C. LE DÉFI DU DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DES ARCHIPELS

1. La place des activités traditionnelles dans les archipels éloignés

Si Tahiti, île la plus habitée et point de convergence des axes de transport aérien et maritime de la collectivité, concentre les activités économiques, notamment dans le secteur tertiaire, l'économie des archipels éloignés repose largement sur les activités traditionnelles. Tous ont cependant développé des spécificités qui leur permettent de diversifier leurs ressources.

* Le succès du tourisme de luxe aux Iles sous le Vent

La Polynésie française évoque une destination touristique d'exception, dont l'image renvoie essentiellement aux hôtels de luxe des Iles sous le Vent et plus particulièrement de Bora Bora. Pourtant, tous les archipels disposent également de chambres en pension de famille ou dans de petits hôtels.

L'essor économique des Iles sous le Vent s'appuie en effet sur un tourisme de prestige. Bora Bora comptait ainsi en 2007 16 des 23 hôtels internationaux de l'archipel. Des îles voisines, comme Tahaa, connaissent également un développement du tourisme de luxe. L'archipel bénéfice en outre du passage de paquebots de croisière.

L'agriculture, en régression, emploie cependant encore 4.000 personnes, dans la culture du coprah, de fruits et d'une vanille reconnue comme la meilleure du monde.

* Une économie essentiellement agricole aux Australes

Archipel le plus méridional de la Polynésie française, les Australes, proches du tropique du Capricorne, bénéficient d'un climat plus tempéré, favorable aux cultures maraîchères et horticoles (pastèque, pomme de terre, carottes...). Le pandanus est en outre cultivé pour alimenter un artisanat de vannerie réputé, qui en utilise les feuilles.

Lors de leur déplacement dans les îles Australes, vos rapporteurs ont relevé que le climat de cet archipel était également propice à la culture du pakalolo (cannabis), un gendarme de Rimatara ayant précisé qu'en 2007, 28.000 pieds avaient été saisis, sur 57.000 pour l'ensemble de la collectivité.

* Un potentiel agricole et touristique aux Marquises

Situées à 1.500 km au nord-est de Tahiti, les Marquises sont des îles au relief abrupt, ce qui ne facilite pas les communications. Le réseau routier, comme ont pu l'observer vos rapporteurs, est encore constitué, pour une grande partie, de pistes. Trois des six îles habitées sont dotées d'un port, les autres n'étant accessibles qu'en baleinière.

Les Marquises sont régulièrement desservies par deux cargos, dont l'Aranui III, cargo mixte qui livre des produits de base et rapporte à Tahiti les productions agricoles locales.

Deuxième archipel producteur de coprah derrière les Tuamotu, les marquises fournissent également la moitié de la production de noni 34 ( * ) polynésienne. L'agriculture comporte en outre des productions fruitières (mangues, pamplemousses, citrons) et de l'élevage.

L'artisanat renommé (sculpture sur pierre et sur bois, tapas...), constitue une source de revenu et d'emploi complémentaire. La forte identité culturelle de l'archipel, dont un festival quadriennal assure le rayonnement, et la beauté de ses paysages assurent une fréquentation touristique qui pourrait encore se développer.

* La crise de la perliculture et le potentiel touristique aux Tuamotu-Gambier

Les Tuamotu regroupent 78 atolls et une île haute (Makatea) ; les Gambier, au sud-est, sont constituées de 5 îles hautes. Les investissements réalisés depuis la fin des années 1990 permettent à cet archipel de disposer aujourd'hui d'une quarantaine d'aérodromes, le recours au fret maritime restant indispensable pour l'avitaillement des îles et l'expédition des productions locales.

Si l'archipel a connu un développement industriel au XXème siècle avec l'exploitation des gisements de phosphate de Makatea et une activité liée aux essais nucléaires jusqu'en 1995, la culture du coprah garde une place essentielle. Les cultures vivrières et la pêche sont d'abord destinées à l'autoconsommation.

