Table ronde avec des représentants
des professions agricoles
(mercredi 5 mai 2010)

Réunie le mercredi 5 mai 2010, sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy, président, la mission d'information a tenu une table ronde consacrée aux professions agricoles .

Elle a entendu Jean-Bernard Bayard, membre du bureau , Aude Fernandez, chargée de mission, de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Jean-Pierre Grillet, médecin-chef de l'échelon national de santé au travail de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), et Emmanuel Paris, directeur des affaires sociales de Coop de France, membre de la confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (CNMCCA).

Jean-Bernard Bayard, membre du bureau de la FNSEA , a souligné que le mal-être des agriculteurs, qui peut parfois conduire au suicide, est un sujet difficile à appréhender. Le monde agricole manque de visibilité sur son avenir à moyen terme, notamment en raison de la volatilité des prix agricoles, ce qui est une source de stress. La mise en oeuvre de la politique agricole commune (Pac) s'accompagne de nombreux contrôles et formalités administratives qui préoccupent les agriculteurs, dans la mesure où ils vivent dans la crainte que leurs ressources diminuent parce qu'ils n'auraient pas correctement rempli tel ou tel document.

Certains exploitants, les éleveurs en particulier, subissent des contraintes fortes au quotidien : ils ont peu de temps libre, ce qui est difficile à vivre dans la société actuelle. Il n'est pas facile pour un agriculteur de changer d'activité, pour des raisons économiques bien sûr, mais aussi en raison du poids des traditions : celui qui quitte l'agriculture sera perçu en situation d'échec et se sentira coupable vis-à-vis de sa famille.

Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si la reconversion professionnelle des agriculteurs est difficile.

Jean-Bernard Bayard, FNSEA, a répondu que les agriculteurs peuvent s'appuyer sur plusieurs dispositifs pour les aider dans leur reconversion. Mais ceux qui font ce choix ont généralement pris leur distance, auparavant, avec leur métier et leur famille.

Emmanuel Paris, directeur des affaires sociales de Coop de France, membre de la CNMCCA , a indiqué que l'organisation en coopérative présente plusieurs avantages pour les salariés :

- les agriculteurs qui sont adhérents de la coopérative sont aussi ceux qui utilisent ses services ; les salariés de la coopérative savent donc pour qui ils travaillent et ont plus de visibilité concernant leur activité ;

- les coopératives sont ancrées dans les territoires et insérées dans le tissu économique local ; elles contribuent au maintien de bassins d'emplois dynamiques en milieu rural ;

- les coopératives privilégient les projets à long terme sur la rentabilité à court terme.

La coopérative Terrena, qui emploie plus de 11 000 salariés, a récemment signé un accord de méthode sur la prévention des risques psychosociaux, qui s'appuie sur les valeurs coopératives.

Jean-Pierre Grillet, médecin-chef de l'échelon national de santé au travail de la CCMSA, a souligné la complexité du problème du suicide des agriculteurs. Pour mieux comprendre les causes des suicides commis sur le lieu de travail, Philippe Nasse et Patrick Lègeron avaient d'ailleurs proposé, dans leur rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux, de procéder à des « autopsies psychologiques ».

Les données statistiques disponibles, qui sont relativement anciennes, montrent que l'on compte environ quatre cents suicides d'agriculteurs chaque année. Le célibat, l'isolement, la précarité favorisent le passage à l'acte. La dernière étude publiée par l'institut de veille sanitaire (InVS) porte sur des données couvrant la période 1986-1999. Si l'on prend comme référence la population des cadres, le taux de suicide dans le secteur agricole (salariés et non salariés) est multiplié par 1,6 pour les hommes et par 1,9 pour les femmes. Si l'on considère les seuls exploitants agricoles, le risque est respectivement multiplié par 3,1 et 2,2. Toutefois, l'espérance de vie des agriculteurs à l'âge de trente-cinq ans est proche de celle des cadres : ils sont en effet moins concernés que la moyenne de la population par les cancers ou les accidents cardio-vasculaires, en raison notamment d'un moindre tabagisme.

