PREMIÈRE TABLE RONDE - LA FRANCE FACE AU RISQUE DE TSUNAMI : QUELLE POLITIQUE DE PRÉVENTION ?

M. François GERARD , président du comité national de la Commission océanographique intergouvernementale

M. Laurent MICHEL , directeur de la Direction générale de la prévention des risques, ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la mer

M. Bernard DELEPLANCQUE , sous-directeur de la gestion des risques, ministère de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités Territoriales et M. Pascal MATHIEU, chef du bureau des risques majeurs à la Direction de la sécurité civile

M. François SCHINDELE , Expert au Bureau au Commissariat à l'énergie atomique

M. Frédéric PAPET , directeur de cabinet de la Délégation générale à l'Outre-mer

M. Dominique BRESSON , adjoint au directeur de la stratégie, de la planification et des relations extérieures du SHOM

M. Ronan CREACH , chef de la cellule « hydrodynamique côtière » et chef du projet « Ronim »

A. M. FRANÇOIS GERARD, PRÉSIDENT DU COMITÉ NATIONAL DE LA COMMISSION OCÉANOGRAPHIQUE INTERGOUVERNEMENTALE

Merci, Monsieur le Sénateur, de m'avoir permis de présenter ici le cadre international : effectivement, je suis le président du Comité national français pour la commission océanographique intergouvernementale et, à ce titre, je préside la délégation française à l'assemblée générale qui a lieu en ce moment et, justement, nous y avons parlé des tsunamis hier après-midi. Les représentants de la Commission qui sont présents pourront vous faire part des résultats des débats d'hier.

Je veux simplement vous présenter le cadre international et ce qu'on entend par engagement d'un État dans le cadre du système des Nations-Unies. Je rappelle ici qu'il y a un certain nombre d'organisations au sein du système des Nations-Unies - je ne les ai pas toutes mises mais seulement les principales - qui travaillent dans le domaine de la prévention des risques naturels sous la houlette et la coordination de l'ISDR, en français la Stratégie internationale pour la prévention des catastrophes (SIPC), dont la plate-forme mondiale vient de se réunir à Genève la semaine dernière. Elle a été chargée à l'issue de la réunion de Kyoto en 2005 de coordonner l'ensemble des activités de préparation aux catastrophes naturelles.

A côté, vous avez l'UNESCO et donc la COI. et d'autres organisations qui sont partenaires, en particulier l'Organisation météorologique mondiale (OMM) qui est directement impliquée dans les systèmes de prévention de risques. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), la FAO et l'Université des Nations unies qui, elle, est chargée plutôt des programmes de sensibilisation et de formation.

Je passe rapidement là-dessus pour dire pourquoi on a besoin d'une coopération internationale. Je rappelle la définition d' early warning (qui se traduit en français par « Système d'alerte rapide ») : suivant la Stratégie internationale pour la prévention des catastrophes (SIPC) , c'est l'ensemble des capacités nécessaires pour produire et diffuser en temps opportun et utile des bulletins d'alerte permettant à des individus, des communautés et des organisations menacés par un danger de se préparer et d'agir de façon appropriée et en temps utile pour réduire leurs risques de dommages et de pertes.

J'ai donc résumé cela dans ce graphique : quelles sont l'ensemble des capacités nécessaires ? Je prends l'exemple des tsunamis et des autres risques d'origine maritime. Il faut déjà pouvoir les détecter grâce à des observations, ensuite, il faut avoir des systèmes qui permettent de traiter ces observations pour définir si le phénomène est dangereux : ce sont des producteurs d'avis (j'utilise ce nom particulier pour les centres régionaux, sur lesquels on reviendra tout à l'heure), les producteurs d'avertissement (les centres nationaux) puis il y a des producteurs d'alerte (ce sont les autorités de sécurité civile essentiellement qui s'adressent par la suite directement aux communautés exposées). Le système d'alerte précoce va faire en sorte que toute la chaîne depuis l'observation jusqu'aux autorités marche ; on voit bien qu'il y a deux niveaux : celui qui relève du national, c'est-à-dire l'alerte vers les communautés exposées (le principe des organisations intergouvernementales est très clair : la responsabilité de l'alerte aux populations est celle des États) ; en revanche, ce qui se traite au niveau du bassin océanique peut être coordonné par une organisation internationale. Il y a donc bien stricte séparation entre la responsabilité nationale et la responsabilité internationale.

