IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME
A. LA PROTECTION DES SOURCES D'INFORMATION DES JOURNALISTES
La confidentialité des sources d'information des journalistes a toujours été envisagée comme une des conditions sine qua non de la liberté de la presse. Ce principe est néanmoins battu en brèche par la possibilité pour les gouvernements de contrôler des nouveaux moyens de communication, qu'il s'agisse des télécommunications mobiles ou des nouvelles technologies. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme invite pourtant les États membres à garantir dans leur législation ce droit à la protection des sources, comme en témoigne l'arrêt Sanoma Uitgevers BV c/ Pays-Bas , rendu en septembre dernier.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) , intervenant au nom du groupe socialiste, a souhaité insister lors du débat sur la nécessité de préciser les contours de ce droit pour le rendre inattaquable :
« En tant qu'orateur au nom du Groupe socialiste, je souhaiterais dans un premier temps prendre l'exemple de la France qui, pour se conformer aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, a inscrit le principe de la protection des sources des journalistes dans la loi.
La question sous-jacente à celle de la liberté de la presse est celle de la société de confiance. Or la loi française du 4 janvier 2010, qui inscrit le principe de la protection des sources des journalistes dans le texte de la grande loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, ne répond aux impératifs de conformité à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qu' a minima.
Le groupe SRC, à l'Assemblée nationale, avait en l'occurrence déposé une motion d'irrecevabilité du fait de l'absence de garanties et, en quelque sorte, de confiance, accordées aux journalistes.
Le flou juridique qui s'est dissipé, pour une part, au cours des débats, faisait craindre que le principe de la protection du secret des sources ne soit de fait vidé de sa substance au regard des exceptions que le texte proposait.
Seule subsiste la question de la non-protection du secret des sources au regard de « l'impératif prépondérant de droit public » qui, s'il est repris de la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'Homme, n'en reste pas moins imprécis et ne permet pas une véritable garantie du secret des sources des journalistes.
C'est donc une loi davantage fondée sur la défiance que sur la confiance. Le rapport met en exergue que le journal Le Monde a porté plainte pour violation du secret des sources dans l'affaire Bettencourt. Or la loi du 4 janvier avait déjà été votée.
La protection des sources des journalistes permet aux « chiens de garde » de la démocratie d'effectuer leur travail d'information du public en toute confiance. Elle est bien cette « pierre angulaire », selon l'arrêt Goodwin.
Le projet de recommandation, auquel je souscris, n'est peut-être donc pas suffisamment ambitieux eu égard aux enjeux d'une société de confiance.
J'ai, en effet, été frappé par le succès de WikiLeaks et la confiance quasi-aveugle que les citoyens ont accordée aux informations diffusées sans qu'un travail préalable d'analyse ait été effectué.
Il est donc temps de restaurer la confiance en accordant un véritable statut à la profession de journaliste qui passe par le principe de la protection du secret des sources pour qu'une information de qualité et d'investigation, digne de ce nom, soit permise.
À ce titre, pour que le principe de la protection des sources ne soit pas vidé de sa substance, il nous appartient d'en préciser les contours et notamment de poser une claire limite à ses possibles violations.
Aucun secret protégé ne devrait être ainsi empêché d'être dévoilé à condition qu'un autre droit fondamental, tel que le respect de la vie, de la vie privée, ou de la dignité humaine, ne soit bafoué.
En outre, devrait figurer dans les textes de loi, le fait de ne pas utiliser les moyens actuels en termes de nouvelles technologies pour essayer d'identifier les sources à l'insu des journalistes, sauf à ce que la vie d'un ou plusieurs citoyens ne soit réellement en danger.
Mes chers collègues, la société de confiance est le terreau sur lequel se construit la démocratie. Pour que la tyrannie de la transparence ne devienne pas une réalité, permettons que le contrôle citoyen des journalistes puisse être une réalité effective. »
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - NC) a, quant à lui, mis en garde contre la dérive liée à la transmission d'informations brutes, reprenant l'exemple de WikiLeaks :
« Je tiens à saluer le travail remarquable effectué par notre collègue au sujet de la protection des sources des journalistes. La question est d'autant plus d'actualité que les gouvernements démocratiques sont aujourd'hui confrontés à des phénomènes de diffusion de l'information, non contrôlés du fait des possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information.
À cet égard, j'ai été particulièrement ému par le phénomène WikiLeaks qui ne peut, à mon sens, s'apparenter à du journalisme.