Comme cela été indiqué, la tradition pèse lourd dans le monde agricole, ce qui explique que l'abandon de la terre que l'on a hérité de sa famille soit vécu comme un grave échec personnel.

Depuis 2002, la MSA est chargée de la prévention des risques professionnels chez les exploitants agricoles. Elle a mené une enquête auprès d'eux pour évaluer leurs besoins : il en ressort que les tracasseries administratives sont vécues comme une difficulté majeure. Les salariés agricoles, de leur côté, connaissent des situations différentes selon qu'ils sont employés dans une exploitation ou par une coopérative, qu'ils travaillent dans le tertiaire (Groupama et le Crédit agricole relèvent de la protection sociale agricole), ou qu'ils sont saisonniers. Entre 500 000 et 600 000 personnes travaillent dans l'agriculture en tant que saisonniers chaque année et ils vivent généralement dans un état de plus grande précarité que les salariés permanents, avec un moindre accès aux soins.

Gérard Dériot , rapporteur , a demandé si le fait d'exercer seul son activité sur une exploitation est un facteur aggravant du mal-être au travail.

Jean-Bernard Bayard, FNSEA , a estimé que le fait d'être seul est effectivement une source de difficultés. Cependant, les agriculteurs sont moins isolés dans leur activité qu'ils ne l'étaient autrefois ; ils travaillent de plus en plus dans le cadre de coopératives d'utilisation de matériel agricole et sont accompagnés par des techniciens ou par des conseillers de gestion.

Emmanuel Paris, Coop de France , a ajouté que les coopératives renforcent les liens entre leurs adhérents. Elles contribuent également à la valorisation des produits agricoles et au maintien de relations de proximité.

Françoise Henneron s'est interrogée sur la manière dont les agriculteurs peuvent se reconvertir dans d'autres activités. Elle a ensuite souhaité savoir si le suicide des femmes dans le milieu agricole concerne plutôt celles qui travaillent avec leur conjoint sur l'exploitation ou celles qui ont une vie professionnelle à l'extérieur.

Jean-Bernard Bayard, FNSEA , a considéré que deux schémas s'offrent aux agriculteurs qui souhaitent se reconvertir : la diversification liée à l'activité agricole (vente de produits à la ferme, tourisme rural...) ou la pluriactivité. Les agriculteurs qui souhaitent quitter le métier ont souvent peu de difficulté pour retrouver un emploi, dans la mesure où les chefs d'entreprise connaissent leur attachement au travail.

Sur la question du suicide des femmes, Jean-Pierre Grillet, CCMSA , a répondu que les données disponibles sont trop lacunaires pour permettre de répondre à cette question. Il faudrait pouvoir croiser les données relatives à la cause du décès avec celles relatives à la catégorie socioprofessionnelle de la personne décédée.

L'isolement aggrave le risque de passage à l'acte ; à défaut d'isolement physique, il peut d'ailleurs exister un isolement moral : beaucoup d'agriculteurs ne parlent pas de leurs problèmes à leurs proches car il n'est pas de tradition, en milieu rural, d'exprimer sa souffrance.

Annie David a fait observer que, dans tous les milieux sociaux, beaucoup de cas de suicide ne sont précédés d'aucun signe précurseur. Puis elle a indiqué que le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui va bientôt être discuté au Sénat, propose d'adopter une politique de contractualisation pour remédier au problème de la volatilité des cours. Cette politique ne va-t-elle pas placer les agriculteurs dans une position difficile s'ils signent un contrat avec une grande surface, par exemple, du fait de l'inégalité des forces en présence ? Elle a ensuite demandé si certaines catégories d'exploitation sont plus touchées que d'autres par les problèmes de mal-être au travail. Elle s'est interrogée sur l'impact que peut avoir le regard de la société sur les agriculteurs, dont le métier n'est peut-être pas toujours suffisamment considéré. L'arrivée de citadins en milieu rural n'est-il pas un facteur supplémentaire de tensions et d'incompréhensions ? Enfin, les « autopsies psychologiques » qui ont été évoquées sont-elles couramment pratiquées pour déterminer les causes d'un suicide ?

