Audition de M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française
(18 mars 2009)
La commission des affaires étrangères et de la défense et la commission des affaires culturelles ont procédé à l'audition de M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé le rôle majeur joué par les Alliances françaises pour la promotion de la langue et de la culture françaises à l'étranger. Il a souhaité connaître le sentiment du secrétaire général de la Fondation Alliance française concernant l'état actuel et les perspectives de réforme de l'action culturelle de la France à l'étranger et ses incidences sur le réseau des Alliances françaises.
Après avoir rendu hommage à l'intérêt manifesté à ce sujet depuis longtemps dans de nombreux rapports du Sénat, M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, a présenté le réseau des Alliances françaises comme un acteur profondément original du dispositif culturel extérieur et connaissant actuellement un fort développement.
Il a rappelé que l'Alliance française avait été créée à Paris en 1883 et qu'elle avait pour mission la promotion de la langue et de la culture françaises à l'étranger. Sous l'appellation aujourd'hui de Fondation Alliance française, le siège parisien est la « tête de pont » du réseau des Alliances françaises dans le monde. Les Alliances françaises installées dans les États étrangers sont indépendantes, tant statutairement que financièrement, de la Fondation, même si elles entretiennent des liens étroits avec elle. Les Alliances françaises résultent le plus souvent d'initiatives locales et sont, en règle générale, constituées sous la forme associative. Il est d'ailleurs remarquable que la France, qui dispose pourtant d'une forte tradition jacobine, soit le seul pays au monde à avoir confié la mission de promouvoir le rayonnement de sa culture et de sa langue à un réseau s'appuyant sur les diverses sociétés civiles étrangères et des structures de droit privé locales.
Le réseau compte actuellement 1 070 Alliances, de taille et d'importance très variables, présentes dans 135 pays, sur tous les continents.
Les missions d'une Alliance française sont identiques à celles d'un institut ou d'un centre culturel, à savoir la promotion de la culture et de la langue françaises, les deux types de structures étant répartis selon une complémentarité géographique, puisque les Alliances françaises sont à peu près seules présentes en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Asie et en Russie, alors qu'elles coexistent avec les centres et les instituts culturels en Europe, en Afrique et au Levant. Les « doublons » dans une même ville sont désormais rares. Mexico, qui compte à la fois une Alliance française et un centre culturel, est l'une des exceptions, mais présente un caractère particulier étant donné la dimension de cette ville.
Les objectifs, qui peuvent varier selon les Alliances françaises, sont fixés par le conseil d'administration de chaque Alliance, en tenant compte des orientations données par le service culturel de l'ambassade de France, lesquelles sont formalisées dans une convention d'objectifs et de moyens. Environ trois cents Alliances, sur plus d'un millier, sont dans ce cas, et bénéficient ainsi d'un soutien de l'État, sous forme de subventions et de mise à disposition de personnels de la part du ministère des affaires étrangères et européennes. Une convention générale, signée entre la fondation et le ministère, encadre les conventions locales de partenariat qui sont signées par les présidents d'Alliances et les ambassadeurs.
Les Alliances françaises sont sensibles aux aléas politiques, économiques et sociaux des pays où elles sont implantées, mais, en raison de leur statut privé et du fait qu'elles emploient majoritairement des personnels locaux, elles ne sont pas assimilées à une structure étrangère et disposent d'une grande légitimité locale, même si elles bénéficient du soutien de l'ambassade de France. Cela explique notamment la pérennité d'Alliances françaises dans des pays en crise ou encore le rôle qu'ont joué les Alliances françaises auprès de l'opinion publique aux États-Unis d'Amérique au moment de la campagne anti-française qui a suivi le refus de la France de participer à l'intervention militaire en Irak.
En 2008, les Alliances françaises ont assuré plus de trente-six millions d'heures de cours de français à plus de 461 000 étudiants dans le monde, ce qui fait de ce réseau la plus grande école de langue du monde.
Le budget additionné des Alliances françaises s'élève à 238 millions d'euros en 2008, dont 80 % proviennent de l'autofinancement. Les fonds propres sont issus des cours de langue, de financements privés ou de dons et legs. Les Alliances françaises sont administrées par 8 000 administrateurs bénévoles et emploient environ 12 000 salariés, en majorité des professeurs de langue recrutés localement.