La perliculture a connu un essor important dans les années 1980-90 et traverse une crise depuis plusieurs années, en raison d'aléas climatiques (El Niño) et de la concurrence des pays asiatiques. Si le secteur emploie près de 7.000 personnes, au sein de petites structures (fermes perlières), les perliculteurs ont été conduits à diversifier leurs activités (coprah, noni...).

Le potentiel de développement touristique apparaît important, l'archipel offrant des sites de plongée exceptionnels et des lagons préservés.

Vos rapporteurs considèrent que le développement économique des Iles sous le Vent doit inciter les autorités polynésiennes et l'Etat à mettre en place des pôles de compétitivité dans chacun des archipels, afin d'y développer des activités adaptées aux données géographiques et s'appuyant sur les traditions locales.

2. Les possibilités de développement de la filière agricole

Si l'agriculture n'assure que 2 % du produit intérieur brut de la Polynésie française, selon l'IEOM, vos rapporteurs ont relevé dans plusieurs archipels un important potentiel de développement de ce secteur, qui se heurte souvent à un coût de transport trop élevé.

* Les productions agricoles polynésiennes ont connu au cours des dernières années des évolutions très différenciées.

Ainsi, les exportations de noni ont continué de baisser (- 38,7 % en 2007, - 39,5 % en 2006), contrairement aux exportations de vanille (+ 26,4 % en 2007) et de poissons et crustacés (+ 35,1 % en 2007) qui fortement progressé. Selon l'Institut d'émission outre-mer (IEOM), le recul significatif des exportations de noni est dû au désengagement du principal acheteur de la récolte en Polynésie française.

La perliculture « peine à assurer ses recettes ». En effet, les exportations rapportent moins, alors que les volumes ont augmenté de 1,3 % (7,8 tonnes en 2007, contre 7,7 en 2006), ce qui traduit un repli de 4,7 % du prix moyen au gramme (1 372 francs CFP, contre 1 440 en 2006).

En 2007, les exportations agroalimentaires ont reculé de 15,2 % en glissement annuel (10.226 tonnes contre 12.057 en 2006), en particulier à cause du déclin des ventes de noni. En revanche, celles de monoï 35 ( * ) ont enregistré une belle percée, 355 tonnes contre 261, soit + 36 % en 2007.

La production de coprah a diminué de 6,4 % sur l'année (9 047 tonnes, contre 9 662 en 2006). Pour ce qui est des produits destinés à l'exportation, les performances de la vanille (11 tonnes contre 9,2 en 2006, soit + 20 %) et de la pêche (858 tonnes contre 635, soit + 35 %), ont été occultées par le recul net des recettes de la perle à l'étranger (10,7 milliards de francs CFP contre 11,1 soit - 3,5 %).

* Un secteur confronté à de nombreux obstacles structurels

Comme le relève la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française dans son rapport d'observations définitives sur la gestion du programme « agriculture et élevage » de la collectivité entre 1998 et 2006 36 ( * ) , le Centre d'Expérimentation du Pacifique (CEP) et le développement des liaisons aériennes avec Tahiti ont créé pour la population de nouvelles activités, plus lucratives, qui l'ont incitée à progressivement délaisser les activités agricoles et à migrer vers la zone urbaine de l'agglomération de Papeete.

Le rapport de la Chambre territoriale des comptes souligne que « La fermeture du CEP en 1996 a mis fin à ce mode de développement », le développement du secteur agricole redevenant alors « un atout pour l'économie et un moyen de maintenir une activité rémunératrice dans les archipels éloignés . »

Cependant, le développement de l'agriculture polynésienne se heurte à de nombreux obstacles, à commencer par des données naturelles qui ne font pas de la Polynésie française une terre propice aux cultures .

