TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE À DONNER DES REPRÉSENTANTS DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE, DU MINISTÈRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, ET DE L'AGENCE UNIQUE DE PAIEMENT

Présidence de M. Yann Gaillard, vice-président

Séance du jeudi 13 novembre 2008

Ordre du jour

Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les refus d'apurement des dépenses agricoles communautaires en France de M. Christian DESCHEEMAEKER, président de la 7 ème chambre de la Cour des comptes, M. Dov ZERAH et M. Jean-Louis BERTHET, conseillers-maîtres, M. Michel CADOT, directeur de cabinet de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, M. Philippe JOSSE, directeur du Budget, M. Michel JAU, directeur général de l'Agence unique de paiement (AUP) et M. Eric ALLAIN, chef du service forêt, ruralité et cheval au ministère de l'agriculture et de la pêche.

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La séance est ouverte à 9 h 30

M. Yann Gaillard, vice-président - Selon la coutume, en l'absence du Président Arthuis, j'ouvre la séance. C'est une audition qui donne suite à l'enquête de la Cour des comptes sur les refus d'apurement des dépenses agricoles communautaires en France. Il s'agit de corrections financières que la Commission européenne nous inflige, lorsque la France ne se conforme pas à la réglementation communautaire encadrant la gestion des aides de la PAC. Corrections qui représentent un enjeu non négligeable pour le budget de l'Etat, et plus particulièrement pour la mission « Agriculture » sur laquelle elles s'imputent. Aussi, en confiant cette enquête à la Cour des comptes, la commission des finances a-t-elle souhaité mesurer l'ampleur du phénomène et son impact sur les finances publiques. Nous avons aussi voulu connaître les motifs de ces corrections. Est-ce qu'il s'agit d'une question de réglementation communautaire complexe ? D'erreurs commises de bonne foi ou, parfois, de certaines libertés prises avec les règles européennes ? Nous nous sommes bien sûr demandé pourquoi l'impact budgétaire de ces refus d'apurements n'était jamais traduit en loi de finances initiale - la « facture » étant traditionnellement payée en loi de finances rectificative.

Voilà donc un ordre du jour assez dense et je remercie de leur présence Monsieur Christian Descheemaeker, président de la 7ème chambre de la Cour des comptes ; Monsieur Dov Zerah et Monsieur Jean-Louis Berthet, conseillers-maîtres. Nous accueillons également M. Michel Cadot, ainsi que ses collaborateurs, Messieurs Sciacaluga, de Rancourt, de la Gueronnière et Allain. Je remercie enfin de leur présence Monsieur Philippe Josse, directeur du Budget et Monsieur Michel Jau, directeur général de l'Agence unique de paiement (AUP).

Je propose que la parole soit d'abord donnée à notre collègue Joël Bourdin, rapporteur spécial de la mission « Agriculture », pour qu'il nous rappelle brièvement le mécanisme du refus d'apurement et les montants en cause. Ensuite, j'inviterai les représentants de la Cour à nous éclairer sur les motifs de ces corrections financières, en s'appuyant si possible sur quelques cas concrets, puis à faire le point sur la budgétisation des refus d'apurement en loi de finances. S'agissant des cas concrets que je viens d'évoquer, je souhaite en particulier que la Cour revienne sur l'étrange pratique des lettres interministérielles, dont elle dénonçait déjà les « dérives condamnables » dans son rapport public de 2007. Les représentants du ministère et de l'AUP pourront ensuite nous faire part brièvement de leurs réactions ; et nous en viendrons, le plus tôt possible, aux questions-réponses.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez la parole.

M. Joël Bourdin, rapporteur spécial de la mission « Agriculture » - Merci, Monsieur le président. Mesdames, Messieurs, pour commencer, un mot de la mécanique du refus d'apurement. Comme vous le savez, les Etats membres préfinancent les aides agricoles et se font ensuite rembourser les aides prépayées par le budget communautaire. Les refus d'apurement se traduisent donc par une réfaction opérée par la Commission sur ces remboursements. Ces refus d'apurement sont de deux natures. Premièrement, le refus d'apurement comptable s'analyse comme un refus de certification des comptes des organismes payeurs. L'apurement comptable consiste effectivement à vérifier que les comptes annuels des organismes payeurs sont bien tenus et que les procédures internes de contrôle ont été mises en oeuvre de façon satisfaisante. Deuxièmement, le refus d'apurement de conformité résulte, lui, de la constatation d'irrégularités dans le paiement des dépenses agricoles communautaires. Si l'apurement comptable intervient un an après l'engagement des dépenses, les refus d'apurement de conformité s'imputent six ans en moyenne après cet engagement, au terme de réunions bilatérales et d'une procédure de conciliation entre les Etats membres et la Commission. Ce délai n'est d'ailleurs pas sans atténuer la mise en jeu de la responsabilité des auteurs des irrégularités, qui ont souvent quitté leurs fonctions lorsque surviennent les corrections financières qui leur sont imputables. Il pose également problème quand il s'agit pour les Etats membres de recouvrer auprès des bénéficiaires les montants indûment versés. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet.

Pour le calcul des corrections, la Commission utilise trois bases - les pertes réellement occasionnées pour le budget communautaire, l'extrapolation d'anomalies constatées sur un échantillon représentatif, ou encore l'application de taux forfaitaires. On observe, à cet égard, que le recours à des taux de correction forfaitaires est devenu la méthode la plus utilisée, alors qu'il devrait se limiter aux cas où la Commission estime qu'un chiffrage exact du risque financier est impossible ou difficile à obtenir.

En l'application de la réglementation communautaire, la France s'est dotée d'un cadre de contrôle complet de la mise en oeuvre des aides agricoles. Ce cadre repose sur les éléments suivants : l'agrément des organismes payeurs des aides agricoles, la désignation d'un organisme unique de coordination comme interlocuteur de la Commission (en France, il s'agit de l'Agence unique de paiement), la signature, par chaque responsable d'organisme payeur, d'une déclaration d'assurance, certifiant que ses comptes constituent un état exact, complet et précis de ses dépenses et de ses recettes, et que son système de gestion et de contrôle fournit une assurance raisonnable sur la légalité et la régularité des transactions ; enfin, la désignation d'un organe de certification indépendant des organismes payeurs, chargé de vérifier les comptes des organismes payeurs et d'émettre un avis sur la déclaration d'assurance de leur responsable. En France, ce mandat est confié à la Commission de certification des comptes des organismes payeurs, la C3OP.

En dépit de ce cadre de contrôle, ou peut-être grâce à son efficacité, les corrections affectant la France ont représenté, de 1996 à 2007, en moyenne 1,02 % des dépenses agricoles effectuées sur notre territoire. Ce pourcentage, à première vue modeste, correspond toutefois à une moyenne de 97,25 millions d'euros par an et à un total de corrections d'1,167 milliard d'euros sur la même période. Pour 2008, les réponses au questionnaire budgétaire font état d'un report de charges au titre des refus d'apurement de 181,6 millions d'euros. Selon des statistiques de la Commission européenne établies sur la période 1999/2007, la France est le quatrième pays de l'Union le plus affecté par les refus d'apurement pour non-conformité - derrière la Grèce, l'Italie et l'Espagne. L'importance des montants en cause justifie donc, Monsieur le président, mes chers collègues, que les motifs de ces corrections soient précisément cernés et si possible, progressivement éliminés.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci cher collègue, nous allons demander à la Cour des comptes de bien vouloir présenter son enquête.

M. Christian Descheemaeker, président de la 7 ème chambre de la Cour des comptes - Merci, Monsieur le président. Comme vous l'avez indiqué, la Cour des comptes a mené, à la demande de la commission des finances, une enquête sur les refus d'apurement des dépenses agricoles en France. La demande avait été faite par une lettre du 27 novembre 2007 et la communication de la Cour des comptes, qui a été transmise par un courrier du Premier président du 23 juillet 2008, a été diffusée et est distribuée actuellement. Chacun l'a donc sous les yeux et je pourrai être relativement bref. D'autant plus que, Monsieur le rapporteur spécial, vous avez rappelé les mécanismes de ces refus d'apurement.