Les statuts de l'Alliance française à Paris ont été modifiés à partir du 1 er janvier 2008. Désormais, l'Alliance n'est plus une association régie par la loi de 1901, mais une fondation reconnue d'utilité publique. Cette réforme avait pour objectif à la fois de renforcer la visibilité de l'Alliance française sur la scène internationale, le statut de fondation étant mieux compris à l'étranger, et de distinguer la coordination du réseau international des activités de gestion de l'école du boulevard Raspail à Paris, qui accueille 12 000 élèves.
La Fondation s'occupe désormais exclusivement du réseau. Elle compte douze collaborateurs et dispose d'un capital de 5 millions d'euros provenant du mécénat de grandes entreprises françaises, d'une dotation de l'État et de dons et legs privés. Elle poursuit une active campagne de levées de fonds, n'ayant pas encore atteint ses objectifs sur ce point.
La Fondation Alliance française et le ministère des affaires étrangères et européennes sont liés par un contrat d'objectifs et de moyens, renouvelé en 2009 pour une durée d'un an.
M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de l'Alliance française, a ensuite évoqué le fort développement que connaît le réseau des Alliances françaises.
Avec un taux de croissance de l'ordre de 3 à 5 % par an en moyenne, les effectifs des Alliances ont augmenté fortement ces dernières années, en particulier dans les grands pays du monde développé (États-Unis, Russie) et dans les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Mexique) ou encore dans des pays comme le Congo et l'Angola. Ainsi, il existe aujourd'hui quatorze Alliances françaises en Chine qui se sont créées en moins de dix ans et une dizaine en Russie.
La Fondation Alliance française s'efforce d'accompagner ce mouvement de trois manières.
Tout d'abord, elle exerce une importante mission en matière de professionnalisation des personnels des Alliances françaises, notamment en assurant des formations à la gestion et au management. A cet égard, la suppression de la moitié des postes d'expatriés détachés par le ministère des affaires étrangères et européennes sur les quinze dernières années rend plus que nécessaires ces formations.
Ensuite, l'Alliance française mène des actions en matière de gouvernance. Ainsi, une révision générale des statuts est en cours et un cadre de référence a été publié. La Fondation est également étroitement associée à la procédure de sélection des directeurs d'Alliances françaises.
Enfin, la Fondation s'efforce de renforcer la coordination du réseau, dans le respect de l'indépendance et de l'autonomie de chacune des Alliances.
En définitive, le réseau des Alliances françaises, qui bénéficie d'une forte notoriété et d'une bonne image à l'étranger, aborde avec confiance son avenir.
Après avoir remercié M. Jean-Claude Jacq pour son exposé et relevé son optimisme qui contraste avec le constat plus réservé dressé par d'autres intervenants, M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles, a souhaité connaître ses motifs d'insatisfaction ou d'inquiétude concernant l'action culturelle de la France à l'étranger.
M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, a indiqué que, en ce qui concerne le réseau des Alliances françaises, le principal défaut, inhérent à toute structure décentralisée, pouvait être une homogénéité insuffisante concernant la qualité des prestations offertes au public entre les différentes Alliances françaises. On peut répartir grossièrement celles-ci en trois cercles. Un premier tiers est constitué d'environ trois cents Alliances françaises, qui bénéficient en général d'un soutien financier du ministère des affaires étrangères et européennes. Ces Alliances françaises sont assez homogènes et leurs prestations linguistiques et culturelles de très bonne qualité. Le deuxième tiers est composé d'Alliances qui dispensent des cours de langue et organisent quelques activités culturelles plus modestes (conférences, réunions). Enfin, un troisième cercle comprend des Alliances qui s'apparentent davantage à des clubs ou à des cercles d'amitiés. La Fondation a pour objectif de faire passer le plus grand nombre d'Alliances possible du troisième au deuxième cercle, et du deuxième au premier.
Si les Alliances sont indépendantes et s'il n'existe pas de lien hiérarchique entre elles et la Fondation, celle-ci est toutefois garante du nom « Alliance française » et elle peut le retirer en cas de dysfonctionnement, le cas se présentant au pire une ou deux fois par an.
