JEUDI 9 AVRIL 2009

Présidence de Monsieur Serge Larcher, président

M. PIERRE PLUTON, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION MÉTROPOLITAINE DES ÉLUS ORIGINAIRES DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER (AMEDOM)

La mission a procédé à l'audition de M. Pierre Pluton, président de l'Association métropolitaine des élus originaires des départements d'outre-mer (AMEDOM).

À titre liminaire , M. Pierre Pluton a indiqué que l'AMEDOM, qu'il préside depuis novembre 2008, travaille étroitement avec les associations d'élus comme l'Association des maires de France (AMF) et avec la Délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français de l'outre-mer, et développe des partenariats avec l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCDOM).

Répondant aux questions du rapporteur , M. Éric Doligé , il a précisé qu'une rupture de générations s'était produite dans les années 90, constatée à l'occasion des violences urbaines, entre les jeunes ultra-marins qui exprimaient leur malaise profond et un besoin identitaire et leurs parents qui, eux, se sentaient Français à part entière.

Il a pointé les atouts qui jouaient en faveur de l'insertion des ultra-marins, tels que leur capacité d'adaptation géographique et leur conscience professionnelle, ainsi que leur présence en nombre dans les services publics (la santé, la poste et les télécommunications). Il a cependant déploré que ceux-ci soient encore trop souvent cantonnés aux métiers subalternes et confrontés à des difficultés dans leur évolution de carrière. Ce sentiment de discrimination est également ressenti dans l'accès au logement ou lors des contrôles policiers. Même les congés bonifiés peuvent se transformer en facteur de discrimination car les communes importantes hésitent à employer les ultra-marins eu égard aux problèmes d'absence et de remplacement que le bénéfice de ces congés entraîne. M. Pierre Pluton a estimé qu'il faudra du temps pour trouver des solutions et a tenu à saluer, à cet égard, le travail réalisé par M. Patrick Karam à la tête de la Délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français de l'outre-mer.

S'agissant de la sous-représentation des ultra-marins dans la vie nationale, il a constaté que le problème était commun à tous les partis politiques, et a affirmé lutter pour que ces derniers prennent en compte les associations d'ultra-marins, susceptibles de leur apporter leur expérience, notamment en matière d'insertion sociale, la difficulté essentielle étant de sensibiliser ces associations elles-mêmes à la vie politique.

Concernant les États généraux, il a confirmé que l'AMEDOM apporterait sa contribution aux thèmes de la citoyenneté et de la gouvernance, précisant que s'agissant des ultra-marins « primo-arrivants » il fallait distinguer deux groupes : ceux dont l'objectif est de retourner vivre outre-mer et ceux qui expriment la volonté de s'installer définitivement en métropole et d'y fonder des racines tout en conservant des liens affectifs avec leur département d'origine.

M. Pierre Pluton a considéré qu'après une certaine durée de séjour en métropole, il fallait faire un choix et savoir « poser ses valises », reprochant à certains maires de laisser croire aux ultra-marins qu'ils pourraient revenir s'installer outre-mer. Cette ambiguïté soulève beaucoup de problèmes, comme ceux du lieu d'inscription sur les listes électorales ou des demandes de logement social, et plus généralement de la participation à la vie communale.

Abordant la question de la continuité territoriale, il a reconnu que c'était une préoccupation forte des ultra-marins, qui allait au-delà de la simple question des transports et du prix du billet d'avion, car elle concerne aussi l'emploi, trop d'ultra-marins se voyant encore refuser des postes au vu de leur curriculum vitae et les entreprises préférant recruter des métropolitains par l'intermédiaire de cabinets privés, le problème de l'insuffisance d'offre de logements dans les DOM et, plus largement, celui de l'ensemble des dispositifs sociaux existant en métropole dont le régime diffère de ceux applicables dans les départements d'outre-mer.

Quant à la diversité, M. Pierre Pluton s'est dit tout à fait opposé à un comptage ethnique, compte tenu notamment des principes républicains, de l'Union européenne et des mariages mixtes.

