2. Cependant, cette multitude d'instances n'a pas permis d'instaurer un dialogue serein
a) Un climat de défiance

Vos rapporteurs ont observé une nette dégradation des relations entre l'État et les collectivités territoriales au cours des dernières années : un climat de défiance a progressivement altéré la qualité des relations entre le pouvoir central et les élus locaux.

En premier lieu, ces derniers regrettent que leurs collectivités soient souvent la cible de profondes critiques. En effet, des rapports dénoncent régulièrement le millefeuille administratif et le manque de cohérence territoriale qui en résulte, soulevant ainsi la question - non sans parti pris, voire préjugé - de l'utilité et de l'efficience des différents échelons territoriaux. Ensuite, la forte croissance de la masse salariale des collectivités au cours des dix dernières années est régulièrement pointée du doigt sans être pour autant mise en parallèle avec l'accroissement de leurs compétences. En outre, les transferts de personnels de l'État vers les régions et les départements, suite aux transferts de compétences de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales , ont fortement contribué à la hausse des effectifs territoriaux. Vos rapporteurs ne souhaitent pas approfondir cette analyse, se référant directement aux conclusions du rapport de nos excellents collègues MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot sur ce même thème 10 ( * ) .

En second lieu, la crise financière et économique a rendu les relations financières entre l'État et les collectivités particulièrement conflictuelles. En effet, le ralentissement économique induit une diminution des ressources fiscales des collectivités. Or, dans ce contexte, le Gouvernement a mené des réformes d'envergure, telles que la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par de nouvelles ressources fiscales dont l'évolution et le produit ne sont pas précisément connus. L'incertitude fiscale des collectivités est accentuée par une incertitude budgétaire, liée au gel, entre 2011 et 2013, de la plupart des dotations budgétaires de l'État. Indépendamment du débat sur le fond de ces mesures, il est évident que l'absence d'un dialogue adapté n'a pu que rendre plus difficile leur acceptation pour les collectivités territoriales et accroître les tensions déjà palpables avec l'Etat.

Enfin, en troisième lieu, les transferts de charges insuffisamment compensés constituent une autre source de crispation entre l'État et les collectivités territoriales, et plus particulièrement les départements. Si la compensation des transferts de compétences n'a pas entraîné de difficultés particulières, force est de constater que la situation est différente pour les créations ou extensions de compétences en matière de décentralisation sociale. En effet, comme nos collègues MM. Yves Krattinger et Roland du Luart l'ont souligné dans leur rapport précédemment cité, l'évolution des dépenses des trois principales prestations sociales versées par les départements met en exergue les ambiguïtés liées aux dispositifs de l'article 72-2 de la Constitution : une sous-estimation des prévisions de dépenses, une augmentation de celles-ci du fait de facteurs exogènes aux politiques des conseils généraux, conduisant à un malentendu entre les départements et l'État sur l'interprétation des dispositions constitutionnelles précédemment citées et, plus largement, sur le financement de la décentralisation. Or, dans un contexte de crise économique et financière et de difficultés budgétaires de l'État, la question de la compensation de ces prestations sociales universelles départementales nécessite la mise en oeuvre de réponses rapides et adaptées.

Il existe par ailleurs de nombreux exemples illustrant l'ambiguïté de l'État en matière de compensation des transferts de compétences. Vos rapporteurs se limiteront à mentionner l'exemple, si l'on peut dire, du FNPE mis en exergue par nos collègues Yves Krattinger et Roland du Luart.

L'exemple de la mise en place du fonds national de protection de l'enfance (FNPE)

Un [...] exemple illustre l'ambiguïté de la position de l'État en matière de compensation budgétaire des extensions de compétences : la mise en place du fonds national de protection de l'enfance (FNPE). Il reflète le non-respect, par l'État, de ses obligations légales en matière de compensation.

En effet, afin de compenser la charge financière résultant des nouvelles compétences confiées aux départements en matière de protection de l'enfance par la loi du 5 mars 2007 11 ( * ) , l'article 27 de cette loi a institué un FNPE, suite à l'adoption d'un amendement du Gouvernement, déposé lors de l'examen du texte par le Sénat.

Cependant, le ministère du travail a refusé de proposer à la signature du Premier ministre le décret nécessaire à la création de ce fonds. De même, dans une décision du 23 juin 2009 adressée au département de Saône-et-Loire, le Premier ministre s'est opposé à l'édiction d'une telle mesure, considérant que le FNPE conduirait à une complexification du circuit de financement de la politique de l'enfance.

Dans ce contexte, les départements de Saône-et-Loire et de la Seine-Saint-Denis ont déposé un recours devant le juge administratif contre la décision de l'État. Dans son arrêt du 30 décembre 2009 12 ( * ) , le Conseil d'État a annulé la « décision implicite » du Gouvernement de ne pas mettre en place le FNPE, jugeant ainsi illégal son refus de créer ce fonds et a imposé à l'État la création de ce dernier dans un délai de quatre mois.

Plusieurs mois après cet arrêt, le Gouvernement vient de publier, malgré l'avis défavorable 13 ( * ) du Comité des finances locales (CFL) du 4 mai 2010 et de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), le décret n° 2010-497 du 17 mai 2010 portant création du FNPE.

Extrait du rapport Krattinger - du Luart


* 10 Transferts de personnels de l'Etat vers les collectivités territoriales : un pari réussi, des perspectives financières tendues. Rapport d'information de MM. Éric DOLIGÉ et Claude JEANNEROT, fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales n° 117 (2010-2011) - 18 novembre 2010.

* 11 Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.

* 12 Conseil d'État, 30 décembre 2009, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 325824.

* 13 Lors de sa réunion du mardi 4 mai 2010, le CFL a émis un avis défavorable sur le projet de décret portant création du FNPE, notamment en raison du faible nombre de représentants d'élus dans le comité de gestion et des incertitudes liées au financement de ce fonds.

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