Le mal-être au travail : passer du diagnostic à l'action (rapport)
- Par M. Gérard DÉRIOT
au nom de la Mission d'information sur le mal-être au travail et de la commission des affaires sociales - Notice du document
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2. Un phénomène plus large
a) Le stress au travail
Un élément permettant d'appréhender la souffrance au travail est le stress. L'institut national de recherche et de sécurité (INRS) a présenté en 2008 les principales données sur l'impact du stress au travail6(*). Dans l'ensemble, un salarié européen sur cinq déclare souffrir de troubles de santé liés au stress au travail : le phénomène est donc préoccupant.
On peut définir le stress comme l'agression de l'organisme par un agent physique, psychique, émotionnel entraînant un déséquilibre qui doit être compensé par un travail d'adaptation. Ce travail d'adaptation comprend trois phases : la réaction d'alarme, la résistance, puis l'épuisement.
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Source : INRS
L'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail considère qu'« un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. L'individu est capable de gérer la pression à court terme mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée à des pressions intenses. En outre, différents individus peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations similaires. Le stress n'est pas une maladie mais une exposition prolongée au stress peut réduire l'efficacité au travail et peut causer des problèmes de santé ».
Contrairement à une idée répandue, on ne peut pas distinguer médicalement un « bon » et un « mauvais » stress : le stress s'exprime toujours de la même manière. En revanche, le stress aigu et le stress chronique n'ont pas les mêmes conséquences sur la santé. Alors que les conséquences du premier disparaissent avec le stimulus qui l'a fait naître, le second « s'inscrit dans la durée : c'est le cas quand, tous les jours au travail, nous avons l'impression que ce qui nous est demandé dans le cadre professionnel excède nos capacités. Ce type de situation de stress chronique, même lorsqu'il est choisi, est toujours délétère pour la santé7(*). »
Les effets du stress pour l'organisme sont à la fois physiques, émotionnels, intellectuels et comportementaux.
Lorsque la situation de stress se prolonge, elle peut donner naissance à de véritables pathologies, qui vont du syndrome métabolique8(*) aux maladies cardio-vasculaires, à l'anxiété et à la dépression, ou encore aux troubles musculo-squelettiques (TMS). Ces derniers représentent la première cause de déclaration de maladies professionnelles (74 % en 2008), et sont en forte augmentation (17 % par an depuis dix ans) : en 2008, 36 900 nouveaux cas de TMS ont été indemnisés9(*).
Ainsi les troubles potentiellement associés au stress sont à la fois fréquents et graves ; reste cependant à déterminer dans quelle mesure le stress est un facteur déterminant dans leur apparition ou leur aggravation.
Dans leur accord du 2 juillet 2008, les partenaires sociaux ont déterminé une série de signaux d'alarme qui, indépendamment de l'état physique et psychique des individus, doivent attirer l'attention car on considère qu'ils peuvent révéler l'existence d'un stress au travail : « Par exemple, un niveau élevé d'absentéisme, notamment de courte durée, ou de rotation du personnel en particulier fondé sur des démissions, des conflits personnels ou des plaintes fréquents de la part des travailleurs, un taux de fréquence des accidents du travail élevé, des passages à l'acte violents, contre soi-même ou contre d'autres, même peu nombreux, une augmentation significative des visites spontanées au service médical sont quelques-uns des signes pouvant révéler la présence de stress au travail. »
Le stress semble avoir un coût élevé pour l'économie. L'INRS a, en partenariat avec Arts et Métiers Paris Tech, mené une étude sur le coût du stress professionnel en France. La première évaluation, réalisée en 2002, sur la base de données datant de 2000, faisait état d'un coût compris entre 830 millions et 1,6 milliard d'euros.
Une actualisation de cette évaluation a été entreprise en 2009 à partir des chiffres datant de 2007. L'estimation du coût a considérablement augmenté puisque celui-ci atteindrait entre 1,9 milliard et 3 milliards d'euros. Comme l'a indiqué Valérie Langevin, psychologue du travail à l'INRS lors de son audition10(*), ces chiffres, qui intègrent à la fois les coûts directs (dépenses de soins) et les coûts indirects (liés à l'absentéisme, aux cessations d'activité et aux décès prématurés), constituent une évaluation a minima. Les coûts réels du stress sont vraisemblablement nettement supérieurs et ce, pour deux raisons :
- les chercheurs n'ont pris en compte qu'un seul facteur de stress, le « job strain » ou « situation de travail tendue » définie par la combinaison d'une forte pression subie et d'une absence d'autonomie dans la réalisation du travail. Or, le « job strain » représente moins d'un tiers des situations de travail fortement stressantes ;
- parmi les pathologies liées au stress, les auteurs n'ont retenu que celles qui font l'objet de nombreuses études : les maladies cardio-vasculaires, la dépression et certains troubles musculo-squelettiques (TMS). D'autres maladies sont donc exclues du champ de l'étude.
