent incomplètes puisque, par exemple, la ventilation des dépenses n'est pas précisée pour l'hôpital, alors que ce poste représente 47 % des dépenses de santé. Pourtant, cette insuffisance est connue depuis de nombreuses années et on ne l'a pas corrigée, malgré une circulaire de 1989 engageant les directeurs d'hôpitaux à améliorer le système d'information relatif aux dépenses des établissements.

A cet égard, la faible productivité des dépenses des hôpitaux constitue un sujet d'inquiétude majeur. Citant l'exemple de l'imagerie à résonance magnétique (IRM), M. Gilles Johanet a indiqué que les hôpitaux effectuent en moyenne 4 700 actes par an et les centres de lutte contre le cancer 468, contre plus de 13 000 pour les structures privées. De fait, l'utilisation des IRM dans le secteur public n'est pas optimale, ce qui peut entraîner un problème de qualité lorsque la pratique de l'acte médical est trop peu courante. Plus généralement, la question de l'allocation des ressources humaines et matérielles dans le domaine de la santé devrait faire l'objet d'une analyse plus fine pour améliorer la productivité des dépenses, notamment par des économies d'échelle. Dans l'exemple précédent, il s'agirait ainsi de limiter le nombre d'IRM en milieu rural et de développer les IRM « en batterie » dont le coût de fonctionnement est de 30 % inférieur à celui d'un appareil utilisé isolément.

Abordant le rôle des partenaires sociaux dans la gestion du système de protection sociale, M. Gilles Johanet s'est déclaré attaché au paritarisme, le jugeant indispensable au dialogue et, au-delà, à la cohésion sociale, même si le paritarisme n'a pas toujours correctement fonctionné.

Il a souhaité que le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie fasse évoluer les mentalités des partenaires sociaux et de l'opinion publique sur le sujet de l'optimisation des dépenses de santé, comme le Cor y est parvenu pour les retraites, même si cette évolution semble plus difficile pour l'assurance maladie, en raison de l'importance des intérêts des professionnels de santé et d'une approche souvent trop systémique de ces questions.

Il s'est déclaré préoccupé par le développement du subreptisme qui modifie sans le dire le paradigme de 1945 selon lequel toute dépense sociale nouvelle est synonyme de progrès social, et son augmentation permise par des ressources humaines et financières quasi illimitées. Cette méthode de réforme opaque n'est à son avis pas étrangère à la « poujadisation rampante » des professionnels de santé, inquiets des changements de leurs conditions de travail et des pressions souvent contradictoires exercées par l'Etat et par les caisses pour améliorer leur performance.

Concernant l'avenir des lois de financement de la sécurité sociale et la place particulière de la protection sociale au sein des finances publiques, il s'est élevé contre la proposition de fusionner les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Si les branches retraite et accidents du travail sont par nature contributives, la stricte logique de solidarité ne s'applique en réalité que pour la CMU, qui ne devrait d'ailleurs pas pour autant être exclue d'une recherche de performance. Il a cité, à cet égard, le paradoxe du remboursement total, unique en Europe, des dépenses d'homéopathie pour les bénéficiaires de la CMU et, à l'inverse, leur mauvaise couverture dentaire. Il a souligné le problème des dentistes qui refusent certains des patients à la CMU, car leur prise en charge constitue pour leur cabinet un coût économique, notamment pour l'activité de prothésiste.

M. Gilles Johanet a jugé absurde que les professionnels de santé soient associés à la régulation de la dépense sociale. Aucun contrat n'est en effet crédible entre la puissance publique et les soignants, dans la mesure où ces derniers disposent d'une liberté absolue d'installation, de prescription et parfois de tarification et que le conventionnement n'est pas sélectif.

Il s'est déclaré favorable à une coopération entre l'assurance maladie et les assurances complémentaires, rendue nécessaire par la logique de modulation du ticket modérateur. Ce partenariat doit toutefois être contractuel, et non réglementaire, et ne pas être soumis à l'accord préalable des professionnels de santé. Il suppose également que les complémentaires aient accès aux données de l'assurance maladie, leur permettant de connaître ce qui revient à leur charge et ainsi de répondre au mieux à la demande de performance formulée par les assurés. Enfin, certains transferts de remboursements de l'assurance maladie vers les assurances complémentaires devraient être organisés pour que la solidarité nationale conserve les moyens de prendre en charge de nouvelles dépenses et être accompagnés de la liberté de remboursement pour les complémentaires en fonction de l'intérêt médical de l'acte ou du produit.

M. André Lardeux a souhaité savoir si le fait d'améliorer la productivité des dépenses de santé, en particulier du secteur hospitalier, suffirait à résoudre le déficit chronique de l'assurance maladie.

M. Gilles Johanet a convenu que l'augmentation de la productivité ne pourrait régler à elle seule le problème du déficit, mais qu'elle constitue un élément capital de la solution. Il a pris l'exemple du nombre d'infirmiers hospitaliers, passé de 150 000 à 460 000 entre 1975 et aujourd'hui, alors que le nombre d'entrées et la durée moyenne de séjour ne se sont pas accrus dans les mêmes proportions. Le secteur hospitalier est trop diffus, peu hiérarchisé et insuffisamment spécialisé. Les seules améliorations apportées ont concerné les greffes grâce à un décret pris par Michèle Barzac et le maillage territorial des maternités mis en place par Bernard Kouchner, lorsqu'ils étaient ministres de la santé.

Mme Marie-Thérèse Hermange a rappelé que la commission des affaires sociales du Sénat appelle de ses voeux depuis longtemps une réforme ambitieuse de l'hôpital. Elle a souhaité que cette réforme prévoie notamment un système de promotion des directeurs d'hôpitaux en fonction des résultats obtenus.

Abordant le problème du déficit sous l'angle de la médecine de ville, M. François Autain a considéré que les médecins libéraux bénéficient en réalité des avantages du salariat, compte tenu de leur conventionnement avec l'assurance maladie et s'est déclaré favorable à la mise en place d'un conventionnement sélectif, rappelant que la Fédération hospitalière de France (FHF) le préconise également. Il s'est inquiété de l'individualisme croissant des soignants comme des assurés, qui rend délicate toute tentative de réforme du système de santé.

Il a dénoncé le lien entre l'Etat, qui détermine en particulier le prix des médicaments, et les professionnels de santé. Or, le prix des médicaments devrait être fixé par les organismes d'assurance plutôt que par le ministre et l'assurance maladie obligatoire devrait avoir la responsabilité entière pour les soins entrant dans un panier bien déterminé, le reste pouvant être transféré aux assurances complémentaires.

M. Bernard Cazeau a souhaité connaître l'opinion de M. Gilles Johanet sur les franchises applicables aux remboursements annoncées par le Gouvernement.

M. Gilles Johanet a rappelé que les pouvoirs publics avaient longtemps eu une approche essentiellement comptable de l'assurance maladie, puis une approche médicale ces cinq dernières années, mais jamais une approche économique du système. Or, l'économie de la santé est une économie de rente, puisque l'offre de soins n'est régulée ni par la demande, ni par les prix. Le système crée ses propres dépenses. Ainsi, la généralisation du dépistage obligatoire du cancer du sein a été pour partie décidée afin d'utiliser les 1 500 mammographes implantés sur le territoire national, nombre élevé comparé aux 400 appareils anglais et aux 600 allemands. De même, la France compte 4 500 laboratoires de biologie, dont un tiers n'atteint pas l'équilibre financier, au lieu de 600 en Allemagne. Il y a donc des progrès à faire en matière d'économies d'échelle.

Les pouvoirs publics doivent se placer sur le terrain du « donnant-donnant » pour faire accepter aux soignants les nécessaires réformes. Or, la tendance est plutôt à ménager leur susceptibilité, comme tel a été le cas avec les médecins généralistes dont les honoraires ont été portés à 23 euros sans contrepartie, alors qu'il convenait, par exemple, de négocier la suppression de la prescription médicale facultative afin de développer l'automédication, moins coûteuse pour la collectivité. Une réflexion doit également être engagée sur les actes effectués par ces professionnels, dont un tiers semble relever du paramédical. Dans un contexte de démographie médicale défavorable - le nombre de médecins généralistes devrait revenir de 55 000 à 40 000 ces prochaines années - il serait utile de recentrer leurs missions sur les actes les plus médicalisés. Or, les pouvoirs publics se sont contentés d'une frileuse délégation de tâches aux professions paramédicales, décidée de manière subreptice, au lieu de mettre en place un véritable transfert de compétences.

M. Gilles Johanet a ensuite reconnu que l'établissement du prix des médicaments devrait logiquement revenir aux financeurs, même si ce point ne fait pas partie des principales revendications des assureurs complémentaires. Il serait également souhaitable de disposer d'un bilan annuel précis des rabais, ristournes et remises accordés dans la plus complète opacité par les laboratoires pharmaceutiques.

Mme Marie-Thérèse Hermange a complété ce propos en indiquant que le niveau de consommation médicamenteuse à l'hôpital, en forte augmentation, ne fait l'objet d'aucune communication.

M. François Autain a estimé que la consommation de médicaments ne peut être régulée que par les prix.

M. Gilles Johanet a rappelé la position particulière du système de santé français, qui a refusé de se réformer par la voie du marché, pourtant choisie avec succès par le Japon et l'Allemagne et consistant en des prix libres et des niveaux de remboursement au tarif de référence. La solution administrée a été préférée par la France pour deux raisons principales : le maintien de l'attractivité du territoire national pour l'industrie pharmaceutique (320 laboratoires sont aujourd'hui présents sur le marché français : l'instauration d'un tarif de référence n'en laisserait subsister qu'une quinzaine) et l'idée que l'administration est capable de réguler le système en l'encadrant. Or, seul, Xavier Bertrand, lorsqu'il était en charge du ministère de la santé, est parvenu à faire en sorte que les laboratoires soient conduits, pour la première fois, à contribuer au financement du système de santé.

Sur les transferts de charges entre l'assurance maladie et les assurances complémentaires pour les soins et les médicaments à faible intérêt thérapeutique, M. Gilles Johanet a souhaité qu'une réflexion soit rapidement menée, de même que sur l'instauration de contreparties mesurables et suivies pour toute augmentation des honoraires des soignants. A cet égard, la négociation en cours sur le secteur optionnel est instructive.

Les franchises ne répondent pas au problème du déficit de manière efficiente. En effet, elles ne sont pas concentrées sur les dépenses les plus coûteuses, qui dépendent de l'heure (honoraires de nuit), de la nature de l'acte (les échographies ou les actes de chirurgie par exemple) et du lieu (les hôpitaux locaux ont un rendement plus faible). En outre, si les franchises ne s'appliquent qu'aux dépenses avec ticket modérateur, elles ne touchent pas les onze millions de personnes en affection de longue durée (ALD), dont les dépenses de santé augmentent trois à quatre fois plus vite que celle des cinquante autres millions de Français.

