INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

« Je t'aime moi non plus ». Voilà qui pourrait caractériser les relations qu'entretiennent la France et les nouveaux médias depuis quelques années. Tour à tour encensés par les thuriféraires d'une nouvelle ère numérique censée transformer nos sociétés centralisées et sclérosées en paradis technologiques, décentralisés et démocratiques, puis pourfendus par les Cassandre qui annoncent la fin de la lecture, le repli sur soi et l'enfermement mental de nos enfants décérébrés, les nouveaux médias font gloser à la fois les milieux intellectuels et politiques français, et le grand public qui s'en est rapidement emparé. Tantôt objets de haine ou d'opprobre publique, tantôt symboles d'un avenir radieux et révolutionnaire, Internet, les téléphones portables et les jeux vidéo ne sont donc pas des outils qui laissent indifférents.

Mais, c'est surtout la question des relations que la jeunesse entretient avec ces médias qui inquiète ou qui réjouit : les nouveaux médias exposent-ils nos jeunes à des dangers majeurs tels que la perte de repères, la dépendance cybernétique ou la dissolution du sens critique ? Ou la révolution numérique va-t-elle rendre radieux l'avenir de nos enfants en facilitant leur apprentissage et en favorisant la démocratie à travers le droit donné à chacun de s'exprimer sur la toile ?

Votre rapporteur a commencé cette mission avec pour seule certitude que le développement des nouvelles formes de communication était inévitable car spontané et incontrôlable, et la conviction qu'il fallait par conséquent dépassionner le débat, écarter toute interprétation manichéenne des nouvelles technologies, et déterminer avec sérénité les atouts des nouveaux médias pour notre jeunesse, les risques qu'ils comportent et les solutions qui peuvent dès maintenant être imaginées pour écarter les menaces les plus inquiétantes.

Il s'est concentré sur l'impact des nouveaux médias sur les 11-18 ans 1 ( * ) , premiers utilisateurs et principales cibles des études. Il s'est également penché sur les pratiques des plus jeunes, de plus en plus précoces dans la manipulation des nouvelles technologies, et sur les conséquences que ces pratiques peuvent avoir sur leur épanouissement.

En outre, s'il a naturellement porté son analyse sur les nouveaux médias, thème du rapport, il a systématiquement comparé leurs effets à ceux produits par la radio et surtout la télévision, sur lesquelles nous disposons aujourd'hui d'analyses plus complètes et d'un regard plus apaisé. Cette comparaison lui a semblé au demeurant très constructive car elle permet de relativiser les peurs que peuvent susciter les nouveaux médias, tout en mettant en exergue la difficulté des autorités politiques à s'emparer des nouvelles technologies pour modifier l'impact qu'elles ont sur la société.

Par ailleurs, s'il a procédé aux auditions traditionnelles, qui lui ont au demeurant été très utiles, votre rapporteur souhaitait également disposer de moyens originaux pour aborder cette problématique. Convaincu que les internautes ne se trouvent que sur Internet, il a décidé, dès que la présente mission lui a été confié par la commission des affaires culturelles, en mars dernier, d'ouvrir un blog lui permettant de faire état de l'avancée de ses travaux, mais surtout de recueillir les avis, les impressions et les commentaires des internautes sur son analyse. Ce blog ouvert sur le site du Sénat ( http://blogs.senat.fr/mediasjeunesse ) a rencontré un réel succès puisqu'il a suscité de très nombreux commentaires en quelques semaines d'existence et lui a permis d'infléchir le cours de ses travaux et de lui inspirer un certain nombre de propositions. Le corps du rapport indiquera les analyses qui lui ont été transmises via le blog et mettra ainsi en valeur les apports de cette vox populi numérique.

Le fil rouge des travaux de votre rapporteur est le questionnement permanent entre les risques et les opportunités qu'entraînent les nouveaux médias .