b) Le harcèlement et la violence au travail
Selon une étude de la Dares publiée en mai 200811(*), 17 % des salariés déclarent être l'objet d'un comportement systématiquement hostile de la part d'une ou plusieurs personnes dans leur travail. Sur les 25 000 salariés interrogés dans le cadre de cette enquête :
- 1,9 % déclarent subir, dans leur emploi actuel, des atteintes dégradantes de la part d'une ou plusieurs personnes ;
- 8,9 % déclarent être confrontés à un déni de reconnaissance de leur travail ;
- 6,5 % déclarent être concernés par des comportements méprisants.
Les femmes sont un peu plus nombreuses que les hommes à déclarer subir au moins un type de comportement hostile (18 % contre 16,8 %). En outre, les salariés les moins qualifiés sont plus exposés que les autres. En effet, 18,6 % des ouvriers non qualifiés déclarent vivre actuellement au moins un comportement hostile, contre 17,5 % pour les professions intermédiaires, et 16,4 % pour les cadres.
Par ailleurs, les salariés d'entreprises de moins de dix personnes évoquent plus rarement ce type d'agissements (14 % contre 17,7 % dans les structures de 10 à 49 salariés et 19,9 % dans celles de 50 à 199 salariés).
Selon l'étude, ces comportements hostiles surviennent surtout quand les contraintes hiérarchiques sont fortes et le rythme de travail intense. En effet, 21 % des salariés travaillant souvent plus longtemps que l'horaire prévu déclarent vivre actuellement au moins un comportement hostile. Ces comportements sont également plus fréquents quand les salariés jugent défectueuse l'organisation du travail et quand ils signalent un manque de soutien de la part de leurs collègues et de leur hiérarchie.
c) La notion nouvelle de risques psychosociaux
Par souci de prendre en compte toutes les dimensions du phénomène de la souffrance au travail, on parle aujourd'hui de « risques psychosociaux ».
Ceux-ci, d'après la définition qu'en donne le
ministère du travail, « recouvrent en
réalité des risques professionnels d'origine et de nature
variées, qui mettent en jeu l'intégrité physique et la
santé mentale des salariés et ont, par conséquent, un
impact sur le bon fonctionnement des entreprises. On les appelle
"psychosociaux" car ils sont à l'interface de l'individu : le "psycho", et de sa situation de
travail : le contact avec les autres (encadrement, collègues,
clients...), c'est-à-dire le "social" ».
Plusieurs facteurs peuvent intervenir pour donner naissance aux troubles psychosociaux : le stress au travail ; le harcèlement moral ; les incivilités, les agressions physiques ou verbales, les violences ; enfin, plus généralement le sentiment de mal-être au travail et de souffrance au travail.
Il existe deux grands modèles d'analyse des risques psychosociaux et de leur causalité.
Le premier a été élaboré par le psychologue et sociologue nord-américain Robert Karasek en 197912(*). Il repose sur un questionnaire de vingt-six questions qui évalue trois dimensions de l'environnement psychosocial au travail :
- la demande psychologique (c'est-à-dire les exigences qui pèsent sur le salarié dans l'accomplissement de ses tâches) ;
- la latitude décisionnelle ;
- le soutien social (qu'il soit professionnel ou émotionnel, de la part des supérieurs comme des collègues)13(*).
Ce modèle met l'accent sur l'organisation du travail et sur le déséquilibre entre les exigences professionnelles et l'autonomie décisionnelle, le soutien social amplifiant ou limitant les effets de ce déséquilibre. Le « job strain » est défini comme une situation où la demande psychologique est supérieure à la médiane et la latitude décisionnelle inférieure à la médiane, ce qui constitue une situation à risque pour la santé.
Le second modèle est celui développé depuis 1986 en Allemagne par Joseph Siegrist, dit modèle du déséquilibre efforts/récompense. Il considère que l'état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre les efforts qu'une personne consent dans son travail et les récompenses qu'elle en reçoit en retour.
Deux types d'efforts sont considérés : les efforts extrinsèques correspondent aux exigences psychologiques développées dans le modèle de Karasek ; les efforts intrinsèques représentent des facettes de la personnalité (besoin d'approbation, compétitivité et hostilité latente, impatience et irritabilité disproportionnées, incapacité à s'éloigner du travail). Les récompenses peuvent être de trois sortes : les gains monétaires (salaires, primes, etc.), l'estime reçue de la part des collègues et des supérieurs et le degré de contrôle sur son statut professionnel (perspectives de promotion, sécurité de l'emploi, ...)14(*). La situation des salariés concernant ces différents paramètres est évaluée par un auto-questionnaire de quarante-six questions.
d) Des indicateurs en cours d'élaboration
A la demande du ministre en charge du travail, un collège d'experts présidé par Michel Gollac a reçu pour mission, en septembre 2008, de formuler des propositions en vue d'un suivi statistique des risques psychosociaux au travail15(*).