Plutôt que la mise en place de franchises, il vaudrait mieux modifier les critères de classement en ALD. Les critères médicaux actuels ne sont pas adaptés et exercent une pression très grande sur les médecins pour qu'ils acceptent de déclarer les patients en ALD. Ainsi, si 28 % des diabétiques étaient inscrits en ALD dans les années 1960, ils sont 78 % aujourd'hui, sans que la nature du mal ait changé. Il faut au contraire mettre en place des critères financiers en fonction des ressources du patient, comme le préconise la Haute Autorité de santé, pour limiter le risque de fraude et, par là, l'inflation des dépenses. En effet, il n'est pas souhaitable que l'assurance maladie ne protège à terme qu'une minorité de Français pris en charge à 100 %. Néanmoins, les franchises, sorte de « reste à charge initial », finiront sans doute par se mettre en place, sous réserve de la résolution d'un certain nombre de difficultés techniques.

Audition de M. Jacques BICHOT, professeur à l'Université Jean Moulin Lyon III (mardi 29 mai 2007)

M. Jacques Bichot a tout d'abord souligné qu'il convient de distinguer les différents prélèvements obligatoires en fonction de la présence ou non de contrepartie et du risque de phénomène de passager clandestin qu'ils entraînent, c'est-à-dire l'apparition de services gratuits financés par tous. Certaines activités, notamment dans le domaine régalien de l'Etat, ne peuvent être financées que par des prélèvements obligatoires sans contrepartie. En revanche, dans le domaine de la protection sociale, qui s'apparente à une activité de prestation de service, il est préférable de choisir des prélèvements obligatoires avec contrepartie. Tel était d'ailleurs le choix opéré par les fondateurs de la sécurité sociale quand ils ont opté pour un financement par cotisations sociales. A l'heure actuelle, le financement de la protection sociale tend à s'éloigner de ce modèle, avec une forte progression du financement par prélèvements obligatoires sans contrepartie.

Les comptes publics constituent un ensemble complexe, en raison de la multiplicité des acteurs concernés et d'une organisation des relations financières entre ces acteurs, qui est source de confusion. Dans le domaine social, les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ont été rendues particulièrement peu lisibles en raison des choix opérés en matière d'allégement de charges sociales. Par ailleurs, la multiplication des fonds a entraîné la mise en place d'une tuyauterie compliquée et changeante, qui ne facilite pas la reconstitution des comptes et leur suivi à moyen terme.

Abordant la question de la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, M. Jacques Bichot a considéré que cette proposition s'inscrit dans la suite logique de la transformation du conseil des impôts en conseil des prélèvements obligatoires et relève de la même idée que la création d'un ministère des comptes publics. Il s'est déclaré défavorable à une telle fusion, estimant que celle-ci n'améliorerait pas la clarté des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale doit se concentrer sur les sujets relevant réellement de son périmètre afin d'enrayer sa tendance à se transformer en « projet de loi portant diverses mesures d'ordre social » et il faut laisser aux gestionnaires de la sécurité sociale le soin de prendre les mesures de gestion quotidiennes qui n'entrent pas dans le champ de compétences du Parlement.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, il a observé qu'ils assurent correctement leur mission, dès lors que l'on respecte leur rôle de gestionnaire. Ainsi, l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et l'association des régimes de retraite complémentaire (Arrco), qui sont gérées par les partenaires sociaux, réussissent à s'adapter progressivement à l'évolution de leurs charges, là où le régime général échoue en raison d'une intervention systématique de l'Etat. Il serait donc souhaitable d'accroître nettement le rôle des partenaires sociaux dans le régime général et d'éviter que l'Etat interfère dans la gestion de la sécurité sociale.

M. Jacques Bichot a estimé ambiguë la notion de droits acquis par le travail, lui préférant celle de droits acquis par les cotisations. La notion de droits acquis par le travail a souvent été mal comprise. En particulier aux Etats-Unis, en déconnectant les prestations servies des cotisations qui les financent, elle a entraîné des dettes sociales très importantes pour certaines entreprises du secteur automobile, qui ont reporté de façon dangereuse une partie de leurs charges dans le futur.

Il s'est dit favorable à un remplacement des cotisations patronales par des cotisations salariales, afin de clarifier le coût du travail pour les entreprises et de montrer que les cotisations sont effectivement supportées par le salarié.

S'agissant de la fonction publique, les charges de pension inscrites au budget d'une année donnée ont en réalité été créées lors d'exercices antérieurs. On impute donc à une mauvaise gestion de la dépense publique un phénomène qui relève en réalité d'une mauvaise gestion de la dette de l'Etat.

Le principe d'un financement par des cotisations salariales peut, à son sens, être conservé pour la plupart des risques, à l'exception des accidents du travail. Dans ce dernier domaine, il est normal que le financement du risque repose sur une cotisation de l'employeur, dans la mesure où c'est lui qui crée le risque pour ses salariés. Il a insisté sur le fait que la branche famille peut rester financée par des cotisations sociales, puisqu'elle finance des dépenses ayant un caractère d'investissement dans le capital humain pour les entreprises.

Il serait souhaitable de mettre fin à la progression de la part de l'impôt dans le financement de l'assurance maladie, sachant qu'un financement par cotisations sociales n'exclut pas la possibilité d'un régime de solidarité. Le régime actuel de la CMU de base en est un bon exemple, puisqu'il consiste à subventionner la cotisation de ceux qui ne peuvent la payer.

La TVA sociale ne constitue pas, à son avis, une ressource de financement réellement intéressante. Sa variante, consistant à moduler les cotisations sociales en fonction de la valeur ajoutée de l'entreprise, n'est pas plus opérationnelle. D'ailleurs, Maurice Lauré, inventeur de la TVA, n'était pas lui-même partisan d'une TVA sociale, puisqu'il avait démontré qu'un financement par cotisations sociales était le mode de financement de la protection sociale le plus compatible avec l'économie de marché.

M. Jacques Bichot s'est alors dit favorable à toute mesure permettant aux assurés de mieux percevoir le coût de la protection sociale. Il est nécessaire que chacun puisse expérimenter en pratique ce coût et telle est la raison pour laquelle un financement par cotisations salariales est préférable. Dans le même souci, on pourrait mettre fin au prélèvement à la source des cotisations salariales, afin que les assurés soient obligés de faire un acte positif pour s'acquitter de leurs cotisations. Une meilleure perception, par les assurés, du coût de la protection sociale devrait leur permettre d'influencer son évolution par leurs choix de consommation.

Il est souhaitable de préserver une distinction entre protection sociale et budget de l'Etat, qui pourrait continuer à reposer sur le critère assurance/assistance. Toutefois, la solidarité entre les assurés sociaux ne se limite pas à l'existence d'un régime non contributif, car elle s'opère également dans le cadre de la mutualisation qui préside au régime assurantiel.

M. Jacques Bichot a observé que les dépenses de solidarité représentent aujourd'hui entre 25 % et 30 % des dépenses de protection sociale, soit un montant total d'environ 130 milliards d'euros. Cette somme étant équivalente au produit actuel de la CSG et de l'impôt sur le revenu, on pourrait envisager de fusionner ces deux impôts afin d'en affecter le produit au financement de la protection sociale de solidarité.

La gestion de la dépense sociale ne peut être améliorée, à son sens, qu'en rapprochant les gestionnaires de la dépense. Telle est la raison pour laquelle les partenaires sociaux doivent rester les gestionnaires principaux de la sécurité sociale. D'ailleurs, dans certains domaines, les assurés sociaux pourraient eux-mêmes piloter la dépense : en matière de retraites, il serait possible de fixer simplement des règles de neutralité actuarielle permettant aux assurés de faire leur choix en toute connaissance de cause, au lieu d'intervenir sans cesse par des mesures législatives.

M. André Lardeux a souhaité savoir si les transferts de compétences réalisés au profit des départements en matière de protection sociale, notamment au titre de la dépendance, ont un caractère vertueux ou inflationniste en termes de dépenses.

M. Jacques Bichot a reconnu qu'en matière de dépendance, la période écoulée fait apparaître une augmentation forte des dépenses, mais qu'il serait injuste d'attribuer cette augmentation à un laxisme des départements. La hausse des dépenses est due en réalité à la montée en charge d'une prestation nouvelle dans un contexte de vieillissement généralisé de la population. Au total, les départements assurent une gestion aussi, voire plus, économe qu'un organisme de sécurité sociale classique.

Le choix de confier la gestion du risque dépendance aux départements ne signifie pas qu'il faille renoncer à l'inclure dans la protection sociale : une véritable assurance dépendance pourrait même être mise en place en mobilisant une partie des revenus des jeunes retraités.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé que les prestations d'assurance maladie sont principalement concentrées sur onze millions d'assurés, alors que cinquante millions d'autres personnes cotisent avec un faible retour en termes de prestations. Il a donc relevé le risque qu'il y aurait à faire apparaître un écart important entre les cotisations supportées et la consommation réelle de soins, dès lors qu'on mettrait fin au prélèvement à la source des cotisations sociales. Il a souligné qu'en laissant le salarié libre de reverser ou non ses cotisations, il est probable que de nombreuses personnes choisiront de ne pas payer tant qu'elles ne se sentiront pas concernées, ce qui serait contraire à la logique de mutualisation et de solidarité intergénérationnelles de l'assurance maladie.

M. Jacques Bichot a estimé que l'assurance maladie doit rester obligatoire afin de préserver la solidarité propre à la protection sociale. Toutefois, l'assurance maladie n'est pas une assurance ordinaire, puisque certains, comme les enfants, sont assurés gratuitement et que d'autres cotisent de façon identique, alors qu'ils consomment davantage. Il a d'ailleurs évoqué la possibilité d'appliquer une logique actuarielle au calcul des cotisations d'assurance maladie. Le choix d'une telle solution éviterait d'avoir à recourir à des mécanismes d'exonération de charges pour les jeunes afin de compenser un coût du travail trop élevé par rapport à leur productivité. Il a enfin rappelé qu'il est possible de distinguer une assurance obligatoire de base pour les soins les plus importants et les plus coûteux et une assurance facultative pour le reste.

Audition de Mme Marie-Christine LEPETIT, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des impôts (mercredi 30 mai 2007)

Mme Marie-Christine Lepetit a précisé que la direction de la législation fiscale n'est pas directement impliquée dans la préparation des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale. Sa compétence porte sur les seuls impôts alors que, pour les prélèvements sociaux, la direction de la sécurité sociale est l'administration compétente. Néanmoins, elle a coprésidé le groupe de travail administratif ayant mené, au début de 2006, la réflexion sur un changement d'assiette des cotisations de sécurité sociale et elle participe également aux travaux en cours du ministère des finances sur la TVA sociale.

Puis Mme Marie-Christine Lepetit a présenté les deux questions essentielles qui, selon elle, se posent aujourd'hui en matière de recettes : l'existence de marges de manoeuvre en matière d'assiette des prélèvements obligatoires et le problème de la cohérence de l'affectation des recettes aux différentes catégories de dépenses.

La structure de nos prélèvements obligatoires est une question centrale, car il s'agit de savoir si l'on peut limiter les prélèvements pesant directement sur le travail en les remplaçant par des recettes assises sur une assiette plus large. Cette réforme a déjà été en partie mise en oeuvre avec la création de la CSG, qui a conduit à diminuer le taux des prélèvements sur les salaires et à asseoir les prélèvements sur une assiette plus large, comprenant notamment les revenus du capital. La plupart des points de CSG correspondent bien au remplacement de points de cotisations sociales, ce qui signifie que l'on a clairement choisi la voie de la fiscalisation des recettes de la sécurité sociale. Aussi bien la part des cotisations au sein de ces recettes est-elle revenue de 90 % il y a vingt-cinq ans à environ 60 % aujourd'hui.