L'objet de l'enquête était de cerner ces différents refus et d'en déterminer le montant. Parmi les questions sous-jacentes, figurait effectivement la question du caractère délibéré ou non des irrégularités, causes de ces refus d'apurement. Je ne reviendrai pas sur la distinction entre apurement comptable et apurement pour non conformité. Simplement, vous l'avez dit, si les refus d'apurement sont globalement relativement circonscrits à 1 % du montant des dépenses faites sur le territoire français, ce 1 % représente à peu près 100 millions d'euros en moyenne - je dis bien en moyenne et vous l'avez souligné aussi, car les chiffres annuels sont très fluctuants. Ces 100 millions, ce 1 %, ne sont pas un très bon score - vous venez de le souligner. Nous faisons 1 % - l'Allemagne fait 0,25 %, elle fait donc quatre fois mieux puisqu'elle a quatre fois moins de refus d'apurement.

Pour expliquer cette différence, il faudrait de longs débats et je ne suis pas sûr que la Cour des comptes ait tous les éléments pour le faire. Il est très difficile de faire des comparaisons internationales car il faut connaître tous les systèmes, et ils sont très différents. Est souvent mis en avant le caractère fédéral de l'Allemagne, qui limiterait les fameuses extrapolations géographiques. C'est-à-dire qu'on n'extrapole pas une irrégularité commise dans le Bade-Wurtemberg à un Land autre que le Bade-Wurtemberg. Cela dit, quand on regarde les extrapolations en France, il est fréquent qu'elles se situent au niveau de la région et qu'elles ne se fassent pas à l'échelle nationale. Par conséquent, l'argument du fédéralisme de l'Etat allemand n'est pas forcément décisif. Il y a des arguments qui ont sans doute plus de poids : le nombre d'agriculteurs dans un pays, la diversité des productions agricoles et la taille des exploitations agricoles. Tout ceci rend évidemment plus difficile la situation de la France, où il y a proportionnellement beaucoup d'agriculteurs et beaucoup de petites exploitations, par rapport à la situation de la Grande-Bretagne, où le nombre d'agriculteurs est réduit. Aucun argument ne paraît toutefois décisif pour dire qu'il est normal que la France fasse quatre fois moins bien que l'Allemagne.

Qu'en est-il de la nature des refus d'apurement ? Quand on les analyse, les refus d'apurement font apparaître de fortes récurrences sur des secteurs agricoles ou sur des types de mécanismes, et ces récurrences évoluent dans le temps. A une certaine époque, c'étaient les restitutions à l'exportation, avec d'ailleurs parfois des refus dus à de véritables fraudes - des produits qui étaient censés être exportés mais qui revenaient sur le territoire national et qui, entre temps, avaient fait bénéficier des entreprises de restitutions. Il y avait le stockage public et les primes animales. Aujourd'hui, les récurrences les plus fortes sont dans le secteur des fruits et légumes et dans les aides au développement rural, et les causes en sont généralement des défaillances dans les systèmes de contrôle. On trouve aussi, de manière très répétée et fréquente, l'attribution de crédits communautaires dans les départements d'outre-mer. C'est une récurrence qui, elle, évolue moins dans le temps. Demain, on voit se profiler un risque important de refus d'apurement pour les prêts bonifiés distribués aux agriculteurs sur des crédits communautaires, distribution qui se fait via le CNASEA et par l'intermédiaire des banques. Toute cette chaîne est complexe et mal suivie, pour des raisons en partie informatiques. Autrement dit, il est difficile de savoir, à un moment donné, quel est exactement le stock des prêts qui a été distribué, parfois depuis assez longtemps, et quel est le montant des bonifications y afférent.

Pour traiter la question du caractère voulu ou non des irrégularités, on a d'abord une observation sur des récurrences, sur des secteurs et des types de refus d'apurement. Est-ce que ces refus d'apurement résultent d'une volonté délibérée ? D'une négligence ? Ou d'irrégularités que je qualifierais presque d'inévitables, lorsque la réglementation est trop compliquée ? Pour mener son enquête, afin d'avoir une vue d'ensemble, la Cour s'est appuyée sur des statistiques établies par la Commission interministérielle de coordination des contrôles - la CICC ; sur des statistiques établies par la C3OP qui a déjà été mentionnée, la Commission de certification des comptes des organismes payeurs ; et sur des statistiques établies par l'ACOFA, aujourd'hui disparue - statistiques qui sont prolongées par l'AUP. Cette méthode n'est pas parfaite mais elle a l'avantage de donner une vue d'ensemble - ce qui était demandé par votre commission des finances. Les statistiques ont été utilisées par la Cour des comptes, avec les précautions d'usage, dans les documents dont vous disposez.

Le constat qui en découle est préoccupant et je dirais même très préoccupant. En effet, une part importante des refus d'apurement résulte de choix délibérés du ministère de l'agriculture et de la pêche et d'interprétations de la réglementation communautaire critiquables, notamment dans les secteurs qui ont été cités - les fruits et légumes et les aides au développement rural. En s'appuyant sur la typologie de l'ACOFA, il ressort que la part de la négligence et du manquement délibéré - j'utilise les termes de l'ACOFA - est très largement prépondérante par rapport à la mauvaise interprétation des règles, qui est d'une nature différente. D'autre part, il ressort de ces mêmes statistiques que la part des motifs de refus d'apurement qualifiés de systémiques... (pardonnez ce vocabulaire très technocratique mais c'est le vocabulaire de l'AUP et antérieurement de l'ACOFA), la part des motifs de refus d'apurement qualifiés de systémiques, et de systémiques récurrents... (ce qui est plus grave encore, puisque systémique récurrent veut dire que l'erreur est décelée mais n'est pas corrigée, alors qu'elle pourrait l'être puisqu'elle a été détectée), cette part l'emporte très largement sur le circonscrit. Tous ces termes sont ceux utilisés dans les statistiques que j'ai citées.

Ce constat de ce qui peut être considéré comme délibéré, est important. En effet, la lutte pour réduire les montants des refus d'apurement ne prend pas la même forme ni les mêmes moyens, selon que ces refus résultent de l'erreur, de l'excessive complexité de certaines réglementations européennes - cas qui existent bien sûr, les exemples ne manquent pas - ou d'une volonté délibérée de détourner la réglementation, non pas pour le plaisir de commettre une irrégularité, mais en assumant le manquement aux règles et les risques qui s'y attachent.

Cette question du caractère délibéré ou non des refus d'apurement fait bien sûr surgir la question des lettres interministérielles. C'est un moyen juridique pour les ministres de couvrir les fonctionnaires qui sont appelés à prendre des décisions qu'ils savent irrégulières. Cette couverture vaut au moins à l'égard de la Cour de discipline budgétaire et financière puisque, quand un fonctionnaire est couvert par une lettre signée d'un ministre - pas une lettre d'un ministère, mais une lettre signée d'un ministre - il ne peut pas être déféré devant cette juridiction répressive. Dans la présente enquête sur les refus d'apurement communautaire, la Cour des comptes n'est pas partie des lettres interministérielles qui existent dans ce domaine, car elle aurait eu une vision parcellaire. Elle aurait vu une série de cas mais elle n'aurait pas eu une vision d'ensemble du phénomène des refus d'apurement. Or l'enquête portait d'abord et avant tout sur les refus d'apurement, vus dans leur ensemble. Monsieur le rapporteur spécial, vous l'avez dit - la Cour des comptes connaît le procédé des lettres interministérielles, que les initiés appellent des LIM ; et la Cour des comptes a critiqué à plusieurs reprises cette technique de gestion des irrégularités. La dernière fois, elle l'a fait dans son rapport public de février 2007. Les ministères concernés - ces lettres sont en effet interministérielles parce qu'en général, il y a deux signatures de deux ministres et dans le domaine qui nous occupe, ce sont l'agriculture d'un côté et les finances de l'autre - les ministères concernés ont évidemment quelque mal à défendre le procédé qui consiste à couvrir des irrégularités. Les motifs invoqués sont en général l'urgence ou les crises alimentaires ou sanitaires. Il n'est pas sûr que, dans le domaine des refus d'apurement, on puisse toujours le faire à bon droit.

Nous sommes donc devant le constat que la part des refus d'apurement communautaire résultant d'une volonté délibérée ou d'une négligence administrative, est largement prédominante. On peut donner des pourcentages - ils seront de l'ordre de 90 ou 95 %, c'est-à-dire des pourcentages assez impressionnants. On peut en déduire que la possibilité de réduire le montant des refus d'apurement existe, puisque ce ne sont pas des erreurs commises par inadvertance.

