N° 553

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juin 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (n° 340, 2009-2010) et sur la proposition de loi de MM. Roland COURTEAU, Yannick BODIN, Jean Pierre BEL, Mmes Michèle ANDRÉ, Gisèle PRINTZ, M. Bernard FRIMAT, Mmes Patricia SCHILLINGER, Odette HERVIAUX, Maryvonne BLONDIN, Claudine LEPAGE, MM. Yves CHASTAN, Marcel RAINAUD, Mme Françoise CARTRON, MM Paul RAOULT, Marc DAUNIS, Michel TESTON, Mme Renée NICOUX, M. Jean Jacques MIRASSOU, Mmes Nicole BONNEFOY, Jacqueline ALQUIER, Bariza KHIARI, M. Robert NAVARRO, Mme Nicole BRICQ, M. Daniel RAOUL, Mme Michèle SAN VICENTE-BAUDRIN, MM. Philippe MADRELLE, Jean BESSON, Richard YUNG, Mme Bernadette BOURZAI, MM. Martial BOURQUIN, François PATRIAT, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Serge LAGAUCHE, Simon SUTOUR, Bernard PIRAS, Mme Josette DURRIEU, M. Jean-Pierre SUEUR et les membres du groupe socialiste, relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 118, 2009-2010),

Par Mme Françoise LABORDE,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Michèle André, présidente ; Mme Jacqueline Panis, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz, M. Yannick Bodin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Odette Terrade, Françoise Laborde, vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Brigitte Bout, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Catherine Dumas, Bernadette Dupont, Gisèle Gautier, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Bariza Khiari, Françoise Laurent-Perrigot, Claudine Lepage, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Catherine Procaccia, Mireille Schurch, Catherine Troendle, M. Richard Yung.

Mesdames, Messieurs,

Au cours de sa réunion du 6 mai 2010, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat a décidé de saisir votre délégation des propositions de loi :

- n° 340 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes ;

- et n° 118 (2009-2010) relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste.

Votre délégation, sans préjudice des compétences de la commission des lois saisie au fond, doit donner son avis sur les conséquences de ces propositions de loi sur les droits des femmes et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, conformément aux dispositions du paragraphe III de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

La délégation se félicite de l'inscription à l'ordre du jour de ces deux textes avant la fin de la présente session : lors de sa réunion du 11 mai, elle avait invité sa Présidente à confirmer par écrit au Président du Sénat qu'un report de la discussion de ce texte, très attendu par les associations qui viennent en aide aux victimes, aurait été regrettable, alors que la lutte contre les violences envers les femmes a été déclarée Grande cause nationale pour 2010 par M. le Premier ministre. En effet, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale ayant été transmise au Sénat le 26 janvier 2010, et celle de notre collègue Roland Courteau ayant fait l'objet d'un renvoi en commission le 10 février 2010, il était difficilement compréhensible par ces associations que l'inscription à l'ordre du jour de notre Assemblée de ces deux textes soit plus longtemps différée.

La délégation a, depuis sa création, fait de la lutte contre les violences faites aux femmes sa priorité absolue. Elle a ainsi pu contribuer à l'émergence d'un droit nouveau, en France, qui a eu un effet « déclencheur » de révélation, y compris au niveau judiciaire, des violences conjugales - au sens large - puisqu'elles concernent désormais toutes les formes de cohabitation hors mariage. Pour rester en phase avec l'évolution de la société française, ce droit mérite d'être perfectionné pour mieux protéger les victimes, sanctionner les agresseurs, et encourager la prévention ainsi que la formation de tous les acteurs.

Le présent rapport se propose de souligner l'importance, à court terme, des conditions de mise en oeuvre concrètes de l'ensemble des nouveaux dispositifs de secours prévus par la réforme en discussion. A moyen terme, la mobilisation de ses volets répressif et curatif doit pouvoir être réduite grâce à un effort de prévention et d'éducation énergique, global et efficace.

Par son initiative, le Parlement témoigne d'abord de son soutien aux associations qui se dévouent en faveur des victimes. Il vise également à pacifier la vie de couple et de famille en sanctionnant plus rigoureusement les violences non seulement physiques mais aussi psychologiques. Il prépare, en fin de compte, un avenir plus serein à la société française en visant à réduire la proportion de citoyen(ne)s marqué(e)s, dans leur enfance, par le souvenir de violences familiales qui se traduisent, le plus souvent, par des atteintes à la dignité de leur mère.

I. L'ÉMERGENCE D'UN DROIT SPÉCIFIQUE AUX VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000

L'enquête nationale sur les violences envers les femmes, réalisée en 2000 avait permis, pour la première fois, de prendre la mesure chiffrée des violences envers les femmes et, notamment, des violences exercées au sein du couple. Elle a suscité une prise de conscience qui, largement relayée au niveau parlementaire par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, a amené deux avancées législatives inédites :

- l'introduction dans le code civil, par la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, d'un dispositif permettant à la victime de violences de saisir le juge, avant même toute requête en divorce, pour organiser la résidence séparée du couple en bénéficiant d'une priorité à son maintien dans le domicile conjugal ;

- et l'adoption de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples ou commises à l'encontre des mineurs, alors même que le Parlement n'avait jamais légiféré de façon spécifique dans ce domaine.

