D. INSTITUER UNE PROCÉDURE EN DEUX PHASES : UNE DÉCLARATION DE RESPONSABILITÉ SUIVIE, APRÈS PUBLICITÉ ET CONSTITUTION DU GROUPE, D'UNE DÉCISION SUR L'INDEMNISATION


• Les deux modèles envisageables

Les auditions conduites par vos rapporteurs ont dessiné deux modèles de procédure d'action de groupe, déjà mis en avant par le groupe de travail présidé par MM. Guillaume Cerutti et Marc Guillaume 67 ( * ) : celui de la « class action » américaine ou du recours collectif de droit québecois et celui de l'action déclaratoire de responsabilité proposée pour la première fois par M. le professeur Jean Calais-Auloy en 1990 68 ( * ) .

Chacune des deux procédures s'articule en deux phases.

Dans le modèle de la « class action », la première phase correspond à un examen de recevabilité de l'action : le groupe n'est pas encore constitué et le juge s'assure seulement à ce stade que la prétention est sérieuse et adaptée à une action de groupe en ce qu'elle vise des préjudices homogènes pour toutes les victimes a priori concernées et des questions de droit similaire.

L'initiateur de l'action est alors autorisé à agir au nom de ce groupe, lequel se constitue soit au fur et à mesure, sur une base volontaire, soit de manière abstraite, toutes les victimes étant présumées y appartenir, sauf opposition expresse de leur part.

La seconde phase de la procédure correspond au jugement au fond, le juge statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause et sur le montant des dommages et intérêts qu'il lui appartiendra de verser aux victimes. Le cas échéant, il fixe les critères de la répartition de l'indemnisation entre les membres du groupe.

L'action déclaratoire de responsabilité renverse la perspective. Alors que dans la « class action », l'autorisation judiciaire de constitution du groupe précède le jugement sur la responsabilité, dans l'action déclaratoire de responsabilité, le jugement sur la responsabilité précède la constitution du groupe .

Dans la première phase du jugement, le juge, saisi par une association de consommateurs qui représente les intérêts des victimes potentielles, statue sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause, à partir des quelques cas individuels qui lui sont soumis. S'il la juge engagée, il prononce une décision déclaratoire de responsabilité qui vaudra pour tous les litiges individuels homologues aux cas qui lui ont été présentés.

Une fois cette première décision acquise et rendue publique par des moyens appropriés de publicité, le juge sursoit à statuer pour permettre aux victimes de se faire connaître et de préciser l'ampleur de leur préjudice individuel. Dans la seconde phase de son jugement, il se prononce sur le montant des dommages et intérêts qui leur seront attribués.

Le modèle procédural de la « class action » et du recours collectif québécois a inspiré plusieurs propositions de loi :

- la proposition de loi de M. Luc Chatel, député, et plusieurs de ses collègues du groupe UMP, tendant à instaurer les recours collectifs des consommateurs, déposée le 26 avril 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3055 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Arnaud Montebourg, député, et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, relative à l'introduction de l'action de groupe en France, déposée le 15 février 2007 à l'Assemblée nationale (n° 3729 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Jacques Desallangre, député, et plusieurs de ses collègues du groupe communiste, relative à l'introduction de l'action de groupe en France, déposée le 13 mars 2007 à l'Assemblée nationale (n° 3775 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative à la suppression du crédit revolving, à l'encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l'action de groupe, déposée le 2 septembre 2009 à l'Assemblée nationale (n° 1897 - Assemblée nationale, XIII e législature). Ce texte a été rejeté par l'Assemblée nationale le 20 octobre 2009.

Le modèle de l'action déclaratoire de responsabilité, initialement esquissé dans la Proposition pour un code de la consommation de la commission pour la codification du droit de la consommation présidée par M. Jean Calais-Auloy 69 ( * ) puis par M. le professeur Serge Guinchard 70 ( * ) , a été ensuite repris dans plusieurs textes :

- la proposition de loi n° 322 (2005-2006) de Mme Nicole Bricq, M. Richard Yung, sénateurs, et plusieurs de leurs collègues du groupe socialiste, sur le recours collectif, déposée le 25 avril 2006 au Sénat. Cette proposition de loi, devenue caduque, a fait l'objet d'un nouveau dépôt le 9 février 2010 et est devenue la proposition de loi n° 277 (2009-2010) ;

- le projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature). Ce texte a été retiré de l'ordre du jour en février 2007 ;

- le groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires, présidé par M. Jean-Marie Coulon a présenté un dispositif s'inspirant de ce modèle d'action de groupe 71 ( * ) .