J'en viens aux conséquences budgétaires et comptables. Le ministère de l'agriculture et de la pêche a pour habitude de ne pas inscrire de crédits dans la loi de finances initiale, au titre des refus d'apurement. Il nous semble que le refus d'inscrire ces crédits - alors même que tous les ans, pour des montants très différents certes mais tous les ans tout de même, il y a des refus d'apurement ; et qu'il y a donc tous les ans des dépenses budgétaires correspondant à des refus d'apurement - il nous semble que cette décision est en contradiction avec l'esprit de la LOLF et avec un souci de sincérité budgétaire, puisqu'il s'agit d'une dépense qui, certes a un montant aléatoire, mais qui s'est révélée inéluctable sur la longue période. Si le ministère changeait de position, ce que la Cour des comptes recommande, et si donc, il y avait une inscription en loi de finances initiale de crédits budgétaires, il n'appartiendrait pas à la Cour des comptes de dire quel montant devrait être inscrit. A l'évidence, quelques solutions existent. Inscrire le montant maximal des dix dernières années, c'est sans doute aller loin. On peut partir en revanche de la moyenne des dix dernières années ou bien du montant minimum, qui serait une espèce de dotation budgétaire de précaution : depuis dix ans, l'année la plus faste, c'est-à-dire l'année où il y a eu le moins de dépenses au titre des refus d'apurements, a quand même enregistré une dépense de 20 ou 25 millions d'euros. Il faudrait donc au moins inscrire en loi de finances initiale 20 ou 25 millions d'euros et utiliser, comme on le fait actuellement, la loi de finances rectificative, pour corriger, si besoin est, ce montant. Bien sûr, il y aurait la solution du montant symbolique d'1 million d'euros, pour rappeler que les refus d'apurements existent. C'est aussi une éventualité sur le plan budgétaire. Voilà pour la traduction budgétaire des refus d'apurement. A l'avenir, la Cour des comptes recommande d'inscrire un montant à déterminer, un montant d'au moins 20 ou 25 millions d'euros en loi de finances initiale.

Pour ce qui est des conséquences comptables, elles sont tout à fait différentes. Il faut bien distinguer le raisonnement budgétaire et le raisonnement comptable. En effet, même si on parle à la fois de provisions budgétaires et de provisions comptables, le terme « provision » n'a pas le même sens. Dans ses travaux de certification des comptes de l'Etat 2007, la Cour des comptes a constaté que le risque pour l'Etat de devoir faire face aux charges de remboursements des crédits communautaires, en raison des refus d'apurement, devait être provisionné dans les comptes. Il y a eu une observation d'audit sur ce point, c'est l'observation d'audit numéro 1.2-10. Elle a été transmise au ministère de l'agriculture, en se fondant sur un constat intéressant. Près de 93 % des refus d'apurement notifiés par la Commission à la France en 2006 avaient été identifiés avant que la Commission ne rende ses décisions. Là encore, on est bien dans un système qui fait qu'on n'est pas pris par surprise après coup, pour avoir commis une irrégularité sans s'en rendre compte. L'analyse ne part pas de la notion de délibéré ou de non délibéré, mais de décelable ou non décelable - et de fait décelé avant que la Commission ne rende sa décision. Un risque ainsi identifié devrait normalement être provisionné.

Pour émettre cette opinion, la Cour des Comptes se fonde sur la norme comptable numéro 12 des provisions pour risques et charges : « Quand il existe une obligation de l'Etat vis-à-vis d'un tiers, qu'il est certain ou probable qu'une sortie de ressources sera nécessaire, et quand le montant de l'obligation peut être estimé de manière fiable. » Il est sûr que cette dernière condition n'est pas la plus facile à remplir, puisqu'il y a des cas où le risque de refus d'apurement a été décelé mais où le montant exact qui sera mis à la charge de la France n'est pas encore déterminé. Ça n'empêche pas, en application d'une norme, de provisionner - pour un montant dont il faut évidemment discuter, mais de provisionner, afin d'inscrire dans les comptes de l'Etat le risque qu'il a d'être amené à supporter une charge.

La Cour des comptes est convenue avec le ministère de reprendre l'examen de cette question, lors de la certification des comptes 2008. C'est l'exercice de contrôle de certification qui commence en ce moment et va se poursuivre jusqu'au début de l'année 2009. Voici, Monsieur le président et Monsieur le rapporteur spécial, le résumé des constats faits par la Cour des comptes dans l'enquête que vous lui aviez demandée.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci Monsieur le président, je suis bien obligé de constater que les observations de la Cour des comptes sont extrêmement importantes. Il y en a trois principales. Premièrement, il y a beaucoup plus de fautes délibérées que d'ignorance de la réglementation. Deuxièmement, il n'y a pas d'inscription budgétaire de ces refus d'apurement - lorsqu'il faudrait, d'après la Cour des Comptes, inscrire 20 à 25 millions en loi de finances initiale. Troisièmement, il y a obligation, selon la Cour des comptes, de provisionner un certain nombre de refus d'apurement. Je crois que, devant ces observations importantes de la Cour des comptes, il est tout à fait nécessaire, pour que la commission soit éclairée, que le ministère de l'agriculture s'exprime. Je lui donne très volontiers la parole.

M. Michel Cadot, directeur du cabinet du Ministre de l'agriculture et la pêche - Je vous remercie Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord, très directement, vous affirmer la volonté du ministre de l'agriculture et de la pêche de prendre fortement en considération cette question des refus d'apurement, qui est évidemment, par l'ampleur des chiffres qui a été rappelée, un sujet de préoccupation pour notre gestion budgétaire et pour notre ministère. Je tiens donc d'abord à vous affirmer notre volonté de mettre en oeuvre des solutions aux différents points qui ont été identifiés par la commission des finances du Sénat, et qui avaient, pour certains d'entre eux, été relevés par la Cour des comptes.

Je ferai simplement trois remarques, si vous m'y autorisez, sur les points que vous venez de soulever. Premièrement, je voudrais souligner, à la suite de ces rapports, une amélioration nette de la situation des refus d'apurement du ministère de l'agriculture et de la pêche dans le temps. Le rapport de la Cour des comptes porte sur une période longue, une période commençant en 1996 et allant jusqu'en 2007. Il convient d'apprécier cette période en tenant compte de l'évolution des décisions communautaires, et des réponses mises en oeuvre pour la maîtrise des refus d'apurement.

On constate clairement, sur les dernières années, une amélioration nette des résultats, qui a d'ailleurs été relevée par la Cour. Notamment depuis 2005, il y a une diminution très significative des refus d'apurement. Par ailleurs, quand on analyse les causes des refus d'apurement sur les premières années de la période, on constate qu'elles sont notamment liées à la mise en oeuvre de la réforme de 1992, avec la difficulté dans le système français de faire accepter les nouvelles règles qui s'imposaient pour le contrôle des aides à la surface ou pour les primes animales, puis ensuite pour l'organisation commune de marché « Fruits et Légumes ». Il y a donc eu des causes qui ont expliqué les difficultés de traduction dans la réglementation sur les premières années, mais elles ont été réglées. A partir de 2005, l'amélioration résulte du fait que le système intégré de gestion et de contrôle, qui était demandé par la Commission européenne, a été mis en place effectivement dans la réglementation française.

Cette amélioration des résultats peut être mesurée en comparaison européenne quand on prend, non pas la période totale ni les premières années 1996/1997, mais quand on se réfère simplement aux huit dernières années 2000/2007. Quand on fait la comparaison sur cette période, il apparaît que la France se situe dans la bonne moyenne, au contraire. Si je prends les chiffres, nous sommes sur cette période 2000/2007, à un taux d'apurement qui est de 0,7 %. Il est d'1,3 % pour l'Espagne, d'1,7 % pour l'Italie et de 3,7 % pour la Grèce. Je prends ces trois pays parce que ce sont des pays qui, comme nous, rencontrent des difficultés avec une OCM « Fruits et Légumes » qui a été complexe et qui vient d'être reprise en 2008, avec une nouvelle OCM. Les Pays-Bas, qui sont un pays très vertueux sur le plan de l'application communautaire, sont à 0,6 %. Le Royaume-Uni est également à 0,6 %.

Sur cette période - qui est plus récente et qui correspond, de manière pertinente, à la réalité des efforts engagés - nous sommes donc dans une situation qui est convenable. Elle n'est pas excellente et nous souhaitons l'améliorer, mais elle est convenable. Je le dirai d'autant plus que, quand on regarde les grandes masses qui sont aujourd'hui mises en oeuvre dans la politique agricole commune - je pense en particulier, évidemment, aux aides à la surface - on constate que nous sommes à des taux très faibles d'apurement. Sur les 6,4 milliards de dépenses du secteur en aides à la surface, nous sommes à 0,4 % de refus d'apurements. Tout en constatant l'importance de ces refus d'apurements, il convient donc de les apprécier dans le temps - entre le départ des contrôles et des observations qui ont été faites en 1996, la mise en oeuvre successive des réformes, et la période plus récente mais d'une durée suffisante de 2000/2007 - une amélioration qui n'a cessé de se poursuivre depuis 2005 et qui a été constatée dans les résultats, notamment sur ce qui devient aujourd'hui le droit commun, c'est-à-dire sur les aides à la surface avec le système intégré de gestion et de contrôle qui a désormais été mis en place.

