2. Renouveler l'approche du management
Les managers ont un rôle important à jouer pour améliorer le bien-être des salariés qu'ils ont la responsabilité d'encadrer. Souligner leur responsabilité ne doit pas conduire cependant à les stigmatiser ; ils peuvent eux-aussi être concernés par la souffrance au travail, celle-ci étant souvent à la hauteur de leur implication dans la vie de l'entreprise. C'est plutôt l'insuffisance ou l'inadaptation de leur formation qui doit être mise en cause.
a) Revoir la formation des managers
Plusieurs rapports ont déjà mis en évidence l'inadéquation de la formation reçue par un trop grand nombre de personnels d'encadrement. La mission partage ce constat, souvent confirmé lors de ses auditions, et reprend à son compte plusieurs propositions avancées pour y remédier.
Deux griefs peuvent être plus précisément formulés :
- les managers sont insuffisamment formés à la gestion d'équipes : Henri Lachmann, Muriel Pénicaud et Christian Larose écrivent dans leur rapport que « la formation au management proposée dans les écoles de commerce et d'ingénieurs, ainsi que dans les cursus universitaires, n'est pas une formation à la conduite des équipes. D'après une étude réalisée par la commission des titres d'ingénieurs, 65 % des ingénieurs interrogés estiment que leur formation initiale ne les a pas préparés à « s'intégrer dans une organisation, à l'animer et à la faire évoluer ». Seuls 15 % s'estiment sensibilisés par leurs études aux « relations sociales » 81 ( * ) ;
- les managers ne disposent pas toujours du « socle minimum de compétences » requis « pour permettre la prise en compte de la relation travail-santé en situation de management », comme l'indique le professeur William Dab 82 ( * ) . Sans être eux-mêmes des experts en santé au travail, les managers ont besoin de connaître les notions de base et le vocabulaire de la santé au travail.
Pour remédier à ces difficultés, un module intégrant formation au management d'équipe et sensibilisation à la santé et à la sécurité au travail devrait être intégré systématiquement dans le cursus des écoles de commerce et d'ingénieurs, dans les formations universitaires en gestion, ainsi que dans le programme des écoles d'application de la fonction publique (Ena, Inet, EN3S, etc.). Les salariés qui sont promus à une fonction d'encadrement devraient également bénéficier de cet enseignement au titre de la formation continue.
Dans cette perspective, le ministre du travail a lancé, le 16 septembre 2009, le réseau francophone de formation en santé au travail (RFSST), dont l'ambition est de donner à près de cinq millions de cadres, une formation minimale dans le domaine de la santé au travail .
Le réseau francophone de formation en
santé au travail
Ce nouveau réseau s'inspire directement de l'une des recommandations du rapport du professeur William Dab. Celui-ci a montré que si notre pays dispose d'un grand nombre de compétences en santé au travail (organismes publics, organisations professionnelles, centres de formation, entreprises...), celles-ci sont dispersées et rien ne les rassemble autour de productions pédagogiques. Il existe cependant un accord général pour prôner une mutualisation des efforts afin de mieux tirer partie des compétences disponibles. Créé par les directions générales du travail (DGT), de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle, le RFFST s'inscrit dans la continuité des deux conférences sur les conditions de travail de 2007 et de 2008 au cours desquelles les partenaires sociaux ont demandé de façon consensuelle que les ingénieurs et managers soient mieux formés à la santé au travail. Avec le deuxième plan Santé au travail, il participe de la modernisation du système de santé au travail. Le réseau vise à fédérer les compétences de plusieurs organismes publics, organisations professionnelles, centres de formation et entreprises . Sa mission consiste à clarifier leurs responsabilités et à coordonner leurs initiatives. Le conservatoire national des arts et métiers, en lien avec la direction des risques professionnels de la caisse nationale d'assurance maladie et l'INRS, est chargé d'animer ce réseau au niveau national mais aussi dans les pays francophones. Lors de la présentation du réseau, Xavier Darcos a précisé que celui-ci devra « élaborer, actualiser et mettre en oeuvre un référentiel de compétences en santé au travail » afin que les personnes chargées de l'encadrement puissent « connaître les notions de base et maîtriser un minimum d'outils » . Ce référentiel aura vocation à être diffusé nationalement auprès des entreprises, des écoles et organismes de formation. Mais, plus largement, il devra être porté dans les pays francophones et au niveau