Au cours de l'année 2006, plusieurs travaux ont été menés sur la substitution d'une nouvelle assiette aux cotisations patronales. De façon assez concordante et quelles qu'aient été les hypothèses retenues, les différentes études ont montré que cette substitution ne présentait pas autant d'avantages qu'on pouvait l'espérer. Il en a été ainsi aussi bien pour l'institution d'une cotisation sur la valeur ajoutée que pour la création d'une cotisation patronale généralisée ou l'instauration de la TVA sociale. Dans chaque cas, ont été examinés la dynamique potentielle de la recette, son impact économique à moyen et long terme, ainsi que ses conséquences pour les contribuables.

Globalement, il est ressorti de ces divers travaux qu'il n'existe pas, sur le long terme, de recette ayant une meilleure dynamique que les prélèvements sur les rémunérations. En outre, il est apparu dangereux de négliger les phénomènes d'ouverture de l'économie et de très grande concurrence fiscale à l'échelle européenne et mondiale. La mobilité du capital est une réalité, avec des phénomènes de fuite rapide des actifs dont il faut avoir conscience et pouvoir se protéger.

Sur un plan économique, le débat est resté ouvert et assez interrogatif. Les résultats mathématiques des différents modèles ont montré qu'à court terme, on pouvait attendre un léger progrès en termes d'emploi avec une création nette de 10 000 à 25 000 emplois. A plus long terme, ces effets paraissent bien moins nets ; en outre, on a constaté un impact non négligeable sur la croissance et l'inflation.

Ainsi, en matière de TVA sociale, il est sans doute nécessaire d'observer une très grande prudence sur les enchaînements inflationnistes, en tenant compte du fait que de nombreuses prestations et coûts publics sont indexés sur la hausse des prix. Néanmoins, la hausse récente de la TVA en Allemagne ne se traduit pas, pour l'instant, par un effet inflationniste, à l'inverse de ce qu'avaient prévu les économistes. Il est donc extrêmement difficile de prévoir ce qui pourrait se passer en France si l'on décidait d'augmenter la TVA. Il est également important d'ajouter qu'à la différence de l'économie française, l'économie allemande est essentiellement fondée sur les investissements et les exportations.

Mme Marie-Christine Lepetit a ensuite évoqué d'autres pistes possibles de réflexion en matière de prélèvements sociaux. La première concerne les niches sociales. En effet, dans un contexte où la dépense sociale reste très dynamique, il convient d'être extrêmement vigilant sur le dynamisme des recettes et donc de se montrer particulièrement critique sur les diverses exonérations d'assiette.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité savoir si le ministère des finances porte le même intérêt à la traque des niches fiscales, en rappelant que le déficit du budget de l'Etat est sensiblement supérieur à celui de la sécurité sociale.

Mme Marie-Christine Lepetit a convenu du parallélisme entre les deux débats, mais la dynamique particulière de la dépense sociale exige d'être très rigoureux sur les niches sociales. Diverses mesures d'améliorations sont envisageables. Ainsi, en matière de CSG, quelques éléments d'assiette peuvent encore être taxés et l'existence de quatre barèmes différents applicables aux revenus de remplacement, aux revenus d'activité et aux revenus de placement est parfois source d'inéquité. Les règles applicables à la CSG sont plus hétéroclites qu'un rapide examen ne pourrait le montrer à première vue. En outre, la prime pour l'emploi n'est aujourd'hui pas intégrée dans les calculs d'assiette et quelques effets de seuil sur les revenus des retraités mériteraient d'être corrigés.

Un espace de réflexion existe également sur les prélèvements dits comportementaux, c'est-à-dire sur les taxes applicables au tabac, à l'alcool et aux boissons sucrées et autres produits alimentaires. Même si un recours accru à ce mode de taxation ne peut résoudre les problèmes d'équilibre de la sécurité sociale et si leur mise en oeuvre technique est parfois complexe, il n'en demeure pas moins que des marges non négligeables existent sur ces prélèvements.

Puis Mme Marie-Christine Lepetit a fait valoir que, sur le problème de l'allocation des recettes aux dépenses, il y a plus de sécurité à disposer de plusieurs catégories de recettes que d'une seule. L'Etat et les collectivités territoriales disposent d'ailleurs de ressources suffisamment variées pour pouvoir supporter des variations de rendement. Pour la sécurité sociale, il semble préférable de ne pas avoir une seule dynamique de recettes, à savoir aujourd'hui les rémunérations, assiette des cotisations et, aussi en grande partie, de la CSG.

Le deuxième élément de réflexion est celui de la distinction entre dépenses contributives et assurantielles. Même si cette division est intellectuellement séduisante, sa mise en oeuvre pratique est difficile. Néanmoins, on constate de façon légitime la forte prédominance des cotisations sociales pour le financement des dépenses de retraite, d'assurance chômage et d'indemnités journalières.

Un autre aspect de la réflexion concerne le coût du travail. En effet, la plupart des économistes conviennent aujourd'hui de l'efficacité de la diminution du coût du travail pour améliorer l'emploi. A cet égard, les travaux de la Cour des comptes sur les allégements de charges sociales ont parfois été mal interprétés, car celle-ci a bien conclu à un effet positif sur l'emploi des allégements de charges sur les bas salaires. Aujourd'hui, il pourrait être intéressant d'ouvrir une discussion avec les partenaires sociaux pour réfléchir à l'opportunité d'une nouvelle baisse du coût du travail, en particulier sur les bas salaires.

Au total, il existe, malgré certaines contradictions apparentes, plusieurs possibilités d'aménagement des dépenses et des recettes qui permettraient de clarifier les relations entre le budget de l'Etat et la loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, Mme Marie-Christine Lepetit a souligné que son expérience de travail avec les différentes administrations chargées de la préparation des deux textes financiers est avant tout celle d'une étroite collaboration et d'un souci permanent de recherche d'une réelle cohérence, notamment sur les questions fiscales. Les difficultés mises en exergue ne tiennent pas non plus à l'existence de deux textes de loi, mais plutôt à des raisons politiques, car il est parfois commode d'avoir deux discours contradictoires sur certains sujets. En définitive, les prélèvements ont un seul impact économique et ne s'adressent qu'à un seul contribuable, ce qui rend impérative une vision unique des finances publiques.

Audition de M. Didier TABUTEAU, directeur général de la fondation des Caisses d'épargne pour la solidarité (mercredi 30 mai 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé que M. Didier Tabuteau est conseiller d'Etat et a travaillé auprès de plusieurs ministres de la santé et de la protection sociale : M. Claude Evin, Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner, dont il a été le directeur de cabinet. Depuis novembre 2003, il exerce les fonctions de directeur général de la fondation « Caisses d'épargne pour la solidarité » et de chargé de mission pour la filière « assurances » de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance. Il a créé la chaire « Santé » de l'Institut d'études politiques de Paris et il est vice-président de la Société française de santé publique.

A titre liminaire, M. Didier Tabuteau a indiqué qu'il limiterait son propos à la santé et à l'assurance maladie, qui entrent dans son champ de compétences actuel. En réponse aux interrogations des rapporteurs sur l'organisation du système de protection sociale français, il a estimé qu'il existe aujourd'hui un décalage complet entre les fondements théoriques de la sécurité sociale élaborés en 1945 et les transformations très profondes qui l'ont affectée au cours de ces soixante dernières années. Il s'est constitué, en particulier, en matière d'assurance maladie, un fossé important entre le monde virtuel des institutions en place et le monde réel, qui repose sur un fonctionnement très différent.

Les mécanismes d'origine prenaient appui, jusque dans les années soixante-dix, sur une gestion par les partenaires sociaux disposant d'une autonomie effective, dans la mesure où il n'existait pas de problèmes de financement des dépenses de santé. Pendant cette période, le taux global de remboursement et de prise en charge de la dépense de maladie a crû de manière continue.

A partir de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, la légitimité de la démocratie sociale a été en pratique progressivement battue en brèche, sans que la question de la remise en cause éventuelle des institutions ne soit posée.

Cinq étapes peuvent être distinguées : la création de la CSG entre 1991 et 1995, d'abord pour le financement de la branche famille, puis pour celui de la branche maladie ; la transformation du débat sur les conventions médicales qui, de strictement contractuel, est devenu un débat de portée politique ; la mise en place de la réforme Juppé ; la création de la CMU ; enfin, l'institution, par la loi de 2004, de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Ainsi, par petites touches, la France est sortie en pratique du système instauré en 1945, tout en y restant sur le plan organique.

M. Didier Tabuteau a fait ensuite observer les divergences d'évolution entre les trois principales branches de la sécurité sociale, s'agissant du degré de maintien du paritarisme : celui-ci reste très présent dans la branche vieillesse, notamment avec les régimes complémentaires, alors qu'il a de fait disparu dans la branche famille, qui ne constitue plus qu'un instrument d'intervention aux mains de l'Etat placé au sein de la sécurité sociale ; l'assurance maladie se situe entre ces deux extrêmes.

Le débat réel porte aujourd'hui sur les modes de régulation. De ce point de vue, force est de constater que l'enveloppe institutionnelle n'a que peu d'effet et que la création des lois de financement de la sécurité sociale n'a pas véritablement remis en cause les facteurs de détermination de la dépense, notamment en matière de maladie. Au-delà d'un débat somme toute assez formel entre le Gouvernement et les assemblées au moment de la discussion de ce texte, chaque automne, la réalité du pouvoir reste entre les mains des patients et des professionnels de santé, qui continuent à déterminer seuls, en pratique, le niveau de la dépense, et donc du solde.

Il est indispensable, à son sens, de se tourner vers les modèles étrangers pour repérer ceux qui ont permis une approche plus satisfaisante de la régulation des dépenses de santé. A l'épreuve de cet examen, deux réponses apparaissent pertinentes : d'une part, la territorialisation, d'autre part, le partenariat avec les professions de santé, qui est un élément central du dispositif allemand, mais qui n'a jamais réussi à trouver sa place en France. Se contenter de vouloir retailler le « château de sable » de 1945 ne présente donc aucun sens.

Au-delà de la question des modes de régulation, l'autre défi à relever est celui de la mise en place d'une approche globale des besoins de financements sociaux, lesquels recouvrent la dépendance, les réponses à apporter à la pauvreté, l'effort à poursuivre en matière de handicap, la progression des dépenses de maladie au rythme d'un point de PIB supplémentaire par décennie, l'expansion des retraites, l'indemnisation persistante du chômage et, enfin, l'éducation.

Sur tous ces sujets, il apparaît aujourd'hui très difficile de disposer d'une approche d'ensemble fondée sur des projections intégrées permettant de définir le besoin global de financement à échéance de cinq ou dix ans. C'est pour cette raison que la chaire « Santé » de l'Institut d'études politiques de Paris vient de se doter d'outils de projection pour évaluer les effets à long terme des décisions prises en matière de financement.

C'est donc sous cet angle d'une vision intégrée des besoins de financements sociaux pris dans leur ensemble que doit être posée la question de l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. La conclusion à en tirer pour l'organisation des pouvoirs publics est double : cette organisation doit permettre une synthèse, mais les décisions finalement retenues doivent être le fruit d'arbitrages entre plusieurs instances distinctes présentant chacune leur demande. Cette nécessité d'un arbitrage découlant d'un dialogue préalable exclut la création d'une structure unique et il n'apparaît pas pertinent de mettre dans la même main, de ce point de vue, ce qui relève de la sphère budgétaire et ce qui relève du domaine social.