Jacqueline Alquier a souligné que les agriculteurs sont aujourd'hui de véritables chefs d'entreprise, de plus en plus diplômés, et qu'ils sont souvent mariés à des personnes qui ne travaillent pas dans le monde agricole. Ils ne peuvent donc éviter de comparer leurs conditions de vie à celles d'autres catégories professionnelles.

Annie Jarraud-Vergnolle a expliqué que, dans le département des Pyrénées-Atlantiques dont elle est l'élue, la MSA et les chambres d'agriculture effectuent un important travail de prévention et d'aide à la reconversion. La production s'est réorientée vers l'agriculture biologique, les exploitants se sont engagés dans une démarche de labellisation, la vente directe aux consommateurs s'est développée.

Jean-Bernard Bayard, FNSEA , a précisé que 70 % des agriculteurs ont un revenu inférieur au Smic. Il a ensuite considéré que la contractualisation peut constituer une stratégie adaptée s'il existe une relation de confiance entre les acteurs, ce qui n'exclut pas le développement de circuits courts, orientés vers la satisfaction des besoins de la population locale.

En ce qui concerne le regard de la société, les paysans se sentent parfois culpabilisés : on leur reproche d'exercer une activité polluante, de toucher des primes, de faire du bruit, alors que les citadins qui viennent à la campagne recherchent le calme. Or les agriculteurs se sont adaptés au progrès technique et ont eu recours aux modes de production qui étaient recommandés à chaque époque. Ils n'apprécient donc pas d'être critiqués aujourd'hui par une partie de la presse et de l'opinion.

Jean-Pierre Grillet, CCMSA , a indiqué que les « autopsies psychologiques » ont été proposées mais n'ont jamais été vraiment appliquées, en raison de leur caractère très intrusif dans la vie des familles. Il a ajouté que les agriculteurs supportent mal le procès qui leur est fait concernant les produits phytosanitaires, au point que certains en arrivent à moins se protéger lorsqu'ils les utilisent, comme s'ils voulaient ainsi démontrer leur innocuité. En matière de prévention, des groupes de parole, des cellules d'écoute, des réunions de sensibilisation ont été mis en place

Jean-Pierre Godefroy, président , a souhaité savoir s'il existe des données statistiques sur le célibat chez les agriculteurs.

Jean-Pierre Grillet, CCMSA , a répondu que le pourcentage de célibataires chez les agriculteurs est supérieur à la moyenne nationale.

Jean Desessard s'est indigné que l'on présente le débat, légitime, sur l'utilisation des pesticides comme une cause de mal-être chez les agriculteurs. Le taux élevé de malformations constaté chez les nouveau-nés en milieu rural n'est-il pas un motif de préoccupation plus important ?

Jean-Pierre Grillet, CCMSA , a répondu que personne ne conteste la dangerosité des produits phytosanitaires et que sa remarque visait simplement à répondre à une question plus générale sur le regard que porte la société sur ses paysans. Concernant les malformations chez les enfants, des informations ont effectivement été publiées sur ce sujet dans la presse mais une étude conduite par l'InVS a montré qu'il n'était pas possible d'aboutir à des conclusions définitives, le nombre de cas répertorié n'étant pas statistiquement significatif.

Jean-Bernard Bayard, FNSEA , a ajouté que les biocides contenus dans les produits d'entretien ménagers sont des pesticides au même titre que les produits phytosanitaires et qu'il conviendrait donc d'avoir une réflexion globale sur l'utilisation de toutes ces substances.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page