D'une part, l'obtention illégale d'informations ne saurait justifier au nom de la liberté de la presse le principe « la fin justifie les moyens ». D'autre part, à supposer que ces informations eussent été utiles, il aurait fallu qu'elles soient filtrées, analysées, médiatisées, au sens premier du mot, c'est-à-dire passées par le filtre d'un médium qui les rendent présentables au public, même si elles ont été publiées sur des hebdomadaires de grand tirage.
L'information brute est dangereuse. Sortie du contexte, elle peut conduire à des contresens de lecture. La médiation de l'information n'a pas d'autre objet que d'analyser, passer au laminoir de l'esprit critique le matériau brut. Comparable au travail de l'historien qui sait donner du sens aux traces laissées par le passé, le journaliste réordonne le présent, pour qu'il prenne sens sous nos yeux.
Quelle valeur un télégramme diplomatique diffusé à des fins stratégiques particulières peut-il avoir en dehors de toute contextualisation ?
Le risque, c'est que le remède ne devienne le mal que l'on voulait extraire. La transparence absolue peut vite se transformer en tyrannie des apparences et faire naître suspicions et théories du complot. Protéger les sources des journalistes ne doit donc pas conduire à donner un chèque en blanc à toutes les formes de diffusion de l'information.
La protection du secret des sources des journalistes doit avoir pour corollaire l'analyse de ces sources, le recoupement des informations et l'absence de diffusion de secrets protégés par la loi, tels que les secrets médicaux et judiciaires, à des seules fins sensationnelles.
Il va de soi que la presse, parce qu'elle est le quatrième pouvoir, je dirai même le quatrième pilier de la démocratie, ne saurait s'abstraire de ses responsabilités.
Un code déontologique doit permettre de trouver un équilibre entre garanties accordées à la profession et respect de certains secrets lorsqu'ils s'apparentent à de la diffamation.
Encourager l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe à se doter d'une législation protectrice est un progrès indéniable en termes d'État de droit. Cela ne saurait néanmoins être synonyme d'une licence absolue. C'est pourquoi il importe que la transparence et la diffusion de l'information soient encouragées au même titre que la protection du secret des sources des journalistes. C'est pourquoi la protection du secret des sources doit avoir pour corollaire l'adoption d'un code déontologique permettant un équilibre des pouvoirs.
C'est parce que l'équilibre des pouvoirs est la garantie de leur bon fonctionnement qu'il faut éviter que la protection des sources ne s'apparente à un chèque en blanc démocratique. »
Mme Muriel Marland-Militello (Alpes-Maritimes - UMP) a, quant à elle, rappelé l'introduction récente dans le droit français de normes garantissant la confidentialité des sources :
« Je tiens à saluer le travail courageux et très intéressant de notre collègue Morgan Johansson. La protection du secret des sources des journalistes est aujourd'hui, dans une société démocratique, le corollaire de la liberté d'expression et de la liberté de la presse.
Je soutiens les conclusions du rapporteur qui préconise que les États membres du Conseil de l'Europe qui ne l'auraient pas encore fait se dotent d'une législation protectrice dans ce domaine. Pour autant, la liberté de la presse et la protection du secret des sources des journalistes ne sauraient être un blanc-seing donné aux médias.
Des affaires récentes ont souligné, notamment en France, des violations commises en toute impunité, du secret médical, voire du secret judiciaire. Apparemment, la profession ne s'est pas sentie liée par la déontologie inhérente à sa fonction. Dans une résolution que j'ai présentée en vertu de l'article 34-1 de la Constitution française, j'ai mis en exergue le paradoxe qu'il y avait à violer un secret protégé par la loi alors même que la représentation nationale venait de voter une loi protégeant le secret des sources des journalistes.
La loi du 4 janvier 2010, suivant en cela la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, vient de consacrer le principe de la protection du secret des sources des journalistes. Progrès indéniable en termes de respect de l'État de droit, elle précise le droit au silence d'un journaliste même lorsqu'il est porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources, ou lorsque celui-ci est entendu comme témoin.
En outre, des garanties particulières sont apportées en cas de perquisition : seul un magistrat peut en ordonner une et le journaliste présent lors de la perquisition peut s'opposer à la saisine d'un document qui sera alors placé sous scellé fermé.
Cette loi, respectueuse de la liberté de la presse et de l'information, légitime le travail d'investigation des journalistes pour révéler la vérité dans le souci d'une information fiable au public. Nous gardons tous en mémoire les révélations faites par Émile Zola sur l'affaire Dreyfus, celles des journalistes du Washington Post sur l'affaire du Watergate et la tirade du Figaro de Beaumarchais selon laquelle « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ».
Cependant, lorsque le journalisme se confond avec la presse à sensation en divulguant des secrets médicaux ou judiciaires, peut-on toujours parler de liberté de la presse ? Critiquer les abus de cette presse ne remet pas en cause la légitime protection du secret des sources ni la nécessité d'étendre cette protection à l'ensemble des pays membres.
