D. L'ÉTAT DE LA RÉFLEXION INSTITUTIONNELLE EN GUADELOUPE

Lorsqu'a été envisagée par le Président de la République la tenue des consultations statutaires et institutionnelles en Guyane et en Martinique pour janvier 2010, les élus de Guadeloupe ont souhaité obtenir un délai de dix-huit mois supplémentaires de réflexion.

Ainsi, réuni le 24 juin 2009, quelques semaines après la crise sociale très dure du début de l'année, sous la présidence de notre collègue Jacques Gillot, président du conseil général, le congrès des élus départementaux et régionaux a souhaité, avant toute évolution institutionnelle, travailler à l'élaboration d'un « projet guadeloupéen de société » avec la population et les représentants de la société civile. L'objectif présenté lors du congrès était, au regard du projet qui aura été élaboré, de demander le statut qui sera le plus à même de permettre la réalisation de ce projet.

1. Les propositions du congrès des élus du 28 décembre 2011

Réuni le 28 décembre 2010, sous la présidence de notre collègue député Victorin Lurel, président du conseil régional, et sur la base des travaux d'une commission mixte entre le conseil régional et le conseil général chargée de formuler des propositions relatives à la réforme territoriale, le congrès des élus départementaux et régionaux a constaté que le processus d'élaboration du projet guadeloupéen de société n'était pas encore achevé, malgré le calendrier initial qui prévoyait un délai de dix-huit mois à compter de juin 2009.

Le congrès a aussi écarté expressément, à l'unanimité, tout passage au statut de collectivité d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, sans pour autant se prononcer sur la possibilité d'une évolution institutionnelle au sein de l'article 73. Il a en revanche demandé une adaptation de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales 97 ( * ) , qui a pour effet de créer une « assemblée commune » 98 ( * ) au département et à la région par la création du conseiller territorial. Cette demande d'adaptation portait sur deux aspects : le nombre de sièges et le mode de scrutin.

Ainsi, le congrès a souhaité que le nombre de conseillers territoriaux en Guadeloupe soit relevé de 43 à 65 et qu'ils soient élus soit au scrutin mixte, c'est-à-dire pour moitié au scrutin majoritaire uninominal et pour moitié au scrutin proportionnel de liste avec prime majoritaire de 50 %, soit sinon au scrutin proportionnel de liste avec prime majoritaire de 25 % et quatre sections électorales correspondant aux quatre circonscriptions législatives.

Même si elles suggèrent qu'une adaptation du conseiller territorial serait une évolution institutionnelle suffisante, les délibérations du congrès du 28 décembre n'ont cependant pas formellement écarté la possibilité de créer une collectivité unique ou une assemblée unique. Cette position a néanmoins été critiquée, au motif qu'elle permettait de ne pas avoir à consulter les électeurs guadeloupéens sur leur avenir institutionnel.

Le 14 février 2011, le Président de la République a signifié aux élus guadeloupéens qu'il n'était pas possible, dans le cadre de la réforme territoriale et de la création des conseillers territoriaux, d'en prévoir une application différente pour la Guadeloupe dès lors qu'elle restait dans le droit commun territorial, se limitant à proposer une réévaluation limitée de 43 à 45 du nombre des conseillers territoriaux pour mieux représenter le territoire de la Guadeloupe et tenir compte de ses spécificités archipélagiques 99 ( * ) .

Notre collègue député Victorin Lurel, président du conseil régional, a perçu cette réponse du Président de la République comme une restriction de la notion de départementalisation adaptée. Selon lui, les contraintes particulières de la Guadeloupe devraient permettre, juridiquement, de faire droit aux demandes d'adaptation formulées par le congrès, sans quitter le calendrier électoral de droit commun auquel il a marqué son attachement. Il a ainsi fait part à vos rapporteurs de ses questions constitutionnelles, s'interrogeant sur l'étendue à donner, en matière institutionnelle, à la possibilité d'adaptation reconnue par l'article 73 de la Constitution : que peut signifier la notion d'adaptation pour la loi électorale ? Quelle est la nature des « caractéristiques et contraintes particulières » de la Guadeloupe, pour reprendre les termes de l'article 73, qui pourraient la fonder, en dehors de sa seule géographie archipélagique ? En d'autres termes, la collectivité unique serait-elle le seul moyen pour obtenir un mode de scrutin qu'il juge plus approprié ?