Deuxième élément, je souhaiterais rappeler les efforts conduits par le ministre de l'agriculture et de la pêche, pour améliorer les règles de suivi et de contrôle, afin de réduire significativement les refus d'apurement. En réponse aux observations très justes du président de la chambre de la Cour des comptes, concernant les faiblesses des systèmes d'information, nous avons mis en place la modernisation des systèmes d'information depuis 2006 avec une application qui a été testée en 2007 et 2008 et qui est désormais opérationnelle. Il s'agit de deux systèmes d'information du premier pilier et du second pilier qui s'appellent ISIS et OSIRIS. Ils permettent désormais d'avoir un système efficace de suivi et de traitement des aides communautaires. La France est le seul pays à avoir développé de manière aussi massive et aussi significative un système de ce type. Ce système permet de mettre en relation les organismes payeurs et les services en charge de l'instruction des dossiers, de manière automatisée et en limitant très fortement les risques de retards de paiements ou de différences de calcul. Ces décalages avaient, en effet, été constatés lors des précédents contrôles, notamment, bien entendu, pour la partie des apurements comptables. J'insiste vraiment sur ce sujet parce qu'il a nécessité des investissements financiers et humains lourds de la part du ministère de l'agriculture et de la pêche. Ce système informatique est désormais entré dans une phase opérationnelle, après avoir été mis en oeuvre et ajusté en 2007 et 2008.

Le deuxième élément d'amélioration que je souhaite présenter est celui que la révision générale des politiques publiques (RGPP) nous a conduits à mettre en oeuvre - à savoir la fusion du CNASEA et de l'AUP. Cela permettra d'avoir prochainement une unité d'établissement dans les systèmes de paiement et de contrôle, pour le premier et le deuxième pilier, avec un rapprochement des équipes de contrôle sur le terrain qui est désormais effectif. La fusion des organismes CNASEA et AUP sera traduite dans la loi dans quelques semaines, elle est en cours d'examen à l'Assemblée. Le rapprochement des équipes a été mis en oeuvre dès 2007. Cela permet évidemment d'avoir davantage de moyens sur le terrain, plus d'expertise et une simplification des échanges avec l'Union européenne, en ayant regroupé dans un seul organisme ces compétences.

J'ajoute enfin que sur le développement rural - qui est un des points évoqués dans le rapport - nous avons également procédé en 2007 à l'harmonisation de nos procédures, à l'occasion de la révision du Règlement de développement rural et de l'approbation du nouveau Règlement de développement rural dit « numéro 2 ». Nous avons donc répondu à un assez grand nombre des observations qui étaient faites et qui expliquaient, pour certaines, les refus d'apurement. Dernier point, je souhaite souligner que le ministre a pris, dès 2005, par des circulaires internes - que nous allons d'ailleurs renforcer dans les prochaines semaines - des mesures pour faire en sorte que toutes les décisions soient contrôlées et vérifiées en termes de respect des procédures communautaires, et donc de leur non-vulnérabilité au risque de refus d'apurement.

Voilà sur ce point. J'insiste beaucoup sur les évolutions engagées depuis 2005, et sur les améliorations et les efforts qui ont été faits par le ministère de l'agriculture et de la pêche.

Le deuxième point sur lequel je me permets de donner une précision concerne la typologie qui a été donnée aux refus d'apurement - entre ce qui relève de l'apurement comptable, lorsqu'il s'agit de corrections techniques, de retard de paiements, etc. ; et ce qui relève de l'apurement qualifié de systémique. J'indique simplement que le montant moyen des corrections est de 8,6 millions et non de 19 millions d'euros, comme cela a été dit dans le rapport. On est sur des sommes qui sont maîtrisées et pour lesquelles les corrections sont en cours. Le vrai sujet me semble être l'interprétation que l'on donne à l'apurement de conformité et à cette question, effectivement difficile, de ce qui relèverait des refus d'apurement de nature systémique, récurrente et délibérée. Sur ce point, je souhaite expliquer les raisons et les conditions dans lesquelles ces décisions sont prises.

Ces risques de nature systémique correspondent d'une part à des aides qui sont très concentrées et il y a donc incontestablement un effet de masse qui est important. Dans la quasi-totalité des cas, la décision correspond à la volonté du ministre et du Gouvernement, de défendre une certaine interprétation de la réglementation communautaire. C'est en ce sens que ce risque est systémique. Il y a, du côté des autorités gouvernementales, le souhait de faire interpréter une réglementation communautaire qui n'est pas toujours détaillée dans ses modalités d'interprétation, dans des conditions qui nous paraissent conformes aux principes généraux des traités communautaires. A plusieurs reprises, nous avons d'ailleurs obtenu gain de cause dans des conciliations ou dans les décisions de justice qui ont permis de confirmer ou de préciser ces interprétations. C'est dans ce cadre que le caractère récurrent peut être affirmé, puisque la Commission a pour pratique, dans ce cas, de remettre en jeu un deuxième contrôle, avant même l'aboutissement de la période de deux ans ; et donc d'intervenir immédiatement, sans que nous ayons pu modifier nos dispositifs ou les voir confirmer par une décision de justice.

J'insiste donc sur le fait que cette typologie des refus d'apurement à caractère systémique ne constitue pas une volonté de refuser de faire, mais correspond généralement à une période pendant laquelle les autorités gouvernementales souhaitent faire préciser certaines interprétations avec la Commission. Nous pourrons revenir sur un certain nombre de dossiers qui nous ont donné raison dans cette méthode, et qui ont conduit ensuite à diminuer les montants des apurements qui avaient été repris dans un premier temps, dans les décisions ultérieures. Ce qui explique d'ailleurs qu'il serait très difficile de budgéter des décisions pour lesquelles la culpabilité budgétaire de l'Etat français n'est pas du tout reconnue, et dépend de décisions de conciliation ou de justice qui peuvent au contraire nous donner raison.

Le dernier point sur ce sujet, c'est évidemment de rappeler que les décisions correspondantes ne sont pas prises par le ministre de l'agriculture tout seul, isolé dans son ministère ; elles font à chaque fois l'objet de décisions prises sous l'autorité du Premier ministre. Il s'agit donc de décisions interministérielles - pour lesquelles, d'ailleurs, nous pouvons essayer de systématiser de manière plus marquée, plus formalisée, la qualité des arbitrages qui sont faits sous l'autorité du Premier ministre.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci, Monsieur le directeur, vous avez présenté, ce qui ne saurait nous étonner, un plaidoyer extrêmement subtil et précis, dont la commission vous remercie. En somme, je retiens plusieurs idées. Premièrement, vous avez montré qu'il y a une amélioration de fait dans la situation par rapport à l'application de certaines réglementations et, c'est la partie active de votre défense, pour un certain nombre de ces refus d'apurement, vous maintenez la position du gouvernement français, une position gouvernementale et non du ministère de l'agriculture afin de faire confirmer votre interprétation de la réglementation communautaire. C'est comme ça que je résume votre réponse. Peut-être pourrait-on faire appel aux constatations et au témoignage du directeur de l'Agence unique de paiement, puisqu'il est tout à fait au coeur de la question.

M. Michel Jau, directeur général de l'Agence unique de paiement - Monsieur le président, Messieurs, je crois qu'avec l'intervention qui vient d'être faite par Monsieur le directeur de cabinet, beaucoup d'éléments ont été apportés - des éléments qui sont communs à ce que pourrait vous dire le responsable de l'opérateur de paiement. Je crois que ce qui a été dit est vraiment la réalité quotidienne de ce que nous vivons avec nos équipes. Avec évidemment une distinction qui doit être faite dès l'entrée et que chacun a bien comprise, entre les procédures qui s'imposent et qui s'appliquent, et l'opérateur qui est chargé de les mettre en oeuvre - dans les meilleures conditions évidemment, et dans la régularité la plus totale. Avec la prise en compte aussi d'un certain nombre de données plus strictement politiques, qu'on a qualifiées ici de systémiques et qui s'appliquent aussi.

