2. Le préfet, vecteur essentiel du dialogue entre l'État et les collectivités mais fragilisé par la RGPP
a) Un dialogue intuitu personae
Représentant de l'État dans les départements ou dans les régions, le préfet est l'interlocuteur institutionnel principal des élus locaux au nom de l'État. De nombreux dossiers, dont la responsabilité incombe aux différentes catégories de collectivités territoriales, nécessitent une concertation et une négociation entre les élus et le(s) représentant(s) de l'État. Par ailleurs, délégué du préfet dans l'arrondissement, le sous-préfet assiste le préfet de département dans la représentation territoriale de l'Etat et représente également un interlocuteur privilégié des élus locaux dans les territoires ruraux. Les préfets de département et les sous-préfets représentent, pour les élus locaux :
- une fonction de conseil juridique et de contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, destinée à assurer par celles-ci le respect du principe de légalité et, pour celles-ci, la sécurité juridique de leurs actes ;
- une fonction d'appui technique, notamment en matière d'ingénierie publique ;
- un rôle de médiateur et de facilitateur du développement local et de l'animation territoriale.
De facto , préfets et représentants des collectivités territoriales échangent quotidiennement sur diverses questions concernant leur territoire. Bien que naturel et quasiment journalier, ce dialogue favorise une proximité réelle entre l'État et ses partenaires locaux , permettant aux élus de transmettre certains messages aux préfets, ces derniers constituant un relais efficace en cas de question urgente de nature économique, politique ou sociale, auprès du Gouvernement.
Cependant, force est de constater que ce dialogue est fortement lié à la personnalité des acteurs, indépendamment des tensions politiques locales ou des problèmes socio-économiques inhérents aux territoires. Il s'agit avant tout d'un dialogue entre individus, et non entre le représentant de l'État et celui d'une collectivité. Par conséquent, les relations, au niveau local, entre l'État et les collectivités territoriales dépendent de facteurs subjectifs et contingents que sont la confiance et l'estime.
b) La révision générale des politiques publiques et la réorganisation des services déconcentrés de l'État
Cette relation intuitu personae est largement déterminée par l'organisation déconcentrée de l'État et la proximité géographique des différents acteurs. Or, la révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en 2007, bouleverse les schémas traditionnels de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, en éloignant géographiquement les acteurs, risquant ainsi d'altérer la qualité de leur dialogue.
La RGPP est la continuité - peut-être même l'aboutissement ? - d'une longue phase de réorganisation des services déconcentrés de l'État. Depuis 1992 34 ( * ) , la déconcentration est devenue le principe de l'organisation territoriale de la République alors que la centralisation en constitue l'exception. Désormais, la déconcentration constitue l'un des fondements de la réforme de l'État, destinée à améliorer la performance du réseau territorial dans ses multiples dimensions telles que l'adaptation des politiques publiques, la qualité des services publics ou encore la mutualisation.
Pour atteindre ces objectifs, la RGPP a tout d'abord consacré la rupture entre, d'une part, « le niveau stratégique du pilotage régional » 35 ( * ) , dont l'organisation reflète celle des ministères et, d'autre part, le niveau départemental , destiné à gérer les services de proximité, dont l'organisation se veut désormais interministérielle afin de mieux répondre aux besoins des citoyens. Le niveau régional acquiert, par conséquent, une dimension substantielle dans le schéma territorial de l'État.
La RGPP conduit ainsi à une nouvelle organisation territoriale de l'administration d'État . Les services de l'État en région et dans les départements ont été regroupés pour favoriser les synergies entre les différentes missions, mutualiser les moyens et simplifier les relations entre l'administration et les usagers. Le niveau régional est désormais l'échelon de droit commun pour le pilotage et l'animation des politiques publiques tandis que l'échelon départemental est le niveau de leur mise en oeuvre.
Ainsi, au niveau régional , le nombre de directions est passé de vingt à huit : - Agence régionale de Santé ; - Direction régionale des affaires culturelles ; - Direction régionale des finances publiques ; - Direction régionale des entreprises ; de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi ; - Direction régionale environnement, aménagement et logement ; - Direction interrégionale de la mer ; - Direction régionale de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt ; - Direction régionale de la santé, de la jeunesse et de la cohésion sociale. Des structures plus concentrées ont également été mises en place et les secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) ont été renforcés, afin que leurs missions actuelles de coordination et d'appui au préfet de région puissent s'étendre de manière effective au pilotage d'ensemble de l'organisation de l'État dans la région. Au niveau départemental , la nouvelle organisation issue de la RGPP se caractérise par une restriction du nombre de directions départementales interministérielles (DDI), passant de dix à deux ou trois dans chaque département. Les départements comptant moins de 400 000 habitants ou lorsque les circonstances locales le justifient (soit 46 départements), ne disposent que de deux DDI : la direction départementale des territoires (DDT) et la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). En revanche, dans les départements de plus de 400 000 habitants (au nombre de 42), la DDCSPP est scindée en deux entités : une direction départementale de la cohésion sociale et une direction départementale de la protection de la population. La première vise à affirmer le rôle d'animateur de l'État dans le domaine de la cohésion sociale, en rassemblant notamment les personnels de la direction départementale de la jeunesse et des sports, une partie de ceux des directions départementales des affaires sanitaires et sociales et les personnels des préfectures intervenant en matière d'accès au logement ou de politique de la ville ; la seconde vise à rassembler, notamment par le rapprochement des personnels de la direction départementale des services vétérinaires et ceux en charge de la répression des fraudes, les compétences techniques, scientifiques, juridiques et économiques dont dispose l'État pour assurer ses fonctions d'information, de prévention et de contrôle dans le domaine de la protection des consommateurs. Au 1 er janvier 2010, on dénombrait 218 DDI sur le territoire. Enfin, il convient de noter que l'organisation des services déconcentrés de l'État en Île-de-France et Outre-mer sera également revue, dans le respect de leurs spécificités respectives : les nouvelles structures sont créées depuis le 1 er juillet 2010 pour la région et les départements d'Île-de-France et le seront, le 1 er janvier 2011, au plus tard, pour l'Outre-mer. |
La traduction juridique de cette déclinaison réside dans l'instauration d'un pouvoir hiérarchique du préfet de région sur les préfets de département, qui deviennent désormais responsables de l'exécution des politiques de l'État dans la région . Selon les termes du décret du 16 février 2010 36 ( * ) , les préfets des départements prennent leurs décisions conformément aux instructions que leur adresse le préfet de région.