• Les garanties plus nombreuses apportées par la procédure d'action déclaratoire de responsabilité

Entre les deux modèles envisageables, le groupe de travail a tranché en faveur du second, celui de l'action déclaratoire de responsabilité .

En effet, la dissociation de l'examen de la recevabilité et de l'examen au fond présente un danger pour le professionnel mis en cause : même s'il ne porte que sur la recevabilité de l'action, le premier jugement rendu paraît valider la procédure initiée et confère un certain crédit aux plaignants.

Les représentants des entreprises, et particulièrement le mouvement des entreprises de France et la fédération bancaire française ont tous considéré que ce pré-jugement pèse lourd dans la décision des professionnels de transiger, même lorsqu'il est probable que leur responsabilité ne sera pas retenue au terme de la procédure. Le jugement défavorable rendu sur la recevabilité est en effet susceptible de porter atteinte à la réputation de l'entreprise, d'autant plus que la publicité qui en sera faite dans l'objectif de constituer le groupe des plaignants sera importante. En outre, comme l'a signalé la confédération générale des petites et moyennes entreprises, une fois l'action déclarée recevable, l'entreprise doit provisionner le risque juridique auquel celle-ci l'expose, ce qui affecte durablement son bilan, alors même que le principe de sa responsabilité n'est pas encore acquis.

Ajoutées aux inconvénients liés à la durée et au coût du procès, ces préoccupations peuvent conduire les sociétés à proposer une transaction même si elles sont, au fond, dans leur bon droit. Une telle procédure contribue ainsi à développer les stratégies du chantage à la transaction.

L'avantage, de ce point de vue, du modèle de l'action déclaratoire de responsabilité, c'est qu'aucune publicité n'est donnée à l'affaire avant que le principe de la responsabilité de l'entreprise ne soit acquis par l'effet du premier jugement. De plus, l'association agréée n'ayant pas à rassembler un nombre élevé de mandats pour introduire l'action, elle-même n'a pas à recourir à la publicité pour constituer son dossier et ne court ainsi pas le risque, comme l'a souligné Mme Murielle Robert-Nicoud, présidente de l'association nationale des juges d'instance, d'engager sa responsabilité pour diffamation ou dénigrement à l'égard de l'entreprise concernée.

En revanche, une fois le jugement déclaratoire de responsabilité rendu, il n'y a plus de doute possible sur le principe de la réparation du préjudice causé par l'entreprise : la publicité conférée au jugement pour permettre la constitution du groupe des victimes n'est plus susceptible de porter atteinte aux intérêts du professionnel.

L'action déclaratoire de responsabilité présente un autre avantage : elle est plus simple à conduire pour l'association qui l'initie, et moins coûteuse . En effet, au cours de la première phase du jugement, qui décide du principe de la responsabilité, l'association agréée n'a à s'appuyer que sur un nombre limité de situations individuelles, représentatives de celle des autres victimes potentielles. Elle ne doit rapporter la preuve du préjudice subi et démontrer la responsabilité de l'entreprise que pour ce petit groupe. Le procès organisé à ce niveau est comparable à un procès individuel : cette décomposition en deux phases successives de jugement retarde le moment où la massification de l'action de groupe doit intervenir . Ce n'est que lors de l'évaluation du préjudice que l'ensemble des victimes doit être considéré.

Du fait de cette simplicité et des garanties qu'il présente, le modèle de l'action déclaratoire de responsabilité est celui que la plupart des personnes entendues par vos rapporteurs ont privilégié, qu'elles se soient prononcées pour la création d'une action de groupe ou qu'elles s'y soient déclarées hostiles, cette solution leur apparaissant comme la plus acceptable.

L'action déclaratoire de responsabilité présente un dernier avantage : sous réserve de quelques aménagements, elle peut, ainsi que l'ont montré M. le professeur Serge Guinchard et Mme le professeur Véronique Magnier, facilement se fondre dans les règles procédurales françaises. Or, le respect de ces principes est le plus sûr moyen de garder la procédure d'action de groupe des errements de la « class action ».

Recommandation n° 9 - Organiser l'action de groupe selon deux phases distinctes :

- la première permettrait à une association agréée de présenter au juge un nombre limité de cas exemplaires dans lesquels des consommateurs ou des investisseurs sont victimes de préjudices analogues trouvant leur origine dans le même manquement d'un professionnel à ses obligations, afin que le juge statue sur le principe de sa responsabilité ;

- la seconde permettrait au juge, après constitution du groupe des victimes, de statuer sur l' indemnisation versée à ses membres.

