M. STÉPHANE DIÉMERT, SOUS-DIRECTEUR, CHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DU SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉ DE L'OUTRE-MER

Après que M. Serge Larcher, président, eut rappelé que la réforme constitutionnelle du 18 juillet 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République avait offert aux départements et régions d'outre-mer des facultés nouvelles en matière d'organisation institutionnelle et statutaire et qu'une réforme des structures de l'État concernant l'outre-mer était engagée depuis près de deux ans, M. Stéphane Diémert , sous-directeur, chargé de mission auprès du secrétaire d'État chargé de l'outre-mer , a rappelé que depuis lors la Constitution offrait aux collectivités territoriales d'outre-mer la possibilité d'être régies par deux régimes juridiques : celui de l'article 73 et celui de l'article 74, le statut de collectivité d'outre-mer ne devant pas apparaître comme un statut mineur.

Il a souligné que le changement éventuel de statut des départements d'outre-mer n'avait aucune incidence sur l'appartenance de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne prévu par l'article 299 du traité instituant la Communauté européenne.

Évoquant les possibilités d'évolution ouvertes par l'article 73, il a indiqué que ce dernier permettait en premier lieu la création d'une assemblée commune aux collectivités départementale et régionale, la question du mode de scrutin devant être appliquée à une telle assemblée restant néanmoins posée, puisque dans sa décision du 2 novembre 1982, le Conseil constitutionnel avait censuré l'évolution institutionnelle envisagée par le législateur en raison du mode de scrutin retenu. Il a néanmoins estimé que le mode de scrutin choisi dans le cadre de l'article 73 pourrait comporter des adaptations par rapport au droit commun.

Il a souligné que l'article 73 permettait, en second lieu, de substituer au département et à la région une collectivité unique, le législateur bénéficiant dans ce cadre d'une très grande liberté pour mettre en place une organisation institutionnelle spécifique, citant la possibilité d'un exécutif collégial responsable devant une assemblée délibérante ou l'attribution à la collectivité unique de compétences plus étendues que celles actuellement dévolues aux départements et à la région.

Analysant les facultés d'évolution offertes par l'article 74 de la Constitution, M. Stéphane Diémert a fait observer que la liberté du législateur était encore plus importante puisque s'imposait seulement à lui le respect des principes constitutionnels communs ainsi que des compétences régaliennes mentionnées par la Constitution. Il a précisé que, pour le reste, l'organisation institutionnelle pouvait être librement définie, que le régime législatif pouvait être celui de l'identité législative -à l'instar de Saint-Pierre-et-Miquelon ou Saint-Barthélemy-, ou de l'autonomie législative -à l'exemple des îles Wallis et Futuna ou de la Polynésie française-, et que la répartition des compétences entre l'État et la collectivité pouvait contribuer à donner une plus grande part à la collectivité, comme en Polynésie, ou à l'inverse à l'État. Il a précisé que si l'article 74 permettait de s'affranchir totalement du principe d'identité législative, il ne permettait pas à la collectivité de s'auto-organiser.

Il a indiqué qu'en cas de transfert à la collectivité de compétences dans des domaines relevant du champ d'application du droit communautaire, la collectivité devenait elle-même responsable de la bonne exécution des obligations européennes.

Il a souligné qu'en général les collectivités relevant de l'article 74 bénéficiaient de l'autonomie fiscale et avaient des relations financières spécifiques avec l'État, évoquant sur ce point la situation de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Il a ajouté que la question d'une telle autonomie pouvait néanmoins se poser différemment sur un plan politique pour des collectivités plus largement peuplées, telles que les départements d'outre-mer.

Abordant les modalités procédurales permettant l'évolution institutionnelle et statutaire des collectivités territoriales d'outre-mer, M. Stéphane Diémert a souligné que la Constitution organisait une consultation obligatoire des électeurs des collectivités concernées soit dans le cadre d'une évolution à l'intérieur de l'article 73, soit à l'occasion d'un changement de régime pour passer de l'article 73 à l'article 74 ou inversement. Il a précisé que la décision de consultation des électeurs relevait du pouvoir du Président de la République, le Conseil d'État exerçant un contrôle juridictionnel restreint sur la question posée aux électeurs.