Comme a pu en témoigner le représentant de l'Association nationale des juges de l'application des peines, entendu par votre rapporteure, la levée du tabou des violences conjugales se manifeste très concrètement aujourd'hui dans l'activité des juridictions : alors que ce contentieux était extrêmement limité il y a encore une quinzaine d'années, il fait désormais partie du quotidien des magistrats.

A. UNE PRÉOCCUPATION MAJEURE DE LA DÉLÉGATION ET UNE INITIATIVE SÉNATORIALE

1. Depuis son origine, la délégation a jeté les bases de la qualification de ces violences, de leur révélation et de la protection des victimes par le juge civil

Le rappel des travaux de la délégation permet de mieux situer la « filiation » d'au moins deux des innovations majeures que contiennent les propositions de loi aujourd'hui soumises au Sénat. En particulier se rattachent aux préconisations récurrentes formulées au cours des dix dernières années par la délégation :

- la création d'une ordonnance de protection des victimes , qui se ramène à un renforcement des pouvoirs du juge civil pour venir en aide aux victimes de violences conjugales,

- et l'introduction, dans le code pénal, du harcèlement moral au sein des couples qui se base sur l'idée de répétition d'agissement préjudiciables.

a) Dès 2001 la délégation a souligné la nécessité du renforcement et de l'articulation des procédures civiles et pénales tout en améliorant la capacité de détection et de recensement des violences

La lutte contre les violences, sous toutes leurs formes, faites aux femmes est une des priorités majeures de la délégation depuis les premières années de sa création.

Avant tout soucieuse de faire émerger au niveau parlementaire la réalité des violences subies dans le « huis clos » conjugal , elle avait, dès octobre 2001, lors de la discussion de deux propositions de loi, l'une n° 17 (2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme du divorce et l'autre n° 12 (2001-2002) de M. Nicolas About visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective, saisi l'occasion de préconiser, dans le rapport d'information n° 183 (2001-2002) de M. Serge Lagauche :

- de renforcer le pouvoir du juge civil pour organiser la résidence séparée en cas de mise en danger de la sécurité du conjoint ou des enfants (article 220-1 du Code civil) ;

- et, sans aller jusqu'à instaurer un « casier conjugal », d'adapter l'appareil d'analyse statistique au recensement et à la détection des faits constitutifs de violences conjugales . Cet outil, conçu comme un instrument de dissuasion, correspondait également à la volonté de la délégation de favoriser une meilleure articulation entre les procédures pénales pour violences conjugales et les procédures civiles relatives au droit de la famille, pour permettre au juge d'avoir une vision globale des procédures en cours.

Une dizaine d'années plus tard, on peut constater que l'articulation entre le pénal et le civil demeure une question juridiquement et pratiquement difficile : ainsi, le dispositif sur l'« ordonnance de protection » des victimes , qui constitue l'une des innovations majeures du texte récemment adopté par l'Assemblée nationale relevait, dans la proposition de loi initiale, du code de procédure pénale et du juge délégué aux victimes . Cependant, au cours du débat parlementaire, l'Assemblée nationale, prenant acte de la remise en cause juridique du juge délégué aux victimes a choisi de charger le juge aux affaires familiales (JAF) de sa délivrance en intégrant l'ensemble du dispositif dans le code civil , tout en s'efforçant de ne pas créer de compétence concurrente entre le juge pénal et le JAF en cas de saisine simultanée .

Les indications recueillies par votre rapporteure auprès des représentants des magistrats, permettent de nuancer l'idée selon laquelle la « coordination » entre les procédures pénales et civiles serait une nécessité absolue . En effet, et en pratique :

- d'une part, au cours de la procédure civile, l'avocat de la victime a la possibilité d'informer le juge des procédures pénales en cours ;

- d'autre part, les magistrats indiquent qu'en prenant une décision relative aux relations entre parents et enfants, ils se doivent d'écarter le risque d'accorder un poids excessif à d'éventuelles actions pénales parallèles qui peuvent, dans certains cas, résulter d'une stratégie de « combat judiciaire » entre les parents.

b) Sans s'opposer à l'objectif d'apaisement du divorce, la délégation a soutenu le principe de l'éviction du conjoint violent, préservé la notion essentielle de répétition des violences verbales et souligné l'accroissement du nombre de couples non mariés

Au cours des années 2003 et 2004, dans un contexte de réformes visant à pacifier les divorces, qui se chiffrent à environ 120 000 par an, et à diminuer les conséquences attachées à la notion de faute, la délégation a poursuivi sa mission de veille et d'initiative en soulignant très fermement une double nécessité :

- le renforcement de l'efficacité de l'appareil de prévention et de sanction des violences familiales tout en venant en aide aux femmes ;

- et la prise en compte, au-delà du mariage sur lequel se focalisaient les dispositions du code civil, de la diversification des formes de couples et de la montée des familles recomposées.