C'est aussi à peu près la même chose au niveau de la Commission européenne pour le projet de gestion des risques. Comme il faut travailler au niveau du bassin océanique, les autorités d'un pays ont obligatoirement besoin d'informations venant d'ailleurs pour pouvoir produire leurs alertes en temps utile. Donc pour monter le système (observation et système d'alertes), on est contraint à la coopération internationale, chacun a besoin des données qui sont produites par les autres (c'est le même problème qu'en météorologie), et c'est pourquoi la COI a installé des groupes intergouvernementaux de coordination des systèmes d'alerte aux tsunamis qui associent tout le monde et essaient de faire la liaison entre les autorités nationales et le système international : auprès des autorités nationales, on recueille les besoins, et ensuite, on les transforme en spécifications pour le système. Voici mon message : la coopération internationale est inévitable pour gérer un système d'alerte aux tsunamis et aux autres risques marins.

J'en viens au cadre historique - les auditeurs de la COI ici présents me corrigeront si je fais une inexactitude. Le système d'alerte aux tsunamis date de 1965, ce qui est assez ancien. Je rappelle que la COI de l'UNESCO a mis un système en place en 1965 en réponse au tsunami de l'Alaska en 1964, qui avait été précédé par le tsunami du Chili en 1960. Je rappelle ici entre parenthèses que la Commission océanographique intergouvernementale a été créée en 1960 : c'est donc un de ses premiers programmes avec l'échange des données océaniques. C'est donc à la suite d'une catastrophe que le système d'alerte a été monté en 1965. C'est donc une vieille histoire qui a permis d'acquérir pas mal d'expérience.

Le deuxième point de départ, comme l'a rappelé le sénateur, est le tsunami de 2004 en Indonésie et dans l'océan Indien, qui a généré une mobilisation internationale générale concrétisée par la conférence de Kobé par l'adoption du cadre de travail de Hyogo qui définit une politique de prévention des risques à un niveau international (l'ISDR assure son suivi et sa mise en oeuvre) et dans ce cadre-là, le système des Nations unies a confié en particulier à la COI la charge de mettre en place des systèmes d'alerte aux tsunamis mais sans oublier le cadre global. Cela signifie qu'il faut mettre en place des systèmes qui marchent avec des méthodes, qui peuvent être partagées au niveau international à l'échelle globale, le tout dans une approche multirisque. Nous sommes bien conscients que dans certains endroits, le tsunami, comme l'a fort justement rappelé le sénateur, est un événement très rare mais qui a des conséquences très graves et que pour faire marcher un système d'alerte de façon permanente, il est quelquefois pertinent de lui faire traiter en même temps d'autres risques dont l'occurrence est plus fréquente de façon que l'on puisse gérer les systèmes efficacement.

Voilà le message qui a été passé : l'approche doit être globale, c'est-à-dire qu'il faut mettre des méthodes cohérentes un peu partout et travailler aussi dans une optique multirisque. Le fameux groupe GEO, Group on Earth Observations , qui a été mis en place en 2003 suite à une réunion du G8 et qui s'efforce, à un niveau que je ne dirais pas « supra ISDR », en appui du système des Nations unies, de motiver l'ensemble des gouvernements pour mettre en place des systèmes d'observation de la Terre pour répondre à des besoins sociétaux, a pris lui-même en charge la gestion des risques, en particulier d'origine maritime et s'est emparé de la problématique des tsunamis.

Après 2004, un certain nombre d'entités se sont donc saisies de cette problématique : la COI a mis en place l'ensemble des systèmes d'alerte aux tsunamis dans les océans et maintenant, il y en a 4 qui couvrent l'essentiel des zones à risques, même si on peut encore identifier des zones où il n'y a encore rien (on en a du reste parlé à la COI hier).