Dans un premier temps, le collège a élaboré une série provisoire d'indicateurs immédiatement disponibles, compte tenu des sources statistiques existantes, notamment l'enquête Sumer16(*). Elle a été présentée dans un rapport intermédiaire rendu public le 9 octobre 2009. Les conclusions définitives sont attendues pour le mois de décembre 2010.
Le rapport intermédiaire a identifié six dimensions de risque à caractère psychosocial :
- les exigences du travail (quantité de travail, pression temporelle, caractère haché du travail, rythme et complexité du travail, difficultés de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle) ; 22,6 % des personnes interrogées estiment avoir une quantité de travail excessive, 30,9 % considèrent ne pas disposer du temps nécessaire pour faire leur travail et 44,8 % jugent « avoir trop de choses à faire à la fois » ;
- les exigences émotionnelles (contact avec la souffrance, tensions avec le public, obligation de cacher ses émotions, peur au travail) ; 47,4 % des personnes interrogées affirment « devoir calmer les gens » durant leur travail, 41,2 % estiment vivre des tensions avec le public et 33,6 % indiquent qu'il leur arrive d'avoir peur pendant leur travail ;
- l'autonomie, les marges de manoeuvre dans l'organisation et l'exécution du travail ; 19,7 % des actifs occupés estiment avoir très peu de liberté pour organiser leur travail et 23,6 % considèrent ne pas acquérir de compétences dans l'exercice de leurs fonctions ;
- les rapports sociaux en milieux de travail (absence de soutien social, violence au travail, manque de reconnaissance des efforts) ; 30,7 % des actifs occupés disent être souvent ou parfois « exposés à des agressions verbales, des injures, des menaces », 32,6 % jugent que leur travail n'est que parfois ou jamais reconnu à sa juste valeur ;
- les conflits de valeurs (ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité, devoir faire des choses que l'on désapprouve) ; 33,5 % des actifs occupés estiment qu'ils doivent « parfois faire dans leur travail des choses qu'ils désapprouvent » et 15,3% disent n'avoir que parfois ou jamais les moyens de faire un travail de qualité ;
- l'insécurité de l'emploi et du salaire ; 22,8 % des actifs disent travailler au moins parfois avec la peur de perdre leur emploi.
Des résultats plus détaillés présentés dans le rapport intermédiaire sont reproduits dans le tableau suivant.
La mission salue les efforts du collège d'experts, qui tente maintenant d'élaborer des indicateurs plus synthétiques. Il est en effet indispensable de mesurer de manière fiable et objective les risques psychosociaux, tant il est vrai que l'on ne combat efficacement que ce que l'on connaît.
Résultats pour l'ensemble de la population active
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* 6 www.inrs.fr
* 7 www.inrs.fr/htm/le_stress_au_travail.html#ancreMecanismes
* 8 Ensemble de signes physiologiques, associant notamment l'obésité abdominale, un taux élevé de triglycérides, une hypertension et une glycémie élevée, qui accroissent le risque de diabète de type 2, de maladies cardio-vasculaires et d'accident vasculaire cérébral.
* 9 Sources : www.risquesprofessionnels.ameli.fr/fr/AccueilDossiers/AccueilDossiers_dossier-tms_1.php ; rapport Sénat n° 90, tome 6, de Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
* 10 Audition de Stéphane Pimbert, directeur général, et Valérie Langevin, psychologue du travail, de l'INRS, mercredi 24 février 2010.
* 11 « Un salarié sur six estime être l'objet de comportements hostiles dans le cadre de son travail », direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques (Dares) du ministère chargé du travail, Premières informations - Premières synthèses, n° 22.2.
* 12 Karasek R.-A. (1979), « Job demands, job decision latitude, and mental strain : implications for job redesign », Administrative Science Quarterly, n° 24, p. 285-308.
* 13 Le questionnaire complet se trouve, accompagné d'éléments d'analyse, dans le document Premières informations - Premières Synthèses, Dares, n° 22.1, mai 2008.
* 14 Cf. « Les conditions de travail : le stress dans les organisations », CREG 2007-2008.
* 15 Ce collège comprend des économistes, des ergonomes, des épidémiologistes, un chercheur en gestion, des chercheurs en médecine du travail, des psychologues et psychiatres, des sociologues et des statisticiens.
* 16 L'enquête Surveillance médicale des risques (Sumer), copilotée par la Dares et la DGT, décrit les contraintes organisationnelles et les expositions professionnelles de type physique, biologique et chimique auxquelles sont soumis les salariés.