À M. Éric Doligé , rapporteur, M. Pierre Pluton a indiqué que beaucoup de jeunes ultra-marins allaient s'installer au Royaume-Uni, aux États-Unis d'Amérique, voire dans les pays nordiques qui offraient de meilleures perspectives de carrière. L'AMEDOM agit cependant pour rapprocher les écoles ultra-marines et métropolitaines et pour fédérer les associations antillaises qui se multiplient mais sont insuffisamment regroupées.

M. Simon Sutour a fait part de son expérience d'élu du Gard, évoquant l'inauguration très consensuelle, il y a quelques mois, d'un kiosque Aimé Césaire, par le président Serge Larcher, et lui a demandé si la lutte contre les discriminations passait par une politique de quotas.

M. Jean-Pierre Bel l'a interrogé sur l'opportunité de mesures législatives pour introduire davantage de diversité.

M. Pierre Pluton a indiqué qu'il valait mieux convaincre, et c'est principalement le travail des associations, plutôt que de légiférer, et que les échéances régionales seraient un test pour mesurer l'engagement des partis politiques.

En conclusion, revenant sur la question des relations entre ultra-marins de la métropole et leurs départements d'origine, M. Serge Larcher, président a déclaré que les votes par procuration devaient être mieux contrôlés par l'État ; qu'il fallait faciliter la nomination des enseignants antillais dans leur département d'origine où on comptait de nombreux postes vacants et, enfin, se saisir du problème des jeunes de la troisième ou quatrième génération, en perte de repères, qui ne se sentaient ni Antillais ni métropolitains, afin de les aider à se réinsérer dans la République.

M. Guy Dupont, Président de la fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

La mission a ensuite entendu M. Guy Dupont, président de la Fédération des entreprises des départements d'outre-mer (FEDOM).

Après avoir rappelé que la FEDOM rassemblait et représentait les organisations patronales des départements et collectivités d'outre-mer, M. Serge Larcher , président , a demandé, au-delà des modifications d'ores et déjà introduites dans le cadre du projet de loi pour le développement économique des outre-mer, à connaître les questions encore prioritaires pour les entreprises situées dans les départements d'outre-mer.

M. Guy Dupont, président de la FEDOM, a regretté que le projet de loi pour le développement économique des outre-mer soit examiné par le Parlement avant la tenue des États généraux, expliquant que cette situation résultait du fait que le Président de la République avait, lors de la campagne présidentielle, annoncé la discussion d'un texte économique en faveur de l'outre-mer. Il a estimé que ce texte arrivait cependant à un moment où l'outre-mer se trouvait dans la tourmente de la crise et qu'il convenait de s'adapter à cette nouvelle situation.

Il a jugé que le projet de loi pour le développement économique des outre-mer n'avait pas réglé l'ensemble des questions économiques et sociales se posant dans les départements ultramarins mais innovait en créant les dispositifs des zones franches globales d'activité et répondait également à une logique de rationalisation de la dépense outre-mer en finançant la mise en place de ces zones franches par les économies réalisées sur certains dispositifs en vigueur. Il a estimé que si le projet de loi mettait en place plusieurs dispositifs fiscaux favorables aux entreprises - évoquant notamment l'exonération totale ou partielle de l'impôt sur les sociétés, de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties -, ces avantages ne présentaient qu'un intérêt limité dans un contexte de crise économique.

M. Guy Dupont a indiqué que l'objectif de rationalisation de la dépense publique avait conduit le Gouvernement à limiter de façon drastique les dispositifs de défiscalisation outre-mer, d'une part, par l'introduction d'un plafonnement global des niches fiscales dans le cadre de la loi de finances pour 2009 et, d'autre part, par des restrictions apportées aux mesures de défiscalisation applicables aux loueurs de véhicules automobiles ou de bateaux de plaisance, tout en imposant dans le même temps un cadre plus contraignant en matière d'agrément fiscal. Il a néanmoins reconnu que de nouvelles incitations fiscales avaient été créées, citant en particulier celles concernant l'installation des câbles sous-marins.