M. François Autain a demandé des précisions sur la proposition de territorialisation. Il a aussi souhaité savoir comment l'Allemagne était parvenue à un système de cogestion associant les médecins au financement de l'assurance maladie. Il s'est interrogé concomitamment sur l'incapacité des Français à suivre la même démarche.

M. André Lardeux s'est enquis de l'opinion de M. Didier Tabuteau sur la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale pour la dépendance, ainsi que sur la nature des financements dont elle pourrait bénéficier.

En réponse aux questions de M. François Autain, M. Didier Tabuteau s'est déclaré une nouvelle fois convaincu que la maîtrise des dépenses de santé ne pourra se faire que dans un cadre géographique assez restreint, au niveau régional, voire infra-régional. Ce n'est en effet qu'à ce niveau qu'il est possible de repérer les facteurs de dérapage de la dépense.

Bien évidemment, cette régulation régionale ou infra-régionale n'aura de sens que si une partie des dépenses est régionalisée. Tout en se déclarant partisan absolu de l'existence de prestations uniformes sur l'ensemble du territoire, il a estimé de ce point de vue que la responsabilisation des professionnels de santé et des patients doit reposer localement sur la mise en place d'objectifs de dépenses régionaux. Ces objectifs, fruit de discussions entre les partenaires sociaux, les professionnels de santé et les représentants des patients, devraient recevoir une sanction politique, par exemple sous la forme d'une validation par le conseil régional qui engagerait l'ensemble des cosignataires.

En réponse à Mme Marie-Thérèse Hermange , M. Didier Tabuteau a précisé qu'à ses yeux, la régionalisation devait s'appliquer également aux dépenses hospitalières et impliquerait une régionalisation concomitante d'une partie des cotisations maladie, sous réserve de la mise en place d'un mécanisme de péréquation entre les régions.

Il a cité en exemple le régime local d'Alsace-Moselle, dont le fonctionnement est proche des règles appliquées en Allemagne, qui présente un intéressant système d'équilibrage effectué à peu près en temps réel, fonctionnant de surcroît à la satisfaction générale de l'ensemble des bénéficiaires et des prestataires.

Revenant sur le modèle allemand, M. Didier Tabuteau a indiqué que les moindres difficultés rencontrées outre-Rhin dans la gestion de la branche maladie proviennent de l'absence d'opposition stérile entre gestionnaires et professionnels de santé. Il a rappelé qu'en France, la loi de 1928, qui se proposait d'étendre à l'ensemble du pays le régime alsacien-mosellan, n'avait pas été appliquée et que la charte de la médecine libérale, adoptée en réaction à la loi de 1930, avait, quant à elle, cristallisé une opposition tranchée entre des professionnels estimant qu'ils devaient en permanence défendre leur liberté et un système de financement perçu, par ces mêmes professionnels, comme aliénant. En Allemagne au contraire, le chancelier Bismarck avait mis en place l'assurance maladie en s'appuyant sur les médecins considérés comme des partenaires.

Abordant ensuite les questions de dépendance, il a d'abord souligné le fait que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) a eu pour premier mérite d'apporter des marges de financement nouvelles et, plus fondamentalement, qu'elle a permis de rapprocher dépendance et handicap. L'étape à laquelle il convient maintenant de réfléchir est celle d'une articulation, mais pas nécessairement d'une fusion, entre la prise en charge de la dépendance et la politique familiale. A l'avenir, en effet, les deux questions ne pourront pas être traitées indépendamment l'une de l'autre.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a souhaité que soient précisées les critiques portant sur la relative inefficacité des lois de financement de la sécurité sociale en matière de régulation des dépenses. Il a en particulier demandé l'opinion de M. Didier Tabuteau sur l'option d'une fusion entre la loi de financement et la loi de finances, sur les nouvelles règles de gouvernance instituées par la réforme de 2004 en matière d'assurance maladie, sur le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et sur le recours aux franchises pour réguler les dépenses d'assurance maladie.

M. Didier Tabuteau a tout d'abord entendu écarter toute ambiguïté, en indiquant qu'il est un farouche partisan des lois de financement de la sécurité sociale. Pour autant, force est de constater que toute la phase préparatoire des discussions entre l'exécutif et le Parlement apparaît finalement comme un travail en trompe-l'oeil. Après son adoption, la loi de financement se révèle totalement déconnectée de la réalité, dans la mesure où elle ne constitue pas un instrument pertinent de régulation de la dépense. Seule, peut-être, l'action sur les dépenses hospitalières peut échapper à cette critique.

S'agissant de la nouvelle gouvernance de l'assurance maladie, la réforme de 2004 constitue une nouvelle étape du processus, amorcé à partir des années soixante dix, de dépossession progressive du pouvoir des partenaires sociaux. Il convient de rappeler, en effet, que les ordonnances de 1967 donnaient tout le pouvoir de négociation au président de la Cnam. Le régime mis en place en 2004 apparaît comme un système hybride, se situant au milieu du gué : le législateur n'est pas allé jusqu'à créer une agence dont la mission serait d'appliquer la politique du Gouvernement. M. Didier Tabuteau s'est déclaré en ce sens pour une évolution vers un mécanisme comprenant une agence nationale, à la condition toutefois que cette réforme soit combinée avec la territorialisation qu'il a précédemment évoquée, l'agence comprenant des démembrements sous forme de délégations régionales assurant le pilotage de l'assurance maladie.

Il a confirmé son souhait de mise en place d'objectifs de dépenses régionalisés, tout en reconnaissant qu'il ne dispose pas de modèle clé en main. L'idéal serait sans doute la création d'un organisme régional de concertation comprenant les partenaires sociaux, les fournisseurs de santé et les représentants des patients, l'accord réalisé au sein de cet organisme étant ensuite validé par une autorité politique qui pourrait être le conseil régional.

S'agissant des franchises, celles-ci ont deux vocations possibles :

- la première est d'assurer le financement de l'assurance maladie. La technique de la franchise peut alors se révéler efficace, mais présente l'inconvénient de casser la solidarité entre les bien portants et les malades, les premiers n'en subissant pas la charge, intégralement reportée sur les seconds. Par ailleurs, cette conception de la franchise part de l'idée qu'une partie des dépenses d'assurance maladie est le fruit d'un gaspillage imputable aux malades eux-mêmes, ce qui n'est pas économiquement démontré<;

- la seconde consiste à lui conférer un rôle de régulation en vue de réfréner la dépense. Il s'agit alors d'un instrument classique de la politique de maîtrise de la demande. Cette conception est critiquable, car l'effet de la régulation apparaît alors paradoxal : celle-ci ne pèse pas sur les catégories les plus aisées, qui sont les plus tentées de faire un usage de confort de la médecine ; en revanche, elle ferme l'accès aux soins pour les catégories les plus fragiles sur le plan économique et sur le plan sanitaire avec, pour corollaire, le risque d'apparition à terme de pathologies plus graves et donc plus coûteuses.

M. Gilbert Barbier a demandé que soit justifiée l'affirmation selon laquelle les dépenses de santé augmentent d'un point de PIB en moyenne tous les dix ans.

M. Didier Tabuteau a rappelé qu'une étude rétrospective sur les quarante dernières années révèle une progression des dépenses de santé d'en réalité 1,2 point de PIB tous les dix ans. La progression inéluctable de la part des dépenses de santé dans la richesse nationale ne signifie pas une hausse automatique des prélèvements obligatoires : il faudra opérer des choix.

Ainsi, si l'on constate qu'aujourd'hui, les trois quarts environ de la dépense consacrée à la santé sont socialisés, il faudra qu'au cours des quarante prochaines années trois des quatre points de PIB supplémentaires consacrés à ce secteur soient pris en charge par la collectivité. Mais il est également possible d'envisager une stabilisation de la prise en charge socialisée et un report intégral de la charge nouvelle sur le patient. En ce cas, il faut être bien conscient que l'on reviendra progressivement vers un taux de prise en charge par la société de 50 %, taux qui était celui en vigueur dans les années cinquante, au début de la sécurité sociale. Cette situation est tout à fait plausible si la hausse au cours des prochaines quarante années est supérieure aux quatre points envisagés et si, comme certains le pensent, la part de la richesse nationale consacrée à la santé atteint 25 % du PIB.

Toutefois, si l'on souhaite que les Français continuent d'adhérer aussi massivement qu'ils le font aujourd'hui à leur système de soins, il faudra maintenir un taux de prise en charge socialisée de la dépense de santé de l'ordre de 75 %.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a désiré savoir quelles sont les pistes privilégiées pour rester à ce niveau de prise en charge socialisée des dépenses de santé à hauteur de 75 %, compte tenu de leur taux de progression. Quelles sont les autres dépenses sur lesquelles il serait possible d'agir afin de ne pas provoquer, toutes choses égales par ailleurs, un relèvement des prélèvements obligatoires ?

M. Didier Tabuteau a décliné son expertise, l'estimant, en l'état, insuffisante. Toutefois, il sera difficile d'échapper, à son avis, à une hausse nette des prélèvements obligatoires pour financer le coût croissant des régimes sociaux. La dépense socialisée pourrait ainsi augmenter de deux à trois points de PIB, même en opérant parallèlement un gros travail de maîtrise des déterminants de cette dépense.

Audition Mme Rolande RUELLAN, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, et de M. Michel BRAUNSTEIN, conseiller maître (mercredi 30 mai 2007)

A titre liminaire, Mme Rolande Ruellan a indiqué que la chambre qu'elle préside a conduit, conjointement avec la 1 re chambre, compétente pour les lois de règlement, une réflexion sur l'éventuelle fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Les propos qu'elle peut tenir sur ce sujet sont donc le fruit d'un travail en commun qui ne constitue cependant pas une prise de position de la Cour des comptes dans son ensemble.

Interrogée sur les moyens permettant d'assurer une meilleure approche globale des comptes publics, Mme Rolande Ruellan a estimé qu'une vision d'ensemble est d'ores et déjà possible ex-post à travers la comptabilité nationale. Celle-ci a en effet pour objet de rassembler par catégories de dépenses, ou par sous-ensembles d'acteurs, selon des nomenclatures uniques, les dépenses enregistrées dans les comptes de l'Etat, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale.

La notion de protection sociale fait, dans ce cadre, l'objet d'une définition européenne et d'un système statistique harmonisé, le système européen de statistiques de la protection sociale (Sespros), piloté par Eurostat.

En revanche, il n'existe pas d'approche globale des finances publiques ex-ante se traduisant dans un document voté par le Parlement. Cependant, des progrès ont été réalisés dans ce sens avec la mise en place de la conférence nationale des finances publiques, ainsi qu'avec la faculté dorénavant offerte d'organiser un débat parlementaire dans chaque assemblée, commun à l'ensemble des finances publiques, en vue duquel la Cour doit élaborer en juin de chaque année un rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Si tous ces exercices sont réalisés avec sérieux et réalisme, ils peuvent constituer un apport considérable.