Dans ce cadre général, c'est vrai que ce qui vient d'être dit commence à donner tous ses effets - Monsieur Michel Cadot vient de le rappeler. Avec notamment, dans le cadre de la RGPP, cette fusion bien engagée qui est maintenant devant le Parlement et devant la Haute Assemblée, pour arriver le plus tôt possible à cette intégration, souhaitée par les pouvoirs publics, des deux opérateurs que sont le futur ex-CNASEA et la future ex-AUP. Cela permettra une polyvalence, une intégration des procédures, des contrôles et la prise en compte de la réalité du terrain dans le monde agricole. Cela sera à mon avis très bénéfique pour améliorer les résultats en termes de régularité - même si on voit que tout ce qui est dépendant de la régularité et strictement comptable est très réduit par rapport aux autres risques.

Evidemment - cela vient d'être redit par le directeur du cabinet du ministre - il y a déjà un certain nombre de dispositions qui sont d'ores et déjà opérationnelles ; notamment en matière d'équipes de contrôle sur le terrain ; et notamment en termes de mise en oeuvre de systèmes informatiques de nouvelle génération et très performants, même s'ils font référence à la mythologie de l'ancienne Egypte ! Des spécialistes informatiques - ce que je ne suis pas - peuvent témoigner du fait qu'il s'agit des meilleurs systèmes informatiques de paiement et de contrôle dans l'ensemble de l'Union européenne. Ils n'ont pas été conçus pour être uniques mais sont en voie de convergence, et les deux systèmes pourront s'interpénétrer totalement pour l'ensemble des priorités de la régularité budgétaire et comptable.

Je crois donc que ça va dans le bon sens. Il y a une sensibilité très forte des opérateurs publics en France sur la nécessité de coller le plus totalement possible au respect des procédures. Ce qui n'empêche pas le discernement quand on est en milieu agricole et qu'on est en exploitation agricole. Evidemment avec le plus haut respect de ces procédures et une volonté d'aller de l'avant pour essayer de faire en sorte que, dans ces contacts que nous avons nous aussi quasiment au quotidien avec les autorités de l'Union européenne et les autorités des pouvoirs publics français, les opérateurs soient de plus en plus à même de toujours mieux remplir leur mission.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci, peut-être peut-on demander maintenant à Monsieur le directeur du Budget, qui nous fait le plus grand plaisir d'être ici, la conclusion qu'il tire de cet échange de vues - surtout sous l'angle qui est le sien, c'est-à-dire celui de l'inscription budgétaire.

M. Philippe Josse, directeur du Budget - Merci beaucoup Monsieur le président. Pour pouvoir évoquer ces questions de budgétisation, je dirai trois mots pour qualifier l'objet dont on parle - sans naturellement redire ce qui a été dit et très bien dit. Premièrement, c'est une dépense qui est erratique - 100 millions d'euros en moyenne, environ 1 % des aides - mais une dépense qui oscille entre plus de 100 millions d'euros, parfois, et moins de 40 millions d'euros, par exemple pour 2007.

Deuxièmement, c'est une dépense qui, dans un monde idéal, ne devrait pas exister. Evidemment, on est dans le monde réel et dans le monde réel, c'est une dépense qu'on doit au moins maîtriser. Ceci sera d'autant plus possible que, comme cela a été observé par la Cour des comptes, il y a des récurrences et des secteurs plus particulièrement concernés. Il doit donc y avoir moyen d'agir et Michel Cadot a d'ailleurs bien dit que telle était la volonté du ministre de l'agriculture.

Troisième observation, la pratique de la Commission elle-même n'est pas totalement satisfaisante. Il est légitime que, dans le cadre de cette séance, on s'interroge d'abord sur ce que nous, nous faisons. Tout de même, je voudrais d'abord souligner les délais qui sont considérables. Ça a été très bien dit par la Cour des comptes, ça empêche une véritable responsabilisation des acteurs, dans la mesure où, quand la sanction tombe, plus personne n'est en place parmi les responsables de l'époque où l'infraction a été commise. Autant l'apurement comptable qui s'opère dans le cadre de la certification des comptes des organismes payeurs chaque année, intervient de manière rapide ; autant l'apurement de conformité - qui est d'ailleurs assez difficile à dissocier sur le fond, de l'apurement comptable et les deux peuvent se recouvrir - intervient avec des délais extrêmement longs. Six ans en moyenne, ça n'est pas satisfaisant.

Je crois donc que dans l'action qu'on doit mener, il faut évidemment qu'on s'occupe de nous-mêmes, de nos procédures ; mais aussi peut-être qu'on ait une action vis-à-vis de la Commission, pour essayer d'enserrer dans des délais plus brefs les actions de rectification.

Deuxième série d'observations, pour répondre beaucoup plus directement à la question de la budgétisation. Je voudrais rappeler ce qu'est le circuit budgétaire/comptable de l'apurement communautaire. Vous savez que les aides, qu'elles soient du premier ou du deuxième pilier, sont remboursées à la France par l'Union européenne. Tout cela transite par ce qu'on appelle un compte de tiers, qui est ouvert dans les écritures du budget de l'Etat. L'Union européenne rembourse le compte de tiers, lequel rembourse l'Agence unique de paiement - selon un circuit tout à fait classique. Ce compte de tiers avait fait l'objet d'une dotation en fonds de roulement par le budget de l'Etat. C'était il y a plus de vingt ans. Il y avait plus d'1 milliard d'euros qui avait été ouverts en loi de finances rectificative à l'époque, pour doter en fonds de roulement le compte de tiers. C'est ce fonds de roulement primitif qui est amputé par les refus d'apurement que la Commission impute sur les paiements qu'elle nous fait. Puis intervient chaque année la loi de finances rectificative, qui reconstitue le tampon du fonds de roulement du compte de tiers.

En clair, au-delà de cette « tuyauterie », ce qu'il faut bien avoir présent à l'esprit, c'est que ce ne sont pas les agriculteurs qui supportent l'apurement communautaire - alors qu'au fond, dans un schéma intellectuel, ça pourrait parfaitement être le cas - ce ne sont pas les agriculteurs, c'est le budget de l'Etat.

D'où, troisième et dernière série d'observations, en réponse à la question sur la budgétisation. Qu'est-ce qu'on peut faire pour traiter la question de l'apurement communautaire à l'avenir ? Je crois que la première chose à faire, c'est de poursuivre et d'amplifier les efforts pour limiter cette dépense. Que ce soit par l'action nationale ou par l'action communautaire, il faut évidemment aller dans ce sens-là. Deuxième point, est-ce qu'il faut conserver le système de remboursement du compte de tiers en loi de finance rectificative ? Ou est-ce qu'il faut budgétiser ex ante dans le budget du ministère de l'agriculture ? Sur le plan des principes, budgétiser ex ante, c'est quelque chose qui objectivement, dans le concret, est tout sauf satisfaisant. On a une dépense qui est aléatoire, elle varie et elle est très erratique. Par ailleurs, comme elle n'a pas de légitimité, le fait de la budgétiser risque d'être auto-réalisateur. Ça, ce n'est objectivement pas satisfaisant.

M. Yann Gaillard, vice-président - C'est presque un aveu de culpabilité.

M. Philippe Josse, directeur du Budget - Voilà et donc, ce ne serait pas satisfaisant. En même temps, dans le monde réel, il est clair que l'apurement communautaire existe partout, dans le temps et aussi dans l'espace - ça a été dit. Même nos voisins germaniques, avec toute la rigueur qui s'attache à leur gestion des procédures, ont un apurement communautaire. D'où la proposition de la Cour des comptes, que je crois intéressante, qui est de se caler sur la meilleure pratique dans l'espace - 0,25 % des aides, ce qui donne à peu près 25 millions d'euros chez nous. C'est quelque chose qui peut s'envisager.

En même temps, la technique de la LFR, sur une somme de cette ampleur qui n'est pas très importante, n'est pas non plus indécente. Après tout, elle permet bien à l'Etat d'apurer ses dépenses définitives. Simplement, il le fait ex post, une fois qu'il a une connaissance certaine de la dépense. Les deux peuvent s'envisager - soit conserver la loi de finances rectificative, soit avoir une budgétisation modeste, j'insiste vraiment là-dessus, ex ante en loi de finances. C'est quelque chose qu'on pourra regarder dans le cadre des plafonds du budget triennal pour 2010 et 2011. Il restera à savoir si on peut budgétiser ceci ex ante, compte tenu des différents arbitrages qui seront faits sur les autres dépenses ou pas.

C'est quelque chose qui est ouvert, mais je voudrais insister sur un point. C'est que le système actuel, s'agissant de ce type de dépenses très aléatoires, incertaines, contestables le cas échéant devant les instances communautaires, et surtout à réduire le plus possible, conserve quand même une certaine légitimité. Voilà, c'était la contribution que je souhaitais apporter au débat.