Ainsi, « le relief accidenté des îles hautes et la pauvreté des sols des atolls, notamment aux Tuamotu, pèsent fortement sur les coûts de production. L'éclatement en 118 îles, réparties sur une aire océanique grande comme l'Europe, conjugué à l'éloignement des marchés, renchérit considérablement les produits et ruine leur compétitivité. A ceci s'ajoutent des effets purement économiques tels que la diffusion, à partir des autres secteurs de l'économie, de la progression générale des coûts de main d'oeuvre, qui s'avèrent aussi redoutables que les lourds handicaps géographiques et géologiques . »

Les agriculteurs polynésiens doivent par conséquent être des entrepreneurs avisés, pour surmonter ces difficultés. Vos rapporteurs ont ainsi observé qu'à Rangiroa, immense atoll des Tuamotu, un entrepreneur et un viticulteur étaient parvenus à développer un vignoble, sur un sol corallien 37 ( * ) , exposé à la moiteur et à la chaleur tropicales.

Aux obstacles physiques, s'ajoutent des traditions comme l'indivision des terrains familiaux, qui accentuent la difficulté à trouver des terres disponibles pour des activités agricoles. La conjugaison des facteurs physiques, économiques et sociaux renchérit considérablement les coûts de production et affaiblit la compétitivité de l'agriculture polynésienne.

Pour soutenir l'agriculture face à ces nombreux obstacles, la Polynésie française consacre en moyenne à ce secteur 5 milliards de francs CFP par an (41,9 millions d'euros), dont 1,2 milliard de francs CFP (10 millions d'euros) au développement agricole (aides et subventions de fonctionnement).

La stagnation persistante de l'agriculture polynésienne en dépit de cet effort conséquent est due, selon la Chambre territoriale des comptes, au manque d'investissement dans des « actions structurelles, comme l'amélioration de la commercialisation des produits agricoles locaux ou la structuration du milieu agricole ».

Vos rapporteurs partagent entièrement ce constat. En effet, dans la plupart des archipels visités, des productions de qualité existent à une échelle souvent réduite en raison des difficultés de commercialisation. Vos rapporteurs ont pu observer que tel était le cas aux Australes et aux Marquises pour les productions fruitières notamment (agrumes). Ces deux archipels sont, il est vrai, les plus éloignés de Tahiti.

* Le coût prohibitif du transport des marchandises entre les archipels éloignés et Tahiti

M. Fernand Tahiata, maire de Tubuaï, a indiqué que les Iles Australes apportaient un tiers des cultures maraîchères de Polynésie française. Il a souligné que les activités d'élevage étaient quasiment abandonnées et que si l'archipel était parfois qualifié de « grenier de la Polynésie française », cette appellation paraissait de moins en moins fondée en raison du coût trop élevé de l'acheminement des denrées jusqu'à Tahiti .

Les élus de Tubuaï ont souligné que le secteur agricole était en déclin dans les Australes depuis que le prestataire qui assurait le transport des productions avait cessé ses activités. En effet, l'île de Tubuaï n'est elle-même reliée à Tahiti par un bateau qu'une fois tous les quinze jours, à des tarifs qui excluent toute rentabilité de la production.

Les élus de cette commune ont indiqué que le fret depuis les Iles Australes atteignait 11.000 francs CFP, soit plus de 92 euros par mètre cube, coût le plus élevé de Polynésie française. Aussi la commune envisage-t-elle de reprendre les activités de transport.

Le coût du transport des marchandises pose d'ailleurs les mêmes difficultés aux Marquises, en raison de l'absence de concurrence dans le domaine du fret. L'unique prestataire peut ainsi imposer des tarifs qui asphyxient les activités économiques exportatrices des archipels et renchérissent singulièrement le coût des intrants.

Les maires des trois îles du sud des Marquises, Hiva Oa, Tahuata et Fatu Hiva, ont expliqué à vos rapporteurs qu'un sac de ciment coûtait aux Marquises près de 100.000 francs CFP (838 euros) contre 36.000 francs CFP (301 euros) à Papeete. Les dépenses liées à la fourniture d'énergie sont de même fortement accrues par les tarifs exorbitants du fret.