La Fondation organise également des actions de formation destinées aux directeurs des Alliances françaises, aux membres du conseil d'administration et aux personnels.
La deuxième difficulté, qui n'est pas propre au réseau des Alliances françaises, mais qui touche l'ensemble de l'action culturelle de la France à l'étranger, tient à la forte diminution des financements de l'État, de l'ordre de 10 % en 2007 comme en 2008 et de 20 % en 2009. Certes, le recul des crédits consacrés à l'action culturelle de la France à l'étranger n'est pas nouveau mais elle atteint aujourd'hui une telle ampleur qu'elle touche désormais le coeur même de l'action culturelle extérieure.
En outre, la recherche de financements extérieurs auprès de partenaires privés donne lieu désormais à une forte concurrence entre les services de coopération et d'action culturelle des ambassades, les directeurs de centres ou d'instituts culturels et les directeurs des Alliances françaises, comme on peut l'observer à New York ou en Inde.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a souhaité connaître le sentiment du secrétaire général de la Fondation Alliance française sur la création éventuelle d'une agence chargée de la promotion de la langue et de la culture françaises à l'étranger. Elle lui a notamment posé des questions sur l'exercice de la tutelle et le pilotage stratégique, la gestion des ressources humaines, la fusion des services de coopération et d'action culturelle des ambassades avec les centres et les instituts culturels et la relation entre les nouveaux établissements issus de cette fusion et les ambassades.
En réponse, M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, a apporté les précisions suivantes :
- à ce jour, la Fondation n'a jamais été consultée par le ministère des affaires étrangères et européennes sur la réforme en cours, ni sur le projet plus particulier de création d'une agence chargée de la promotion de la langue et de la culture françaises à l'étranger ; elle ignore ce que pourraient en être les compétences, l'organisation, les financements et l'articulation avec la direction générale, en particulier la direction de la coopération culturelle et du français. Elle ne peut donc avoir d'avis sur la question ;
- si une telle agence venait à être créée, il faudrait s'interroger sur sa tutelle et sur son pilotage stratégique. À cet égard, il semble préférable d'avoir une seule tutelle, de préférence celle du ministère des affaires étrangères et européennes, car l'expérience montre que l'existence de plusieurs tutelles ministérielles aboutit en réalité à une absence de tutelle. Cela n'empêche pas pour autant de renforcer l'implication d'autres ministères, comme au premier chef le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi le ministère du commerce extérieur, en instituant, par exemple, un conseil d'orientation interministériel chargé de définir les orientations stratégiques. Il serait même possible d'étudier la présence au sein de ce conseil d'orientation d'un ministère comme celui de la défense, compte tenu des enjeux stratégiques de l'action culturelle extérieure.
La meilleure formule, claire et simple, serait une direction générale chargée de traduire les grandes orientations ainsi retenues en stratégies, de piloter l'ensemble du dispositif et d'assurer l'évaluation des actions menées, la mise en oeuvre étant confiée à quelques grands opérateurs tels que par exemple l'agence française de développement, l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger, l'Alliance française et CulturesFrance.