Mme Rolande Ruellan a cependant jugé que si des avancées importantes ont été réalisées, notamment avec le débat d'orientation de juin au Parlement, on peut regretter que celui-ci ne se soit pas encore complètement emparé des instruments qui lui étaient offerts.

Ainsi est-il indispensable que le travail de définition des objectifs pour les dépenses et les déficits soit effectué de manière réaliste. La présentation pluriannuelle prévue en annexe à la loi de financement de la sécurité sociale n'a de sens que si elle est sérieusement étayée et accompagnée de mesures de maîtrise des dépenses. A défaut, elle ne peut apparaître que comme incantatoire et ne peut être respectée. Or, force est de constater qu'actuellement, ces annexes demeurent trop peu explicites sur la justification des hypothèses servant à leur élaboration.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé que la commission des affaires sociales a dénoncé, lors des débats de la fin 2006, les insuffisances qui caractérisent ces annexes et notamment la pauvreté des justifications apportées aux hypothèses retenues. Il a demandé que la Cour l'appuie dans sa démarche en vue d'obtenir plus de précisions.

M. Michel Braunstein a estimé que les problèmes de projection se concentrent essentiellement sur l'Ondam, les autres données (taux de progression du PIB, de la masse salariale dans le secteur privé et inflation) étant généralement bien établies. Depuis sa création en 1996, l'Ondam n'a en effet été respecté qu'en 2005 et on sait, d'ores et déjà, qu'il y aura un nouveau dérapage en 2006, risquant d'être plus important en 2007 au vu des statistiques des quatre premiers mois, alors même que celles-ci ne prennent pas en compte les hausses des honoraires des médecins et des infirmières accordées depuis le début de l'année.

Mme Rolande Ruellan a évoqué à ce sujet le déclenchement de la procédure d'alerte par le comité d'alerte sur le respect de l'Ondam, lequel a estimé que le dépassement de l'objectif des seuls soins de ville serait de l'ordre de 2 milliards d'euros en 2007.

Abordant ensuite la question de la proposition de fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, Mme Rolande Ruellan a indiqué que c'est sur ce point précis qu'a été menée la réflexion commune des 1re et 6e chambres de la Cour des comptes.

Certes, le rapport de MM. Alain Lambert et Didier Migaud, à l'origine de cette proposition, se fonde sur plusieurs constats dont certains peuvent être partagés. Il est vrai, en particulier, que les impôts et taxes affectés (ITAF) revêtent une importance croissante, représentant 28 % des ressources du régime général en 2007.

Cependant, les deux chambres de la Cour ne partagent pas le postulat des auteurs du rapport selon lequel la fusion des deux lois assurerait une vision consolidée des finances publiques et des prélèvements obligatoires et garantirait une plus grande maîtrise des dépenses et des déficits sociaux. Les chambres relèvent, en effet, les contradictions internes de cette proposition qui opère une confusion entre budgétisation et fiscalisation de certaines branches, alors que l'une n'est en aucun cas le corollaire obligé de l'autre. Par ailleurs, la budgétisation aurait pour résultat de porter le budget de l'Etat à plus du double de son montant actuel, l'essentiel de la majoration correspondant en outre à des dépenses évaluatives. Ce procédé n'aurait aucune portée en termes de maîtrise des dépenses, sauf si l'on transformait les dépenses à caractère social de nature évaluative en dépenses limitatives, ce qui est impossible.

On a plutôt eu le sentiment, ces dernières années, que l'on allait vers une plus grande distinction entre les deux textes, au travers notamment de reclassements de dépenses qui ne manquent pas de pertinence.

Les chambres font par ailleurs observer que la plage de recouvrement des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale est aujourd'hui faible et a même tendance à s'amoindrir : elle se limite à 16,4 milliards d'euros en 2006, soit 4 % des 391 milliards d'euros de recettes des régimes de base.

La complexité dénoncée par MM. Alain Lambert et Didier Migaud est certes avérée, mais elle est d'abord due à des décisions politiques. De ce point de vue, les chambres n'ont pas vu en quoi ces décisions auraient été différentes s'il n'y avait eu qu'une seule loi. La maîtrise des dépenses de sécurité sociale ne dépend pas en effet des supports législatifs dès lors que l'on exclut l'idée que les prestations cessent d'être servies quand les objectifs de dépenses sont atteints. Elle suppose des choix politiques et des solutions juridiques et techniques indifférentes au fait qu'il y ait deux lois distinctes ou qu'elles soient regroupées dans une seule.

En conséquence, la 1 re et la 6 e chambres de la Cour se sont prononcées pour le maintien d'une loi de financement de la sécurité sociale distincte, mais ont estimé que cette loi devrait à l'avenir respecter cinq conditions : prévoir des mesures pour respecter les objectifs ; ne pas créer de dépense nouvelle non financée ; ne pas sous-évaluer l'impact des mesures nouvelles, l'exemple de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) apparaissant emblématique à cet égard ; ne pas compter sur des économies hypothétiques à l'évaluation très volontariste ; et, enfin, ne pas abuser de mesures de financement à effet ponctuel qui ne constituent que des «  fusils à un coup ».

En conclusion, la nature et la portée des deux lois sont différentes, mais la loi organique de 2005 a renforcé la portée des lois de financement de la sécurité sociale en permettant au Parlement de voter l'équilibre des branches et d'en suivre l'exécution pluriannuelle.

Dans le prolongement de cette réforme, les deux chambres suggèrent que le législateur fixe et respecte des règles cohérentes et stables de répartition des champs de compétences entre les deux lois. En particulier, dès lors que le budget de l'Etat n'est pas concerné, il serait normal que les mesures touchant la sécurité sociale relèvent de la seule loi de financement de la sécurité sociale. Or, en l'état, la loi organique précise que, seules, les recettes entièrement affectées à la sécurité sociale relèvent de la compétence exclusive des lois de financement. En conséquence, il suffit qu'une faible fraction d'un impôt continue d'être affectée au budget de l'Etat pour que les mesures concernant cet impôt figurent indifféremment en loi de finances ou en loi de financement. Tel est le cas en particulier des droits sur les tabacs, qui sont aujourd'hui affectés à hauteur de 95 % à la sécurité sociale, et dont il serait dès lors plus logique qu'ils relèvent de la compétence des lois de financement de la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé que la commission des affaires sociales a protesté contre cette situation à plusieurs reprises, mais n'a jusqu'à présent pas obtenu gain de cause.

Mme Rolande Ruellan a indiqué que les chambres se sont également prononcées pour la mise en place de procédures visant à empêcher des incohérences entre les deux lois tout au long de la procédure de vote.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a abondé en ce sens, soulignant l'asymétrie actuellement existante : si la commission des finances a un rapporteur pour avis sur les lois de financement de la sécurité sociale, apte à repérer les amendements susceptibles d'interférer avec le budget, il n'existe pas à l'inverse de rapporteur de la commission des affaires sociales présent en permanence sur la totalité de la discussion du projet de loi de finances.

Mme Rolande Ruellan a confirmé que les difficultés de coordination entre les deux textes sont plus liées aux hommes qu'à un éventuel défaut de travail en commun des administrations concernées. Il semble en particulier que la direction de la sécurité sociale et la direction de la législation fiscale soient parvenues à un très bon niveau de concertation et c'est donc plus en aval, notamment lors de la discussion parlementaire, que les difficultés apparaissent, reflétant en réalité des rapports de force de nature politique.

Réitérant son scepticisme à l'égard de solutions mettant en avant de nouvelles procédures pour régler les problèmes qui ne peuvent l'être que par une réelle volonté de maîtrise de la dépense, elle a exprimé son inquiétude sur les dangers potentiels de la nouvelle architecture gouvernementale en train de se mettre en place. Sortir les questions de financement de la compétence des ministères sociaux leur conférera peut-être un caractère exclusivement dépensier, au risque de les déresponsabiliser.

Achevant la présentation des propositions des chambres pour accroître la clarification des relations entre le budget et les lois de financement, Mme Rolande Ruellan a souligné le rôle de la certification des comptes de l'Etat et de ceux du régime général, qui devrait permettre de faire clairement apparaître la dette de l'Etat à l'égard des organismes de protection sociale.

Interrogée sur la notion de droits acquis par le travail, Mme Rolande Ruellan a rappelé que certains droits à prestations restent, dans le système français, liés à la qualité de travailleur : les retraites et, plus nettement encore, les accidents du travail - maladies professionnelles. Tel n'est pas le cas en revanche pour les prestations maladie et famille qui ont un caractère universel. Il est regrettable de ce point de vue que l'on ne soit pas allé jusqu'au bout du processus de fiscalisation de l'assurance maladie dans un souci de cohérence, après la création de la CMU.

A y regarder de plus près, les retraites ne constituent pas non plus un pur produit d'assurance. En effet, la nature contributive de la retraite connaît beaucoup d'aménagements : les pensions sont plus que proportionnelles à l'effort contributif, à la faveur même des règles de calcul ou de majorations diverses. Mais la tendance depuis quinze ans est bien de rendre les retraites plus strictement contributives, renvoyant ainsi à des mécanismes d'assistance sous condition de ressources (le minimum vieillesse) le soin de compléter les pensions les plus faibles.

Mme Rolande Ruellan a ensuite souligné la difficulté rencontrée pour finir de faire basculer le financement des branches famille et maladie dans le champ de la fiscalité. La partie du financement de ces branches toujours assise sur les salaires est en effet constituée de cotisations patronales que l'on ne sait pas, en l'état actuel des choses, convertir en impôt. Cette conversion, qui suppose la réintégration des cotisations supprimées dans le salaire direct afin de compenser la hausse de CSG imputée aux salariés, est sans doute jouable pour les grandes entreprises, mais elle paraît plus difficile à mettre en oeuvre dans les petites entreprises du fait de l'absence de syndicats et de contrôle.

Répondant à la question de savoir si la fiscalisation progressive des recettes des organismes de protection sociale répond à un mouvement inéluctable, Mme Rolande Ruellan a estimé que la fiscalisation des recettes est souhaitable, notamment pour la branche famille, tout en rappelant que ce mouvement ne doit pas être confondu avec une budgétisation. La budgétisation de la branche famille ne serait d'ailleurs pas de l'intérêt de l'Etat, même si l'excédent structurel de cette branche est appelé à réapparaître.

En réalité, la complexité dont parlent MM. Alain Lambert et Didier Migaud vient d'une fiscalisation rampante. L'essentiel de ce point de vue est d'aboutir à une clarification, ce qui a commencé à être fait avec l'instauration d'un panier fiscal destiné à compenser les allégements généraux de cotisations à la place de l'ancien système confus de subventions par l'Etat. On voit bien que ce mouvement de substitution d'impôt affecté aux subventions de l'Etat est contradictoire avec l'idée de fusion et que c'est bien dans cette voie qu'il faut continuer d'avancer.

A ce sujet, Mme Rolande Ruellan a indiqué que le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale de 2006, qui paraîtra en septembre 2007, comprendra une insertion sur le « mitage » de l'assiette des cotisations. Cette insertion fera apparaître que le régime général perd plusieurs milliards d'euros de cotisations chaque année du simple fait des diverses exonérations non compensées. Or, il n'existe pas de bilan de l'avantage coût/efficacité de ces exonérations.