Le rapport montre que les nouveaux médias se sont durablement installés, qu'ils concernent les jeunes au tout premier chef, et que rien n'y personne ne pourra réellement contre-balancer le poids de ces nouveaux médias dans l'évolution de notre société. La conviction de votre rapporteur est donc qu'il faudra composer avec les nouveaux médias, dont les usages se croisent et s'entrecroisent, au risque de créer des fractures entre les corps politiques et la société et entre la génération de l'écrit et celle du numérique.

Il a ensuite fait le bilan des apports positifs des nouveaux médias. Outils de socialisation, catalyseurs de compétence, diffuseurs de culture, sources de créativité, supports pédagogiques efficaces, autant de vertus qu'on peut leur accorder et qui sont à l'origine de leur succès. Ces effets positifs sont fragiles et susceptibles d'être remis en cause selon les modes d'utilisation des médias.

Votre rapporteur s'est donc ensuite penché sur les risques de l'usage d'Internet, du téléphone portable et des jeux vidéo. Sont-ils « le poison à la portée de tous et le remède à la portée d'un bien petit nombre » comme l'était le roman Madame Bovary selon le procureur Ernest Pinard au XIX e siècle ? Sans dévoiler le corps de son analyse, votre rapporteur peut affirmer que les nouveaux médias comportent bien des risques. Souvent surestimées, parfois réelles, les menaces qui pèsent sur la jeunesse sont liées à la mise en péril de leur intimité, aux effets des nouveaux médias sur leur santé, à l'éclatement médiatique et ses conséquences sur l'information, et enfin à la violence des images dont l'impact ne peut être minimisé.

Le rôle des nouveaux médias est donc ambivalent.

Alors que les jeunes jouissent d'une réelle liberté grâce à leur maîtrise des nouvelles technologies, l'absence frappante de la famille et de l'école les laisse abandonnés, sans repères, dans un monde multimédiatique omniprésent.

A cet égard, les autorités ont donc un rôle d'émancipation à jouer afin de libérer les jeunes en leur donnant un regard critique et distancié sur leurs pratiques.

La quatrième partie de l'analyse est consacrée aux moyens de canaliser et maîtriser l'usage médiatique des jeunes afin de réduire les risques. Votre rapporteur a à la fois mis en lumière les évolutions techniques qui permettent une avancée dans le domaine de la protection de l'enfance et leurs limites, qui imposent de réfléchir à des solutions alternatives.

Il a conclu sur la voie qui lui paraissait finalement la moins explorée mais recelant pourtant le plus de potentialités, à savoir l'éducation aux médias et la responsabilisation des jeunes et des parents. L'école républicaine a, à cet égard, un rôle fondamental qu'elle pourra endosser pleinement en intégrant le monde numérique dans sa culture et ses pratiques.

« Ayant grandi un portable dans une main, une souris dans l'autre, ces jeunes sont en train d'inventer une nouvelle culture numérique, dont les codes leur sont spécifiques. Derrière leurs écrans et grâce à leurs claviers magiques, ils se jouent des identités, des savoirs, de l'orthographe et des autres. »

Philippe Lardellier, Le pouce et la souris ,
Fayard, 2006

I. UNE JEUNESSE AU CoeUR DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Dans la revue Esprit , M. Laurent Sorbier prophétisait en 2006 que la révolution numérique, conjonction historique de la numérisation généralisée de l'information et de sa mise en réseau au niveau planétaire via Internet, était désormais largement engagée. Il la décrit comme la diffusion dans nos sociétés, à une vitesse sans précédent connu, de l'usage de l'ordinateur personnel et de l'Internet, puis de toute une panoplie d'outils numériques - du téléphone mobile au lecteur MP3 - qui s'accompagne selon lui d'un discours messianique sur l'avènement d'une société de l'information. Indéniablement et comme l'avaient prophétisé certains chercheurs il y a plus de dix ans 2 ( * ) , Internet et les nouvelles technologies sont devenus omniprésents dans notre quotidien et leur impact économique, social et culturel est très puissant 3 ( * ) .

