2. Les incertitudes relatives au financement du système de santé mahorais

a) La distinction entre les assurés et les non-assurés sociaux

Le conseil général de Mayotte ne participe pas directement au financement du CHM. Toutefois, il prend en charge l'ensemble des activités de prévention sanitaire à Mayotte (lutte contre la tuberculose, vaccinations pour les moins de 6 ans, infections sexuellement transmissible, protection maternelle et infantile, etc.). Dans ces domaines, le CHM fournit la prestation de soins pour le compte du conseil général et se fait rémunérer en contrepartie. Le montant total de ces paiements est de 2 millions d'euros par an.

Globalement, le CHM dispose d'un budget de 130 millions d'euros par an pour soigner moins de 200.000 habitants , ce qui, selon le directeur du CHM, est particulièrement faible au regard de l'étendue des missions confiées au CHM. Cela représente notamment moins de la moitié du budget du centre hospitalier de Saint-Denis de La Réunion. Deux explications peuvent être fournies à cette relative faiblesse :

- d'une part, la population mahoraise est particulièrement jeune (la moitié de la population a moins de 20 ans), et donc moins sujette à des pathologies graves ;

- d'autre part, la population mahoraise est plus pauvre que la population réunionnaise et, a fortiori , que la population métropolitaine. Or, la pratique des soins augmente avec le niveau de vie.

Le financement du CHM est réparti entre trois sources distinctes : l'assurance maladie mahoraise , qui, avec 95 millions d'euros par an, apporte l'essentiel des fonds, des recettes diverses, incluant les versements effectués par les non-assurés sociaux et la contribution de l'Etat . Une des particularités du financement du CHM réside dans l'absence de tarification à l'activité. L'assurance maladie verse directement une dotation à l'hôpital, sans relation de facturation.

b) Les recettes issues des versements des non-assurés sociaux

Jusqu'au 1 er janvier 2004, l'ensemble des soins délivrés par les dispensaires du CHM étaient totalement gratuits pour les patients.

L'ordonnance de juillet 2004 relative à l'adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte 33 ( * ) a modifié cette situation en distinguant entre les assurés sociaux et les non affiliés à un régime de sécurité sociale.

La gratuité des soins est maintenue pour les assurés sociaux . Le directeur du CHM a indiqué à votre rapporteur spécial qu'il suffisait, en pratique, d'avoir la nationalité française pour pouvoir bénéficier du régime d'assurance maladie mahorais.

Les non-assurés sociaux sont donc essentiellement des étrangers. Ils doivent, pour leur part, s'acquitter d'un montant variable suivant les soins . La provision versée est, par exemple, de 10 euros pour une consultation en dispensaire (incluant la délivrance de médicaments et les consultations secondaires liées à la même affection dans la semaine), de 15 euros pour des soins dentaires, de 30 euros pour un accueil aux urgences, de 50 euros par jour pour une hospitalisation de jour en médecine ou encore de 300 euros pour le suivi d'une grossesse et l'accouchement. Le montant de ces provisions a été fixé, selon les informations fournies par le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, à des niveaux supérieurs à ceux applicables à l'hôpital de Hombo, à Anjouan, où les soins sont également payants, afin de limiter l'appel d'air que la fourniture de ces soins à Mayotte pourrait produire sur la population anjouanaise.

Les recettes tirées de ces provisions sont évaluées à environ 2 millions d'euros, selon l'audit de modernisation réalisé en 2007 par l'IGF et l'IGAS sur l'aide médicale d'Etat 34 ( * ) . Bien que ces recettes soient mineures par rapport aux coûts induits par les soins apportés aux non-assurés sociaux, le directeur du CHM s'est félicité d'un système qui permet de « moraliser » la fourniture de soins et de réduire le nombre de consultations inutiles.