Il faut donc bien voir maintenant quelles sont les responsabilités dans ce cadre. Je rappelle qu'au niveau international, dans la logique du système des Nations unies telle que nous y sommes, les organismes internationaux qui sont chargés d'une tâche ont d'abord un rôle de coordination.

Il faut d'abord donner un cadre juridique global à l'activité que l'on veut mener. Par exemple la politique d'échange des données : voilà qui doit être admis par tout le monde et être promu par la COI, ce qui est le cas : comment gérer les observations en mer dans le cadre de la convention des Nations unies pour le droit de la mer (c'est aussi une question dont nous avons parlé à la COI).

Il faut aussi donner un cadre technique global, c'est-à-dire définir des procédures, des standards, il faut assurer la cohérence d'ensemble et faire un rapport du développement des systèmes d'alerte dans le cadre de l'ONU, c'est-à-dire dans l'ensemble des groupes que j'ai présentés au début. La COI, qui a cette tâche générale, a donc créé ces quatre groupes intergouvernementaux de coordination (ces groupes sont censés rassembler des délégués qui représentent chaque gouvernement et les engagements qu'ils sont amenés à prendre en réunion, engagent donc théoriquement leur gouvernement : c'est très clair, c'est la logique de ce que l'on appelle les organes subsidiaires principaux de l'organisation).

Les missions de ces groupes, que j'ai rapidement reprises des décisions pertinentes de l'assemblée, sont de collecter les besoins régionaux, de définir le système répondant à ces besoins, de coordonner la mise en oeuvre, de promouvoir les capacités nationales et de réaliser des programmes d'éducation des communautés exposées. Tel est le rôle des organismes internationaux et en particulier des 4 GIC. Mais il faut bien être conscient que, dans ce cadre-là, la mise en oeuvre pratique du système est à charge des États membres. L'organisation a peut-être un certain nombre de moyens mais ils sont utilisés uniquement pour la coordination. Les États membres mettent en oeuvre et il y a un certain nombre d'obligations, qui sont aussi morales - je rappelle que le principe suivi est le principe des « meilleurs efforts », le principe du best efforts , dans le cadre d'accords qui ni ne limitent ni ne contraignent ( non binding non committing ) : si le système marche, c'est que les membres de l'organisation le veulent bien - je rappelle ce que l'on dit toujours à l'assemblée générale de la COI. Dans ce cadre-là, on demande au moins à chaque pays membre d'un Groupe Intergouvernemental de Coordination de désigner un point de contact pour les tsunamis, qui est le correspondant national auprès du GIC de l'organisation, et de désigner un point focal opérationnel, à savoir l'entité qui recevra les messages d'alerte produits par le système pour les remettre aux autorités civiles.

Ensuite - c'est aussi important - à partir du moment où l'on est dans ce système, on s'engage à mettre à disposition l'ensemble des informations pertinentes dont on dispose, c'est fondamental pour que le système marche. Les données et les produits utiles à l'alerte aux tsunamis doivent être mis à disposition de façon libre et non payante à l'ensemble des opérateurs du système : c'est un principe indispensable de la COI pour que le système fonctionne.

Par ailleurs, au niveau national, chaque État membre fait ses meilleurs efforts pour installer un centre national d'avertissement et pour maintenir les systèmes d'observation indispensables, notamment sismiques et marégraphiques ; j'ai oublié les systèmes de télécommunication et de diffusion qui vont avec. Et il peut proposer seul ou en association avec d'autres Etats de mettre en oeuvre un centre régional d'avis. J'ai tenu à résumer cela ; sauf erreur de ma part, ce sont les engagements d'un État qui participe à un GIC de la COI (ce n'est pas particulier au GIC mais à tous les programmes de la COI et d'autres organisations comme l'OMM, c'est le principe global), donc le système ne marche que si les membres mettent la main à la pâte.