Si la profession ne fait pas preuve d'une plus grande déontologie, elle dévalorise le principe du respect du secret des sources. Critiquer l'absence de déontologie de certains journalistes vise seulement à rappeler que l'abolition de la censure et la protection du secret des sources des journalistes sont les fruits de longs combats et qu'une attitude opportuniste ne saurait les compromettre. Nous devons toujours respecter les droits fondamentaux de l'individu : la dignité et le respect de la vie privée. »
M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) a, quant à lui, rappelé la nécessité de bien définir les exceptions au principe de confidentialité :
« A mon tour, je félicite M. Johansson pour la qualité de son rapport, qui touche à un point extrêmement important pour nos démocraties : protéger l'indépendance du journaliste et, donc, le fait qu'il puisse refuser de dévoiler ses sources.
Cela me paraît effectivement très important, car on comprend bien que si les sources sont révélées, elles se tarissent. Par conséquent, pour avoir un journalisme qui nous apporte quelque chose, il faut assurer cette protection.
À cet égard, la France a récemment renforcé sa législation en protégeant, en particulier, le domicile des journalistes. C'est un progrès par rapport à la législation antérieure qui se contentait de protéger les salles de presse. Nous avons finalement une législation qui est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et, même si certains pouvaient avoir des craintes, le texte adopté par le Parlement français donne, je pense, satisfaction.
Reste le problème que soulève le rapporteur : celui des exceptions.
C'est bien ce qui pose problème, car on voit tout de suite que cette question des exceptions ne doit pas nous amener à vider de sens la portée du principe général. On trouve toujours des exemples pour démontrer qu'il peut être intéressant de lever l'interdiction de révéler les sources. Pour autant, je me méfie parce que, si l'on oblige, dans des cas très particuliers et très graves, le journaliste à révéler ses sources, ces sources ne vont plus exister et le phénomène d'alerte pour des cas graves disparaîtra. Je pense que l'on risque d'y perdre quelque chose.
À ce sujet, nous devons être extrêmement stricts. J'admets cependant qu'il puisse y avoir des exceptions et je partage les conclusions du rapporteur dans son article 5 du projet de recommandation, mais il faut vraiment qu'il s'agisse de domaines bien spécifiques et strictement encadrés. C'est vraiment en toute dernière extrémité qu'il faut recourir à ces exceptions.»
Mme Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) a, de son côté, souligné la nécessité de bien définir le statut du journaliste en vue de conférer plus de sens aux normes qui les protègent :
« Oui, la protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse.
Le projet de recommandation qui invite les États membres qui ne l'auraient pas déjà fait à se doter d'une législation protégeant les sources des journalistes me semble donc être un progrès réel en termes d'État de droit. Et nous le soutenons vivement !
Néanmoins, ce projet met également en évidence une question qui mérite d'être discutée par l'Assemblée : la définition du statut du journalisme.
Les révélations faites par WikiLeaks qui ont ému l'opinion publique et les gouvernements peuvent interroger : sont-elles le fait de journalistes ? Les moyens technologiques actuels ne brouillent-ils pas les frontières en termes de définition du journalisme ?
En 2008, après une première législation datant de 1993, le Garde des sceaux français a fait voter une loi réglementant à nouveau le secret des sources. Deux innovations sont alors apparues : la fin du secret de l'instruction avec le maintien du secret professionnel.
La protection des sources des journalistes est nécessaire en ce qu'elle permet un véritable journalisme de qualité. Elle ne peut néanmoins être absolue. La liberté est certes un droit constitutionnel, mais il apparait évident qu'un journal qui publierait des informations pouvant compromettre, par exemple, l'arrestation d'un terroriste commettrait une faute et encourrait des sanctions pénales.
M. Johansson cite le cas de Guillaume Dasquié placé en garde à vue après avoir écrit dans Le Monde que les services français étaient au courant des plans d' Al Qaeda visant à détourner un avion.
Publier une telle information n'est-il pas commettre un délit qui porte atteinte aux intérêts de la défense nationale ?
La loi française du 4 janvier 2010 consacre le principe de protection du secret des sources des journalistes uniquement lorsque ceux-ci exercent leur mission d'information au public.
A contrario , il apparaît donc que la pratique du journalisme amateur n'est en rien couverte par la protection de la loi.
Doit-on élargir le statut des journalistes ou à l'inverse garder une définition restrictive de la profession de journaliste ?
