V. QUEL BILAN DES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L'ETAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ?

A. UN EXCÉDENT QUI NE CORRESPOND PAS À DE MOINDRES RECETTES POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Quelle que soit l'année considérée, cet excédent du compte ne correspond pas à de moindres recettes pour les collectivités territoriales.

Tout d'abord, comme cela a été indiqué, le compte est structurellement, sur longue période, en déficit, les dépenses étant nécessairement inférieures aux recouvrements. Si les recettes du compte sont depuis plusieurs années supérieures à ses dépenses, c'est simplement parce qu'il recouvre des créances qu'il n'avait pas perçues plus tôt, et qui ont donc, il y a plusieurs années, suscité des soldes négatifs. Il n'y a aucune « fuite » dans le système au détriment des collectivités territoriales.

Sur longue période, les seules « fuites » sont les admissions en non valeur (ANV) et les dégrèvements ordinaires, correspondant à des recettes que l'Etat aurait dû percevoir et qu'il ne percevra pas, de l'ordre de respectivement 600 millions d'euros par an et 2.000 millions d'euros par an.

B. COMMENT ÉVALUER L'IMPACT DU COMPTE D'AVANCES SUR LE SOLDE DU BUDGET GÉNÉRAL ?

Le solde net pour l'Etat de ses relations de trésorerie avec les collectivités territoriales constitue un enjeu essentiel des finances publiques. Comme on peut s'y attendre, les acteurs tendent à retenir des critères différents, selon qu'ils se placent du point de vue de l'Etat ou des collectivités territoriales.

Une première question est celle de la prise en compte du compte d'avances « élargi ».

1. Le solde du compte d'avances : une approche simple mais insuffisante

On pourrait être tenté, en première analyse, de considérer qu'un déficit ou un excédent du compte d'avances correspondent respectivement à une charge nette ou à un bénéfice net pour l'Etat.

Cependant, cette approche présente l'inconvénient d'omettre le fait que le compte d'avances ne représente qu'une partie du dispositif d'avances aux collectivités territoriales, puisqu'il est abondé, à hauteur de près de 13 milliards d'euros en 2006, par le programme 201 « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » de la mission « Remboursements et dégrèvements », dont la rapporteure spéciale est notre collègue Marie-France Beaufils.

2. Le solde du compte d'avances, diminué de la totalité des remboursements et dégrèvements : une approche qui n'a guère de sens

Une première approche, retenue par le gouvernement en réponse au questionnaire adressé dans le cadre du présent contrôle budgétaire, consiste à considérer que la totalité des remboursements et dégrèvements, c'est-à-dire en particulier la totalité des dégrèvements législatifs, doivent être soustraits du solde du compte d'avances (que le gouvernement requalifie de « solde apparent », ou « optique »), afin d'en obtenir le « solde réel ». Selon cette approche, le compte serait déficitaire d'environ 10 milliards d'euros par an.

Le gouvernement justifie cette approche en citant un rapport d'information de notre collègue Yves Fréville : « pour avoir une vision correcte des charges supportées par l'Etat dans ses relations avec les collectivités territoriales , les dégrèvements législatifs doivent être pris en compte car, comme le souligne le sénateur Yves Fréville en introduction de son rapport d'information sur les dégrèvements d'impôts locaux (n°71, 2003-2004), « les dégrèvements législatifs même s'ils sont d'abord des aides individuelles apportées à certains contribuables, constituent également des « subventions implicites » aux collectivités territoriales où résident ces contribuables » ».

Cependant, le rapport d'information précité ne peut justifier une telle approche. Comme le souligne notre collègue Yves Fréville, les dégrèvements législatifs « sont d'abord des aides individuelles apportées à certains contribuable ». Contrairement à ce qui est parfois affirmé, les collectivités territoriales ne sont pas « demandeuses » de dégrèvements. Bien que faisant partie des ressources propres des collectivités territoriales, ceux-ci réduisent en effet leur autonomie financière, au sens concret de cette notion, sinon à celui, juridique et étroit, retenu par la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales. En effet, afin de ne pas déresponsabiliser les collectivités territoriales, un dégrèvement fait habituellement perdre à la collectivité le bénéfice d'une hausse de son taux d'imposition, en ce qui concerne la part de l'assiette concernée par le dégrèvement. La récente réforme de la taxe professionnelle, et la mise en place du « ticket modérateur » qui l'a accompagnée, montrent que les dégrèvements sont loin d'être des « cadeaux » de l'Etat aux collectivités territoriales.

