N° 45

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 octobre 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d' administration des entreprises ,

Par Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Michèle André, présidente ; Mme Jacqueline Panis, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz, M. Yannick Bodin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Odette Terrade, Françoise Laborde, vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Brigitte Bout, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Catherine Dumas, Bernadette Dupont, Gisèle Gautier, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Bariza Khiari, Françoise Laurent-Perrigot, Claudine Lepage, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Catherine Procaccia, Mireille Schurch, Catherine Troendle, M. Richard Yung.

« La femme sera vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente »

Françoise Giroud

« Lorsqu'un peuple est incapable de s'appliquer à lui-même les règles que la décence ou le bon sens devraient lui imposer, il faut alors que
le législateur le fasse à sa place »

Albert Camus

Mesdames, Messieurs,

À l'heure où les inégalités persistantes de traitement entre les hommes et les femmes dans l'entreprise sont particulièrement mises en lumière, notamment à l'occasion du débat sur la réforme des retraites, la question de la place des femmes dans les instances stratégiques de direction de l'entreprise prend une acuité particulière.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes s'intéresse depuis longtemps à cette question : un déplacement en Norvège, en mai 2009, et en Espagne, en octobre de la même année, ont permis d'étudier la politique conduite par ces pays particulièrement précurseurs en Europe, en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Votre rapporteur a, par ailleurs, accompagné Mme la ministre de la famille en Suède en octobre 2009 pour un déplacement consacré à ce sujet, puis participé à une conférence à Washington le 16 septembre 2010 à l'Université Johns Hopkins, consacrée au thème : « En finir avec les inégalités de genre : perspectives mondiales pour les femmes dans les conseils d'administration ».

La proposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance 1 ( * ) , déposée au Sénat le 16 février et cosignée notamment par Mme Michèle André (Puy-de-Dôme, Soc), présidente de notre délégation, est, par conséquent, l'aboutissement d'une démarche engagée depuis plusieurs années.

Rejoignant les objectifs de la proposition de loi 2 ( * ) cosignée par M. Jean-François Copé (Seine-et-Marne, UMP) et Mme Marie-Jo Zimmermann (Moselle - UMP) adoptée à l'Assemblée nationale le 20 janvier 2010 3 ( * ) , elle vise à favoriser l'entrée des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises du secteur privé et public, afin qu'elles représentent 40 % des membres de ces conseils dans six ans.

Il a semblé cohérent à votre rapporteur, après les débats ayant eu lieu à l'Assemblée nationale et la série d'auditions programmée à l'initiative de la commission des lois, saisie au fond de l'examen des deux propositions de loi, d'adopter une méthodologie consistant à confronter les points de vue déjà exprimés, plutôt que d'engager un nouveau cycle d'auditions avec les mêmes personnes que celles précédemment entendues.

Réunie au Sénat par votre rapporteur le 13 septembre 2010, une table-ronde composée d'experts, institutionnels, juristes, chefs d'entreprises et responsables associatifs a donc été invitée à débattre des points clés du dispositif.

Tous en sont convenus : à compétence et à investissement égal, l'accès aux sphères supérieures du pouvoir de l'entreprise reste, encore, réservé aux hommes.

Ainsi, les femmes constituent en France 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux des entreprises, 18,2 % des ingénieurs et cadres techniques, et seulement 10 % des membres des conseils d'administration (15,3 % depuis la récente augmentation dans les entreprises du MEDEF).

C'est pour remédier à ce regrettable gâchis de talents et de compétences que votre rapporteur considère qu'il est aujourd'hui urgent de légiférer.

Le 13 septembre 2010, les experts réunis par votre rapporteur ont été interrogés sur les quatre points clés suivants :

ü le périmètre d'application de l'objectif de 40 % ;

ü le choix des sanctions ;

ü l'opportunité de limiter le cumul des mandats ;

ü les modalités d'évaluation de la loi.

Il leur a été demandé de privilégier une approche pragmatique et comparative, votre rapporteur souhaitant harmoniser les dispositions françaises avec les législations en vigueur dans d'autres pays européens et s'inspirer des dispositifs étrangers en la matière.

Ces débats ont contribué à la réflexion de votre délégation, dont les recommandations seront guidées par le double principe de l'efficacité et du réalisme.


Les vidéos de cette table ronde sont consultables sur le site Internet

http://videos.senat.fr/video/videos/2010/video5747.html

La liste des intervenants et le programme figurent en annexe
du présent rapport

I. ENJEU DE JUSTICE SOCIALE, LA MIXITÉ DES INSTANCES DE DIRECTION DES ENTREPRISES EST AUSSI UN FACTEUR DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Votre rapporteur considère qu'il est essentiel de s'interroger sur les effets probables de l'arrivée de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises.

Alors que Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, a estimé que l'objectif essentiel de la future loi devait être l'amélioration des conditions de travail des femmes dans l'ensemble du secteur économique, M. Guy Le Péchon, expert indépendant, a plutôt insisté sur l'amélioration des performances financières attendues.

Votre rapporteur estime que l'arrivée de femmes dans les instances de pouvoir devrait, par delà l'amélioration de la diffusion des bonnes pratiques en faveur des femmes et de l'ensemble des salariés de l'entreprise, être un facteur de croissance économique pour l'entreprise.

Les études très documentées et basées sur des données objectives, conduites notamment par le cabinet Mc Kinsey 4 ( * ) et dont les résultats ont été diffusés lors de la conférence à Washington à laquelle votre rapporteur assistait, ont confirmé le lien entre le nombre de femmes aux commandes et l'amélioration des performances économiques de l'entreprise considérée.