Vos rapporteurs estiment que la collectivité pourrait favoriser le dynamisme des activités agricoles en aidant, par un appui technique et financier, les agriculteurs des îles éloignées à se constituer en coopératives et à négocier des tarifs d'acheminement qui permettraient à leurs productions d'être plus compétitives.

Les possibilités de développement dans le domaine agricole sont aujourd'hui largement sous exploitées, si bien que la collectivité importe à un coût élevé des denrées qu'elle pourrait produire. Le bilan financier et environnemental de cette situation n'est pas satisfaisant et doit conduire à repenser les dispositifs de soutien à l'agriculture . L'effort devrait en particulier porter sur la mise en place de circuits de commercialisation offrant des débouchés pour les productions locales.

3. L'organisation administrative dans les archipels : les chefs de subdivision et les administrateurs du territoire

Si le haut commissaire représente l'Etat en Polynésie française, la représentation de l'État est assurée dans chaque archipel par un administrateur, chef de subdivision administrative .

Cet administrateur doit notamment apporter des conseils aux élus municipaux (application du code des communes de Polynésie française, rédaction des délibérations, conseil de gestion en matière budgétaire, programmation des équipements subventionnés par l'État). Il assure le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire, soutient les initiatives de développement économique, exerce une activité réglementaire et d'administration générale (autorisations administratives, organisation locale des élections).

Vos rapporteurs ont observé qu'à l'exception de l'administrateur chargé des Marquises, les chefs de subdivision administrative résidaient à Papeete et effectuaient régulièrement des tournées dans leur archipel de compétence. Cette organisation ne paraît pas de nature à apporter aux élus locaux le soutien de proximité dont ils auraient besoin. Les élus de Tubuaï ont ainsi expliqué qu'ils recevaient la visite du chef de la subdivision administrative des îles Australes deux à trois fois par an.

A contrario, vos rapporteurs ont relevé que la présence aux Marquises, à Nuku Hiva, de l'administrateur chargé de cet archipel constituait un appui précieux pour les maires.

Les administrateurs installés à Papeete ont expliqué à vos rapporteurs que cette situation leur permettait en fait de rencontrer plus fréquemment les maires, souvent en visite à Tahiti, et facilitait leurs propres déplacements dans les îles, l'aéroport de Faa'a étant un point de passage quasiment inévitable pour les vols vers les archipels.

Vos rapporteurs estiment néanmoins que la présence des chefs de subdivision administrative au sein des archipels dont ils ont la charge doit être renforcée .

La Polynésie française a par ailleurs mis en place son propre dispositif de représentation auprès des archipels, incarné par des administrateurs du territoire , ou Tavana Hau en Tahitien. Ces administrateurs agissent notamment en relation avec le ministère du développement des archipels et assistent les élus locaux dans le montage des dossiers visant à obtenir le soutien de la collectivité pour leurs projets.

* 34 Le noni est un fruit auquel sont attribuées des vertus médicinales et dont le succès dans les années récentes doit beaucoup à la promotion menée aux Etats-Unis, en Europe et au Japon par une société américaine, Tahitian Noni International. Selon l'IEOM, Morinda, représentant de cette société en Polynésie française, organise, en collaboration avec les agriculteurs concernés, le ramassage et l'acheminement de la récolte jusqu'à son usine de transformation de Papara (Tahiti). La principale région productrice est l'archipel des Marquises (49 % du total en 2006, soit 3.120 tonnes), suivi des îles de la Société (40 %).

* 35 Le monoï, « huile parfumée » en langue reo maohi, est issu de la macération de la fleur de tiare dans de l'huile de coprah raffinée. Traditionnellement utilisé en Polynésie française comme produit de beauté, il détient des propriétés émollientes, antiseptiques et antifongiques.

* 36 Chambre territoriale des comptes de la Polynésie française, Polynésie française - Ministère de l'Agriculture, Rapport d'observations définitives, 4 novembre 2008.

* 37 Essentiellement calcaire, le sol est constitué par la dégradation du squelette des madrépores (polypes) qui constituent le récif corallien.

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