Il a ajouté que la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable pour les biens autres que les biens d'investissement, également motivée par ce souci de rationalisation de la dépense, aurait pour effet de réduire les subventions dont profitent actuellement les entreprises d'outre-mer. Reconnaissant qu'une évolution de ce régime était sans doute nécessaire, il a regretté qu'elle se fasse de manière relativement désordonnée.

Il a mis en exergue le fait que le nouveau régime applicable en matière d'exonérations de charges patronales outre-mer était moins favorable que le système antérieur, bien qu'au cours de l'examen du projet de loi pour le développement économique des outre-mer des niveaux d'exonération de charges plus conformes aux besoins des entreprises d'outre-mer aient été fixés.

Il a insisté sur le fait que, malgré les annonces du Gouvernement, les nouveaux dispositifs de financement du logement outre-mer se traduiraient en pratique par un recul significatif des investissements locatifs au cours des années 2010 à 2012.

M. Guy Dupont a estimé que le projet de loi n'avait pas abordé deux questions essentielles pour le développement des départements d'outre-mer :

- d'une part, l'intégration régionale, jugeant indispensable de prévoir des dispositifs facilitant le commerce des entreprises des départements d'outre-mer dans leur environnement régional ;

- d'autre part, la formation des ultramarins, alors que le taux d'illettrisme dans les départements d'outre-mer est très important et qu'il convient de faire évoluer l'appareil de formation professionnelle afin qu'il réponde davantage aux contraintes économiques nouvelles et favorise davantage la mobilité.

Il a indiqué que certains sujets avaient par ailleurs été insuffisamment traités dans le cadre du projet de loi, évoquant en particulier :

- la nécessité de mieux adapter l'appareil productif des départements d'outre-mer aux nouvelles contraintes issues de la crise économique et sociale actuelle ;

- l'importance d'une action renforcée en faveur du tourisme, ce secteur connaissant d'importantes difficultés dans les quatre départements d'outre-mer ;

- l'intérêt de promouvoir davantage l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la réduction du coût des transmissions étant de nature à favoriser la productivité des entreprises et l'écoulement des produits des départements d'outre-mer ;

- la nécessité de réfléchir à des dispositifs permettant de libérer du foncier pour permettre une véritable politique de logement social d'outre-mer, les nouvelles modalités de financement prévues par le projet de loi ne pouvant être mises en oeuvre à défaut de mesures fortes en ce domaine.

M. Guy Dupont a indiqué que les entrepreneurs des départements d'outre-mer étaient particulièrement soucieux d'avoir une visibilité à moyen et long termes des dispositifs applicables aux entreprises, regrettant que les règles énoncées par la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, censées s'appliquer pendant plusieurs années, aient été remises en cause si rapidement. Il a ajouté que, à défaut d'une stabilité des dispositifs juridiques, les entreprises n'investiraient pas et adopteraient une attitude attentiste, les récents événements sociaux outre-mer ayant par ailleurs fortement ébranlé la confiance des entrepreneurs.

Il a estimé que ceux-ci souhaitaient voir se restaurer l'image des départements outre-mer, considérablement ternie au cours des derniers mois, une image positive de ces territoires étant, selon lui, une condition essentielle pour attirer les investissements et assurer l'essor du tourisme outre-mer.

Jugeant que les départements d'outre-mer devaient être des lieux de projets et non des sujets de difficultés, il a souhaité qu'à chacun des départements d'outre-mer puisse être attaché dans l'opinion publique un projet, évoquant à titre d'exemple les activités spatiales pour la Guyane et les énergies renouvelables pour La Réunion. Il a jugé que les départements d'outre-mer étaient particulièrement bien placés pour adapter certains savoir-faire mondiaux aux contraintes particulières des petites économies tropicales, en particulier dans le domaine des énergies photovoltaïques ou éoliennes.