Une définition trop large, couplée aux progrès technologiques d'information, risquerait, en effet, de mettre à mal le secret des sources par une utilisation abusive et sous aucun contrôle des informations qui en sont issues, avec la crainte de voir les jeunes démocraties réticentes à une trop grande liberté de la presse, se réfugier derrière cet argument pour éviter d'accorder une protection légale au secret des sources.
Par ailleurs, la protection des sources ne doit pas non plus conduire à dévoiler n'importe quel secret au risque de conduire à une forme de «tyrannie » de l'opinion publique.
C'est pourquoi je soutiens le projet de recommandation soumis à notre Assemblée en ce qu'il me semble particulièrement équilibré.»
Mme Claude Greff (Indre-et-Loire) a, à cet égard, souligné que la protection des journalistes devaient s'insérer dans une réflexion globale sur l'équilibre des pouvoirs :
« Je tiens à saluer le travail de notre collègue Morgan Johansson relatif à la protection des sources des journalistes.
Néanmoins, si je salue l'adoption par la France de la loi du 4 janvier 2010 qui permet de graver le principe de la protection des sources des journalistes dans le marbre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, je m'interroge sur quelques passages du rapport qui ne sont heureusement pas dans le projet de recommandation.
En premier lieu la définition de la profession de journaliste. Les nouvelles technologies ont fait apparaître une myriade de nouveaux acteurs de l'information qui ne sont pas pour autant des journalistes.
Les récentes révélations par le site WikiLeaks qui ont alimenté la blogosphère, mais également les quotidiens nationaux, sont là pour en témoigner.
Le statut protecteur du journaliste a pour corollaire une déontologie professionnelle, pendant des droits qui le protège.
Donner une définition restrictive du journaliste serait alors dangereux en termes de démocratie. La transparence absolue sans le filtre nécessaire de l'esprit critique a pour conséquence une méfiance absolue envers les institutions et nourrit la défiance des citoyens envers leurs représentants qui contribuent à l'affaiblissement de la politique.
Il ne faut pas mésestimer le pouvoir négatif que les medias actuels peuvent avoir dans la confiance que les citoyens accordent notamment au monde politique et le fait qu'ils contribuent plus généralement à l'affaiblissement même de la politique.
Que l'on ne se méprenne pas ! Ce n'est ni la liberté de la presse ni la liberté d'opinion que je condamne, elles sont pour moi le soubassement même de l'édifice démocratique, ce que je condamne, c'est la presse à sensation, le pouvoir des images et la recherche absolue d'une performance à l'Audimat qui, à défaut d'informer, désinforme, à défaut d'informer, dénigre, enfin, à défaut d'informer, diffame.
C'est donc « d'une main tremblante » qu'il faut toucher au statut du journaliste.
Protégeons donc les sources des journalistes pour que le journalisme d'investigation, de réflexion soit possible, mais regardons de près le statut du journaliste pour que le statut d'exception en quelque sorte que cela suppose soit équilibré par un code déontologique fort.
Protégeons donc les sources des journalistes pour qu'en quelque sorte l'immunité de la profession soit compensée par une éthique sans faille.
La presse est aujourd'hui le quatrième pouvoir ! Il ne faudrait pas qu'à trop la protéger, elle ne devienne le premier au détriment de ceux qui ont été élus légitimement pour représenter les citoyens.
C'est l'équilibre des pouvoirs qui est la garantie d'une démocratie saine dans laquelle la crainte de chacun des pouvoirs crée l'équilibre institutionnel et la modération chère à Montesquieu, l'auteur français de l' Esprit de lois qui, je vous le rappelle, a contribué à la rédaction de la constitution française de 1791, notamment en promouvant le principe de la séparation des pouvoirs. »
La recommandation adoptée par l'Assemblée parlementaire insiste sur le fait que la divulgation d'informations permettant d'identifier une source devrait être limitée à des situations exceptionnelles. Celles-ci se caractérisent par la mise en danger d'intérêts publics ou privés vitaux.
Par ailleurs, les États membres qui ne disposent pas d'une législation garantissant aux journalistes le droit de ne pas divulguer leurs sources d'information sont invités à adopter de telles mesures.
Au-delà de la question des sources, M. Arne König, président de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), invité à intervenir au cours du débat, a insisté sur les menaces qui pèsent encore en Europe sur la sécurité des journalistes. 94 meurtres les concernant ont ainsi eu lieu en 2010 sur le continent européen. M. König a notamment insisté sur le cas de la Turquie où un journaliste a été assassiné l'an dernier alors que 58 de ses collègues sont actuellement détenus.