Aussi, dans son rapport d'information de 2003 précité, notre ancien collègue Paul Loridant rejette cette approche. « Certains, écrit-il, considèrent qu'il faudrait intégrer au « coût » du compte d'avances les dégrèvements législatifs. Cette analyse est tout à fait contestable. Certes, les dégrèvements législatifs sont pris en charge par le budget de l'Etat mais lui seul, et non les collectivités locales, en a « la maîtrise ». Il est en effet directement à l'origine de la décision de procéder à des dégrèvements pour différentes catégories de population. Lui seul a la possibilité de modifier le régime des dégrèvements législatifs. La charge budgétaire des dégrèvements législatifs doit donc être considérée indépendamment du fonctionnement du compte d'avances. En prenant en compte les dégrèvements législatifs, la charge pour l'Etat se trouverait fortement aggravée. »

3. La solution retenue par votre rapporteur spécial : le solde du compte d'avances, diminué des admissions en non valeur et des dégrèvements ordinaires

Il est vrai en revanche que certaines des dépenses du programme 201 précité ne correspondent pas à des politiques imposées par l'Etat aux collectivités territoriales, mais sont consubstantielles au fonctionnement même du compte d'avances. Ainsi, les admissions en non valeur et les dégrèvements ordinaires, c'est-à-dire les recettes que l'Etat ne parvient pas à recouvrer, représentent bien un coût pour l'Etat, indissociable du fait même que celui-ci se charge de recouvrer les impôts locaux pour le compte des collectivités territoriales.

Comme notre ancien collègue Paul Loridant, votre rapporteur spécial considère donc que l'impact du compte d'avances sur le solde du budget général est donc égal au solde du compte d'avances, diminué des admissions en non valeur et des dégrèvements ordinaires.

4. L'incapacité soudaine du gouvernement à fournir le montant des dégrèvements ordinaires pour quelque année que ce soit

Malheureusement, alors que, jusqu'au présent contrôle, le gouvernement communiquait sans difficulté ses estimations des dégrèvements ordinaires - qui figurent ainsi dans le rapport précité de notre ancien collègue Paul Loridant, et que votre rapporteur spécial a obtenues dans le cadre des questionnaires budgétaires pour 2006 et 2007-, il a considéré, en réponse au questionnaire adressé dans le cadre du présent contrôle, qu'il n'était en réalité capable de fournir le montant des dégrèvements ordinaires pour aucune année.

L'encadré ci-après reproduit son argumentation.

Comment le gouvernement se déclare tout à coup incapable de fournir le montant des dégrèvements ordinaires pour quelque année que ce soit

La question posée par votre rapporteur spécial dans le cadre du présent contrôle budgétaire :

« Quelle est la part des dégrèvements techniques et des dégrèvements législatifs dans l'ensemble des dégrèvements ? Fournir les séries temporelles éventuellement disponibles. Quand une telle distinction sera-t-elle possible, par impôt, comme le préconise le récent rapport d'audit 19 ( * ) sur « Les outils de pilotage et d'information des dégrèvements et admissions en non-valeur d'impôts directs locaux » ? »

La réponse du gouvernement :

« Les données disponibles ne permettent pas d'identifier la part des dégrèvements techniques (ou ordinaires) et des dégrèvements législatifs tels que définis par le rapport d'audit cité.

« Si des montants de dégrèvements ordinaires ont pu être cités par le passé, notamment dans le rapport d'information du sénateur Loridant évoqué précédemment, ces montants comportaient une erreur de périmètre et incluaient une part de dégrèvement législatif, notamment sous la forme de contentieux sur dégrèvement législatif.

« En effet, comme le souligne le récent rapport d'audit sur « Les outils de pilotage et d'information des dégrèvements et admissions en non-valeur d'impôts directs locaux », les dégrèvements d'origine législative peuvent être traités en contentieux soit dans les cas où les éléments justifiant les dégrèvements n'ont pu être pris en compte lors de l'émission du rôle, soit dans le cas où le législateur a prévu que le contentieux serait le mode normal de traitement du dégrèvement en question (c'est par exemple le cas du dégrèvement PVA).

« Or les applications de gestion des affaires contentieuses ne permettent pas actuellement de distinguer le motif du dégrèvement, ou du moins pas suffisamment précisément pour reconstituer le niveau de détail suggéré dans la question.

« Pour effectuer une telle distinction, cela impliquerait une refonte en profondeur des dites applications de gestion. L'aboutissement d'un tel projet, qui devrait par ailleurs s'insérer dans le processus global d'évolution de l'informatique de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique, ne peut s'inscrire que dans une perspective de long terme. »

5. Une incapacité qui renforce, paradoxalement, la crédibilité des estimations présentées par votre rapporteur spécial

Paradoxalement, cette incapacité du gouvernement à fournir une estimation fiable des dégrèvements non législatifs renforce la crédibilité des estimations du bénéfice net que constituent pour l'Etat ses relations de trésorerie avec les collectivités territoriales par votre rapporteur spécial.

En effet, ce qui ressort des analyses du gouvernement figurant dans l'encadré ci-avant, c'est que le montant des dégrèvements non législatifs serait surestimé, puisque ceux-ci comporteraient une part de dégrèvements législatifs.

Votre rapporteur spécial ne dispose pas d'évaluation des dégrèvements non législatifs pour l'année 2006. En revanche, il dispose des estimations figurant dans le rapport d'information précité de 2003 de notre collègue Paul Loridant (pour les années 1993 à 2002) ainsi que dans la réponse du gouvernement à une question posée par votre rapporteur spécial dans le cadre du questionnaire budgétaire pour 2007 (pour les années 2002 à 2005), ce qui lui permet de reconstituer une série continue 20 ( * ) .

