B. POUR NE PAS NÉGLIGER LA CONTRIBUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES À L'INVESTISSEMENT

Sur des données générales et statiques, le constat de l'absence de causalité univoque entre dépenses publiques et épargne nationale s'impose, tout comme celui de l'absence de causalité entre dépenses publiques et épargne des agents privés.

Si on considère que la relation entre épargne, investissement et croissance est robuste, on peut être tenté d'induire de ce défaut de causalité l'absence de lien entre dépenses publiques, investissement et croissance.

Trois lois générales pourraient être énoncées :

- les dépenses publiques n'ont aucune influence sur le niveau de l'épargne d'un pays ;

- les dépenses publiques n'entretiennent donc aucun lien avec l'investissement ;

- finalement, le taux de croissance d'une économie est indifférent au niveau relatif qu'atteignent les dépenses publiques.

Ces conclusions auraient quelque chose de décevant à la fois pour l'esprit, puisqu'elles viendraient contredire tous les efforts théoriques réalisés pour établir une relation entre ces données, et pour l'action publique puisqu'elles la priveraient d'une large partie de ses fondements rationnels possibles. Le choix du niveau des dépenses publiques serait entièrement indifférent quant aux possibilités de croissance économique d'un pays.

Pour éviter ce désarroi, il faut dépasser des approches trop globales mais aussi requalifier des réalités dont la nature économique n'est que très imparfaitement restituée du fait des conventions statistiques et comptables en usage .

Ce travail doit d'abord évoquer la distinction d'une problématique de court terme et d'une approche plus structurelle .

La première s'interroge sur les effets conjoncturels - à court terme - d' une variation des dépenses publiques : en résulte-t-il ou non une variation de l'épargne ? Comme on l'a indiqué précédemment sur cette question, les controverses sont tranchées, certains estimant qu'une variation à la hausse des dépenses publiques augmente l'épargne privée, d'autres qu'il n'en va pas ainsi.

Dans une perspective plus structurelle , le débat est moins clairement clivé et est mené parfois à fronts renversés : ceux qui voient dans une augmentation des dépenses publiques la cause d'un accroissement à court terme de l'épargne privée estiment que, structurellement, plus le niveau des dépenses publiques est élevé, plus l'épargne privée est faible. Leurs adversaires défendent une position inverse.

Cette confrontation de points de vue doit dépasser l'abstraction dans laquelle ils sont exprimés pour examiner les effets concrets des dépenses publiques .

Cet examen suppose des évaluations rigoureuses qui se heurtent trop souvent à des données mal qualifiées. Un préalable serait donc d' opérer une requalification des dépenses publiques, par rapport à leur statut comptable usuel, pour mieux tenir compte de leur nature économique . Elle est impérative pour appréhender plus exactement l'apport des dépenses publiques à la croissance économique.

1. Les messages contradictoires des théories économiques...

a) Une controverse claire à court terme...

L'impact de court terme sur l'épargne d'une variation des dépenses publiques est-il nul ?

Les réponses des économistes à cette question sont très généralement négatives : il existe pour eux un lien entre dépenses publiques et taux d'épargne national. Mais , ils se divisent sur le sens de cette relation .

Pour certains, la relation entre une variation des dépenses publiques et le taux d'épargne va transitoirement dans le sens contraire, tandis que les autres défendent la thèse inverse.

Abordant l'effet d'une variation à la hausse des dépenses publiques , les théories néo-classiques lui attribuent des effets antikeynésiens. Loin de se réduire, le taux d' épargne des agents privés augmente dans une telle hypothèse, si bien que l'épargne nationale a tendance à renforcer sa part dans le revenu. Toutefois, comme celui-ci est inférieur à ce qu'il aurait été sans hausse des dépenses publiques, cette augmentation du taux d'épargne des ménages n'a pas les vertus attendues d'une élévation de l'épargne nationale. En particulier, elle ne se traduit pas par une hausse de la capacité de financement des investissements.

Au contraire , dans les approches keynésiennes , la dépense publique a le pouvoir en elle-même de réduire le taux d'épargne . C'est ce qui fonde les préconisations d'utiliser la dépense publique pour stabiliser l'économie. Une augmentation des dépenses publiques, même si elle est financée par une hausse équivalente des impôts 71 ( * ) , donc sans recours à l'endettement, augmente le niveau de la production. Cet enchaînement s'explique par la baisse du taux d'épargne national qui résulte d'une élévation nette du niveau de la demande :

- les dépenses publiques sont une composante de la demande globale. Celle-ci augmente lorsque les dépenses publiques s'accroissent, réduisant ainsi le taux d'épargne national ;

- les prélèvements destinés à financer l'augmentation des dépenses publiques réduisent la demande des agents qui les supportent mais pas à due concurrence puisqu'une partie des prélèvements concerne des revenus qui auraient été épargnés.

Ainsi, l'augmentation des dépenses publiques réduit par elle-même l'épargne nationale, du moins transitoirement .

Les travaux économétriques confortent généralement ce résultat même si certaines études entendent contester cette relation (voir ci-dessous pour un exposé détaillé des effets des épisodes de forte réduction des dépenses publiques). Ainsi, Giavazzi et al. (2000) comparent la réaction des taux d'épargne nationaux dans des périodes normales et dans des périodes spécifiques. L'impact d'une hausse de 1 % des dépenses publiques sur le taux d'épargne national serait en situation normale de - 0,9 % à court terme (de
- 2,4 % à moyen terme) ; en situation de consolidation budgétaire de - 0,6 % (de - 1,34 % à moyen terme).

* 71 Selon le théorème d'Haavelmo.

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