M. Yann Gaillard, vice-président - Monsieur le directeur du cabinet du ministère de l'agriculture semblait approuver fortement.

M. Michel Cadot, directeur du cabinet du ministre de l'agriculture - J'approuvais jusqu'au dernier point, sur lequel je me permets d'apporter une précision. Je crois que le raisonnement de Philippe Josse est imparable et que véritablement, il montre bien, que dans cette affaire, il y a des décalages et des responsabilités communautaires qu'on a intérêt à traiter aussi. On ne peut pas faire simplement comme si l'application, telle qu'elle est faite aujourd'hui, du régime des apurements communautaires était une donnée qu'on devait subir absolument. On peut aussi faire en sorte que le système soit plus vertueux dans l'ensemble.

Dans la proposition de budgétisation qu'évoquait à la fin Philippe Josse, je pense qu'il démontre qu'il est difficile d'avoir une budgétisation qui soit raisonnablement calée sur les montants prévisibles de l'apurement - puisque c'est précisément une dépense difficile à estimer, variable et avec un délai trop long entre le moment où elle est constatée et le moment du fait générateur qui l'a engendrée. Il suggère en conséquence de n'imaginer une budgétisation en LFI que de manière symbolique, en se calant sur quelque chose qui serait une sorte de norme minimale comparative.

Je tiens à indiquer que ce dispositif d'abord n'a pas été prévu, dans nos plafonds 2009/2010. Par ailleurs, il me semble que si on veut davantage responsabiliser l'Etat et le ministère de l'agriculture en particulier - ce que je peux comprendre du point de vue de la direction du Budget, et ce qui me semble souhaitable - il faut peut-être nous donner le temps d'appliquer les méthodes de contrôle que nous avons mises en oeuvre et développées fortement depuis deux ou trois ans, et que nous allons renforcer encore cette année - peut-être dans le cadre du plafond triennal tel que cela a été évoqué. Dans une situation où ces mesures n'auraient pas apporté les résultats attendus, j'ai noté le souhait d'une sorte de pénalisation, qui nécessiterait alors - je tiens à le dire clairement devant les sénateurs - de prélever sur d'autres programmes. Il faudrait par exemple que nous limitions la prime à la vache allaitante ou l'indemnité compensatoire de handicap naturel, pour trouver ces 25 millions d'euros !!

Je comprends qu'on souhaite mettre un affichage en loi de finances - et c'était la recommandation de la Cour des comptes. Vous avez même parlé, Monsieur le président, du montant minimum dans le temps, ce qui correspondrait à 1,37 million d'euros, et pas 25. On peut trouver différents schémas pour afficher cette réalité du risque d'apurement dès la LFI mais j'insiste sur le fait qu'actuellement, pour le ministère de l'agriculture, qui a fait des efforts et qui va les poursuivre, ce ne serait pas très cohérent de l'afficher en cours de programmation et après que les négociations budgétaires ont été achevées. Je pense préférable que ce schéma soit réfléchi pour l'après 2011, dans le cadre d'une prochaine programmation - de sorte à responsabiliser les résultats du travail engagé.

M. Yann Gaillard, vice-président - Il y a un très bon argument, c'est que vous êtes actuellement en pleine rectification de vos procédures. Peut-être donc qu'on peut attendre qu'elles aient donné leurs effets avant d'appliquer la solution de la Cour des comptes. J'insiste aussi sur un point. Je trouve cette réunion très intéressante, mais il faut aussi laisser parler les politiques et pas seulement les fonctionnaires. C'est que monsieur le directeur du budget a bien précisé que c'est une affaire qui concerne le budget de l'Etat et que de toute façon, les producteurs ne sont pas en cause. Monsieur le rapporteur spécial.

M. Joël Bourdin, rapporteur spécial de la mission « Agriculture » - Merci Monsieur le président, de bien vouloir me redonner la parole. On a déjà beaucoup avancé. Je voudrais faire un certain nombre d'observations et poser un certain nombre de questions aux uns et aux autres. Ma première observation s'adressera à Monsieur le directeur du Budget, parce que je n'ai pas tout à fait la même conception « lolfienne » que lui. Ça n'est pas parce qu'une dépense est incertaine qu'elle ne doit pas être estimée. C'est une prévision et il y a donc forcément des éléments d'incertitude. Les entreprises qui utilisent des matières premières très volatiles, comment font-elles ? Elles font des provisions. Parfois, elles les ont surestimées et donc elles réintègrent ; et parfois, elles font l'inverse.

Je serais pour ma part, en tant que rapporteur spécial, très favorable à ce qu'il y ait une inscription en LFI. On a quand même des références statistiques, la moyenne dont parlait la Cour des comptes tout à l'heure. Sans avouer qu'on est en faute, on pourrait donc inscrire une somme. L'entrepreneur qui sent qu'il peut être condamné dans un contentieux, son expert-comptable va lui dire : « Monsieur, vous n'allez peut-être pas être condamné mais il y a quand même une probabilité que vous le soyez. Vous allez donc inscrire une provision. » C'est quand même, pour moi, une règle de base et je souhaiterais donc qu'un petit geste soit fait, ne serait-ce qu'en tenant compte des premiers arbitrages et des premiers éléments de connaissance que l'on a, au moment où on établit le budget. En fonction aussi de l'histoire, il n'est peut-être pas nécessaire de prendre la moyenne des trois ou quatre dernières années mais de prendre au moins le plus petit montant d'apurement. Qu'on ait quand même une transcription au budget, puisqu'on sait que de toute façon, il y aura une correction qui va s'opérer en fin d'année. C'était une observation.

J'en viens aux questions. D'abord, une question à la Cour. La Cour considère dans son rapport, les prêts bonifiés comme « facteurs potentiels de refus d'apurement ». Ma question, c'est ce qu'il en est exactement. Est-ce que ceci est quantifiable ? Une question maintenant à Monsieur Cadot. Pour les années à venir, un facteur important d'accroissement des refus d'apurement comptable réside dans la montée en puissance des créances non recouvrées. Les Etats membres ont en effet l'obligation de récupérer auprès des bénéficiaires les montants dépensés de façon irrégulière. Depuis 2006, si l'Etat membre met plus de quatre ans à recouvrer ces créances, une pénalité supplémentaire de 50 % de leur montant est prononcée à son encontre. Les carences en matière de recouvrement de créances semblent particulièrement affecter l'Office national interprofessionnel des fruits et des légumes, des vins et de l'horticulture, qui n'a recouvré que 700.000 euros sur les 27,5 millions d'euros de corrections financières prononcées depuis 1997. Cela concerne aussi le Centre national pour l'adaptation des structures des exploitations agricoles - le CNASEA - dont les montants recouvrés se chiffrent à 30.000 euros, pour 11,5 millions d'euros de corrections. Comment expliquer la faiblesse de ces montants et comment le ministère procède-t-il, ou procédera-t-il, pour essayer de récupérer ces créances non recouvrées ? Voilà les quelques questions que j'avais à poser.

M. Christian Descheemaeker, président de la 7 ème chambre de la Cour des comptes - Monsieur le rapporteur spécial, sur les refus d'apurement attachés aux prêts bonifiés agricoles - comme je le disais précédemment, les fonds destinés aux agriculteurs au titre des prêts bonifiés, en général des prêts d'installation pour les jeunes agriculteurs, suivent un circuit complexe puisqu'ils transitent par le CNASEA puis par les banques, essentiellement le Crédit agricole, avant d'arriver chez leurs bénéficiaires. Premièrement, dans ce domaine, il faut avoir conscience que jusqu'à présent, l'Europe prenait à sa charge 50 % des bonifications. La France n'en supportait donc que 50 % mais à l'avenir, l'Europe va se retirer complètement. Tous les problèmes dans ce domaine seront donc à la charge de l'Etat français.

Deuxièmement, d'importants problèmes ont été notés dans les factures que les banques adressent au titre des bonifications. Ces problèmes sont tout simplement un manque de fiabilité des factures qui sont adressées, de sorte que des audits de certification de ces factures ont dû être lancés et ce travail prend un temps considérable. On peut se demander pourquoi. Il y a, comme je le disais, des problèmes informatiques mais il n'y a peut-être pas que cela. Les banques manifestent-elles une bonne volonté totale ? Ça n'est pas garanti. En tout cas, il y a un risque de réfaction sur les factures adressées par les banques. Autrement dit, les banques auraient demandé trop d'argent et ce risque est important, puisqu'il se monterait à 130 millions d'euros - ce qui ne veut pas forcément dire que les refus d'apurement seraient du même montant. Toujours est-il que les prêts bonifiés, à cause des incertitudes sur les montants des prêts et les montants des bonifications, sont considérés d'ores et déjà comme une source de risque important. Je pense que le directeur de l'AUP pourrait apporter des précisions sur les travaux en cours pour fiabiliser les sommes qui sont réclamées à ce titre.

