D. POUR UNE LONGÉVITÉ POSITIVE : VALORISER L'EMPLOI ET LE TRAVAIL DES SENIORS
La commission des questions sociales, de la santé et de la famille constate que les sociétés européennes contemporaines sont marquées par l'apparition de préjugés visant les populations plus âgées, pouvant aller même jusqu'à des violences physiques.
M. Denis Jacquat (Moselle - UMP) , rapporteur du texte, a, dans sa présentation, résumé les enjeux du vieillissement de la population sur le continent européen :
« Dans un contexte de vieillissement de la population en Europe, notre commission a examiné, sous l'angle des droits de l'Homme, le rôle joué par les seniors dans la société. Les politiques en faveur d'un vieillissement actif appellent des mesures dans divers domaines. Celles-ci sont tout particulièrement nécessaires dans les domaines de la discrimination fondée sur l'âge, la protection sociale, l'assouplissement des conditions de travail, l'apprentissage tout au long de la vie, la promotion de la santé et le volontariat. L'âgisme est moins reconnu que le racisme ou le sexisme.
C'est pourtant un préjugé qui porte atteinte à la personne. La discrimination fondée sur l'âge est souvent inconsciente. Elle constitue un gigantesque gaspillage de talents. Notre Assemblée a rappelé à diverses reprises qu'il faut, d'urgence, codifier la manière de traiter le vieillissement et adapter les politiques en conséquence. Le Comité des ministres a d'ailleurs approuvé l'une de nos recommandations à ce sujet.
De nombreuses personnes en âge d'apporter une contribution active à la société sont soit au chômage, soit inactives, particulièrement les plus de cinquante ans. La mondialisation et l'intensification de la concurrence affectent l'environnement professionnel et la qualité du travail confié aux travailleurs seniors.
Après la retraite, les seniors continuent à contribuer à la société en tant que citoyens et donc consommateurs mais l'absence d'informations précises sur leur contribution économique renforce les stéréotypes sur l'improductivité et la dépendance des seniors. Des politiques en faveur d'un vieillissement actif supposent des mesures dans divers domaines outre celui du marché du travail.
Notre Assemblée doit, à cette fin, encourager les États membres à examiner les orientations suivantes : adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l'âge et supprimer les obstacles du marché de l'emploi pour doter les seniors des capacités d'entrer, de rester ou de retourner dans le monde du travail en fonction de leurs capacités et de leur volonté de travailler ; mettre en oeuvre des programmes qui incitent les employés comme les employeurs à envisager le vieillissement actif sous un angle positif ; analyser l'impact de la mondialisation et des récessions économiques et proposer des mesures pour empêcher que les travailleurs seniors qui perdent leur travail ne deviennent des chômeurs de longue durée ; promouvoir des mesures visant à améliorer la qualité du travail flexible pour les seniors en leur permettant d'occuper des postes moins éprouvants ; permettre un passage progressif vers la retraite ; adopter une vision globale du parcours de vie et prendre des mesures préventives afin de renforcer l'employabilité de la main-d'oeuvre à mesure qu'elle vieillit, par exemple des mesures en faveur de la santé au travail ; utiliser le potentiel des technologies de l'information et de la communication pour élargir les possibilités d'emploi et de formation des seniors, notamment handicapés ; élaborer des politiques de santé proactives qui mettent l'accent sur la promotion de la santé, la prévention des maladies et le traitement des affections chroniques ; encourager le développement des activités bénévoles pour tous les groupes d'âge en renforçant la solidarité entre les générations ; encourager la ratification et la pleine mise en oeuvre de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale européenne révisée, dont les dispositions renforcent la protection des personnes plus âgées et des travailleurs seniors.
Récemment, le cycle de vie se divisait en trois grandes périodes : la jeunesse ; la période d'apprentissage ; la maturité, consacrée à la vie active. Aujourd'hui, la frontière entre les trois est devenue floue.
Tous ensemble, nous avons donné des années à la vie, il nous faut à présent donner de la vie à ces années. »
M. Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP) a tenu, dans son intervention, à souligner le défi que représentait l'intégration économique des populations plus âgées :
« L'excellent rapport de notre collègue Denis Jacquat vient judicieusement démontrer que les réformes des régimes de retraites qu'ont connues ou que vont connaître un certain nombre de nos États ne sauraient être pleinement opérantes si elles ne s'accompagnent pas d'une réflexion sur l'emploi de ceux que l'on appelle communément les seniors.