Recommandation n° 10 - Sauf pour les points faisant l'objet des recommandations qui suivent, appliquer les règles procédurales de droit commun.

La procédure proposée est résumée dans le schéma joint en début de rapport.

1. Un premier jugement déclaratoire de responsabilité pour faciliter l'introduction de l'action de groupe tout en protégeant les entreprises contre les actions fantaisistes ou abusives

Cette première phase de jugement doit être organisée de manière à concilier trois exigences essentielles : la protection des droits de l'entreprise ou du professionnel mis en cause, la préservation des intérêts des victimes non parties à l'action et l'efficacité de la nouvelle voie de droit créée.

a) Garantir l'efficacité de la nouvelle voie de droit créée

Le groupe de travail juge nécessaire de tirer les enseignements de l'échec, que nul ne conteste, de l'action en représentation conjointe. Seules cinq actions de ce type ont été conduites, parce que ceux qui auraient souhaité en initier d'autres en ont été empêchés par les conditions très restrictives définies par le texte.

Or, il ne sert à rien de créer une nouvelle voie de droit dont les justiciables ne peuvent se saisir, faute de parvenir à réunir les conditions exigées pour introduire l'instance. La protection des droits et des intérêts des entreprises justifie un encadrement procédural strict. Mais ce dernier ne doit pas avoir pour conséquence de faire perdre toute pertinence ou toute efficacité à la procédure mise en place.

À cet égard, au stade de l'introduction de l'instance, deux questions se posent.


• L'initiative de l'action déclaratoire de responsabilité

L'action est lancée par une association, alertée du dommage causé par une entreprise ou un professionnel à des consommateurs ou des investisseurs : l'association doit-elle préalablement recueillir mandat des intéressés pour introduire, en leur nom, une action de groupe ?

Tel est le cas dans le schéma de l'action en représentation conjointe. Cependant, dans cette action, l'association n'agit qu'au nom de ses mandants, et nulle autre victime ne pourra bénéficier des effets du jugement si elle ne s'est jointe à temps à l'instance.

Or, dans sa première phase de jugement, la logique de l'action déclaratoire de responsabilité est différente : il ne s'agit pas d'obtenir une décision sur la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis des personnes identifiées que l'association représenterait. Il s'agit d'obtenir du juge qu'il statue sur le principe de la responsabilité de l'entreprise pour l'ensemble des dommages causés à des individus placés, vis-à-vis d'elle, dans des situations identiques ou analogues.

La responsabilité sur laquelle il est statué au cours de cette première phase de jugement est donc une responsabilité « objectivée », au sens où elle repose sur les seuls éléments identiques parmi toutes les situations individuelles envisagées, qui doivent être suffisants pour l'établir. Elle ne préjuge cependant pas de la responsabilité effective de l'entreprise pour chacun des cas individuels, dans la mesure où celle-ci peut être affectée par des circonstances propres à l'espèce.

En effet, le principe de cette responsabilité acquis, le droit individuel de chacune des victimes à obtenir réparation doit encore être établi, ce qui sera l'objet de la seconde phase de jugement, où la partie mise en cause pourra le cas échéant opposer à certains des plaignants des causes d'exonération de sa responsabilité qui leur seraient propres.

L'action déclaratoire de responsabilité ne s'attachant pas à des cas précis, mais visant plutôt une situation susceptible de s'être répétée à l'identique ou de manière analogue un nombre élevé de fois, il n'est pas nécessaire que, pour la mener, l'association dispose d'un mandat donné par des consommateurs particuliers.


• La présentation de cas exemplaires

L'association qui introduit l'action fait face à une difficulté de preuve : elle doit prouver la responsabilité de l'entreprise pour un ensemble homogène de situations identiques, mais ne peut que produire des exemples individuels. Comment lui sera-t-il possible d'extrapoler à partir de ces cas individuels le principe d'une responsabilité globale ?

Le groupe de travail estime que cette difficulté peut être surmontée s'il est imposé à l'association non seulement de démontrer la responsabilité de l'entreprise dans des cas précis, mais aussi le caractère exemplaire ou généralisable des situations qu'elle présente.

Un tel mécanisme s'inspire des procédures d'action modèle ou de « test case » par lesquels les juges anglais ou allemand 72 ( * ) rendent une décision dans un cas-type, qui vaut pour tous les cas analogues.

Le ou les cas présentés peuvent être des cas précis, à charge pour l'association requérante de démontrer en quoi ils correspondent dans leurs éléments essentiels aux situations dans lesquelles se trouvent placées les autres victimes membres potentiels du groupe.