Actuellement, selon les informations dont je dispose, on est très loin d'être au clair sur les sommes qui sont réellement dues, en sachant qu'on est dans des domaines où le stock pèse lourd, puisque certains prêts ont été accordés il y a plusieurs années. Si l'informatique, il y a plusieurs années, n'était pas au point, il faut évidemment du temps pour savoir qui a reçu et qui a reçu quoi. D'où la difficulté à fiabiliser quelque chose qui n'est pas une série de flux mais qui est un empilement de prêts, et donc un stock. A partir de quand l'application informatique OSIRIS pourra-t-elle fonctionner dans ce domaine des prêts bonifiés ? Vous voyez que la question met en cause l'informatique de l'AUP mais aussi l'informatique des banques. Or faire parler deux systèmes informatiques, ce n'est pas quelque chose d'évident. Voilà pourquoi je citais les prêts bonifiés agricoles comme un des problèmes identifiés à venir, en matière de refus d'apurement.

M. Philippe Josse, directeur du Budget - Monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez posé une question au regard de l'interprétation de la LOLF, question que je ne voudrais pas laisser sans réponse. Trois points rapides - premièrement, ce n'est pas seulement une dépense incertaine, c'est aussi une dépense qui a beaucoup moins de légitimité que le droit courant des dépenses, puisqu'il y a consensus pour dire que dans un monde idéal, elle ne devrait pas exister. D'où le caractère éventuellement auto-réalisateur d'une inscription budgétaire.

Le deuxième point vaut tant pour la budgétisation en comptabilité budgétaire que pour le provisionnement en comptabilité générale de l'Etat. Il y a je crois une très grande différence entre une entreprise et l'Etat. C'est que l'Etat a des budgets et des comptes qui sont publics et qui sont donc un enjeu de débat éventuel. Pour une entreprise, la source exacte d'un provisionnement est couverte par la confidentialité des affaires. Ça rejoint ce que je disais sur le fait d'être éventuellement en position de faiblesse vis-à-vis de l'Union européenne, dans ce qui reste quand même une négociation et un rapport de forces.

Troisième point, ceci n'empêchait pas qu'à la fin, au fond, je convergeais un peu vers votre propre position - au nom, non pas du monde idéal mais du monde réel. Réponse un peu embarrassée et contradictoire dans ses éléments, mais je crois que c'est la matière qui implique cette position-là.

M. Michel Cadot, directeur du cabinet du ministre de l'agriculture - Monsieur le rapporteur, j'aimerais également compléter. Sur ce dernier point, je tiens à préciser que la règle juridique de la Communauté, c'est que les aides du premier pilier sont totalement versées à l'agriculteur et ne peuvent pas faire l'objet de prélèvements. C'est la raison pour laquelle c'est bien ce compte du budget général de l'Etat qui sert d'interface pour le règlement des apurements. En droit, il ne me semble pas possible de prélever directement sur l'aide versée à l'agriculteur.

Par rapport au schéma que vous évoquez, Monsieur le rapporteur, concernant la possibilité de budgéter en LFI une somme à définir pour couvrir le risque d'apurement, je souhaiterais compléter ce que vient de dire le directeur du Budget sur plusieurs points. Je voudrais d'abord dire que dans le budget du ministère de l'agriculture, nous avons beaucoup d'autres dépenses - c'est le propre de ce ministère - qui ne sont pas prévisibles de manière fine chaque année, mais dont nous savons qu'elles se réaliseront. Donc, si on fait un exercice de budgétisation sur des moyennes de dix ou quinze ans, de manière un peu arbitraire - en disant qu'en moyenne, on sait qu'on aura de toute façon un risque d'apurement -. Nous devrions alors faire le même exercice pour d'autres postes : nous savons aussi que nous avons en moyenne, une certitude d'avoir des risques climatiques et des risques sanitaires et des indemnisations à verser à ce titre. Toutes ces dépenses ne sont pas budgétées et ce raisonnement d'un budget, non pas estimé annuellement en fonction de prévisions fermes, précises et certaines - ou du moins aussi probables que possible - mais en fonction d'une sorte de moyenne, en plus faite sur des durées extraordinairement longues correspondant à des périodes qui ne sont plus forcément les mêmes, en termes de systèmes de contrôle ou de pratiques communautaires, pose un vrai problème de légitimité de l'exercice budgétaire et donc, du contrôle parlementaire.

J'insiste sur ce point, sauf à inclure ce provisionnement pour risque d'apurement de manière symbolique. Il y a, en vérité, deux solutions. Soit, on re-base complètement le budget du ministère de l'agriculture. Ce travail avait été estimé, il faudrait plus d'1 milliard d'euros pour le remettre à niveau complètement. A ce moment-là, on fait de vraies provisions, si je peux dire, qui correspondent à des risques potentiels. C'est une conception budgétaire qui n'est pas celle qui a été retenue jusqu'ici. L'autre formule, c'est de le faire de manière plus symbolique, comme le suggérait Monsieur Bourdin. Cela dit, je tiens à dire clairement qu'à hauteur de 20 ou 25 millions d'euros dans le budget 2009, 2010 ou 2011, cela supposera des arbitrages de redéploiements budgétaires. Nous n'avons pas une marge de manoeuvre de 20 ou 25 millions d'euros, sauf un re-basage. Sinon, il faut qu'on les prélève sur d'autres aides et ça sera très difficile à obtenir.

Je redis par ailleurs que c'est tout de même un tout petit peu difficile de le faire, alors même que nous sommes en contestation de ces apurements et que nous ne les acceptons pas. Ce ne sont pas des dépenses sur lesquelles nous avons un accord politique. Ce sont des dépenses possibles pour lesquelles, très souvent, nous sommes en négociations communautaires.

Sur le deuxième sujet qui est celui du recouvrement des aides, une fois les décisions menées à leur terme, de la lenteur des recouvrements et de la faiblesse des montants recouvrés, je voudrais là aussi être très direct. Il y a deux problèmes, me semble-t-il, dans cette question. Il y a celui de la lenteur des procédures elles-mêmes, qui sont effectivement assez lourdes. Pour le deuxième pilier, il faut passer par la CICC et il y a ensuite les décisions préfectorales. L'enjeu est donc certainement de raccourcir et là encore, d'avoir un suivi très précis de la mise en oeuvre de ces procédures. C'est le premier point et nous nous y employons vraiment. Il y a un deuxième sujet, qui est un sujet beaucoup plus sensible politiquement - celui de décider, au dernier moment, de mettre en oeuvre le recouvrement des aides considérées comme illégales, indues ; en demandant au bénéficiaire - au final, pas dans la première étape du refus d'apurement mais au moment du recouvrement par l'Etat - de reverser telle ou telle aide. Il s'agit soit d'aides d'Etat, notifiées en tant que telles, soit d'aides communautaires. Sur ce point, le gouvernement actuel a pris une position claire qui est celle d'aller jusqu'aux conséquences des procédures de recouvrement et donc de mettre en oeuvre des procédures de recouvrement d'aides indues, à partir du moment où elles ont été considérées et jugées comme telles.

Ce qui n'est pas le cas, je le redis encore, du refus d'apurement qui fait la plupart du temps l'objet de négociations communautaires. Nous ne sommes pas dans un système totalement unifié mais dans un système agricole où chaque pays peut interpréter un règlement communautaire en fonction de sa structuration en organisations de producteurs, en systèmes de production... Sur cette question du recouvrement des aides indues, vous l'avez certainement remarqué, le gouvernement a mis en oeuvre récemment une décision dans le domaine de la pêche pour récupérer les aides qui ont fait l'objet d'une décision communautaire définitive. Ce n'est pas facile, il s'agit de récupérer plusieurs dizaines de millions d'euros auprès de pêcheurs qui sont dans des situations économiques dramatiques, pour certains d'entre eux. On a le même problème aujourd'hui dans le domaine de la viticulture, dans certaines régions. Dans le Roussillon et le vignoble charentais par exemple, nous sommes engagés dans ces procédures qui sont extrêmement difficiles, parce qu'il s'agit de faire reverser cinq, six ou dix ans après qu'elles ont été versées, des aides à des agents économiques, qui sont souvent dans des situations économiques très difficiles.

