(2) Les propositions de votre mission pour une approche raisonnée du risque de submersion marine

La décision d'élaborer une cartographie nationale des zones dangereuses -qui répond, sur le fond, à la volonté de la mission de voir les zones exposées à un danger mortel être déclarées inhabitables- appelle des remarques diverses.

Votre mission estime d'abord que la mise en place d'une cartographie nationale recensant l'ensemble des zones « à risque » ne doit pas faire oublier les spécificités du risque de submersion marine. Elle appelle donc le Gouvernement à distinguer nettement, sur la cartographie nationale, les différents types de risques auxquels chaque zone est exposée , et à prendre des mesures adaptées aux caractéristiques de chacun d'entre eux. À cet égard, il conviendra notamment de différencier les risques à occurrence brutale (submersion marine, coulées de boue, effondrements, etc.) des risques dont la réalisation est progressive (crue fluviale, etc.).

Proposition n° 9 de la mission :

Distinguer, au sein de la future cartographie nationale des zones dangereuses, les différents types de risques naturels auxquels ces zones sont exposées.

Ensuite, votre mission s'interroge ensuite sur le lien entre la future cartographie nationale et la création des « zones d'acquisition amiable » . Les zones délimitées par la cartographie nationale ont-elles vocation à être déclarées inconstructibles, ou inhabitables ? En d'autres termes, les habitations qui y sont déjà implantées devront-elles être détruites , ou sera-t-il seulement impossible d'y édifier de nouvelles maisons ?

En tout état de cause, le discours doit être clair, en particulier vis à vis des populations résidant dans des zones ayant déjà connu des catastrophes naturelles graves.

Comment la cartographie sera-t-elle élaborée ? Il s'agit ici de garantir que les erreurs du passé ne seront pas répétées et que la délimitation des « zones d'extrême danger » se fera en concertation avec les élus locaux et les populations , sous peine de voir la cartographie provoquer les mêmes incompréhensions et le même sentiment d'injustice et d'autoritarisme que les « zones noires ».

Proposition n° 10 de la mission :

Clarifier le statut des futures « zones d'extrême danger », afin de déterminer si elles seront inhabitables ou inconstructibles -et, le cas échéant, sous quels critères- et les délimiter en concertation avec les élus locaux et les habitants.

Enfin, votre mission engage le Gouvernement à tenir compte , dans l'élaboration de la cartographie des zones « à risque », de l'existence d'ouvrages de protection naturels et artificiels.

La mission interministérielle diligentée pour tirer les leçons de la tempête Xynthia a souligné que les digues étaient non seulement des ouvrages de protection, mais aussi des « facteurs de risque ». En lien avec ce constat, elle a estimé nécessaire de s'inspirer d'une législation de 1858, selon laquelle « dans les vallées protégées par des digues, sont considérées comme submersibles les surfaces qui seraient atteintes par les eaux si les levées venaient à être rompues ou supprimées », pour délimiter les « zones de danger » des PPRN.

Ce « principe de la transparence des digues » implique de sanctuariser toutes les zones qui seraient submergées par la mer en l'absence de digue.

Votre mission est en profond désaccord avec cette préconisation et ce, pour plusieurs raisons :

- elle est en contradiction avec les critères utilisés pour délimiter les « zones noires » , qui promouvaient à l'inverse une vision nuancée du rôle des digues : celles-ci étaient, à juste titre, vues comme des facteurs de risque pour les habitations situées à moins de 100 mètres d'elles, et comme des facteurs de protection au-delà de cette limite ;

- elle n'est pas conforme à la directive communautaire qui prescrit une évaluation en tenant compte des risques mais aussi des mesures prises pour les diminuer ;

- elle ignore les expériences acquises aux Pays Bas ou dans les pays exposés encore plus fortement que la France à un risque inondation ;

- si elle était poussée à son terme, cette logique ferait de la quasi-intégralité du territoire français une « zone dangereuse » . Sur ce terrain, votre mission se range à certains des propos tenus, devant elle, par M. François Ewald, professeur titulaire de la chaire d'assurances au conservatoire national des arts et métiers, qui soulignait que « s'il fallait se retirer de tous les endroits dangereux, le territoire français serait désertique » et qui estimait que « ce n'est pas parce qu'un territoire est inondable qu'il doit par principe être inhabitable ». Comme lui, votre mission appelle donc l'État à éviter de s'engager dans une la « surenchère publique » qui ne pourrait conduire, à terme, qu'à une politique de « tout ou rien ».

Au cours de son audition, M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a d'ailleurs indiqué que l'aménagement des zones sensibles devait tenir compte d'une part des digues existantes, à restaurer si nécessaires et d'autre part des digues mal entretenues, équivalant à une absence de digue. Il a ajouté que le principe dit « de transparence des digues » n'était pas acceptable, et a fait valoir que ce principe conduirait les Pays-Bas à devoir renoncer aux deux tiers de leur territoire .

Votre mission estime que le rôle des digues doit être évalué au cas par cas . Il existe des digues qui sont des « facteurs de risque » ou des facteurs de protection insuffisante (comme dans les « cuvettes » ou les lieux à topographie similaire). Il en existe d'autres qui permettent une limitation effective et satisfaisante du risque.

Dans ce dernier cas, les zones concernées ne doivent pas être déclarées inhabitables ou inconstructibles, mais elles doivent faire l'objet de protection adaptées. Les propositions de la mission visant à prévoir des aménagements individuels proportionnés à l'intensité et à la nature du risque pourraient être retenues utilement.

En outre, votre mission rappelle que la vision d'un risque zéro est purement illusoire et contraire à une véritable culture du risque, qui nécessite une évaluation collective de la probabilité, des mesures à prendre et des financements à engager.

Propositions n° 11 de la mission :

Ne pas soumettre les zones dangereuses à des règles homogènes, mais les évaluer au cas par cas afin de déterminer laquelle des trois solutions suivantes doit être privilégiée :

- déclaration d'inhabitabilité, accompagnée de propositions d'acquisitions amiables, puis si nécessaire d'une expropriation pour risque naturel majeur ;

- déclaration d'inconstructibilité avec maintien des habitations existantes compatibles avec les dispositifs de prévention ou de protection existants ou à améliorer ;

- maintien de la constructibilité sous réserve de prescriptions adaptées à la nature et au niveau de risque.

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