L'action déclaratoire de responsabilité pourrait aussi s'appuyer sur une démonstration objective de la responsabilité de l'entreprise lorsque le manquement incriminé présentera un tel caractère objectif. Tel est le cas pour une infraction aux règles de la concurrence ou l'inclusion d'une clause abusive dans un modèle de contrat. Néanmoins elle devrait compléter sa démonstration par la preuve que ce manquement est susceptible d'avoir été à l'origine d'un préjudice de masse pour les consommateurs concernés.

Le recours à cette technique des cas exemplaires permettra au juge de définir le groupe possible des victimes à partir des caractéristiques déterminantes des cas qui lui auront été soumis et pour lesquels il aura prononcé le principe de la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause.

Recommandation n° 11 - Prévoir que l'association agréée ne soumette au juge qu'un nombre limité de cas exemplaires qui définiraient, au regard des préjudices qu'ils visent et des faits reprochés, les limites du groupe possible des plaignants.

b) Préserver les droits des victimes non parties à l'action

Non seulement l'association engage l'action de groupe sans avoir à en informer les victimes, mais ces dernières peuvent choisir, dans le mécanisme retenu par vos rapporteurs pour la constitution du groupe des victimes, d'en bénéficier ou de s'en exclure. Cependant, elles ne se détermineront qu'une fois connue l'issue du jugement sur la responsabilité. Si les délais de prescription de leur action individuelle continuaient à courir pendant l'instance de l'action de groupe, le risque serait grand qu'elles soient forcloses.

En outre, il convient, autant que possible, d'encourager les victimes à obtenir réparation dans le cadre de l'action de groupe et éviter ainsi que se multiplient les instances individuelles. Or, le fait que le cours de la prescription ne soit pas suspendu pendant l'action de groupe conduirait les intéressés à introduire parallèlement une action individuelle afin de préserver leurs intérêts si le recours collectif échouait ou ne les satisfaisait pas.

C'est pourquoi, dans l'idée de préserver les droits des victimes non parties à l'action, le groupe de travail préconise de prévoir la suspension du cours de la prescription de l'action individuelle en responsabilité pour les membres potentiels du groupe, pendant la durée de la première phase de l'action de groupe.

Recommandation n° 12 - Prévoir que les personnes susceptibles d'avoir subi le dommage visé par l'action de groupe bénéficient de la suspension de la prescription sur leur action individuelle jusqu'à ce que la décision statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause devienne définitive.

c) Protéger les entreprises contre les actions infondées ou abusives et garantir le respect des droits de la défense

Les réflexions du groupe de travail ont été animées par le souci constant de préserver la compétitivité des entreprises françaises et d'éviter, grâce à la définition de mécanismes procéduraux adaptés, qu'elles puissent être soumises à des tentatives de déstabilisation qui prendraient la forme d'actions de groupe abusives.

Or, les associations représentatives des entreprises ont à cet égard fait part de deux inquiétudes.


• La protection contre les actions abusives ou infondées

Les représentants des entreprises ont exprimé la crainte qu'en l'absence d'un contrôle préalable de recevabilité de la demande, les actions puissent se multiplier sans que le juge puisse écarter celles qui seraient manifestement abusives ou infondées, alors que, pendant toute la durée de l'instance, une exploitation médiatique qui nuirait aux intérêts du professionnel injustement mis en cause pourrait se développer.

Les inquiétudes ainsi exprimées sont légitimes. Cependant, le groupe de travail considère que le mécanisme qu'il propose permet d'y répondre.

En effet, le jugement rendu sur le principe de la responsabilité du professionnel intègre, comme tout jugement, un contrôle de la recevabilité de l'action. À ce titre, le juge devra s'assurer que l'action de groupe introduite devant lui l'est par une association agréée et qu'elle porte sur des préjudices indemnisables par l'action de groupe. Il lui appartiendra en particulier de vérifier que l'action relève bien du champ de la consommation, de la concurrence ou du droit financier et qu'elle vise bien un préjudice matériel identique ou analogue entre plusieurs victimes et non des préjudices individuels non homogènes. Les actions manifestement abusives ou infondées pourront donc être écartées dès le stade du premier jugement.

