N° 188

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 janvier 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le traité de Lisbonne ,

Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, André Boyer, Robert Hue, vice - présidents ; MM. Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, André Trillard, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mmes Paulette Brisepierre, Michelle Demessine, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Parlement sera saisi dans quelques jours du projet de loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne.

En temps normal, l'Assemblée nationale et le Sénat auraient disposé de plusieurs semaines pour procéder à son examen. L'importance et la complexité du Traité de Lisbonne auraient justifié un tel délai.

Mais, le calendrier retenu par le Gouvernement pour procéder à sa ratification se caractérise par son extrême célérité.

Alors que le Congrès se réunit le lundi 4 février pour voter la révision constitutionnelle préalable à sa ratification, l'avant-projet de loi de ratification sera soumis au Conseil d'Etat le lendemain, mardi 5 février, et adopté en Conseil des Ministres le mercredi 6 février.

Le même jour, le projet de loi de ratification sera examiné par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée Nationale et discuté en séance publique, avant d'être transmis au Sénat, où il est inscrit à l'ordre du jour de la séance publique du jeudi 7 février.

Pourquoi une telle précipitation ?

Tout d'abord, en raison de la suspension des travaux parlementaires due aux élections municipales et cantonales.

Ensuite et surtout parce que le Président de la République souhaite que la France, après le résultat négatif du référendum de mai 2005, témoigne, en étant l'un des tout premiers pays à ratifier le Traité de Lisbonne, de la force retrouvée de son engagement européen avant le début de sa présidence de l'Union Européenne le 1 er juillet 2008.

Votre Commission des Affaires étrangères et de la Défense, qui sera saisie au fond du projet de loi de ratification, comprend cette démarche et a tenu, malgré la brièveté des délais, à présenter un rapport d'information sur le contenu et les enjeux du Traité de Lisbonne.

Ce rapport se substitue au rapport législatif qu'elle aurait normalement présenté et qui, en, raison, des contraintes de temps, ne contiendra que le compte rendu du débat qui s'est déroulé au sein de la Commission.

Ce rapport comporte trois parties.

La première remet en perspective le Traité de Lisbonne, qui s'inscrit dans un processus de réforme institutionnelle qui aura duré une quinzaine d'années.

La deuxième partie décrit les innovations du Traité de Lisbonne, notamment en matière institutionnelle.

Enfin, une troisième partie est consacrée aux principales interrogations soulevées par sa mise en oeuvre, qui concernent notamment la présidence stable du Conseil Européen, le Haut Représentant pour les affaires étrangères, le service européen d'action extérieure et plus généralement la politique de sécurité de l'Union Européenne.

I. L'ORIGINE DU TRAITE DE LISBONNE

A. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION A DOUZE NOUVEAUX PAYS

1. Du Traité de Rome au Traité de Maastricht : le passage d'un marché unique à une Communauté économique et monétaire à vocation politique.

Le 25 mars 2007 a été célébré le cinquantième anniversaire de la signature du Traité de Rome.

La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) avait posé la première pierre de la construction européenne. Mais c'est la Communauté Economique Européenne (CEE) qui a constitué le véritable acte fondateur de la construction européenne. Elle a servi de matrice à l'établissement successif de l'union douanière, du marché unique et de l'union monétaire.

A l'occasion du cinquantième anniversaire de la signature du Traité de Rome, les chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-sept Etats membres ont adopté à Berlin une déclaration qui rappelle les fondements de l'entreprise commune.

Extrait de la Déclaration de Berlin

à l'occasion du 50e anniversaire de la signature des Traités de Rome

Pendant des siècles, l'Europe a été une idée, un espoir de paix et de compréhension. Cet espoir s'est aujourd'hui concrétisé. L'unification européenne nous a apporté la paix et la prospérité. Elle a créé un sentiment d'appartenance commune et permis de surmonter les antagonismes. Chacun des Etats membres a contribué à l'unification de l'Europe et à la consolidation de la démocratie et de l'état de droit. C'est grâce au désir de liberté des hommes et des femmes d'Europe centrale et orientale que nous avons pu mettre un terme définitif à la division artificielle de l'Europe. L'intégration européenne nous a permis de tirer les leçons de conflits sanglants et d'une histoire douloureuse. Aujourd'hui nous vivons unis, comme jamais nous n'avons pu le faire par le passé.

Notre chance pour nous, citoyennes et citoyens de l'Union européenne, c'est d'être unis.
(...)