européen, afin de « définir un espace commun de formation en santé au travail » . Le RFSST a commencé son activité en septembre dernier. Ses principes d'organisation ont été posés ; des groupes de travail thématiques ont été créés ; des actions de communication ont été lancées et des outils ont été mis en place ; les premiers résultats , après quelques mois d'existence, sont quantifiables et figurent dans le rapport d'activité 2009 du réseau. Il apparaît tout d'abord que le réseau réussit à « recruter » de plus en plus d'écoles de management, de centres de formation, de préventeurs indépendants, prêts à participer aux travaux dans un esprit de mutualisation de l'information. Cette tendance devrait se confirmer dans les prochains mois car il existe une véritable attente des entreprises vis-à-vis des futurs cadres sur le thème de la santé au travail. Plusieurs groupes de travail sont déjà actifs , parmi lesquels « acteurs et santé au travail », « indicateurs en santé au travail », « principes généraux et notions de base de la prévention », « risque routier en entreprise », etc. D'autres sont en cours de constitution comme les groupes « observation de la santé au travail », « prévention du risque chimique », « évaluation des risques psychosociaux dans les petites entreprises », etc. Pour l'année 2010, le réseau s'est fixé comme objectif de poursuivre son développement , c'est-à-dire de : - passer de soixante membres actifs à plus de cent (il s'agit ici de personnes physiques qui s'inscrivent à un ou plusieurs groupes de travail) ; - rendre opérationnels les dix groupes de travail actuellement en cours de constitution et créer cinq groupes supplémentaires d'ici la fin de l'année ; - produire plusieurs outils pédagogiques par groupe de travail ; - communiquer davantage sur les travaux du réseau via la création d'un site Internet d'ici la fin de l'année et le passage à une périodicité bimestrielle de la revue « Les échos du réseau » ;
- continuer à prendre des contacts dans les
différents pays francophones, l'objectif étant d'avoir au moins
un membre dans chacun des pays suivants : Belgique, Suisse, Québec
et Liban.
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La mission souhaite également insister sur la nécessité de donner aux futurs cadres une formation diversifiée , intégrant des enseignements en sciences humaines ou en philosophie par exemple. Elle observe avec satisfaction que cette idée semble de plus en plus largement partagée : un groupe de travail sur la formation des managers, constitué par l'Institut de l'entreprise, le Cercle de l'entreprise et du management et la Fondation nationale pour l'enseignement et la gestion des entreprises, vient de rendre publique une étude 83 ( * ) qui préconise de « promouvoir la culture générale dans les enseignements », au motif qu'elle « remet en perspective des vérités qui sont présentées comme fermement établies et permet au cadre de mieux comprendre son environnement (social, économique, géographique, culturel, etc. ) en le resituant dans sa complexité ».
L'enseignement du management lui-même doit refléter les différentes approches existant dans cette discipline et tenir compte de la diversité des contextes culturels.
Au sein du groupe HEC existe une filière dénommée « Altermanagement », qui se livre à un examen critique des principaux modèles managériaux, ce qui montre que cette préoccupation est prise en compte. En même temps, la majorité des enseignants sont désormais de nationalité étrangère, la plupart anglophones. Cette politique de recrutement s'explique par la volonté de l'école de faire partie des meilleurs groupes de formation dans le monde, ce qui suppose que ses professeurs publient dans les revues universitaires de référence, pour la plupart américaines. Elle vise aussi à donner aux étudiants une formation qui les prépare à une carrière internationale.
Si la mission est convaincue de l'enrichissement que peuvent retirer les étudiants de cette ouverture internationale, elle met en garde contre le risque d'uniformisation dans l'approche du management qu'une influence excessive des méthodes en vigueur dans les pays anglo-saxons pourrait entraîner. Une méthode managériale efficace dans un contexte culturel donné peut se révéler moins performante, voire contreproductive, lorsqu'elle est appliquée dans une autre société. Un manque de sensibilité de l'élite des managers français à cette donnée culturelle pourrait créer un décalage entre les directions d'entreprise et leurs équipes.
* 81 Rapport précité, p. 11.
* 82 Rapport du professeur William Dab sur la formation des managers et ingénieurs en santé au travail, mai 2008.
* 83 Repenser la formation des managers, juin 2010.