V. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN DÉBAT
A. INTERVENTION DE M. AHMET DAVUTOðLU, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGÈRES DE TURQUIE , PRÉSIDENT DU COMITÉ DES MINISTRES
L'intervention de M. Ahmet Davutoðlu, ministre des affaires étrangères de Turquie, devant l'hémicycle, était destinée à présenter le programme de la présidence turque à l'Assemblée parlementaire.
Le ministre des affaires étrangères a souhaité insister dans son intervention sur la volonté turque de replacer le Conseil de l'Europe sur le devant de la scène internationale, rappelant le côté innovant de l'Organisation et la nécessité de faire partager les idéaux du Conseil au-delà du seul continent européen. La présidence turque entend, à cet égard, accompagner les processus de reconstruction au Liban, en Irak, en Tunisie et au Kirghizstan.
M. Davutoðlu souhaite par ailleurs renforcer la complémentarité avec l'Union européenne, sur le fondement du Memorandum d'accord de 2007, au terme duquel l'Union européenne reconnaît le rôle de référence du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits de l'Homme, de l'État de droit et de la démocratie. La signature, le 15 décembre dernier, dans le cadre du partenariat oriental de l'Union, d'une « facilité » entre le Secrétaire général du Conseil et le Commissaire à l'élargissement de l'Union européenne participe de cet effort. Cet accord prévoit l'octroi au Conseil de 4 millions d'euros afin de mettre en oeuvre des projets multilatéraux en matière de normes électorales, de soutien de l'appareil judiciaire et de lutte contre la corruption et la cybercriminalité dans les six pays du Partenariat oriental (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Biélorussie, Moldavie et Ukraine).
Partageant les ambitions réformatrices du Secrétaire général, la présidence turque entend notamment accompagner la poursuite du processus d'Interlaken relatif à la Cour européenne des droits de l'Homme. Le Comité des ministres a ainsi approuvé la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure destinée à accroître l'efficacité et la transparence de la supervision des arrêts de la Cour. Dans le même temps, la mise en place d'un panel de sept personnalités appelé à évaluer les candidats à l'élection des juges auprès de la Cour devrait permettre de renforcer l'autorité et la respectabilité des magistrats désignés par l'Assemblée parlementaire. Une conférence à haut niveau sur l'avenir de la Cour devrait, par ailleurs, être organisée à Izmir en avril prochain. Elle devrait être notamment l'occasion d'aborder la question de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme.
Dans un deuxième temps, le ministre turc a souhaité témoigner de son inquiétude quant à la montée de l'intolérance et de la xénophobie sur l'ensemble du continent, exacerbée notamment par la crise économique mondiale. M. Davutoðlu a, à cet égard, sollicité l'aide d'un comité d'experts sur la question, chargé de rendre ses conclusions en mai prochain. Il entend également mettre en lumière les recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe (ECRI).
M. François Rochebloine (Loire - NC) a, dans le même ordre d'idées, interrogé le ministre turc sur les menaces concernant la liberté religieuse :
« Je souhaite revenir sur la déclaration du 20 janvier dernier du Comité des ministres, qui rappelle son attachement à la liberté de pensée, de conscience et de religion au moment où, dans plusieurs pays membres ou partenaires du Conseil de l'Europe, sont relevées des violations meurtrières de la liberté religieuse.
Aussi souhaiterais-je connaître les dispositions que le Comité des ministres compte prendre pour inciter les gouvernements de ces pays à manifester effectivement et solidement par des actes leur attachement à la garantie de cette liberté. »
M. Davutoðlu a tenu à rappeler dans sa réponse les actions déjà entreprises par le Comité des ministres dans ce domaine :
« Deux Déclarations ont été adoptées par le Comité des ministres : l'une, politique, au sujet du Bélarus, et l'autre, plus culturelle, et unanime, relative à la tolérance religieuse. Cette dernière vise à rappeler qu'on ne saurait accepter la violence religieuse et l'intolérance, non seulement en Europe mais également sur les continents voisins.
Des mesures ont été envisagées, mais elles doivent être précédées d'un engagement commun de bannir du continent les discriminations ou les extrémismes religieux. Je ne pense pas seulement à l'antisémitisme et à l'islamophobie, mais à toutes les discriminations contre des groupes religieux. Il convient que l'Europe devienne une zone de plein respect des droits.
Quatre ans après l'adoption de cette Déclaration, il convient de souligner les objectifs du Comité des ministres, visant notamment, à étendre nos valeurs dans le Bélarus. Il ne s'agit pas seulement d'une question culturelle. Les problèmes de nature politique ne peuvent que surgir en l'absence de respect. Il convient d'engager une démarche commune en matière de tolérance religieuse et de dialogue des civilisations. Tel est le défi le plus important que nous ayons à relever.
Avant la Déclaration, s'était tenue une réunion du groupe d'éminentes personnalités que j'ai déjà évoquées. Je suis personnellement l'avancée de leurs travaux. Ces intellectuels et personnalités politiques européens publieront un rapport en vue de la session ministérielle en mai, rapport sur lequel nous nous appuierons pour développer un plan d'action. Notre premier souci est de développer la perspective philosophique en matière de tolérance religieuse.