Internet constitue une révolution à la fois technologique et médiatique dans la mesure où il rassemble sur un même support tous les médias traditionnels. Ce faisant, Internet concurrence l'ensemble des médias en rendant les informations accessibles rapidement, gratuitement et sans intermédiaire (vendeur, distributeur...). Spécificité majeure en outre, ses usagers interagissent avec les contenus diffusés, voire produisent directement de l'information.

La jeunesse se situe au coeur de cette révolution. En effet, non seulement les jeunes n'ont pas échappé au bouleversement numérique mais ils en sont même les fers de lance : ils sont les principaux utilisateurs des nouvelles technologies (près d'un tiers des internautes sont des jeunes âgés de 16 à 24 ans alors qu'ils ne représentent que 13 % de la population), ont tendance à les utiliser de manière combinée (67,5 % des 11-20 ans déclarent utiliser régulièrement plusieurs médias en même temps), et ils ont créé des usages originaux, à tel point que leurs pratiques médiatiques contribuent de manière essentielle à la définition d'une « culture jeune ».

A. LA VIE NUMÉRIQUE DES ADOLESCENTS

Lorsque l'on parle des jeunes et des nouveaux médias, il ne faut pas s'imaginer qu'il s'agit d'un phénomène marginal sur lequel il peut éventuellement être intéressant de se pencher. L'usage des nouvelles technologies de communication est si développé qu'il s'agit d'un enjeu de société primordial .

1. La consommation médiatique : une activité majeure de l'adolescent

Les éléments chiffrés suivants permettent d'avoir une meilleure idée de l'immersion des jeunes dans la culture numérique :

- 95 % des 12-17 ans sont internautes et 68 % d'entre eux déclarent se connecter tous les jours ou presque à Internet (Credoc, novembre 2006). Ils surfent en moyenne 12 heures par semaine ;

- 95 % des jeunes européens de 12 à 18 ans ont leur propre téléphone mobile (TNS media intelligence) ;

- 78 % des garçons et 52 % des filles disent pratiquer les jeux vidéo sur console ou ordinateur ;

- et 85 % d'entre eux jouent sur leur téléphone.

Les jeux, la télévision, Internet et les activités de communication sont ainsi parmi les activités préférées des jeunes, après les sorties et les activités sportives, mais devant la lecture 4 ( * ) . Selon un sondage Ipsos de novembre 2004, Internet est même le média préféré pour 61 % des 15-25 ans et l'office des communications britanniques a récemment mis en lumière le fait que le temps consacré à naviguer sur la toile était devenu, pour les jeunes britanniques, supérieur à celui passé devant la télévision. La génération digitale passe globalement 800 heures par an à l'école, 80 heures à discuter avec sa famille et 1 500 heures devant un écran.

Le fait que l'usage d'Internet soit devenu une activité primordiale dans la vie des jeunes constitue une petite révolution sociologique, mais ce qui surprend le plus, ce n'est pas tant l'utilisation massive des nouveaux médias, que leur omniprésence dans l'ensemble des activités des adolescents , du fait de la miniaturisation, de la personnalisation des récepteurs, et surtout des possibilités de combiner très aisément leurs usages.

* 1 Cette période correspond à peu près à l'adolescence : 11 ans est un âge charnière où l'écolier devient collégien, et 18 ans, âge de la majorité, est l'âge où les adolescents, sans accéder pleinement à l'âge adulte, deviennent à tout le moins des « adolescents », selon l'expression de Tony Anatrella.

* 2 Nicholas Negropont, L'Homme numérique, Paris, Laffont, 1995.

* 3 Le Collège de France en est si conscient qu'il vient de créer une chaire d'innovation technologique dont l'objet sera d'étudier cette révolution.

* 4 Gabriel Langouët, Les jeunes et leurs loisirs en France, Paris, Hachette, 2004.

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