A. LES RÉCENTES NOMINATIONS D'ADMINISTRATRICES DANS LES ENTREPRISES DU CAC 40 NE SONT PAS REPRÉSENTATIVES DU RESTE DE L'ÉCONOMIE

Depuis l'adoption de la proposition de loi de M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo Zimmermann, le 20 janvier 2010 à l'Assemblée nationale, et l'annonce de l'examen commun à l'automne de la proposition de loi sénatoriale visant le même objectif de 40 % de femmes dans les conseils d'administration d'ici 6 ans, les organisations patronales ont cherché à anticiper les effets de la future loi.

Comme l'a rappelé Mme Marie-Ange Debon, présidente de la commission « Droit de l'entreprise » du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), lors de la table ronde, « le Parlement a déjà fait évoluer les lignes, par les débats lancés depuis un an » .

1. Les initiatives parlementaires ont eu un effet d'entraînement sur les entreprises du CAC 40.

Le 19 avril 2010, l'Association française des entreprises privées (AFEP) et le MEDEF introduisaient dans leur code de gouvernance une recommandation visant à renforcer la présence des femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises 5 ( * ) .

S'inspirant du dispositif des deux propositions de loi examinées, ces recommandations préconisent :

• d'atteindre et de maintenir 20 % de femmes d'ici trois ans, puis 40 % dans un délai de six ans ;

• de remplacer par une femme un administrateur en fin de mandat ou, lorsque les conseils ne comptent aucune femme parmi les administrateurs, de désigner un nouvel administrateur femme au plus tard à l'occasion de la deuxième assemblée à partir de la publication de la recommandation.

Les renouvellements récents des conseils d'administration des entreprises du CAC 40 ont permis de mettre immédiatement en oeuvre ces préconisations.

D'après les informations fournies par Mme Marie-Ange Debon
(MEDEF), le 13 septembre 2010, le nombre de femmes dans les conseils d'administration a augmenté de 50 % entre avril et septembre 2010.

Elles représentent aujourd'hui 15,3 % des administrateurs des sociétés du CAC 40.

Évolution du nombre de femmes dans les conseils d'administration du CAC 40

2006

2007

2008

2009

Septembre 2010

% de femmes

8 %

8,5 %

10,2 %

10,5 %

15,3 %

Nombre de femmes

44

52

57

58

91

Source : Cabinet La Garanderie et associés

Cette augmentation volontaire confirme l'existence d'un « vivier » de femmes compétentes et disponibles, et crédibilise l'objectif chiffré de 600 femmes 6 ( * ) (1 000 selon le MEDEF), susceptibles d'être recrutées dans les six prochaines années dans les instances de direction pour répondre à l'objectif fixé par les deux textes en examen.

Comme le montre le schéma ci-dessous, malgré une légère amélioration en 4 ans, seulement une femme sur dix siégeait dans un conseil d'administration du CAC 40 en 2009.

Entre juin et septembre 2010, 33 femmes 7 ( * ) de plus ont accédé à des postes d'administrateurs dans les sociétés cotées.

Cependant, cette nette amélioration ne doit pas cacher la stagnation du nombre de femmes administratrices dans les autres entreprises de l'économie.

Le 13 septembre 2010, un cabinet de conseil 8 ( * ) spécialisé dans le diagnostic du fonctionnement et de la composition des conseils d'administration et de surveillance a présenté une étude réalisée auprès de 513 sociétés cotées sur Euronext Paris, suivies en 2007, 2008 et 2009.

L'étude a confirmé la nette augmentation de la présence des femmes dans les conseils d'administration des entreprises du CAC 40, et mis en lumière la stagnation, voire le recul de la place des femmes dans le reste des entreprises visées, comme le montre le tableau reproduit ci-après.

Pourcentage de femmes administrateurs en 2010
sur le nombre total d'administrateurs

Nombre administrateurs

% de femmes (environ)

Femmes

Hommes+Femmes

CAC 40

89

564

16

A (large capitalisation)

85

952

9

B (moyenne capitalisation)

103

1 075

10

C (petite capitalisation)

180

1 445

12

Totaux et moyenne

457

4 036

11

Source : Cabinet Gouvernance & Structures

Les petites et moyennes entreprises du panel étudié sont celles qui présentent la plus mauvaise évolution.

Les entreprises du compartiment C du panel étudié étaient plus avancées en 2008 (environ 14 %) mais régressent en 2009 (environ 12 %).

Par ailleurs, d'après les rapports annuels à fin 2009, encore près de la moitié des entreprises des compartiments B et C n'ont aucune femme dans leur conseil.

Enfin, il convient de souligner que, globalement les femmes sont clairement plus présentes, tous niveaux confondus, dans les secteurs des services (par exemple : médias, santé, tourisme) que dans les secteurs industriels (par exemple : chimie, automobile, exploitation minière), comme le montre le tableau suivant :

Secteur

Pourcentage de femmes employées

Pourcentage de femmes au Conseil d'administration

Pourcentage de femmes PDG

Source : European PWN Board Women Monitor


* 1 Proposition de loi n° 291, enregistrée à la présidence du Sénat le 16 février 2010.

* 2 Proposition de loi n° 2140 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 décembre dernier.

* 3 Texte adopté n° 223 (2009-2010) transmis au Sénat le 21 janvier 2010.

* 4 «Women leaders, a competitive edge in and after the crisis. Results of a global survey of almost 800 business leaders conducted by McKinsey & Company in September 2009»

* 5 Voir la recommandation « Renforcement de la présence des femmes dans les conseils. Recommandation AFEP-MEDEF » du 19 avril 2010.

* 6 Selon les chiffres transmis par le Cabinet Gouvernance & Structures.

* 7 Selon les informations fournies par le MEDEF, à la suite de la table ronde du 13 septembre 2010.

* 8 Le Cabinet Gouvernance & Structures.

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