Abordant la question du coût de la vie et de la formation des prix dans les départements d'outre-mer, M. Guy Dupont a expliqué l'existence de facteurs de renchérissement des produits disponibles outre-mer. Au nombre des facteurs naturels de renchérissement de ces produits, il a cité : la distance, la nécessité d'un volume de stockage plus important des produits, l'existence d'une chaîne logistique plus longue et la présence d'un nombre d'intermédiaires plus élevé.

S'agissant des productions locales, il a précisé que le problème se posait différemment car il convenait de ne pas réduire leur avantage comparatif par rapport aux produits d'importation. Il a souligné que se posait un problème d'échelle de production dans la mesure où l'exiguïté du marché induisait un retour sur investissement limité pour les entrepreneurs, auquel s'ajoutait un problème d'approvisionnement, en particulier pour les produits semi-finis. Il a également regretté une certaine désaffection des consommateurs pour les produits locaux en raison d'effets de mode conduisant à favoriser l'achat de produits importés.

Il a jugé que la difficulté essentielle provenait du fait que les départements d'outre-mer n'avaient jamais fait un choix clair entre un système de production locale et un système d'importation, estimant que si ces territoires ne devaient être que des lieux de consommation, il y aurait en conséquence une prévalence encore plus considérable des produits importés sur leur marché intérieur.

Dans ce contexte, il a souligné l'intérêt de la disposition du projet de loi pour le développement économique des outre-mer instituant une aide aux intrants et aux extrants mais a soulevé deux difficultés : d'une part, le fait que ce dispositif aurait pour effet de renforcer les liens entre l'Europe et les départements d'outre-mer au détriment de l'insertion régionale ; d'autre part, l'effet négatif de certaines clauses des accords de partenariat économique liant la Communauté européenne aux pays ACP.

M. Guy Dupont a relevé l'intérêt d'identifier un certain nombre de filières économiques qui constitueraient des axes prioritaires du développement dans chaque département d'outre-mer et a estimé que la politique de l'État en leur faveur se heurtait à la très grande disparité de leurs situations, regrettant toutefois que les pouvoirs publics aient jusqu'ici essentiellement fait porter leur action sur des mesures purement conjoncturelles alors qu'il importait de traiter avant tout les problèmes structurels.

Il a relevé un défaut d'évaluation concrète de la situation de l'outre-mer en matière économique et sociale, expliquant que, aujourd'hui, les seules évaluations sur lesquelles se fondait la politique en faveur de l'outre-mer, et dont la pertinence pouvait être parfois discutée, émanaient du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Il a insisté sur la nécessité de disposer de bases de données propres à chaque département d'outre-mer, soulignant l'intérêt de la démarche entreprise dans le cadre du projet de Comptes économiques rapides de l'outre-mer (CEROM). Il a jugé que l'existence d'évaluations indiscutables était un préalable à la définition de préconisations acceptées par l'ensemble des acteurs économiques. Il lui a semblé indispensable de parvenir à une modélisation de la situation économique et sociale de chaque territoire et a souhaité que les secteurs prioritaires définis par le projet de loi pour le développement en faveur de l'outre-mer puissent être constitués en filières.

M. Guy Dupont a souligné que la relation entre la France métropolitaine et l'outre-mer était en train d'évoluer, les citoyens de métropole ayant tendance à estimer que les départements d'outre-mer induisaient un coût trop élevé pour les finances publiques, tandis que les résidents d'outre-mer ressentaient une impression de rejet de la part des métropolitains. Il a souhaité que les États généraux soient l'occasion de redéfinir cette relation entre la métropole et les départements d'outre-mer tout en identifiant des projets de développement pour chacun des départements d'outre-mer.

M. Éric Doligé, rapporteur, a rappelé que le programme de travail de la mission d'information prévoyait d'aborder la question de l'intégration régionale des départements d'outre-mer et a souhaité que la FEDOM puisse lui adresser des propositions concrètes en la matière. Il a indiqué que l'évaluation des politiques publiques était également au centre de sa réflexion et que les départements d'outre-mer avaient effectivement à jouer un rôle de premier ordre pour adapter certains savoir-faire aux caractéristiques particulières de leur marché.

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