L'Union européenne continuera à se nourrir à la fois de son ouverture et de la volonté des Etats membres d'approfondir son développement interne. Elle continuera de promouvoir la démocratie, la stabilité et la prospérité au-delà de ses frontières. Grâce à l'unification européenne, le rêve des générations précédentes est devenu réalité. Notre histoire nous commande de préserver cette chance pour les générations futures. Il nous faut pour cela toujours adapter la construction politique de l'Europe aux réalités nouvelles. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, cinquante ans après la signature des traités de Rome, nous partageons l'objectif d'asseoir l'Union européenne sur des bases communes rénovées d'ici les élections au Parlement européen de 2009.

Car nous le savons bien, l'Europe est notre avenir commun.

Il ne faut pas oublier que le Traité de Rome est né de la volonté de surmonter un très grave échec, celui de la Communauté Européenne de Défense et du projet de Communauté politique qui lui était associé.

Jean Monnet était conscient que pour passer de l'Europe économique, celle du Traité de Rome, à l'Europe politique il faudrait changer de méthode : « Il est clair, qu'à première vue, la méthode déjà fixée par les traités pour les trois communautés existantes et celle qui sera probablement adoptée pour les affaires politiques, de défense et d'éducation seront différentes. (...) Dans ces circonstances nous devons faire preuve d'empirisme. » 1 ( * )

Aussi, l'un des « pères fondateurs » de l'Europe appuiera-t-il en 1974 la démarche du Président Valéry Giscard d'Estaing et du chancelier Helmut Schmidt tendant à promouvoir la création du Conseil Européen, l'élection au suffrage universel direct du Parlement Européen et la mise en place du Système Monétaire Européen.

Car si la volonté de créer une « union sans cesse plus étroite » entre les peuples de l'Europe figurait dans le préambule du Traité de Rome, la construction européenne s'est faite pendant quarante ans exclusivement sur le plan économique.

C'est dans l'Acte Unique européen, signé en 1986 et entré en vigueur en 1997, qu'était exprimée l'intention de passer à une véritable Union économique et politique.

Ce passage a pris corps dans le traité sur l'Union Européenne, signé à Maastricht en 1992 et entré en vigueur en 1993. Le traité a apporté de profonds changements aux traités existants et modifié le visage de l'intégration européenne.

Avec la création d'une monnaie unique, l'union douanière de 1957 et le marché unique de 1986 devenaient une Union Economique et Monétaire.

Décidés, sur les instances de François Mitterrand et Helmut Kohl, à s'engager sur la voie de l'intégration politique, les signataires annonçaient la mise en oeuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune ainsi qu'une coopération en matière de justice et d'affaires intérieures. Mais ils voulurent que, dans ces domaines nouveaux, la coopération entre les Etats reste strictement intergouvernementale. Pour qu'il en soit ainsi, ils décidèrent que la nouvelle Union comporterait trois piliers :

- un premier pilier couvrant l'économie et la monnaie, fonctionnerait selon la méthode communautaire, la Commission conservant l'intégralité de ses prérogatives,

- un deuxième pilier, de nature intergouvernementale, serait consacré à la politique étrangère et de sécurité commune,

- un troisième pilier, également intergouvernemental, porterait sur la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures.

La Commission ne participerait aux deuxième et troisième piliers qu'en observateur.

Le Traité de Maastricht a revêtu une signification politique majeure. Il est le premier traité européen signé par l'Allemagne réunifiée. En acceptant de sacrifier sur l'autel de la monnaie unique, le Deutsche Mark, symbole de son éclatante réussite économique, en même temps qu'objet de fierté nationale, la République Fédérale témoignait de la vigueur maintenue de son engagement européen.

La monnaie unique est le principal acquis du Traité de Maastricht. Les avancées dans le domaine politique sont restées modestes. Rien, d'autre part, n'y était décidé concernant l'élargissement de l'Union aux nouvelles démocraties de l'Est.

2. La dialectique élargissement-approfondissement

Le Traité de Rome, posait le principe selon lequel « Tout Etat européen qui en fait la demande peut devenir membre de l'Union Européenne ». Et Robert Schuman écrivait : « Nous devons faire l'Europe non seulement dans l'intérêt des peuples libres mais aussi pour pouvoir y accueillir un jour les peuples de l'Est qui, délivrés des sujétions qu'ils ont subies jusqu'à présent nous demanderaient leur adhésion et notre appui moral » .

La Communauté Européenne, s'était déjà considérablement élargie, passant de six membres en 1957 à quinze au milieu des années 1990.