Abordant ensuite la question des moyens de couverture des dépenses à caractère social au cours des prochaines années, compte tenu d'une évolution très dynamique, elle a confirmé le constat selon lequel on anticipe plutôt une augmentation des dépenses de santé et surtout de retraite supérieure à celle du PIB. Les projets de réforme élaborés par des experts ont toujours recommandé de partager les efforts entre professions de santé et assurés, entre cotisants et retraités actuels et futurs.

Pour la retraite, les choix de principe ont déjà été réalisés dans la réforme de 2003 : l'équilibre financier doit se faire par l'effet combiné des trois leviers que sont l'âge de la retraite, en jouant sur la durée nécessaire pour avoir une retraite à temps complet, le taux de cotisation retraite et le taux de remplacement. Les travaux récents du Conseil d'orientation des retraites (Cor) montrent qu'une action limitée à l'âge de départ à la retraite obligerait à reporter celui-ci de trois ans ; agir uniquement sur le taux de cotisation imposerait une majoration de quatre points ; enfin, l'utilisation du seul levier du taux de remplacement contraindrait à réduire celui-ci de vingt points. Dans ces conditions, il conviendra d'agir sur les trois leviers à la fois pour répartir l'effort et le rendre plus supportable. En outre, toute modification des règles devra comprendre un objectif d'égalité de traitement entre cotisants, c'est-à-dire s'attaquer à la réforme des régimes spéciaux.

En ce qui concerne l'assurance maladie, l'avenir de son financement passe par un accroissement de la productivité du système de distribution des soins, qu'il s'agisse de la répartition géographique des équipements hospitaliers, de la réorganisation interne de l'hôpital, de la mise en place d'une médecine de ville mieux organisée ou de la redistribution des compétences entre les médecins et les paramédicaux. Du côté des assurés, il faudra se préoccuper de la répartition du reste à charge. 60 % des dépenses d'assurance maladie sont aujourd'hui causées par les patients en affections de longue durée (ALD), proportion qui ne cesse d'augmenter.

Cette question des ALD est aujourd'hui prioritaire, mais la Haute Autorité de santé, chargée notamment de revoir les protocoles d'admission aux ALD, ne semble pas vouloir se saisir de ce sujet et reste pour l'instant en « stand by ».

M. Michel Braunstein a ajouté sur ce point le constat selon lequel il existe aujourd'hui une répartition incohérente des ALD sur l'ensemble du territoire. Certaines régions présentent des taux deux fois plus élevés que d'autres, sans justification épidémiologique convaincante.

En concluant sur la question de la régulation des dépenses de santé, Mme Rolande Ruellan a rappelé que l'un des principaux gisements d'économies réside également dans le mode de gouvernance de l'hôpital. Il s'agit d'une conviction profonde de la Cour des comptes, qui aura l'occasion d'en reparler dans un proche avenir.

Interrogée ensuite sur l'existence d'un espace d'autonomie pour la protection sociale au sein des finances publiques, Mme Rolande Ruellan a répondu par l'affirmative, soulignant une nouvelle fois la nécessité de distinguer protection sociale et budget de l'Etat.

La protection sociale a un périmètre plus large que la sécurité sociale. Schématiquement, elle intègre aussi l'aide et l'assistance sociales, ainsi que la protection complémentaire, obligatoire et facultative. La comptabilité nationale rassemble toutes ces composantes qui interagissent les unes sur les autres : quand la sécurité sociale réduit sa protection, elle reporte des dépenses sur les deux autres composantes. Pendant des décennies, cependant, les progrès de la sécurité sociale avaient conduit à diminuer les dépenses d'aide sociale et aussi de minima sociaux. La tendance apparaît aujourd'hui inversée : quand l'Unedic réduit le champ du chômage indemnisé, un report de charges s'effectue sur la prestation d'assistance financée par l'Etat ou sur le RMI financé par les départements.

Ce constat de l'existence de vases communicants ne plaide pour autant pas pour une fusion de l'ensemble dans un seul budget, ne serait-ce que parce que la protection complémentaire, même obligatoire, ne relève pas de la loi de financement de la sécurité sociale et que l'aide sociale est de la compétence des collectivités territoriales. Mais il est incontestablement nécessaire d'avoir un pilotage commun de l'ensemble des composantes de la protection sociale.

Puis Mme Rolande Ruellan a considéré qu'il n'est pas opérationnel de fonder la distinction entre protection sociale et budget de l'Etat sur la distinction de base entre contributif/assurantiel, d'une part, et dépenses relevant d'une pure logique de solidarité, de l'autre. La distinction solidarité/assurance ne permet pas de fonder des frontières logiques. Le vrai critère est celui du caractère général de la protection : est-elle liée à la résidence en France ou à une condition d'activité professionnelle minimale ?

Il reste cependant nécessaire de procéder à une réflexion logique, indépendante dans un premier temps des aspects de financement, afin de mieux définir la nature des prestations. Par exemple, l'allocation de parent isolé (API), prestation familiale aux termes de la loi, est depuis quelques années financée par le budget de l'Etat, alors qu'elle est strictement de même nature que le RMI. La question est donc posée de savoir si elle doit subsister en tant que prestation autonome.

Ainsi, une fiscalisation plus claire et plus simple est nécessaire pour certaines branches ou prestations, mais pas la budgétisation ni la fongibilité, qui entraîneraient une gestion de la sécurité sociale sous l'autorité de l'Etat, ce qui est contraire à toutes les évolutions actuelles. Le rôle de celui-ci n'est pas d'être gestionnaire des prestations.

Envisageant d'autres pistes pour aller dans le sens d'une simplification et d'une plus grande transparence des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, Mme Rolande Ruellan a plaidé pour un financement de la sécurité sociale à partir de recettes propres bénéficiant d'un dynamisme suffisant pour couvrir l'évolution des dépenses. L'idée de ce point de vue serait que la sécurité sociale soit financée par un nombre limité de prélèvements dont il suffirait d'ajuster les taux pour garantir l'équilibre du système.

Si l'on doit considérer comme un progrès l'augmentation des taxes affectées au détriment des subventions, force est toutefois de constater que les ITAF ne donnent pas une garantie totale de couverture de ses besoins pour la sécurité sociale. Le caractère aléatoire de l'évolution de la taxe sur les tabacs au cours des prochaines années montre bien que cette ressource n'est sans doute pas complètement satisfaisante, pour s'en tenir à ce seul exemple.

Interrogée sur les propositions de la Cour en vue d'améliorer la coordination de la préparation des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, Mme Rolande Ruellan a indiqué que la Cour n'a pas travaillé sur ce sujet, dans la mesure où une mission Igas/IGF avait déjà produit un rapport en 2005 et où une nouvelle mission de ces deux inspections a repris la question au début 2007.

En ce qui concerne l'utilisation des instruments de bonne gouvernance mis en place par la loi organique de 2005, elle a estimé que ce texte a apporté des améliorations notables mais que, jusqu'à présent, les annexes sont insuffisantes pour expliquer les hypothèses retenues pour le calcul de l'Ondam. D'ailleurs, la simple observation des données récentes montre que ces hypothèses ne sont pas réalistes, sauf mesures drastiques d'économies. Les outils existent, mais ce sont les hypothèses retenues et l'absence de décision pour les respecter qui posent un problème.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé que cette analyse est partagée par la commission des affaires sociales, qui avait fait part de ses réserves au Gouvernement, lors de l'examen de la dernière loi de financement.

Interrogée enfin sur l'idée de généraliser le principe de l'Ondam et du mécanisme du comité d'alerte mis en oeuvre pour la branche maladie, Mme Rolande Ruellan a souligné le fait que l'Ondam est construit avec des dépenses d'assurance maladie et d'accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) qui peuvent en principe faire l'objet de mesures d'encadrement ou dont les volumes doivent pouvoir être contenus. Il a donc théoriquement un caractère opérationnel et, à l'origine, il pouvait en cas de dérapage déboucher sur des sanctions à l'égard des médecins. Mais tel n'a jamais été le cas : l'Ondam n'est en effet une enveloppe fermée ni à l'égard des assurés sociaux qui ont des droits, ni à l'égard des médecins, sur lesquels il était illusoire d'envisager de récupérer la totalité des dépassements. Le comité d'alerte participe de la logique de l'Ondam : en cas de dérapage des dépenses, des actions sont possibles en cours d'année, comme tel fut le cas à l'automne 2006.

Pour les autres branches en revanche, il ne peut y avoir d'équivalent de l'Ondam, car il n'y a pas de réglage infra-annuel possible, sauf sur les dépenses d'action sociale et encore, dans la seule branche famille. Un comité d'alerte serait sans doute utile, mais uniquement pour mettre en évidence une insuffisance de recettes et la nécessité de préparer des mesures d'ajustement dont l'effet, en tout état de cause, ne pourrait être immédiat.

Audition de M. Jean-Louis DEROUSSEN, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf)142 ( * ) (mercredi 27 juin 2007)

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M. Nicolas About a ensuite interrogé les responsables de la Cnaf sur le sujet du périmètre de la protection sociale, en particulier sur l'idée d'une fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, sur l'intérêt de la budgétisation de la branche famille ou encore du basculement des cotisations patronales affectées à la Cnaf vers une partie de la contribution sociale généralisée (CSG) ou de la TVA sociale.

M. Jean-Louis Deroussen s'est félicité de la création du conseil d'orientation des finances publiques et des efforts déjà effectués pour améliorer la coordination des textes financiers, harmoniser les calendriers, reconnaître la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale et permettre un retour régulier du Gouvernement vers le Parlement avec la production d'états financiers semestriels. Accentuer cette meilleure transparence et la collaboration entre administrations est certainement une bonne chose mais elle n'implique pas pour autant la fusion des textes financiers. Celle-ci se heurte en effet à la grande différence de nature des dépenses concernées et au principe de l'affectation préalable des recettes en matière de finances sociales. S'agissant de la branche famille, des prévisions de long terme sont nécessaires, ce qui signifie la fixation d'objectifs pluriannuels précis. Dans ce cadre, il est néanmoins impossible de définir des enveloppes limitatives car la naissance d'enfants constitue un « risque » que la branche doit, en tout état de cause, assurer. Certes, au cours des dernières années, l'existence d'excédents financiers a facilité la création de nouvelles prestations, comme la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), créant ainsi des dépenses nouvelles difficiles à évaluer précisément. Toutefois, l'augmentation actuelle des recettes devrait permettre d'annuler le déficit de la branche famille en 2008 ou du moins d'ici deux à trois ans. L'exemple du Conseil d'orientation des retraites (Cor) pour la vieillesse ou du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) pour la santé pourrait être reproduit pour la famille, avec la création d'un conseil d'orientation qui permettrait d'avoir une démarche plus prospective et de construire des budgets en équilibre tout en continuant à répondre aux attentes des familles.

Puis M. Jean-Louis Deroussen a évoqué le sujet de la TVA sociale en estimant au préalable indispensable de connaître les résultats détaillés des expérimentations menées à l'étranger. Il a souligné le risque non négligeable qu'une augmentation de quatre ou cinq points de TVA pourrait faire peser sur le pouvoir d'achat des inactifs. Il a fait valoir que l'équilibre actuel entre cotisations sur les salaires et impôts apparaît satisfaisant, même s'il peut sans doute être légèrement affiné. Il est particulièrement légitime que des cotisations sur les salaires servent à financer des dépenses supplémentaires liées à l'arrivée d'un jeune enfant au sein d'une famille.