- une réforme de la gestion des ressources humaines au sein du réseau culturel apparaît nécessaire, que ce soit en matière de recrutement, de formation ou de déroulement de carrière, laquelle semble aujourd'hui inadaptée aux besoins d'un réseau culturel moderne. À cet égard, l'idée de créer un corps spécifique, sur le modèle de l'Institut Goethe, mériterait d'être étudiée, de même que celle d'un renforcement de la formation initiale et continue. Il serait également envisageable d'adopter une certaine souplesse en matière de durée de mission dans les postes, qui serait variable selon les pays, allant, par exemple, de trois ans en Europe à six ans dans un pays demandant un fort investissement linguistique et culturel comme la Chine ;
- l'idée de fusionner les services de coopération et d'action culturelle des ambassades avec les centres et les instituts culturels n'est pas une nouveauté puisqu'avaient été instaurés naguère les centres de coopération culturelle (CCC), de même inspiration. Cependant, sa mise en oeuvre dans toutes les villes où n'existent que des Alliances françaises et non des centres culturels semble problématique. Il résulte d'entretiens avec un auditeur de la Cour des comptes qu'il conviendrait de mieux séparer associatif et administratif dans le réseau culturel extérieur français et de donner une plus large autonomie aux directeurs d'Alliances. La Fondation Alliance française a donné mandat à des délégués généraux pour coordonner l'action dans une quarantaine de pays ; à cette fin, elle a ouvert des comptes bancaires sur lesquels sont versées, afin de leur permettre de remplir cette mission, des subventions du ministère des affaires étrangères inscrites dans la programmation des postes. Dans deux ou trois cas, les services culturels ont été tentés de bénéficier de la souplesse et de la rapidité permises par le mode associatif (celui de la Fondation, en l'occurrence) pour mettre en oeuvre plus efficacement leur propre programmation culturelle, ce qui, selon les règles de la comptabilité publique, pourrait s'apparenter à une « gestion de fait » dans laquelle il sera mis bon ordre. Il n'en reste pas moins que, d'une façon plus générale, une clarification des relations entre les ambassades et les opérateurs semble nécessaire, dans le respect, pour ce qui concerne l'Alliance française, des conventions signées avec les ambassades, par lesquelles ces dernières fixent les priorités.
M. Yves Dauge a fait part de son inquiétude au sujet de la forte baisse des crédits consacrés à l'action culturelle extérieure et s'est interrogé sur la possibilité pour l'État d'exercer dans ce contexte un véritable pilotage stratégique.
Mme Monique Papon s'est interrogée sur la reconnaissance des diplômes délivrés par les Alliances françaises, au regard de ceux décernés par le British Council.
M. Jean-Claude Jacq a indiqué que les diplômes de langue délivrés par les Alliances françaises étaient les diplômes officiels (Delf-Dalf) du ministère de l'éducation nationale et reconnus à ce titre à l'étranger.
M. Jack Ralite a souhaité revenir sur la fermeture des centres et des instituts culturels en Europe, en rappelant que la moitié des centres et instituts culturels français en Allemagne avaient été fermés ces dernières années, ce qui constitue un réel motif de préoccupation. Il s'est demandé si l'interprétation éventuelle de la Cour des comptes d'une « gestion de fait » concernant certaines délégations générales n'entraînait pas des effets pervers en limitant à l'avenir les possibilités pour les services des ambassades de mener des actions de coopération culturelle par l'intermédiaire des Alliances françaises. Enfin, il a fait part de son inquiétude au sujet de la création éventuelle d'une agence et il a regretté que le mot « culture » n'apparaisse pas dans la dénomination de la nouvelle direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères et européennes.
M. Jean-Claude Jacq a rappelé que la suppression du terme « culture » datait de la création de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) et qu'elle avait déjà à l'époque provoqué un certain émoi au sein des milieux culturels.
Il s'est également déclaré préoccupé par un mouvement de fermeture des centres et des instituts culturels en Europe, si celui-ci devait se faire trop rapidement et sans étude préalable des possibilités de relève par une Alliance française. En effet, si une Alliance française peut prendre de manière tout à fait satisfaisante la suite d'un centre ou d'un institut culturel, comme récemment à Gênes, à Porto ou à Nairobi, cela ne peut s'appliquer partout en Europe de la même manière. Ainsi, au Luxembourg par exemple, le remplacement du centre culturel existant par une Alliance française n'apparaît guère possible, étant donné que les autorités locales offrent gratuitement aux adultes, dans un centre de langues public, des cours de langues étrangères, ce qui prive une Alliance française d'une possibilité essentielle de financement.
M. Jean-Pierre Plancade, président, ayant fait observer que la question centrale restait celle du financement, M. Jean-Claude Jacq, a confirmé que, malgré un poids très modique de l'action culturelle extérieure au sein du budget de l'État, la forte baisse des crédits consacrés à la promotion de la langue et de la culture françaises à l'étranger, qui résulte sans doute d'un manque de véritable volonté politique dans ce domaine depuis des décennies, créait une situation préoccupante pour l'avenir du rayonnement de la culture et de la langue françaises dans le monde.