C'est la position politique du gouvernement que d'aller dans cette voie, de donner des signaux. C'est le complément de nos efforts de régularisation mais j'insiste sur le fait que d'Etat à Commission, vouloir appliquer un régime d'inscription en LFI sur les apurements - qui sont une masse globale, décalés de plusieurs années et souvent contestés - pose un problème, sauf à en faire une règle générale sur la totalité et d'établir notre budget sur des lignes moyennes et pas sur des prévisions annuelles.

M. Joël Bourdin, rapporteur spécial de la mission « Agriculture » - Je remercie Monsieur le directeur de ces précisions mais il y a quand même des cas où c'est à la suite d'une erreur d'interprétation du ministère qu'il y a eu versement indu, et où la répétition de l'indu doit donc être difficile.

M. Michel Cadot, directeur du cabinet du ministre de l'agriculture - Sans doute y en a-t-il quelques uns mais ce ne sont pas les plus nombreux.

M. Yann Gaillard, vice-président - Nos collègues veulent-ils s'adresser aux participants ?

M. Gérard César - Oui, merci Monsieur le président. Monsieur le rapporteur spécial, Mesdames, Messieurs, j'interviens au titre de la commission des affaires économiques du Sénat. Merci d'avoir associé la commission des affaires économiques du Sénat à cette présentation très intéressante sur les refus d'apurement. Je prendrais un exemple concret, c'est la page 30 de l'enquête de la Cour des comptes. Tout à l'heure, Monsieur Cadot, vous parliez du vignoble et quand je vois dans l'écrit, qu'il faudrait compter les tournières des vignes, alors que le cadastre retient la totalité en superficie et qu'il y a des tournières qui sont nécessaires, par rapport au risque d'accidents, en particulier des tracteurs - je m'interroge. C'est une harmonisation européenne qu'il faudra voir et c'est le praticien qui parle. Un hectare de vigne pour le cadastre, c'est un hectare de vigne, tournières comprises. Si l'Europe commence à sortir les cinq ou six mètres d'allées qui existent, on ne s'en sortira pas. Là, je comprends parfaitement la position du ministère de l'agriculture qui conteste cette vue de la part de Bruxelles. C'est un point que je voulais souligner parce qu'il m'a choqué. En France, le service des douanes compte un hectare de vigne pour un hectare, les tournières comprises. Pourquoi est-ce qu'au niveau de l'Europe, on tiendrait un langage différent ? Ça veut dire que chaque viticulteur sera obligé de mesurer depuis le dernier pied de vigne jusqu'au fossé ou jusqu'au talus, la surface exacte ? C'est impossible. Je comprends parfaitement, d'autant que ça porte sur des sommes importantes. Je trouve que c'est complètement aberrant et c'est un exemple pratique que je voulais prendre.

Deuxième point, je voulais souligner à Monsieur le directeur de l'Agence unique de paiement, que c'est une volonté du Parlement, et du Sénat en particulier - j'étais rapporteur du projet d'orientation agricole à l'époque, Monsieur Cadot peut le confirmer - qu'on ait une agence de paiement unique pour toutes les aides agricoles. Donc, merci au Sénat de l'avoir mise en place !

M. Michel Cadot, directeur du cabinet du ministre de l'agriculture - Cette affaire des tournières, c'est précisément un exemple où il y a eu contestation de l'interprétation qui était donnée par les services de la Commission d'un règlement communautaire, et nous avons obtenu gain de cause devant la Cour de justice des Communautés européennes. Les 12 millions d'euros d'apurement ont donc été remboursés et annulés. C'est précisément pour cela que cette notion d'apurement, telle qu'elle est simplement constatée, pose problème si on la considère sans analyse comme une dette à inscrire dans un document budgétaire. Si on compare cela à une entreprise, il ne s'agit pas d'une créance certaine. On provisionne quand on a une probabilité sérieuse, ce qui n'est pas nécessairement le cas. C'est précisément un exemple où nous estimions de bon droit que l'interprétation qui avait été donnée par des fonctionnaires de la Commission ne correspondait pas à la décision qui était prise en Conseil ; et que ces fonctionnaires n'avaient pas à décider si les bordures de vignes rentraient ou non dans l'appréciation de la surface privée. Ce sont quand même des sujets sur lesquels les Etats doivent faire valoir leurs droits, en fonction de leurs pratiques et de leurs modes de contrôle, et cela prend plusieurs années dans la procédure communautaire.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci. Madame Herviaux.

Mme Herviaux - Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Messieurs, tout d'abord, je crois que je compléterai un peu ce que disait mon voisin de la commission des affaires économiques. Toujours sur cette page 30, je vois noté que la réglementation communautaire est parfois plus contraignante que nécessaire. Dans le calcul des surfaces, j'ai eu également l'occasion dans ma région de monter au créneau - comme on dit de façon plus courante - pour m'opposer à des contraintes imposées aux agriculteurs en Bretagne. D'un côté, l'Union européenne nous incite à mettre en place un certain nombre de critères pour la préservation de l'eau - y compris les bandes enherbées, les talus, les haies, etc. - mais de l'autre côté, pour le calcul des droits à paiement unique, il fallait enlever toutes ces haies, etc. Bilan des courses, ça incitait les agriculteurs à enlever les talus, à couper... C'est une question que je pose, est-ce la réglementation européenne ou la réglementation française qui était plus contraignante que la nécessité ?

Deuxième point, qui est plutôt un constat. Monsieur le directeur, vous aviez tout à fait raison quand vous disiez que parfois, on est soumis à des aléas. Je prendrai comme exemple la crise aviaire. Vous vous rappelez de la fameuse H5N1. Dans une région où nous étions les plus gros producteurs en France de poulets de chair, il a fallu avoir une réactivité très rapide, très forte pour éviter que ces entreprises disparaissent. Nous étions contraints par le de minimis et il a donc fallu faire une première étude de dossier pour donner, pour respecter les normes européennes ; tout en sachant que les négociations se prolongeaient à Bruxelles pour faire augmenter ces de minimis. On savait donc très bien, même en faisant les dossiers pour aider les agriculteurs, que pendant ce temps-là, on discutait à Bruxelles et qu'on allait être obligé de refaire toute l'analyse de tous les dossiers pour augmenter les de minimis - ce qui s'est effectivement passé ensuite. Je ne sais pas si vous voyez. Il y a la comptabilité des chiffres mais il y a aussi la non-prise en compte du temps, du coût des dossiers, des services de l'Etat, des services de la région, des services des collectivités, etc. Je crois que là, il y a un véritable souci, comme vous le disiez Monsieur le directeur, de mettre en adéquation la réalité des choses et les temps de négociations et de transaction, et parfois la contestation, des règles applicables à Bruxelles.

M. Yann Gaillard, vice-président - Merci de votre témoignage chère collègue.

M. Allain - Je voulais apporter des éléments de réponse à la première intervention sur la question de l'application de la réglementation communautaire et la question du mesurage, qui est un sujet en soi et qui est assez compliqué. Il a fait l'objet de plusieurs interprétations et, dans un certain nombre de cas, nous avons obtenu gain de cause vis-à-vis de la Commission. Plus largement, la question que vous posez, c'est celle de l'application de ce qu'on appelle, dans un jargon un peu technocratique, des normes locales - c'est-à-dire la capacité qui est laissée par la réglementation communautaire aux Etats membres, dans un cadre assez précis, pour prendre en considération les talus, les haies, etc., mais dans une certaine mesure. Dans les cas d'espèce que vous décrivez, cette tolérance, qui est limitée à 4 mètres ne permettait pas en effet, d'aller jusqu'à certaines situations assez particulières, où ces talus et ces haies peuvent représenter des largeurs plus importantes. On est là dans un régime de liberté encadrée ou de subsidiarité limitée ; et dans les cas que vous indiquez, on a utilisé la totalité des marges de manoeuvre qui nous étaient laissées par la réglementation communautaire - malheureusement avec l'amertume et le ressenti que vous décrivez comme étant assez critiques sur le terrain.

M. Yann Gaillard, vice-président - Vous savez que ce sont des exercices auxquels le président de la Commission des finances est très attaché. Ces échanges de vues permettent d'avancer dans le traitement des problèmes et je remercie aussi bien les magistrats que les représentants de l'administration centrale, qui ont bien voulu se pencher sur ce problème et répondre à nos questions. Avant de suspendre la séance, je mets aux voix la publication du rapport.

La Commission est unanimement favorable à la publication du rapport.

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