Ainsi, la régionalisation des services déconcentrés de l'État rompt la proximité géographique entre les élus locaux et les préfets, ce qui peut nuire à la pérennité et à la mise en oeuvre de projets locaux.
Ce constat est particulièrement perceptible pour les territoires ruraux : comme l'a rappelé notre collègue M. Yves Daudigny 37 ( * ) , cet abandon est palpable, par exemple, dans le domaine de l'ingénierie concurrentielle, que l'État assurait auparavant dans le cadre de ses missions d'appui technique aux collectivités (à travers notamment les DDE 38 ( * ) ou l'ATESAT 39 ( * ) ), ou encore par un maillage insuffisant des services publics dans les zones rurales. Il convient néanmoins de préciser que les futures intercommunalités issues de la réforme des collectivités territoriales auront un rôle majeur à jouer dans les zones rurales et constitueront un outil renforcé du dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Or, la réorganisation des services étatiques au niveau régional ne permet plus aux élus de terrain d'avoir des interlocuteurs de proximité, ce qui pourrait conduire, à terme, selon vos rapporteurs, à une remise en cause de nombreux projets territoriaux. C'est pourquoi le rapport d'étape de la « mission Belot » précitée constate que « nombre d'exécutifs de territoires ruraux s'estiment lâchés par l'État ». Ainsi, le « besoin d'Etat » demeure prégnant au sein de ces territoires et les évolutions actuelles de l'organisation de l'administration déconcentrée suscitent des inquiétudes chez les élus locaux. En effet, les missions de l'Etat dans les territoires ont changé ; celui-ci s'appuie désormais sur une administration de mission et non plus sur une administration de gestion .
Cependant, la mise en oeuvre de la RGPP ne devrait pas conduire à la disparition du rôle de « conseil » que l'Etat jouait aux côtés des collectivités territoriales. Ainsi, le décret du 16 février 2010 précité, modifie les missions des membres du corps préfectoral. Les actuelles missions des sous-préfectures, que sont la production des titres d'identité et le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, seront réduites au profit de leurs missions en matière de conseil-expert de proximité, de l'intercommunalité et de l'ingénierie du développement territorial. Les préfets de départements sont, quant à eux, invités à élaborer une « stratégie locale de contrôle », avec la réduction du périmètre de l'obligation de transmission des actes des collectivités territoriales, centré sur la commande publique, l'urbanisme et le développement durable, et à l'exclusion des actes de personnel, sauf ceux concernant les personnels de cabinet. Ainsi, la vocation d'arbitrage des sous-préfets et des préfets est désormais réduite aux demandes essentielles et leur rôle principal est désormais d'accompagner les collectivités territoriales sur les projets dont l'enjeu économique, financier ou social est important pour le territoire.
La réorganisation des services de l'État s'accompagne également du maintien de services étatiques dans les domaines de compétences transférés aux collectivités. Il en est ainsi, par exemple, des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations, présentées précédemment, qui conservent, au sein de leurs missions, les politiques de développement du lien social et de la protection des populations, pourtant largement transférées aux départements qui en sont le chef de file. Or, lors de son audition par la Délégation 40 ( * ) , M. François-Daniel Migeon 41 ( * ) a rappelé que la réforme des services déconcentrés de l'État portait d'abord sur les structures et se faisait à bloc de compétences constant. Par conséquent, la RGPP n'a pas pour objectif de mettre fin aux chevauchements de compétences entre les services de l'État et les collectivités territoriales. La persistance de tels services risque de générer des frictions entre services étatiques et élus locaux.
* 34 Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République.
* 35 Daniel Canépa, la RGPP : défis ou opportunités pour le corps préfectoral ? In : gestion et finances publiques, la revue, n° 7, juillet 2009 (p.547 à 549).
* 36 Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets.
* 37 Rapport d'information n° 557 de M. Yves Daudigny (2009-2010), « Les collectivités territoriales : moteurs de l'ingénierie publique », fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
* 38 Directions départementales de l'Equipement.
* 39 Assistance technique de l'Etat pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire.
* 40 Audition organisée le mardi 30 mars 2010.
* 41 Directeur général de la modernisation de l'État au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.