2. La sophistication de l'approche classique peut expliquer une déformation plus durable de la valeur ajoutée mais en prévoit la réversibilité
Apparemment, l'instabilité du partage de la valeur ajoutée observée en France infirme les prévisions de la théorie classique. Toutefois, la montée du chômage à la suite de la hausse de la part salariale des années 70 et la substitution du capital au travail peuvent être réconciliés avec cette théorie quand on insiste sur les effets d'une insuffisante flexibilité des salaires. Autrement dit, si ceux-ci avaient été plus flexibles, la hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée des années 70 n'aurait pas eu lieu.
C'est pour résoudre ce paradoxe que la théorie classique pure a été complétée par la considération des effets plus structurels que peut avoir la rigidité des salaires. Ainsi, la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée qui a succédé à l'épisode de hausse ci-dessus mentionné ne témoignerait pas seulement d'une flexibilité retardée des salaires (qui seraient revenus à leur niveau naturel) mais aussi d'un changement plus durable de la combinaison productive marquée par une substitution du capital au travail structurelle résultant de la modification de la rémunération relative des facteurs de production. On retrouve ici le jeu des effets d'hystérèse qui suppose (v. infra) de recourir, sur le long terme, à une autre fonction de production que la « Cobb-Douglas » à l'élasticité unitaire.
Ainsi, en « l'augmentant » la théorie classique pure expliquerait l'instabilité du partage de la valeur ajoutée (malgré son présupposé initial d'une stabilité de celui-ci).
L'un des compléments de l'hypothèse de stabilité du partage de la valeur ajoutée en cas de déformation des prix relatifs des facteurs de production est le choix d'une fonction de production à élasticité unitaire de substitution entre capital et travail, comme modèle expliquant la croissance .
Or, il est possible que la substituabilité des facteurs de production ne soit pas unitaire de sorte que les prix de ces facteurs auraient des effets différents de ceux décrits pour prédire une stabilité du partage de la valeur ajoutée.
UNE AUTRE VARIABILITÉ DES FACTEURS DE PRODUCTION ? Dans des fonctions de production alternatives , l'élasticité n'est plus unitaire si bien que la diminution (hausse) du coût relatif d'un facteur n'entraîne pas une augmentation (réduction) à due proportion de la quantité de ce facteur employée dans le processus de production. La compensation des variations de prix par les volumes ne se produit pas dans ces termes. Ainsi, une évolution des prix relatifs des facteurs de production peut entraîner une modification de la part du revenu attribuée à chaque facteur de production. Avec de telles modélisations de la croissance économique, l'effet de la substitution du capital au travail (pour un niveau de production donnée) sur la répartition de la valeur ajoutée dépend de la valeur de l'élasticité de substitution : - soit elle est forte, et alors une augmentation du coût relatif du travail se résout en une baisse importante de la part des salaires dans la valeur ajoutée ; - soit elle est faible, et alors une augmentation du coût du travail conduit à court terme comme à long terme, à une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée tandis qu'une élévation du coût du capital conduit à un phénomène de même ampleur, mais de sens opposé. |
De nombreuses analyses reposent sur l'idée que, si la substituabilité des facteurs de production devant une variation de la rémunération relative des facteurs de production est faible à court terme, elle est forte à long terme.
Dans ces conditions, la baisse continue de la part des salaires dans la valeur ajoutée résulterait d'une rigidité salariale initiale aux effets retardés mais amples et durables 375 ( * ) .
En bref, si l'évolution du coût relatif des facteurs peut n'avoir pas d'effets à court terme, des effets retardés à moyen ou à long terme (Malinvaud 1998) interviendraient 376 ( * ) :
• on peut penser qu'à
court
terme
, l'élasticité de substitution entre le travail et
le capital est très faible et que le facteur travail peut pleinement
bénéficier de revalorisations salariales importantes avec un
effet direct d'augmentation de la masse salariale dans le partage de la valeur
ajoutée.
• mais, à plus
long terme
,
l'effet de substitution deviendrait sensible
, et la part de la
rémunération du travail dans la valeur ajoutée baisserait
mécaniquement par rapport au niveau atteint à court terme.
• on peut observer que, s'il se produit dans le
même temps une baisse des coûts salariaux par rapport à la
productivité tendancielle et/ou une hausse du coût du capital, la
déformation mécanique du partage de la valeur ajoutée en
faveur du capital est accentuée. En ce cas, en effet, la rigidité
à court terme des effets d'une variation des prix relatifs des facteurs
de production amplifie les effets de long terme d'un choc initial.
Toutefois, un problème important se pose .
La théorie classique augmentée, même si elle peut expliquer que se produise un phénomène de déformation du partage de la valeur ajoutée plus durable que celui associé au jeu des marchés flexibles, ne remet pas en cause les mécanismes de la théorie originelle :
- une flexion des salaires doit intervenir à la longue ;
- la combinaison productive doit répondre aux coûts comparés des facteurs de production conformément au programme de minimisation des coûts des producteurs.
Or, dans les faits, les coûts salariaux ont été flexibles, mais l'évolution des coûts des facteurs n'a pas entraîné d'interruption de la substitution du capital au travail, ni de restauration de la répartition de la valeur ajoutée dans les termes attendus .
En bref, la théorie classique, pure ou augmentée, semble déjouée, du moins en partie.
Ceci conduit à attribuer à une diversité de facteurs (et non à la seule évolution des coûts relatifs du travail et du capital) l'équilibre de la répartition de la valeur ajoutée.
* 375 Derrière la neutralité des termes employés (« substitution des facteurs de production », « forte ou faible élasticité »), c'est bien la discussion des effets de la rigidité des marchés des facteurs de production (dans les faits exclusivement du marché du travail) qui est abordée.
* 376 Dans ce sens, Caballero et Hammour (1998) insistent sur la différence de réaction de l'économie à un choc donné suivant l'horizon temporel que l'on considère.