Il convient également de définir les problèmes et d'élaborer enfin le plan d'action que je viens d'évoquer. Il faut être constructif et prendre les devants, de peur que les situations ne dégénèrent. Il faut prévenir l'intolérance religieuse. »
L'Europe de l'Est et du Sud-Est est une priorité d'action pour la présidence turque, qu'il s'agisse des suites à donner au dernier scrutin présidentiel en Biélorussie ou des conséquences des élections législatives en Moldavie.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a, à cet égard, souhaité interroger le ministre sur la situation en Biélorussie :
« Le Conseil de l'Europe a entrepris, depuis deux ans, de renouer des liens avec le Bélarus. A l'aune des derniers événements, il apparaît que les signes de détente que notre Assemblée avait cru déceler en juin 2009 n'étaient que les fruits d'une entreprise de séduction de la part du Président Loukachenko, qui était décidé à s'affranchir de la sphère russe. Le Comité des ministres entend-il poursuivre sur la voie d'une normalisation des rapports entre notre Organisation et ce pays dont le régime est l'antithèse des valeurs que nous défendons ? »
Dans sa réponse, M. Davutoðlu n'a pas caché son scepticisme quant à l'évolution du régime en place :
« Le Bélarus a fait l'objet de discussions au sein du Comité des ministres et de l'Assemblée depuis plusieurs années. Le Belarus sait ce qu'il faut faire pour devenir « membre du club » et vous-même, Monsieur le Président, avez apporté votre contribution précieuse pour accélérer ce processus. Mais, après les élections du 19 décembre dernier, nous ne sommes pas optimistes. Il existait des problèmes auparavant, mais ils se sont accrus avec l'arrestation d'opposants au régime, de journalistes, d'intellectuels, arrestations purement politiques. C'est pourquoi nous interviendrons auprès des autorités du Bélarus pour qu'elles relâchent les opposants au régime emprisonnés.
Nous sommes, bien entendu, en faveur de l'intégration du Bélarus à l'Europe. Ce pays ne peut pas constituer une exception sur notre continent. Tous les pays voisins du Bélarus sont membres du Conseil de l'Europe. La dernière déclaration en la matière remonte à 2006. Cela montre l'importance accordée à cette question et le consensus au sein des États membres du Conseil de l'Europe concernant le Bélarus.
En tant que président du Comité des ministres, je mettrai tout en oeuvre pour que ce pays respecte nos normes ou s'en approche. »
M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) s'est, quant à lui, montré inquiet sur la question de la Transnistrie :
« Les efforts que le Conseil de l'Europe consent depuis des années pour contribuer à sortir la Moldova d'un conflit qui la mine ont commencé à porter leurs fruits. L'arrestation en Transnistrie et la condamnation très lourde du journaliste Ernest Vardanyan ont signifié l'éloignement de la sortie de crise. Monsieur le Ministre, le Comité des ministres a-t-il une position sur ce sujet ? »
Le ministre turc a rappelé le soutien du Conseil à la Moldavie en faveur du développement en son sein des valeurs démocratiques :
« Depuis l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe en 1995, le Comité des ministres n'a cessé de redoubler ses efforts pour améliorer la protection des droits de l'Homme. Comme vous le dites, à juste titre, il y a eu des avancées positives récemment. Des élections ont été organisées ceci après une crise de plusieurs mois.
Mais, il y a encore un problème concernant l'élection présidentielle. Nous espérons que ce pays pourra régler ses problèmes politiques en se fondant sur les valeurs essentielles du Conseil de l'Europe. Toutes ces questions d'arrestations devront être appréhendées au travers du prisme de nos valeurs communes.
Nous soutiendrons toujours ce pays dans ce processus. S'il a besoin de notre aide, le Comité des ministres ne ménagera pas ses efforts. »
Le Kosovo comme la Géorgie suscitent également l'attention du ministre des affaires étrangères turc qui entend accompagner sur place de nouvelles initiatives en vue de faire respecter les standards en matière de droits de l'Homme.
M. Jean-Claude Mignon (Seine-Maritime - UMP), président de la délégation, a souhaité interroger le ministre turc sur les conséquences financières de l'effort de réforme entrepris au sein de l'Assemblée :
« J'ai déjà eu l'occasion de vous questionner, à Antalya, lors de la réunion de la Commission permanente en soulignant que l'une des principales difficultés de notre institution consiste en un problème budgétaire. C'est particulièrement vrai pour notre Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. On nous demande de faire des économies. Avec le Secrétaire général, nous sommes en train de réformer notre institution. Peut-on avoir l'assurance que si nous parvenons à réaliser des économies, elles ne viendront pas en déduction des contributions des États, mais seront réinvesties dans le fonctionnement de notre institution ? Cela nous donnera davantage de courage pour réformer. »
M. Davutoðlu lui a répondu :
« Le budget est important pour l'exécution des arrêts, mais le principe de la mise en oeuvre sur la base d'une croissance réelle zéro est partagé par la plupart de nos États membres y compris pour l'année 2011. Il doit donc être utilisé efficacement pour relever les défis de l'heure. Le Secrétaire général présentera en temps utile ses propositions en matière de priorités pour le premier programme couvrant la période 2012-2013. Il appartiendra, in fine, aux États membres de statuer en fonction du principe de croissance réelle zéro retenu. »