Les lois de certains États membres sur le contrôle des médias, le président de la FEJ citant expressément la Hongrie et la Roumanie, sont également source d'inquiétude. La concentration des médias nécessite aux yeux de M. König, une vigilance accrue, l'intervention de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe étant, à cet égard, attendue.
M. König a enfin insisté sur la crise que traversait le journalisme en général, confronté à des problèmes de financement et miné par une tendance à céder aux sirènes du sensationnalisme.
M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - SRC) a, à ce titre, souligné que l'adoption d'un texte sur la protection des sources demeure insuffisante si la liberté d'expression continue à être menacée :
« Je tiens à remercier notre collègue pour l'excellent rapport qu'il vient de faire.
Je souhaiterais en particulier souligner l'importance qu'il y a pour l'ensemble de pays membres du Conseil de l'Europe à consacrer le principe de la protection du secret des sources des journalistes.
La liberté de la presse et de communication est la clef de voûte des institutions démocratiques. « Quatrième pouvoir » ou pilier a-t-il été dit, l'information libre permet la constitution d'une opposition qui puisse être crédible et critiquer ouvertement la politique menée par la majorité.
Il faut défendre l'idée qu'il est toujours absolument possible de critiquer la politique d'un État.
La récente loi hongroise sur les medias met en exergue l'actualité de la question de la protection de la liberté de la presse dans les pays du Conseil de l'Europe.
En France, récemment, plusieurs affaires ont révélé les pressions faites sur des journalistes en garde à vue pour qu'ils dévoilent le secret de leur source au nom d'un impératif plus grand que la liberté de la presse, la sécurité d'État. La sécurité d'État, la raison d'État ou son autre synonyme, la sûreté d'État, ont toujours été des prétextes pour censurer la libre information.
En quoi révéler au grand public que les services secrets français avaient pu informer au préalable le gouvernement américain de la préparation d'éventuels attentats sur le territoire des États-Unis avant que ne survienne le 11 septembre 2001 était t-il attentatoire à la sûreté nationale ?
En quoi les révélations de WikiLeaks ne devraient-elles pas bénéficier de la protection du secret des sources au même titre que les autres formes de diffusion de l'information ?
En quoi le mandat d'arrêt international qui a visé Julian Assange n'est-il pas une instrumentalisation de la justice pour faire cesser la diffusion d'informations embarrassantes pour les diplomaties internationales ?
En quoi est-ce criminel d'avoir mis au grand jour la double rhétorique des États sans que leurs ressortissants ne soient menacés ?
En quoi l'utilisation des nouvelles technologies de l'information ne pourrait-elle pas être garantie de la même manière que les sources classiques d'information ?
Le mérite de ce rapport est de ne pas se limiter à une analyse de l'existant, mais à l'inverse de soulever les questions qu'implique la protection du secret des sources des journalistes.
Sans liberté absolue de la presse l'État de droit ne peut être garanti.
Sans liberté absolue de la presse nous sommes dans une société de défiance et non plus dans une société de confiance.
Sans liberté absolue de la presse, enfin, la transparence inhérente à l'esprit démocratique ne peut permettre le contrôle citoyen des institutions.
Pour répondre aux condamnations récurrentes de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme, le législateur a voté la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources du journalisme qui reconnaît le principe du secret des sources.
Néanmoins si cela semble a priori un progrès de l'État de droit, la loi aurait pu être davantage protectrice du secret des sources, notamment eu égard aux moyens d'investigation qu'offrent les nouvelles technologies de l'information.
En outre, dans cette loi, la définition donnée des journalistes qui pourront bénéficier de la protection du secret des sources reste restrictive. Seuls ceux exerçant une activité régulière et rémunérée, donc en un sens, considérés comme professionnels, pourront en bénéficier. Certes, sans construire un statut d'exception du journaliste, la question, eu égard aux possibilités offertes par les nouvelles technologies, mérite d'être posée.
Émile Zola lorsqu'il publie « J'accuse » dans le Journal l'Aurore le 13 janvier 1898 eut-il alors été considéré comme un journaliste au regard de la loi ou comme un écrivain usant de sa notoriété pour mettre sa plume au service de la liberté ?
Inciter les pays membres du Conseil de l'Europe à se doter d'une législation protectrice des sources est un premier pas vers la construction d'un État de droit solide mais cela reste insuffisant si le principe affiché dans la législation reste en deçà des objectifs attendus : permettre la liberté d'expression la plus large possible pour que souffle l'esprit de démocratie et de transparence sur l'ensemble de nos institutions.
L'affaire WikiLeaks nous démontre que des informations brutes peuvent aussi être digérées et analysées par un peuple éduqué. Je me méfie des informations prédigérées par des experts. L'éducation pour tous fait partie aussi de nos valeurs. »