Il a suggéré que, lors des prochaines demandes d'évolution statutaire ou institutionnelle, les référendums portent non sur une question unique mais sur deux questions distinctes, à l'instar de ce qui avait été soumis aux électeurs lors du référendum du 21 octobre 1945 sur les pouvoirs de l'assemblée nouvellement élue. Il a estimé que rien n'interdirait qu'une première question adressée aux électeurs porte sur un éventuel changement statutaire et que, en cas de réponse négative à cette interrogation, une seconde question permette aux électeurs de se prononcer sur une évolution institutionnelle dans le cadre de l'article 73.

À une question de M. Éric Doligé, rapporteur, sur les demandes d'évolution statutaire ou institutionnelle exprimées dans les différents départements d'outre-mer, M. Stéphane Diémert a rappelé que Mayotte venait de se prononcer pour sa transformation en un département d'outre-mer et, qu'à l'inverse, La Réunion ne semblait pas souhaiter modifier ses institutions, alors qu'en Martinique et en Guyane, une volonté d'être soumis à l'article 74 s'exprimait. Il a indiqué qu'aucune position officielle n'avait été exprimée en Guadeloupe en dépit de l'orientation de certains élus en faveur d'une évolution institutionnelle ou statutaire.

M. Daniel Marsin ayant demandé si le maintien du statut communautaire des départements d'outre-mer en cas d'évolution statutaire était soumis au respect de certaines conditions, M. Stéphane Diémert a insisté sur le fait que le passage du régime de l'article 73 à celui de l'article 74 était sans conséquence sur le statut européen des départements d'outre-mer, soulignant que l'article 299 du traité instituant la Communauté européenne faisait référence aux départements d'outre-mer en tant qu'entités géographiques ; M. Serge Larcher, président, a ajouté que le traité de Lisbonne avait substitué aux départements d'outre-mer une référence expresse à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion.

M. Stéphane Diémert a en revanche souligné que la transformation statutaire pouvait avoir des conséquences pour l'application du droit communautaire, la collectivité ayant l'obligation de respecter les dispositions du droit communautaire relevant de son domaine de compétences, illustrant son propos par l'exemple de Saint-Barthélemy, compétent dans le domaine de l'environnement. Il a précisé que, au regard du droit communautaire, l'État restait responsable de la mauvaise application des prescriptions communautaires par une collectivité relevant de l'article 74 et que, corrélativement, la loi statutaire devait prévoir un pouvoir de substitution du représentant de l'État en cas de défaillance de la collectivité.

M. Daniel Marsin s'étant interrogé sur la différence conceptuelle entre évolution statutaire et évolution institutionnelle, M. Stéphane Diémert a répondu que l'évolution statutaire visait un changement de régime, c'est-à-dire un passage de l'article 73 vers l'article 74 ou inversement, tandis que la notion d'évolution institutionnelle recouvrait les modifications intervenant dans le cadre soit de l'article 73, soit de l'article 74.

À la question de M. Daniel Marsin sur les effets d'un changement de statut pour l'application des dispositions de droit commun relatives à la santé, au travail et à la protection sociale, M. Stéphane Diémert a précisé que le transfert de la compétence en ces matières devait être traité au cas par cas par le statut de chaque collectivité, en précisant que ces matières continuaient à relever de la compétence de l'État à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nonobstant leur transformation récente en collectivité d'outre-mer.

M. Serge Larcher, président, a regretté que les consultations des électeurs intervenues en 2003 en Guadeloupe et en Martinique sur la question d'une éventuelle évolution institutionnelle se soient adossées à des questions qui n'avaient pas permis à la population de se prononcer en connaissance de cause sur l'étendue des compétences transférées.

M. Stéphane Diémert a indiqué que, dans un avis rendu en 2003, le Conseil d'État avait estimé qu'il n'appartenait pas au Gouvernement de soumettre à la consultation des électeurs une question détaillant les orientations retenues dans le cadre du futur statut, une telle possibilité étant jugée comme attentatoire à la loyauté de la consultation référendaire.

Il a néanmoins précisé qu'en vue de ces consultations les élus de Martinique et de Guadeloupe avaient élaboré des documents d'orientation dont les termes avaient été rappelés par le Gouvernement à l'occasion du débat intervenu au Sénat et à l'Assemblée nationale, préalablement à ces consultations.