Je rappelle ce dont nous parlerons ici pour les GIC du Pacifique, de l'océan Indien, des Caraïbes et de Méditerranée : très rapidement, vous avez, sur ce transparent qui est là (nous en reparlerons plus en détail ensuite), l'ensemble des décisions qui ont été prises et des responsabilités attribuées avec différents niveaux de profondeur d'engagement et il est essentiel que l'on ait pu répondre aux obligations de base, à savoir la désignation des interlocuteurs, et réaliser une coordination du réseau de marégraphie - c'est aussi une opération que je salue.

Mes derniers transparents : la COI s'est aussi préoccupée du cadre global et multirisque ; la France, étant présente dans les 4 bassins, a exactement les mêmes besoins que la Commission océanographique intergouvernementale en matière de coordination et d'organisation. En 2005, la COI a installé un groupe de travail que j'ai présidé sur le GOHWMS, c'est-à-dire le système global multirisque pour les risques d'origine maritime. On a choisi les risques de submersion marine qui sont dus aux tsunamis, aux marées de tempêtes, aux fortes vagues ainsi qu'aux changements climatiques. Disons que c'est l'élément structurant de la démarche. Par exemple à La Réunion, il y a eu des vagues de tsunamis en 2004 mais beaucoup plus fréquemment il y a des marées de tempêtes dues aux cyclones et de fortes vagues qui quelquefois font des dégâts et des victimes. Il est donc intéressant d'avoir un système qui essaie de traiter cela même si c'est difficile.

L'intérêt est de mettre en évidence un certain nombre d'activités communes à ces problématiques - l'une est évidente, c'est l'observation du niveau de la mer, d'où la mise en cohérence de tous les programmes d'observation, c'est ce que l'on a fait en France en confiant au SHOM la responsabilité de coordonner cette activité ; la COI aussi a pris la décision de confier à son groupe d'experts spécialisés la coordination d'ensemble des programmes d'observation du niveau de la mer. Il y a des activités, telles que la concentration en temps réel des données qui sont valables pour les 3 premiers risques cités, des modèles de propagation qui peuvent être communs (on pourra discuter là-dessus). Pour la dissémination des alertes, les procédures peuvent être communes, il y a des activités globales, par exemple la bathymétrie côtière fine et la modélisation de l'inondation qui nécessitent des mobilisations, les activités de préparation au phénomène qui est plus pour les risques cataclysmiques et les activités d'adaptation et tout cela dans le cadre d'une politique de gestion intégrée des zones côtières.

Tout un groupe d'activités est pris en charge essentiellement dans le système de tsunamis par la COI, l'Organisation météorologique mondiale et leur groupe commun, qui s'appelle la JCOMM, qui est garante des techniques de collecte, de dissémination de données et de production d'alerte.

Un peu plus loin, il s'agit de la préparation, l'ISDR, auquel j'ai ajouté le ICAM, Integrated Costal Area Management , qui s'occupe de gestion intégrée des zones côtières. Enfin, il y a des activités de coopération à monter avec les organisations en charge de l'observation sismique : j'ai mis en particulier l'OTICE, Organisation du traité du contrôle absolu des essais nucléaires, parce qu'il est la cible privilégiée des actions décidées lors de la COI.

Voilà le cadre général. Mon message était donc le suivant : comment sont réparties les responsabilités entre les organisations internationales et les politiques nationales ? Les politiques nationales doivent se mettre en place pour répondre aux besoins émis par le système international, sachant que l'alerte aux tsunamis et autres risques marins ne peut se concevoir que dans un cadre de coopération. Tel est le message principal.

D'autre part, la COI, comme la France, se préoccupe de découvrir des éléments structurants pour la mise en place des systèmes autour de la problématique de la submersion marine en vue d'une gestion intégrée des zones côtières.

Merci, Monsieur le Président, j'ai terminé.

M. Roland COURTEAU

Bien. Je vous remercie, Monsieur François Gérard. Nous allons continuer, puis dans une demi-heure ou trois quarts d'heure, nous donnerons la parole à la salle, nous procéderons au débat pendant une durée d'un quart d'heure à vingt minutes. Si vous le voulez bien, je vais donner maintenant la parole à Monsieur Laurent Michel, qui est directeur de la Direction générale de la prévention des risques au ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire.

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