Selon cette approche, le solde du compte d'avances, corrigé des admissions en non valeur et des dégrèvements non législatifs, aurait été déficitaire de 2,3 milliards d'euros en moyenne de 1996 à 2006.


La prise en compte du coût du « culot » : une approche contestable ?

Dans son rapport d'information précité de 2003, notre ancien collègue Paul Loridant présente les résultats d'une autre approche de la charge du compte d'avances pour l'Etat, alors proposée par le ministère des finances, utilisant non le solde du compte, mais son « culot », c'est-à-dire, on l'a vu, le total des créances restant à recouvrer.

La charge annuelle correspondante est définie comme le culot, multiplié par la recette marginale du Trésor de l'année. Elle correspond donc au « coût de trésorerie » constitué par la persistance d'un stock de créances non recouvrées.

A titre d'illustration, le tableau ci-après compare le solde du compte d'avances avec le coût de trésorerie constitué par la persistance du « culot ». Cette approche permet d'afficher, pour l'Etat, une charge importante, alors que le solde est en net excédent.

La charge, pour l'Etat, du compte d'avances stricto sensu

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Charge constituée par le solde (solde*-1)

-1.082

-300

-345

-664

-483

-924

-535

Coût de trésorerie constitué par le « culot »

415

632

455

355

285

282

395

Lecture : un nombre positif indique une charge.

Source : réponse au questionnaire posé dans le cadre du présent contrôle budgétaire

Cependant, cette approche présente un double inconvénient.

Tout d'abord, elle ne prend pas en compte le fait qu'une partie du culot correspond à de futures admissions en non valeur, c'est-à-dire à des créances du compte d'avances envers le programme 201 précité, c'est-à-dire de l'Etat envers lui-même.

Ensuite, et surtout, pour prendre en compte l'impact global du compte d'avances sur le solde du budget général - ce qui est bien l'objectif -, charge de la dette comprise, il faudrait disposer d'un historique du solde du compte d'avances depuis le début de son déficit, afin de calculer sa contribution au « stock de dette » actuel. Or, une telle information n'est pas disponible, le gouvernement indiquant ne disposer du solde du compte d'avances qu'à compter de 1990, et le solde n'ayant de signification qu'à compter de 1998. L'approche par le culot indique ce que l'Etat économiserait une année donnée si le culot se trouvait subitement résorbé, mais cette notion ne semble guère avoir de sens.

Les tableaux ci-après indiquent la charge constituée par le compte d'avances, selon ces différentes approches.

Le compte d'avances « élargi »

(en millions d'euros)

Compte d'avances aux collectivités territoriales

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

A. Dépenses

46.268

49.538

51.919

54.076

54.776

55.649

55.137

56.221

58.706

61.242

65.021

73.673

B. Recettes

43.934

49.834

51.942

54.161

55.421

56.731

55.437

56.566

59.370

61.725

65.945

74.208

C. Solde

-2.334

295

23

85

645

1.082

300

345

664

483

924

535

Programme 201 « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux »

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

D. Recettes d'ordre (remboursements,
dégrèvements et admissions en non valeur)

8.261

8.554

9.139

9.571

9.688

11.380

10.106

9.694

11.401

10.562

11.736

12.743

dont :

E. Admissions en
non valeur

515

538

540

592

669

629

565

461

727

716

625

488

E'. Dégrèvements ordinaires (1)

1.865

1.783

1.876

1.869

1.700

1.638

1.519

1.637

2.395

2.277

3.072

ND

Présentation consolidée compte d'avances+totalité du programme 201

( présentation retenue par le gouvernement )

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

F. Dépenses totales=A

46.268

49.538

51.919

54.076

54.776

55.649

55.137

56.221

58.706

61.242

65.021

73.673

G. Recettes totales=B-D

35.673

41.280

42.803

44.590

45.733

45.351

45.331

46.872

47.969

51.163

54.209

61.465

H. Solde global=G-F

-10.595

-8.258

-9.116

-9.486

-9.043

-10.298

-9.806

-9.349

-10.737

-10.079

-10.812

-12.208

Présentation consolidée compte d'avances+admissions en non valeur et dégrèvements ordinaires

( présentation retenue par votre rapporteur spécial )

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

I. Dépenses totales=A

46.268

49.538

51.919

54.076

54.776

55.649

55.137

56.221

58.706

61.242

65.021

73.673

J. Recettes totales=B-E-E'

41.554

47.513

49.526

51.700

53.052

54.464

53.353

54.468

56.248

58.732

62.248

ND

K. Solde global=J-I

-4.714

-2.025

-2.393

-2.376

-1.724

-1.185

-1.784

-1.753

-2.458

-2.510

-2.773

ND

Sources : réponse au questionnaire adressé en vue du présent contrôle budgétaire, sauf (1) (rapport Loridant précité pour les années 1995 à 2001, réponse au questionnaire budgétaire pour 2007 pour les années 2002 à 2005), calculs de votre rapporteur spécial

* 19 Inspection générale des Finances (n° 2006-M-035-02), inspection générale de l'administration (PAM 06-017-01), novembre 2006.

* 20 L'estimation des dégrèvements non législatifs pour l'année 2002 est bien la même selon les deux sources.

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