Pour autant, élargissement et approfondissement étaient en général allés de pair. Chaque élargissement s'était accompagné d'un approfondissement, à l'image de la mise en place de la politique de cohésion après l'adhésion de la Grèce en 1981 et surtout de l'Espagne et du Portugal en 1986.

L'élargissement à douze pays d'Europe centrale, orientale et méditerranéenne - Chypre et Malte - posait toutefois un double défi : le défi du nombre et celui de l'hétérogénéité, comme plusieurs commentateurs l'avaient, dès l'abord, souligné.

Défi du nombre, car l'élargissement concernait douze pays, alors que, jusqu'à présent, les différents élargissements avaient concerné au plus trois pays.

Défi de l'hétérogénéité, ensuite, car les disparités économiques, sociales et politiques entre les nouveaux et les anciens membres étaient considérables.

De plus, le fait que la totalité des nouveaux membres étaient des Etats moyennement ou faiblement peuplés, à l'exception de la Pologne, créait un déséquilibre sans précédent entre les « grands » et les « petits » pays au sein de l'Union.

Le Conseil Européen de Copenhague de 1993 avait ouvert la voie à cet élargissement, et il était dès l'abord évident que les équilibres institutionnels sur lesquels était fondée l'Union Européenne s'en trouveraient bouleversés d'au moins trois façons :

- dans un ensemble de vingt-sept pays, la règle de l'unanimité qui prévalait encore dans de très nombreux domaines, condamnait l'Union à la paralysie ; l'extension des votes à la majorité s'imposait.

- comment, d'autre part, assurer continuité et cohérence alors qu'une trentaine de pays se relayaient tous les six mois à la présidence du Conseil Européen ; était-il acceptable que la France, l'Allemagne ou l'Angleterre n'assurent cette présidence qu'une fois tous les quinze ans ?

- comment, enfin, assurer aux grands pays, dans le fonctionnement de l'Union, le poids que justifie, en vertu du principe démocratique, l'importance de leur population, dans un ensemble où les pays petits et moyens (ceux dont la population est égale ou inférieure à dix millions d'habitants) sont dix-neuf sur vingt-sept ; le système de pondération des votes, en se complexifiant, avait fini par déboucher sur l'absurde au Sommet de Nice.

Tous les gouvernements admettaient qu'une réforme des institutions s'imposait, que l'élargissement sans approfondissement condamnerait l'Union à l'impuissance et donc à la crise. Deux Conférences intergouvernementales furent successivement chargées de s'attaquer à ce problème crucial.

3. Les échecs successifs d'Amsterdam et de Nice

L'enjeu principal de la négociation du Traité d'Amsterdam fut d'adapter les institutions européennes au futur élargissement, de permettre aux institutions conçues pour six de fonctionner efficacement à vingt-cinq, vingt-sept, ou trente Etats membres.

Quelques réformes importantes furent décidées : la création du poste de Haut Représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, le renforcement des pouvoirs du Parlement Européen par l'extension des domaines de la codécision, le transfert de certaines matières du « troisième pilier » au pilier communautaire. Mais le compte n'y était pas. Signé en 1997 entré en vigueur en 1999, le Traité d'Amsterdam ne réalisait pas la réforme institutionnelle attendue.

Seul amorce de changement, un « protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement » par lequel les « grands Etats » membres se déclaraient prêts à accepter de perdre leur second Commissaire en contrepartie d'un accord sur une nouvelle pondération des votes au Conseil.

Aussi une nouvelle conférence intergouvernementale fut-elle convoquée en 2000.

Son mandat portait sur trois points : la taille et la composition de la Commission Européenne, la pondération des voix au sein du Conseil et l'extension du vote à la majorité qualifiée.

Parmi les acquis d'Amsterdam figurait la procédure des « coopérations renforcées » permettant, sous certaines conditions, à un groupe réduit de pays, de progresser sur la voie d'une plus grande intégration. Le Traité de Nice, signé en 2001, après un Sommet particulièrement long et agité, ne répondit pas plus que le Traité d'Amsterdam à l'objectif de réforme poursuivi.

Ni le système de limitation du nombre des Commissaires, ni la complexité du nouveau système de pondération des votes au Conseil, ni l'extension limité du vote à la majorité qualifiée, ne furent jugés suffisant pour concilier élargissement et approfondissement.

Aussi la procédure des conférences intergouvernementales, qui avait fait la preuve de ses échecs, fut-elle abandonnée au profit d'une procédure totalement inédite, celle de la « Convention Européenne » mise en place au Conseil Européen de Laeken.

* 1 Jean Monnet, Lettre aux membres du Comité d'action pour les Etats Unis d'Europe, 22 novembre 1960

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