M. Nicolas About a souhaité savoir si le plaidoyer de la Cnaf en faveur du maintien des cotisations peut s'analyser comme l'affirmation de la nécessaire gestion de la protection sociale par les partenaires sociaux. Il a par ailleurs estimé que le principe de la TVA sociale est de ne pas créer de surcoût car l'augmentation de la TVA doit compenser une baisse des charges, ce qui, a priori, ne crée pas de risque en termes de pouvoir d'achat.

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M. Jean-Louis Deroussen est convenu que la légitimité de la gestion de la branche famille par les partenaires sociaux disparaîtrait si ses dépenses étaient budgétisées. Néanmoins, le bilan largement positif de ce mode de gestion, en particulier au niveau local où il permet l'expression des besoins du terrain et de la population à travers les conseils d'administration des caisses, conduit à encourager le maintien de cette gouvernance pour la sécurité sociale. En ce qui concerne la TVA sociale, même si l'objectif est de conserver une correspondance dans le pouvoir d'achat des ménages avant et après la réforme, cela n'exclut pas un risque important pour les salariés d'être confrontés à des augmentations de dépenses et donc à une perte de pouvoir d'achat, qui serait de toute façon élevée pour les non-salariés.

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M. Alain Vasselle, rapporteur, a fait valoir que, dans d'autres domaines, le système des crédits limitatifs avait produit des résultats financiers certains et qu'il pourrait dès lors être appliqué à la branche famille.

M. Philippe Georges a précisé que les seules dépenses évaluatives de la branche concernent les sommes versées aux familles. En revanche, les crédits destinés aux collectivités territoriales ne fonctionnent pas à guichet ouvert.

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M. Alain Vasselle, rapporteur, a réaffirmé l'intérêt d'une réflexion sur la nature des crédits de la branche famille car certains exemples, comme celui de l'aide juridique, montrent que l'on peut progresser dans la gestion de crédits, en théorie évaluatifs, dès lors qu'ils deviennent limitatifs.

Audition de Mme Yannick MOREAU, présidente de la section sociale du Conseil d'Etat (mercredi 27 juin 2007)

A titre liminaire, Mme Yannick Moreau a souligné les nombreuses améliorations apparues ces dernières années, notamment avec la création des lois de financement de la sécurité sociale. Il reste cependant plusieurs points préoccupants. En particulier, le Gouvernement peut créer tout au long de l'année des exonérations de cotisations sociales pour des montants parfois substantiels et de façon totalement indolore, la compensation de ces exonérations n'étant envisagée qu'au moment de la discussion du projet de loi de financement. Ce décalage dans le temps entre la décision d'exonération et sa compensation entraîne en pratique un contrôle très faible sur la dépense publique. Phénomène aggravant, la question de la prise en charge des exonérations n'apparaît le plus souvent qu'en annexe aux deux lois financières et passe relativement inaperçue.

Par ailleurs, telles qu'elles existent, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale pourraient finir par poser un problème de sincérité des comptes dans la mesure où ces deux documents peuvent ne pas être en concordance sur le montant des recettes et des charges. Le fait que les deux textes ne soient pas examinés en même temps lors de leur passage au Conseil d'Etat ou au Conseil constitutionnel accroît ce risque.

Une troisième difficulté provient de ce que les arbitrages faits le sont le plus souvent au détriment de la sécurité sociale, sauf lorsqu'il existe un grand « ministère des affaires sociales » dont le titulaire dispose de suffisamment de poids politique pour imposer ses choix. La grande taille de ce ministère n'est cependant pas un gage d'efficacité globale.

Enfin, l'Etat ne paie pas ce qu'il doit pour ses fonctionnaires au titre des cotisations sociales et ne montre pas une qualification exemplaire dans la gestion des transferts sociaux, car il mélange constamment la politique salariale, dont il souhaite minimiser les coûts, et les dépenses au titre des retraites. En pratique, il préfère accorder des bonifications à ses retraités plutôt que des primes à ses fonctionnaires lorsqu'ils sont en activité.

De ce point de vue, il est regrettable que la réforme annoncée des régimes spéciaux ne s'étende pas jusqu'au régime de ceux des fonctionnaires de l'Etat qui ont des avantages supplémentaires par rapport aux autres, notamment du point de vue de l'âge et des bonifications.

Abordant la question d'une éventuelle fusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, Mme Yannick Moreau a estimé que cette idée se heurte à de nombreuses objections. En premier lieu, cette évolution comporte le risque d'une étatisation de la sécurité sociale, en contradiction forte avec les principes fondateurs établis en 1945. Or, face aux réformes nécessaires, il est plus efficace d'associer les partenaires sociaux, ce qui n'est pas facile pour l'Etat. L'exemple du conseil d'orientation des retraites montre l'intérêt d'un processus débordant largement les décideurs étatiques.

D'une façon générale, la société française se caractérise par la dureté des relations dans le domaine social. Au sein de cette société dure, il reste deux éléments d'équilibre : la sécurité sociale et les services publics.

Dans le même ordre d'idées, la fiscalisation accrue des recettes de la protection sociale, ces dernières années, n'est pas un argument justifiant la mise à l'écart des partenaires sociaux et le changement d'organisation de la sécurité sociale. Une fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale en un seul document au prétexte de la prépondérance du financement par l'impôt conduirait à mettre en place un « monstre » impressionnant qui ne serait pas le gage d'une bonne gestion.

A ce sujet, il faut relever, comme cela a été fait à l'occasion des études de la Cour des comptes dans le cadre de son travail de certification, que les administrations centrales ne sont pas bien organisées, ni pour tenir des dossiers de pension, ni pour assurer une maintenance continue de modèles de projections de dépenses. Les mutations des fonctionnaires qui créent ces modèles sont trop souvent, dans les faits, l'occasion d'une perte des éléments à partir desquels les calculs de simulation ont été effectués, par défaut de transmission de ces informations aux nouveaux arrivants.

Une fusion partielle des deux lois financières est peut-être possible, des reclassements sont sans doute envisageables. Mais, pour ne prendre que l'exemple de la branche famille souvent citée comme pouvant basculer dans le périmètre du budget de l'Etat, une telle opération n'apparaît pas opportune. Cette branche comporte en effet un mélange fort de solidarité et d'assurance. L'impossibilité, vérifiée sous le gouvernement de Lionel Jospin, de placer sous condition de ressources les allocations familiales à proprement parler est un indice qu'il faut prendre au sérieux.

En revanche, on peut soutenir que la confection d'un « jaune » qui retracerait l'ensemble de l'effort national - social, budgétaire et fiscal - en faveur de la famille, serait un pas vers une meilleure information du Parlement et des partenaires sociaux.

Par ailleurs, même si l'on conserve deux lois distinctes, il est important que l'exécutif comme le législatif aient une vision consolidée des finances publiques. Des propositions peuvent être faites en ce sens : elles peuvent concerner le déroulement des procédures, la confection de divers documents et les mécanismes de mise en oeuvre financière.

S'agissant des procédures, Mme Yannick Moreau a estimé que, d'une façon générale, les arbitrages interministériels sont faits trop tard. Trop de réunions se déroulent sans rédaction de « bleus ». L'idée de créer auprès du Premier ministre un secrétariat général des finances publiques afin d'améliorer la fonction d'arbitrage qui revient à Matignon pourrait être explorée.

Il serait par ailleurs souhaitable que la norme de progression des dépenses de l'Etat soit élargie à la dette que celui-ci a contractée à l'égard de la sécurité sociale. On pourrait également concevoir des modalités de travail en commun entre les diverses commissions parlementaires saisies du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

S'agissant de la confection de divers documents, on peut imaginer par exemple un document transversal commun à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale pour la famille, répondant aux objectifs décrits plus haut. Ce « jaune » contiendrait des informations sur les dépenses fiscales qui sont actuellement très mal prises en compte pour mesurer les efforts collectifs dans ce domaine comme dans bien d'autres.

En ce qui concerne enfin les mécanismes de mise en oeuvre financière, Mme Yannick Moreau a estimé qu'il serait intéressant d'explorer la voie d'une modification de la loi organique afin de donner un rôle essentiel aux lois de financement de la sécurité sociale pour l'adoption des exonérations de cotisations prévues par d'autres textes. L'idée serait en effet que les exonérations votées tout au long de l'année par le législateur ne deviennent effectives qu'après qu'elles auront été récapitulées et adoptées définitivement en loi de financement de la sécurité sociale. Ce regroupement permettrait de vérifier la compatibilité des exonérations entre elles et avec l'équilibre d'ensemble des finances sociales et d'arbitrer entre l'adoption de ces exonérations ou de privilégier d'autres formes de dépenses.

L'annexe 5 au projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui retrace les exonérations, apparaît de ce point de vue insuffisante, précisément parce qu'elle ne permet pas ce travail indispensable de rapprochement de toutes les données d'ordre financier et n'a qu'une portée réduite.

On peut citer en exemple à ce sujet les transferts de compétences nouvelles et des financements correspondants aux collectivités territoriales qui ne rentrent définitivement en vigueur qu'après le vote des dépenses correspondantes au sein de la plus prochaine loi de finances.

Toujours au chapitre des mécanismes de mise en oeuvre, on pourrait prévoir un système d'avances versées trimestriellement par l'Etat aux organismes de sécurité sociale en contrepartie des prestations que la sécurité sociale verse pour le compte de l'Etat. Cette technique permettrait d'éviter que ne se recréent des dettes du second au détriment de la première.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a demandé des précisions sur les modalités d'examen par le Conseil d'Etat des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Mme Yannick Moreau a rappelé, à titre liminaire, que le Conseil d'Etat ne se prononce pas en opportunité sur les projets dont il est saisi. S'agissant des projets de loi de financement de la sécurité sociale, leurs délais d'examen sont extrêmement courts. La partie pluriannuelle n'est généralement remise aux différentes caisses que deux jours avant la date à laquelle elles doivent se prononcer, ce qui limite le sérieux de l'avis qu'elles peuvent élaborer. D'autre part, les hypothèses sur lesquelles est fondée cette annexe pluriannuelle pâtissent d'une totale absence de publicité. Au total, le document fourni apparaît largement incontrôlable.

Pour autant, le Conseil d'Etat a accumulé au cours de ces dernières années une information importante sur l'évolution des finances sociales, notamment grâce aux rapports annuels élaborés par la Cour des comptes. Le Conseil d'Etat effectue ainsi une analyse des chiffres de progression des dépenses et exerce une sorte de contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation sur les taux d'évolution annoncés. Même s'il ne l'a pas fait jusqu'à présent, il ne s'interdirait ainsi pas de contester des normes de progression qui lui paraîtraient manifestement erronées.

L'examen des articles à proprement parler est effectué avec deux objectifs : le texte proposé doit être convenablement rédigé au regard du principe de lisibilité de la norme juridique ; par ailleurs, sur le fond, il ne doit pas être contraire à la Constitution ou à une convention internationale.

En outre, un examen détaillé est fait sur l'existence éventuelle de « cavaliers sociaux ». C'est-à-dire que l'on recherche les dispositions qui, en application de la loi organique, n'ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Force est de constater que ce contrôle prend un temps considérable.

