B. UN EFFORT URGENT DE TRANSPOSITION

La transposition de ces cinq directives doit être assurée dans les meilleurs délais pour des raisons que chacun comprendra.

La France a longtemps été considérée comme l'une des « lanternes rouges » de l'Europe en matière de transposition des directives européennes, et le Gouvernement a engagé des efforts significatifs, dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne, pour réduire ce retard. Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, indiquait, à l'occasion de l'examen du présent projet de loi devant l'Assemblée nationale, le 25 mars 2008, que ces efforts portaient leurs fruits, et que 1,1 % des directives étaient en attente de transposition à la fin de l'année 2007, soit un taux inférieur à l'objectif de 1,5 % fixé par le Conseil européen de Stockholm.

La transposition des directives de lutte contre les discriminations revêt en outre une urgence toute particulière :

alors que la France pensait avoir satisfait aux exigences de transposition des trois premières directives, la Commission européenne a engagé contre elle trois procédures d'action en manquement : deux mises en demeure en date du 21 mars 2007 concernant respectivement les directives 2000/78/CE et 2002/73/CE, et un avis motivé du 27 juin 2007 portant sur la directive 2000/43/CE ; la Commission y formule un certain nombre de griefs contre la France, considérant que son droit positif ne reflète pas assez fidèlement le dispositif des directives précitées ;

le délai de transposition de la quatrième de ces directives - la directive 2004/113/CE - est expiré le 21 décembre 2007 ;

quant à celui de la transposition de la directive 2006/54/CE, il expire le 15 août 2008.

C. UN EXERCICE DÉLICAT : LA CONCILIATION DE DEUX LOGIQUES DIFFÉRENTES

La transposition de ces directives s'avère toutefois un exercice délicat.

Tout d'abord parce que, même s'ils poursuivent fondamentalement des objectifs comparables, le droit français et le droit communautaire diffèrent dans leur démarche en matière de lutte contre les discriminations.

En second lieu, parce que la Commission européenne fait preuve d'une exigence de fidélité souvent littérale au texte des directives.

Sans entrer dans une démarche comparative qui excéderait à l'évidence l'objet du présent rapport, votre délégation se bornera à trois remarques :

1. Approche globale ou approche par champ

Fidèle à la démarche synthétique du droit français, le code pénal procède, dans son article 225-1, à une prohibition globale de la discrimination qu'il définit de façon transversale comme toute distinction opérée entre les personnes physiques pour un certain nombre de motifs prohibés, dont il livre la liste exhaustive : l'origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l'apparence physique, le patronyme, l'état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Cette liste des motifs prohibés qui permettent d'ériger une distinction en discrimination se retrouve, à d'infimes nuances près, à l'article L.122-45 du code du travail ainsi que, à quelques exceptions près, dont celle de l'âge, à l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Le droit communautaire procède, en revanche, par l'adoption de directives qui correspondent chacune à un champ déterminé et ne désignent pas nécessairement les mêmes motifs de distinction prohibés.

Ainsi, par exemple, la directive 2000/78/CE prohibe, en matière d'emploi et de travail, les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

La directive 2006/54/CE prohibe, en matière d'accès à l'emploi et de formation professionnelle, de conditions de travail, de rémunération et de régimes professionnels de sécurité sociale, toute distinction fondée sur le sexe.

La directive 2000/47/CE prohibe toute distinction fondée sur la race ou l'origine ethnique en matière d'accès à l'emploi, de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux ou encore d'accès aux biens et services.

Il en résulte un dispositif global de lutte contre les diverses discriminations à géométrie variable, et dont les champs d'application respectifs ne se recoupent pas entre eux, et ne peuvent, a fortiori , correspondre exactement au champ de protection assuré par le droit français.

2. Différences de traitement ou situations inégales

Le droit français tend traditionnellement à prohiber un certain nombre de traitements défavorables constitutifs d'une discrimination.

Rédigé en termes généraux, l'article 225-1 du code pénal sanctionne toute distinction opérée entre des personnes physiques pour des motifs prohibés, et notamment en raison de leur sexe.

De façon plus détaillée, l'article L.122-45 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut, en raison de l'un des motifs de discrimination prohibés, être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ; qu'aucun salarié ne peut, pour ces mêmes raisons, être sanctionné, licencié, ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de son contrat.

Élaboré à partir de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), le droit communautaire repose sur les notions de « discrimination directe » et de « discrimination indirecte », dont les définitions homogènes sont déclinées dans les différentes directives de lutte contre les discriminations.

A travers ces deux notions, il s'agit de repérer des différences de traitement qui se dissimuleraient sous une apparence de légitimité en procédant à des comparaisons entre des personnes situées, en principe, dans des situations comparables, mais dont le rapprochement permettrait de révéler des différences de traitement.