Or, les personnes de plus de cinquante ans se retrouvent confrontées à de nombreux obstacles sur le marché du travail. Le terme de discrimination n'est à cet égard pas excessif. Les difficultés qu'elles rencontrent pour changer ou retrouver un emploi sont multiples.
Tout d'abord, le recrutement pose, pour l'entreprise, le problème des coûts salariaux directs et indirects, qu'il s'agisse de payer plus cher même si l'on paie des compétences découlant d'une expérience riche ou d'avoir à subir des absences pour maladie plus fréquentes et plus longues que chez les salariés plus jeunes. Ensuite, la crainte d'une productivité moindre que celle des plus jeunes. Enfin, la peur d'un blocage des progressions de carrière des salariés plus jeunes, la place étant occupée par un senior.
Ce qui est vrai pour l'embauche l'est également pour l'évolution des salaires, la formation et le maintien dans l'emploi.
De fait, sans dispositions législatives facilitant la mise en place de conditions spécifiques, de formation, de travail, de salaire, de fin de carrière et d'aménagement des rythmes de vie au travail pour cette catégorie donnée de la population active, les réformes des retraites ne permettront pas d'organiser efficacement et sereinement l'inéluctable vieillissement de la population active au travail.
La France a mis en place en 2010 un plan destiné à promouvoir l'emploi des seniors. Il comprend, me semble-t-il, plusieurs dispositions qui peuvent être pertinentes dans le cadre d'un échange de bonnes pratiques.
Je pense ici à la pénalité financière équivalente à 1 % de la masse salariale de toute entreprise ou groupe d'entreprise d'au moins cinquante salariés qui n'est pas couverte par un accord ou par un plan d'action relatif à l'emploi des salariés.
La création d'un contrat à durée déterminée « senior » permettant aux personnes recrutées de continuer de travailler au-delà de cinquante-sept ans et de compléter ainsi leurs droits à retraite fait aussi partie de ce dispositif.
Le plan encourage également le portage salarial, qui permet à une entreprise d'organiser et d'encadrer le travail de personnes négociant et réalisant des missions de conseil, d'expertise, d'assistance, de formation, avec un contrat de travail écrit.
Ces différentes mesures doivent s'intégrer, comme le propose le projet de résolution, dans une vision globale du parcours de vie et contribuer à renforcer l'employabilité de la main d'oeuvre à mesure qu'elle vieillit.
Au-delà de la considération, qui passe par le regard de l'autre, et du véritable sentiment d'utilité, qu'une activité productive procure et qui est indispensable à un bon équilibre personnel, la croissance de nos économies passe également par ces évolutions, j'en suis persuadé. »
Répondant aux intervenants, M. Jacquat a souhaité insister sur les questions de dignité et d'employabilité, en appelant dans le même temps à s'intéresser plus particulièrement à la condition des femmes relavant de cette classe d'âge :
« Je remercie M me Mósesdóttir pour son excellente analyse. Comme M me Kovács, elle a mis particulièrement l'accent sur les problèmes liés à l'inégalité des retraites pour ce qui concerne les femmes. C'est un réel problème, qui vient de ce que, souvent, à la vie familiale se substitue la vie professionnelle. Quel que soit le type de système de retraite, qu'il s'agisse d'un système par répartition ou par capitalisation, la femme, il est vrai, perçoit de ce fait moins que l'homme.
Il convient donc, tout au long de la vie professionnelle, de prendre en compte la situation de la femme, étant tout de même précisé que davantage d'hommes s'occupent des tâches familiales qu'ils ne le faisaient auparavant.
Il n'en reste pas moins que le problème est réel et que c'est tout au long de la vie professionnelle qu'il nous faut lutter contre les inégalités touchant les femmes, faute de quoi ces inégalités se répercuteront sur les retraites.
Plusieurs personnes, dont M me Kovács et M me Blanco Terán, ont évoqué les activités bénévoles. Par définition, il s'agit d'activités non rémunérées, mais si elles devaient engendrer une rémunération, cette dernière donnerait lieu à cotisation, car sans rentrées financières, il ne peut pas y avoir de retraite.
Il y a donc un équilibre à trouver, étant entendu que de petites cotisations ne peuvent donner que de petites prestations. Ce problème appelle des analyses mais nous le rencontrons dans tous les pays.
S'agissant des compétences professionnelles dont à parlé M. Flego, elles demandent, puisque vous parliez antérieurement « d'âgisme », de faire preuve d'une extrême vigilance.