Une solution consisterait à réhabiliter les projets de loi portant diverses dispositions d'ordre social qui permettent de faire passer l'ensemble des dispositions qui ne trouvent pas leur place en loi de financement ou dans des textes spécifiques. Ce type de texte a aujourd'hui disparu notamment parce que les gouvernements sont devenus réticents à recourir à cette technique, mais il serait utile d'en prévoir au moins un par an ou tous les deux ans, ce qui permettrait de redonner à la loi de financement de la sécurité sociale son véritable rôle.

M. François Autain a souhaité obtenir des précisions sur les propos de Mme Yannick Moreau relatifs aux régimes spéciaux et au régime des fonctionnaires de l'Etat.

Mme Yannick Moreau a confirmé que, dans son esprit, la fonction publique d'Etat constitue bien un régime spécial. Celle-ci a certes été concernée par la réforme de 2003, d'une part avec l'application du principe d'indexation des pensions sur les prix, d'autre part avec l'alignement de la durée de cotisation sur les règles du privé. Cet alignement n'a d'ailleurs pas été fait a minima et le Gouvernement a bel et bien introduit la décote déjà applicable au secteur privé dans la fonction publique.

Si cet effort n'est pas contestable, force est toutefois de constater qu'il reste un certain nombre de difficultés pour des catégories particulières de fonctionnaires. L'Etat a tendance à renvoyer vers des systèmes de bonification ou de départs précoces des avantages financiers qui auraient normalement dû être accordés sous la forme d'améliorations de salaire au bénéfice des actifs. La situation des fonctionnaires est de ce fait très hétérogène et cette question est largement ignorée, d'autant plus que le taux de cotisations fictives fait une moyenne qui n'a pas grand sens.

En admettant que certaines bonifications soient parfois un mécanisme bien adapté, il faut constater que l'évaluation de leurs coûts et de leurs justifications est restée aujourd'hui trop faible.

Au terme d'un débat auquel ont participé Mmes Raymonde Le Texier et Annie Jarraud-Vergnolle, Mme Yannick Moreau a rappelé que le Conseil d'Etat n'est pas principalement un organe financier. Elle a reconnu toutefois qu'il existe des marges d'amélioration dans son travail d'examen de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, estimant notamment qu'il serait envisageable que les deux sections, section des finances et section sociale, aient un regard commun sur les points de recoupement entre les deux textes. Des progrès pourraient ainsi être réalisés dans l'appréciation de la sincérité des comptes, à travers la confrontation des deux documents.

M. Alain Vasselle, rapporteur , a fait observer que, depuis son origine, l'Ondam a reposé, sauf exception, sur des projections qui ne se sont pas vérifiées et il s'est interrogé, dans ces conditions, sur la portée du contrôle de l'erreur manifeste effectué par le Conseil d'Etat. Il a par ailleurs rappelé son souhait que les projets de loi soient accompagnés d'études d'impact financier et a regretté que celles-ci aient en pratique disparu.

Mme Yannick Moreau a reconnu que, jusqu'à présent, l'examen de l'annexe financière du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas spontanément celle qui attire le plus l'attention des conseillers d'Etat. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel n'a jusqu'à présent jamais remis en cause la sincérité des comptes inscrits en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale. Ceci n'incite pas à un contrôle approfondi.

Pour autant, il serait envisageable que des rencontres informelles entre le Conseil d'Etat et la Cour des comptes, après la publication du rapport de la Cour au mois de septembre, permettent d'examiner plus précisément les hypothèses chiffrées du projet de loi de financement de la sécurité sociale et d'apprécier leur crédibilité.

Audition de M. Daniel LENOIR, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) (mercredi 27 juin 2007)

M. Alain Vasselle, rapporteur , a rappelé, à titre liminaire, l'expérience acquise par M. Daniel Lenoir en matière de financement de la protection sociale comme directeur général de la mutualité sociale agricole (MSA), puis, à partir de 2002, de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), enfin, comme directeur général de la fédération nationale de la mutualité française (FNMF), à compter de 2005. Son audition s'inscrit dans la réflexion menée par la Mecss autour de l'idée, avancée au cours de la discussion budgétaire de l'automne dernier par le gouvernement de l'époque, d'une fusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

M. Daniel Lenoir s'est déclaré défavorable à la proposition de fusionner les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, en raison de la différence de logique à l'oeuvre dans le champ de la protection sociale et dans celui des finances publiques. L'existence de textes législatifs distincts ne fait pas obstacle, à son sens, à un suivi global de l'évolution des prélèvements obligatoires et de leur destination, ni à une gestion commune de la dette publique. Le report des déficits sur les générations futures est une très mauvaise solution. Il est nécessaire que les représentants de la nation arbitrent les objectifs de dépenses de la sécurité sociale et déterminent les moyens de respecter l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ainsi que les conditions du respect de cet objectif.

Selon lui, les lois de financement de la sécurité sociale, dont le contenu a déjà été amélioré avec l'adoption de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, doivent faire l'objet de modifications complémentaires. Le périmètre des comptes sociaux ne doit pas se limiter aux comptes de la sécurité sociale mais être étendu à l'ensemble des dépenses engagées pour la prise en charge de chaque risque couvert. Il a cité à cet égard l'exemple de la santé, secteur au sein duquel devraient être prises en compte les dépenses remboursées par l'assurance maladie, celles couvertes par les assureurs complémentaires, enfin celles restant à la charge des ménages. En restreignant la loi de financement de la sécurité sociale aux dépenses des régimes obligatoires d'assurance maladie, le législateur ne dispose que d'une vision partielle des dépenses du secteur.

Poursuivant sa réflexion, il a avancé l'idée d'une loi-cadre pluriannuelle destinée à fixer les évolutions des finances publiques et sociales. Un tel dispositif serait susceptible de prévenir l'intervention du comité d'alerte, d'une part, et de donner à tous les acteurs une meilleure visibilité sur les évolutions du secteur social, d'autre part. Il permettrait la prise en compte des évolutions à venir dans le champ de la protection sociale comme, par exemple, la prise en charge de la dépendance. Cet exercice pluriannuel permettrait en outre de retracer l'effort financier que la nation consacre à la prise en charge des risques sociaux ainsi que la répartition des fonds affectés à chacun de ces risques.

Abordant la question de la maîtrise des dépenses, M. Daniel Lenoir a estimé que la réforme de l'assurance maladie réalisée en 2004 se solde par un échec. En effet, la Cnam n'est pas en mesure, pour des raisons structurelles, de maîtriser l'évolution des dépenses de santé. Une réflexion sur la répartition des rôles entre les différents intervenants est indispensable afin de définir le rôle et le périmètre d'intervention des régimes obligatoires et des régimes complémentaires.

Cette absence de prise en compte de l'intégralité des dépenses de santé constitue un frein à la politique de maîtrise des dépenses de santé et conduit à des reports de charges constants du régime obligatoire vers les assureurs complémentaires et les assurés.

Cette pratique devenue courante, ainsi que l'illustrent les nouveaux transferts envisagés, sans concertation, dans le cadre du plan de redressement établi par la Cnam à la suite de la notification du comité d'alerte, ne constitue pas une politique satisfaisante. La question de la maîtrise des dépenses intéresse tout autant les régimes obligatoires que les régimes complémentaires. Pour compléter sa démonstration, M. Daniel Lenoir a souligné que la mise en oeuvre d'une nouvelle politique de prise en charge de la dépendance doit également constituer un espace de collaboration entre les régimes obligatoires et complémentaires.

Une telle collaboration trace les contours d'une nouvelle gouvernance du système de santé au sein de laquelle il conviendra de s'interroger sur la place et le rôle des partenaires sociaux. Les valeurs et le rôle de la sécurité sociale ont évolué depuis 1945. L'assurance maladie, pour ne prendre que cet exemple, est devenue un régime universel qui n'a plus vocation à relever uniquement d'une gestion paritaire.

Il a observé que rien ne s'oppose à ce que désormais la gestion de l'assurance maladie soit assurée par des organismes disposant d'une véritable autonomie de gestion, notamment en matière de détermination du périmètre de soins non remboursables. Selon lui, une telle agence, dotée d'un conseil de surveillance, obtiendrait des résultats supérieurs en matière de maîtrise des dépenses. Il a rappelé qu'avec la création de la Haute Autorité de santé les opérateurs de l'assurance maladie disposent d'un outil pour contribuer à l'évaluation de la valeur médicale des actes et prestations remboursables.

Il a insisté sur la nécessité de distinguer les biens et services qui doivent être pris en charge par la solidarité nationale de ceux qui relèvent de prises en charge non obligatoires mais peuvent être intégrés à une prise en charge solidaire assurée par les organismes complémentaires. Dans un tel schéma, l'offre commerciale des assureurs complémentaires doit pouvoir se diversifier tout en étant encadrée par les pouvoirs publics par le recours aux incitations fiscales.

Concernant le financement de la protection sociale, M. Daniel Lenoir a considéré que la fiscalisation des recettes de la sécurité sociale est un mouvement irréversible ainsi que l'illustre le débat sur le transfert des cotisations patronales vers une cotisation assise sur la valeur ajoutée. Cette évolution ne soulève aucune difficulté dans le cadre de l'assurance maladie qui est devenue une prestation universelle. La situation est différente dans la branche retraite dont le financement doit demeurer associé à l'activité professionnelle tandis que dans tous les cas la dimension contributive doit être préservée.

Dans ce contexte, les Français ne sont pas prioritairement intéressés par la distinction juridique existant entre une cotisation et une taxe mais bien par l'affectation des recettes aux différents risques couverts par la sécurité sociale. L'objectif des acteurs de la sécurité sociale doit être de rendre totalement transparentes les conditions de son financement et le coût de ses différentes prestations.

M. François Autain a voulu savoir si la gestion de la sécurité sociale par des structures autonomes doit s'accompagner de leur mise en concurrence.

M. Daniel Lenoir a considéré que la gestion du régime obligatoire d'assurance maladie ne doit pas s'accompagner par la mise en concurrence de plusieurs opérateurs, ni par la remise en cause des spécificités actuelles. Cette nouvelle gouvernance doit permettre une collaboration renouvelée des régimes obligatoires et des régimes complémentaires pour définir le périmètre de soins, les prix des actes et des prestations. En contrepartie de cette association, les assureurs complémentaires pourront ajuster leur contribution à la prise en charge des prestations non couvertes par les régimes obligatoires.

M. François Autain s'est interrogé sur l'opportunité de mettre en oeuvre des franchises sanitaires.

M. Daniel Lenoir a rappelé que le recours à la franchise est une technique courante dans le monde de l'assurance. Toutefois, le cumul du ticket modérateur déjà existant et d'une nouvelle franchise pourrait produire des effets indésirables, en excluant de l'accès aux soins certaines franges de la population. D'autres effets indésirables pourraient d'ailleurs survenir, notamment en matière de régulation des dépenses lorsque le patient aura réglé le montant de sa franchise annuelle.

Le recours à la participation forfaitaire, qui relève d'un autre mécanisme, a des effets plus directs sur la régulation des comptes mais, là encore, se pose la question du rôle des régimes complémentaires dans la prise en charge des dépenses de santé non couvertes par les régimes obligatoires.

* 142 Seule la partie de cette audition consacrée au sujet traité par le présent rapport figure ici.

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