Dans le rapport d'information n° 117 (2003-2004) de Mme Janine Rozier, sur la future loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la délégation :

- attirait l'attention sur l'existence d'une situation asymétrique qui appelle des mesures de rééquilibrage juridiques et sociales : l'initiative principalement féminine des demandes de divorce ou de séparation montre que les femmes ont à subir plus que les hommes, au quotidien, les dysfonctionnements du couple et à assumer dans plus de 90 % des cas la garde des enfants après les séparations ;

- approuvait pleinement le dispositif permettant à l'époux victime de violences de saisir le juge, avant même toute requête en divorce, pour organiser la résidence séparée du couple en bénéficiant d'une priorité à son maintien dans le domicile conjugal. Elle souligne, à ce titre, que l'auteur des violences ne doit pas pouvoir se soustraire à ses obligations relatives au financement du logement et appelle à réfléchir à un dispositif similaire pour les concubins et les « pacsés » vivant avec des enfants ;

- tout en souscrivant à l'objectif d'apaisement du divorce, elle avait également recommandé, à l'article 242 du code civil, de maintenir, comme caractérisation de la faute, la violation non seulement grave mais aussi « renouvelée » des devoirs et obligations du mariage . Cette précision utile était fondée sur une analyse approfondie des modalités parfois insidieuses des violences conjugales et vise notamment la répétition des attitudes de dénigrement ou de mépris et, a fortiori, le cas des femmes contraintes par leur conjoint à des pratiques ou des rapports sexuels forcés.

Menacée de disparition au cours de la navette, cette notion de répétition de violences légères a été maintenue à l'article 242 du code civil qui dispose, dans le droit en vigueur, que « Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ». Rétrospectivement, la délégation peut se féliciter que sa recommandation, suggérée par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyenne de la faculté de droit à l'université de Lille 2, ait pu être prise en compte puisqu'elle repose sur l'idée que l'accumulation de faits peu graves intrinsèquement peut devenir insupportable par leur caractère répété : or cette notion, qui fait partie de notre tradition juridique, est aujourd'hui reprise et transposée dans le code pénal par l'article 17 de la proposition de loi soumise à l'examen du Sénat.

Cet article vise tout d'abord à insérer dans le code pénal un article 222-14-3 qui, de façon générale, précise que les violences prévues par les dispositions de la section du code pénal qui s'intitule « Des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne » sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques. On peut noter que, dans le droit en vigueur, le chapitre II qui inclut cette section s'intitule d'ores et déjà « Des atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne. »

La principale innovation de l'article 17 de la proposition de loi consiste donc à insérer dans le même code un article 222-33-2-1 qui s'inspire de la rédaction retenue dans le code du travail  pour définir le délit de harcèlement moral et l'étend aux relations de couple : « Le fait de soumettre son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ou un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin à des agissements ou des paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie susceptible d'entraîner une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. »

Code du travail

Article L.1152-1.- Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Article L.1155-2.- Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, sont punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 €.

La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l'affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu'elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l'amende encourue.

Enfin, soucieuse de garantir la lisibilité du droit nouveau et rappelant que la demande en divorce constitue statistiquement la première et la principale occasion pour le citoyen d'être confronté à la Justice ainsi qu'à la terminologie judiciaire, la délégation avait recommandé de perfectionner l'information du justiciable, trop souvent désorienté, en mettant à sa disposition des lexiques et des schémas simples.

La complexité du droit s'étant considérablement accrue lors de ces dernières années, votre rapporteure a pu constater que, sur le terrain, ce besoin de lisibilité du droit et des procédures se manifeste aujourd'hui également chez les professionnels du droit, y compris les magistrats.

c) Une résultante d'un déséquilibre plus global : lutter contre les inégalités entre les sexes dans tous les domaines

Comme l'ont souligné les travaux relatifs aux violences familiales et les intervenants entendus par votre rapporteure, les effets de domination au sein des couples renvoient nécessairement au déséquilibre plus général qui subsiste dans le domaine économique, social et à des préjugés culturels en voie de réduction mais, ici ou là, encore tenaces.

Soulignant que le domicile conjugal doit cesser d'être conçu comme un lieu de non-droit, en particulier pour les femmes, la délégation a eu l'occasion, à maintes reprises de faire observer que la lutte contre les violences envers les femmes s'inscrit dans un contexte d'ensemble de promotion des valeurs d'égalité et que seule une approche globale permettrait d'éradiquer ces violences. Elle en a déduit la nécessité de renforcer la mutualisation des actions, notamment en matière sociale, des différents intervenants - service du droit des femmes et de l'égalité, justice, police, gendarmerie, professionnels de santé, éducation nationale, collectivités territoriales, associations...

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