En fait, nous avons, d'un côté des retraités qui veulent partir, de l'autre, des jeunes qui veulent travailler mais qui souvent n'ont pas la formation adéquate. Puisque nous nous accordons tous à dire qu'il faut mettre fin aux retraites anticipées, il convient de retrouver un système de glissement, de retraite à la carte, offrant la possibilité aux personnes d'un certain âge de partir progressivement, et aux jeunes de rentrer sur le marché du travail en bénéficiant des conseils des plus âgés. Cela renvoie aux pratiques de monitorat, de tutorat, et de la formation en alternance. C'est une solution qu'il faut vraiment retenir et poursuivre car elle donne pleine satisfaction à tous.
Vous avez fait, M. Grignon, une excellente analyse des problèmes de l'embauche. S'agissant des problèmes rencontrés par les seniors, il a mentionné le Plan emploi seniors, mis en place en France. Il faut mettre en application de tels plans, mais sans oublier que l'on passe très souvent de la politique sociale à la politique politicienne et que, lorsque que l'on met en place un plan emploi seniors, ceux qui n'adhèrent pas à la politique gouvernementale, et cela vaut pour tous les pays, reprochent de vouloir faire travailler les vieux. Le plus terrible c'est, que sous ce vocable, ils parlent de personnes ayant à peine cinquante ans...
À M. Kallio, qui m'a félicité d'avoir cité la Finlande, je dirai que la Finlande, où je me suis rendu à plusieurs reprises, constitue un exemple pour tous les autres pays. Il y a vingt ans, en effet, alors que ses chiffres ne différaient guère des autres, elle a mis en place un vrai plan pour les seniors, et a obtenu des résultats exemplaires. J'irai jusqu'à dire que les Finlandais sont en la matière les meilleurs du monde ! J'invite donc tous mes collègues à s'inspirer de leur exemple que nous essayons d'ailleurs de reproduire en France. Je souhaiterais que l'esprit finlandais souffle dans mon pays, mais ce voeu laisse parfois mes collègues français quelque peu sceptiques.
M. Panteleev a parlé d'une vie digne et active des seniors. Je relève ce terme de « digne », qui est essentiel. Les personnes d'un certain âge doivent toucher des retraites décentes afin d'être en mesure de vivre dignement et non pas survivre. Quant au terme de « protection », M. Panteleev a demandé qu'il soit inscrit dans la Constitution.
M. von Sydow a évoqué un point que je n'avais pas abordé volontairement. En France, un député peut être âgé de plus de soixante ans, ce qui est mon cas - je reste encore actif et cela peut encore aller, me dit-on ! Mais on est parfois considéré comme trop vieux, il faut faire la place aux jeunes ! À l'occasion des dernières élections municipales dans ma ville, une campagne extrêmement violente a été menée pour rajeunir les candidats se présentant sur les listes. Des personnes plus jeunes se sont donc présentées. Le candidat qui a réalisé le meilleur score est né en 1929, le deuxième en 1951, le troisième en 1956, le dernier en 1972 ! Comme quoi, on a beau vilipender l'âge, c'est l'âge en l'occurrence qui a gagné, car, en réalité, les électeurs s'intéressent avant tout à la qualité du travail réalisé.
M. von Sydow, votre proposition m'a fait sourire intérieurement. À la suite de l'exemple personnel que vous avez cité, je me suis souvenu d'un vieux proverbe français qui dit : « Bon sang ne saurait mentir ». Être élu à plus de 80 ans, voilà qui est extraordinaire !
M me Blanco Terán a évoqué le problème du niveau des retraites. Quand bien même nous n'aurions pas subi de crise, nous aurions rencontré des difficultés, du fait de la démographie. De plus en plus nombreuses sont les personnes qui vivent en bonne santé et de plus en plus longtemps. Par ailleurs, le taux de fécondité a tendance à baisser. Même si ce taux se relève lentement, nous connaissons donc un problème d'équilibre.
Enfin, je remercie M. Fronc, Lord Tomlinson et M me Andersen pour leur contribution au débat.
Monsieur le Président, la commission des affaires sociales a travaillé de façon extrêmement assidue sur ce dossier, qui concerne tous les Européens, mais également le monde entier. »
La résolution adoptée par l'Assemble invite les États membres à adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l'âge et appelle dans le même temps à encourager le recrutement des seniors mais également leur participation aux activités bénévoles. Des politiques de santé, fondées notamment sur la prévention, doivent être mises en oeuvre à destination des seniors.