M. Georges Patient s'est demandé si le fait de doter une collectivité de l'autonomie fiscale avait pour effet de faire perdre à celle-ci les avantages dont elle peut actuellement bénéficier dans le cadre de l'article 73.

M. Stéphane Diémert a précisé que la transformation d'un département d'outre-mer en une collectivité régie par l'article 74 n'imposait pas nécessairement de doter cette dernière de l'autonomie fiscale.

M. Serge Larcher, président, a souligné que la question essentielle était celle de l'ampleur et de la nature des compétences transférées à la collectivité, M. Jean-Paul Virapoullé rappelant que certaines matières énumérées par l'article 74 de la Constitution ne pouvaient faire l'objet d'un transfert.

M. Georges Patient l'ayant interrogé sur le calendrier de consultation des électeurs dès lors qu'un document d'orientation était adopté par les élus, M. Stéphane Diémert a indiqué que cette décision relevait du président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe de l'Assemblée nationale et du Sénat.

M. Denis Detcheverry s'interrogeant sur l'intérêt que présente le passage du régime de l'article 73 vers celui de l'article 74, compte tenu des larges facultés d'adaptation offertes par l'article 73, M. Stéphane Diémert a indiqué que les deux régimes pouvaient permettre d'aboutir à des organisations institutionnelles très proches, avec toutefois deux différences : la nécessité d'adopter une loi organique statutaire dans le cadre de l'article 74 et l'impossibilité de remettre en cause le principe de l'assimilation législative, du fait de sa portée constitutionnelle, dans le cadre de l'article 73.

À M. Georges Patient qui s'inquiétait du régime applicable aux communes dans le cadre statutaire de l'article 74, M. Stéphane Diémert a souligné que se posait effectivement la question de savoir comment accorder aux communes le même principe de libre administration que celui reconnu par l'article 72 de la Constitution. Il a jugé nécessaire, pour les statuts de ces collectivités, de prévoir expressément le bénéfice de ce principe pour les communes situées sur leur territoire.

M. Bernard Frimat a relevé que cette problématique était présente en Polynésie française, tout en soulignant que le projet de loi pour le développement économique des outre-mer venait, lors de son examen à l'Assemblée nationale, de procéder à la validation d'une ordonnance réformant le régime communal dans cette collectivité, texte pourtant devenu caduc faute d'avoir fait l'objet d'une ratification expresse dans les conditions prévues par l'article 74-1 de la Constitution. Il lui a semblé que ce procédé était juridiquement inacceptable, même si sur le fond les modifications opérées par l'ordonnance étaient pertinentes.

M. Stéphane Diémert a indiqué que le retard pris pour ratifier ce texte, qui s'expliquait en partie par la faiblesse des moyens dévolus au secrétariat d'État chargé de l'outre-mer, ne devait pas masquer les évolutions permises par l'ordonnance, qui permettait de mettre fin à l'application du régime de tutelle administrative s'exerçant sur les communes polynésiennes, en complet décalage avec la situation de l'ensemble des autres communes françaises depuis 1982. Il a estimé que rien n'interdisait au Parlement de procéder à une telle mesure de validation, dans le respect de l'autorité de la chose jugée.

Puis M. Serge Larcher, président, a demandé si, dans le cadre de l'évolution statutaire des départements d'outre-mer, il serait possible de s'inspirer du régime spécifique imaginé pour la ville de Paris.

M. Stéphane Diémert a répondu que l'organisation de la ville de Paris résultait de contraintes spécifiques, notamment des compétences accordées au préfet de police, et que le système institutionnel retenu ne lui semblait pas entièrement transposable outre-mer.

À M. Georges Patient qui s'interrogeait sur les suites qui seraient données, pour l'outre-mer, aux propositions d'évolution institutionnelle énoncées par le comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Edouard Balladur, M. Stéphane Diémert a indiqué que si ce comité avait proposé l'institution, dans les départements et régions d'outre-mer, d'une assemblée unique, l'évolution institutionnelle outre-mer était désormais déconnectée de celle de la métropole, même si la question du mode de scrutin retenu en cas de fusion des élections des conseillers régionaux et départementaux, proposé par le comité, aurait sans doute une incidence sur les choix opérés par la suite dans les départements d'outre-mer.

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