Toutefois, l'application stricte de cette réglementation est l'objet de certaines difficultés . Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer indique notamment que « faute d'une amélioration du plateau technique des maternités rurales depuis 2004, la prise en charge de la naissance dans les maternités rurales est restée gratuite, ce qui crée une attraction des personnes en situation irrégulière vers ces structures ». Par ailleurs, le directeur du CHM indiquait que, bien évidemment, les médecins ne laissaient pas accoucher sans surveillance une femme qui ne pouvait pas fournir le montant correspondant à un accouchement.

Par ailleurs, le directeur du CHM a fait état de soins d'urgence, qui sont délivrés sans versement préalable. Sont concernés les cas d'urgence vitale, les infections graves et durables ainsi que les maladies transmissibles (notamment, à Mayotte, les cas d'épidémie de choléra). Par exemple, lors de la dramatique épidémie de chikungunya, la DASS a pris la décision d'arrêter de faire payer les patients qui présentaient les symptômes de la maladie étant donnée l'ampleur prise par l'épidémie. Les symptômes du chikungunya étant toutefois très classiques (douleurs musculaires, fièvre), il s'est avéré en pratique très difficile de faire la distinction, à l'arrivée des patients, entre ceux qui souffraient de l'épidémie et ne payaient pas et les autres. Le directeur du CHM estime qu'à cette occasion, un nombre élevé de clandestins est venu se faire soigner gratuitement. Le nombre total de cas de chikungunya à Mayotte est donc difficile à évaluer mais s'élèverait à environ 50.000 cas.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'Etat est nécessairement mis à contribution, pour financer en particulier le coût des soins prodigués aux non-assurés sociaux, qui ne sont pas couverts par l'assurance maladie mahoraise.

c) La trop faible participation de l'Etat

L'aide médicale d'Etat (AME) n'est pas applicable à Mayotte.

Le principe et le montant de la participation de l'Etat aux frais de fonctionnement du CHM résulte d'une ordonnance du 12 juillet 2004 35 ( * ) . L'article 7 de cette ordonnance prévoit en effet que l'Etat verse une contribution « au titre des frais d'hospitalisation et de consultations externes des personnes non affiliées au régime d'assurance maladie-maternité de Mayotte » . Le montant de ce versement a été fixé, pour 2004, à 6,755 millions d'euros. L'article 7 de l'ordonnance prévoit par ailleurs que « pour les années 2005 à 2010 [...] la contribution de l'Etat aux dépenses de fonctionnement de l'établissement public de santé de Mayotte [...] est réévaluée annuellement en fonction du nombre de bénéficiaires et du coût des soins correspondants ».

Ainsi, selon les informations recueillies auprès du directeur du CHM, la dotation de l'Etat s'est établie à 6,8 millions d'euros en 2005, 7,3 millions d'euros en 2006 et 6,3 millions d'euros en 2007. Le directeur du CHM a fait état de ses interrogations quant aux variations de cette dotation, d'autant plus que le montant de la dotation qui lui a été communiqué pour l'année 2008 serait de 3,7 millions d'euros, soit une diminution de près de 50 % en deux ans .

Or, même sans cette importante baisse, la participation de l'Etat n'est pas suffisante pour couvrir l'ensemble des coûts engendrés par les soins dispensés aux non assurés sociaux, qui s'élevait à 23 millions d'euros selon un rapport réalisé par l'IGAS en 2005 36 ( * ) . Par conséquent, en pratique, ce sont les régimes de sécurité sociale qui financent le coût des soins dispensés aux non-assurés sociaux. Cette situation semble particulièrement injustifiée.

Votre rapporteur spécial estime qu'une clarification des relations financières entre l'Etat et le centre hospitalier de Mayotte serait souhaitable, afin d'offrir au CHM une visibilité budgétaire nécessaire et de clarifier la situation au regard de l'assurance maladie .

* 33 Ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004.

* 34 Rapport sur la gestion de l'aide médicale d'Etat, audit de modernisation, IGF et IGAS, mai 2007.

* 35 Ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004 relative à l'adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte.

* 36 Rapport IGAS n° 2005-167 de novembre 2005 sur « La prise en charge des patients non-assurés sociaux par le centre hospitalier de Mayotte », présenté par Jean Debeaupuis.

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