Les démarches du droit français et du droit communautaire présentent chacune leur intérêt. Il n'est donc pas souhaitable que l'une s'efface au profit de l'autre. Mais on doit convenir que leur réunion dans notre droit interne, tout en contribuant à une meilleure protection, débouche aussi sur une certaine forme de complexification du droit.

3. Une exigence de plus en plus poussée de transcription littérale

La transposition en droit interne de dispositions communautaires qui obéissent à une autre logique juridique s'avère, en outre, d'autant plus délicate que les exigences de fidélité au texte initial de la directive sont plus poussées.

Or, même si, aux termes de l'article 249, alinéa 3 du Traité CE, une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales le choix quant à la forme et aux moyens, il semble bien que la Commission européenne exige, en pratique, une fidélité de plus en plus littérale dans leur transposition. Les trois procédures engagées contre la France pour transposition insuffisante de trois directives de lutte contre les discriminations précitées fournissent une nouvelle illustration de cette tendance lourde.

L'ensemble des griefs formulés par la Commission européenne peut être ainsi résumé :

certes le droit français fait référence aux notions de discrimination directe et indirecte , mais il s'abstient d'en donner une définition aussi précise que celle qui figure dans les directives ;

certes, il comporte des définitions du harcèlement moral et du harcèlement sexuel , mais ces définitions paraissent à la Commission européenne plus restrictives que celles que donnent les directives du harcèlement et du harcèlement sexuel : elles exigent l'existence de plusieurs actes quand la Commission européenne considère que le harcèlement peut être constitué par un acte d'une particulière gravité ; elles sont, en outre, trop centrées sur les relations de travail, et ne font pas référence aux motifs prohibés qui permettent de les assimiler à une discrimination ;

la protection contre les rétorsions à l'encontre des personnes ayant relaté des faits relatifs à des discriminations n'est pas suffisamment assurée ;

enfin les conditions dans lesquelles des différences de traitement sont rendues possibles, par dérogation au principe d'interdiction des discriminations, ne sont pas définies de manière suffisamment stricte.

Ces injonctions extrêmement précises ne laissent guère au Gouvernement français d'autre choix que de reproduire presque mot pour mot certaines des dispositions des directives. Celles-ci viennent se juxtaposer aux dispositions du droit français sans les remplacer, ni sans s'y superposer étroitement, ce qui ne contribue pas à l'harmonie et à la lisibilité de l'ensemble.

L'urgence qui s'attache à une transposition pleinement satisfaisante de ces directives, et les difficultés inhérentes à l'intégration dans notre droit de dispositions qui n'obéissent pas à la même logique juridique ont conduit le Gouvernement, dans le projet de loi qui nous est soumis, à opérer une transposition au plus près du texte des directives.

Certains regretteront peut-être que ce projet de loi se soit cantonné à ce strict exercice plutôt que de saisir cette occasion pour apporter certains compléments utiles à notre droit interne, par exemple en donnant une traduction législative aux propositions formulées par la Conférence tripartite sur l'égalité professionnelle et salariale hommes/femmes qui a réuni, le 26 novembre 2007, les organisations syndicales et patronales ainsi que le Gouvernement, et à laquelle a assisté en qualité d'observatrice la présidente de votre délégation, Mme Gisèle Gautier.

Mais l'introduction de ces dispositions nouvelles aurait sans nul doute contribué à alourdir le texte, et à retarder son adoption, sauf à priver les propositions de la Conférence tripartite des débats de fond qu'elles appelleront devant le Parlement. Le dépôt d'un projet de loi a d'ores et déjà été annoncé, afin d'instituer des pénalités financières à l'encontre des entreprises qui n'auraient pas pris de mesures pour mettre fin aux inégalités salariales avant le 31 décembre 2009.

Si votre délégation devait formuler un regret, cela serait plutôt que cet exercice de transposition aboutisse parfois à une juxtaposition de dispositions qui risquent de contribuer à brouiller la lisibilité de l'ensemble. La complexité qui en résulte est particulièrement regrettable dans un domaine où l'intelligibilité de la loi, en particulier pour les victimes de discriminations, est une condition de son application effective.

Votre délégation comprend l'attitude prudente du Gouvernement qui n'a pas voulu, dans les délais stricts qui lui étaient impartis, s'engager dans une tentative d'harmonisation plus poussée entre les démarches française et communautaire, dont le résultat n'aurait pas nécessairement obtenu l'aval de la Commission européenne. Mais elle estime cependant que l'on ne peut en rester là, et qu'il conviendra, dans un proche avenir, d'améliorer la cohésion des régimes juridiques applicables et, notamment, de rechercher une meilleure harmonisation des différents critères de discrimination utilisés dans le droit français, qu'ils soient ou non issus du droit européen.

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