En outre, l'action de groupe proposée s'intégrant aux règles traditionnelles de la procédure civile, les dispositions relatives à la sanction des actions abusives ou des recours dilatoires sont aussi applicables, en particulier l'article 32-1 du code de procédure civile qui prévoit que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ». L'instrumentalisation médiatique d'une action de groupe à des fins déloyales pourrait quant à elle tomber sous le coup du délit de diffamation prévu par les articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


• La question de la préservation des droits de la défense

Le respect du contradictoire constitue le second sujet de préoccupation des représentants des entreprises, qui craignent que le professionnel attaqué n'ait pas la possibilité à l'instance d'opposer le fait des plaignants, ou qu'il n'ait pas de moyen, faute de précision suffisante, de contester les éléments de preuve produits par la partie adverse. Une fois le jugement acquis, et le groupe des plaignants connus, le professionnel ne pourrait plus remettre en cause le principe de sa responsabilité, alors même que celle-ci ne devrait pas être engagée vis-à-vis de certains membres du groupe.

Vos rapporteurs considèrent que la procédure retenue ne porte pas atteinte au principe du contradictoire. En effet, lors de la première phase de jugement, l'association agréée, qui agit au nom de la défense de l'intérêt des consommateurs en général, est la seule partie requérante à l'instance. Le défendeur à l'action connaît son adversaire : il n'y a donc aucun obstacle à l'organisation d'échanges contradictoires. Les cas exemplaires soumis par l'association au juge peuvent être contestés par le professionnel attaqué.

Lors de la seconde phase de jugement, les membres du groupe des victimes sont tous identifiés. À l'occasion de l'examen de leur demande en réparation de leur préjudice, le professionnel a la possibilité d'opposer toutes les causes d'exonération de sa responsabilité qui seraient liées aux particularités de la situation individuelle des intéressés par rapport aux cas exemplaires sur lesquels le juge s'est prononcé au cours de la première phase de jugement. Il peut par exemple s'agir de la participation de la victime à son propre dommage ou d'un élément qui devrait l'exclure du groupe des victimes. Ainsi, l'obligation d'information en matière de placements financiers n'a pas la même portée vis-à-vis d'un consommateur sans expérience particulière et vis-à-vis d'un consommateur averti dans ce domaine, en raison de sa formation ou de sa profession.

D'une certaine manière, s'agissant de l'action qui opposera les victimes et le professionnel, le contradictoire n'est pas nié : il est seulement décalé dans le temps, puisqu'il n'intervient que dans la seconde phase de jugement, au moment où l'ensemble des parties sont présentes à l'instance 73 ( * ) .

Un point mérite d'être souligné : le passage à la seconde phase de jugement qui opposera, selon une procédure simplifiée, l'entreprise à l'ensemble des victimes alléguées dépend de l'issue de la première phase de jugement. Sauf à porter gravement atteinte aux intérêts du défendeur à l'action, il est nécessaire que le principe de sa responsabilité soit définitivement établi pour que s'engage l'instance relative à l'indemnisation individuelle des plaignants. À défaut, des dommages-intérêts pourraient être versés, alors même qu'une décision d'appel ou de cassation remettrait en cause le principe de la responsabilité du professionnel. C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent de n'autoriser le passage à la seconde phase du jugement que lorsque la décision rendue sur le principe de la responsabilité est devenue définitive. Il conviendrait que les recours soient traités suffisamment rapidement, par exemple par une procédure d'appel à jour fixe.

Recommandation n° 13 - Prévoir que le juge se prononce, à l'issue du procès, sur la responsabilité de l'entreprise par un jugement déclaratoire de responsabilité.

Recommandation n° 14 - Ne permettre le passage à la seconde phase de l'action de groupe qu'une fois les voies de recours éventuelles expirées et le jugement déclaratoire de responsabilité passé en force de chose jugée.

* 67 Groupe de travail présidé par Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, Rapport sur l'action de groupe, remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux .

* 68 Proposition pour un code de la consommation, rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation au Premier ministre, présidée par M. Jean Calais-Auloy , La documentation française, 1990, p. 111.

* 69 Proposition pour un code de la consommation, préc.

* 70 S. Guinchard, « Une class action à la française ? », D. 2005.2180.

* 71 La dépénalisation du droit des affaires, rapport au garde des sceaux, ministre de la justice, du groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon , La documentation française, janvier 2008, p. 89-97.

* 72 Cf. pour une description de ces mécanismes, Les action de groupes, Étude de législation comparée, n° 206, Sénat, 6 mai 2010, p. 15 et s., et p. 25 et s, consultable sur le site du Sénat :

http://www.senat.fr/lc/lc206/lc206.html

* 73 Sur ce point, cf. Soraya Amrani-Mekki, « Action de groupe et procédure civile », Revue Lamy droit civil, n° 32, 2006, § 28.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page