Le Président de la République a néanmoins explicitement rappelé aux élus guadeloupéens qu'il demeurait possible, d'ici 2014, date prévue pour la première élection des conseillers territoriaux, de demander une évolution statutaire ou institutionnelle, par exemple la collectivité unique.

2. L'hypothèse d'une demande d'évolution institutionnelle

Compte tenu de la réponse faite par le Président de la République aux demandes du congrès et des discussions qu'ils ont eues avec les élus locaux de Guadeloupe, vos rapporteurs s'attendent à ce que le congrès se réunisse à nouveau en Guadeloupe, dans les mois suivant les élections cantonales de mars 2011, afin d'examiner les possibilités d'évolution.

M. René Noël, président de l'association des maires de Guadeloupe, a fait part de sa conviction selon laquelle, le moment venu, la Guadeloupe choisira son système institutionnel propre, tout en rappelant l'exigence forte de rechercher l'adhésion de la population pour lui permettre de choisir en connaissance de cause.

M. Jacques Bangou, maire de Pointe-à-Pitre, considère d'ailleurs que tout le monde partage l'idée de la nécessité d'une évolution institutionnelle, qui peut rencontrer l'assentiment de la population à condition de ne pas jouer, pour des motifs purement électoralistes, sur la crainte de l'indépendance. Il estime que, si le statu quo se poursuit, la crise sociale reviendra, plus violente.

Une réunion de travail de vos rapporteurs avec notre collègue Jacques Gillot, président du conseil général - dont l'aide logistique a permis le bon déroulement de la mission de vos rapporteurs -, et plusieurs conseillers généraux 100 ( * ) , a permis de vérifier l'intérêt des élus pour la collectivité unique, à condition de ne pas procéder dans la précipitation, mais sans convergence en revanche sur le schéma institutionnel, les deux systèmes guyanais et martiniquais étant tour à tour évoqués. L'exigence d'un projet institutionnel élaboré de façon consensuelle avec la population a été mise en avant, de même que le souci du pluralisme et du fonctionnement démocratique sans concentration excessive des pouvoirs 101 ( * ) et la nécessité de correctement représenter les îles dans le mode de scrutin. Notre collègue Jacques Gillot a estimé que la mise en place d'une collectivité unique devrait être l'occasion de remettre en cohérence les compétences qui sont actuellement exercées par la région et le département.

Par ailleurs, certains élus et représentants de partis politiques, parmi lesquels notre collègue Daniel Marsin, ont fait part d'une incompréhension des électeurs guadeloupéens, qui s'estimeraient floués de ne pas être consultés sur leur avenir institutionnel, contrairement aux électeurs martiniquais et guyanais, renforçant leur défiance à l'égard de leurs élus. Certains considèrent, à tort d'un point de vue de juridique, que le choix de demeurer dans le droit commun de la réforme territoriale devrait faire l'objet d'une consultation.


* 97 Dans le cadre de l'article 87 de la loi, qui habilite le Gouvernement à adapter par ordonnance la création des conseillers territoriaux dans les départements et régions d'outre-mer. Lors de la discussion en première lecture du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, le Sénat avait supprimé cette habilitation, jugée tout à fait inutile juridiquement dès lors que la création des conseillers territoriaux pouvait se faire sans adaptation. Le Gouvernement a souhaité tout de même disposer de cette habilitation, sans que son utilité ait depuis été démontrée. M. Victorin Lurel, président du conseil régional, s'interroge d'ailleurs toujours sur sa signification.

* 98 La délibération précise que « le maintien de deux présidents exécutifs pour cette assemblée constitue une forme d'équilibre des pouvoirs, équilibre auquel les Guadeloupéens ont manifesté leur attachement lors des réunions des comités communaux du projet ».

* 99 La Guadeloupe forme un archipel composé de la Grande-Terre et de la Basse-Terre, séparées par un bras de mer appelé la Rivière Salée, mais également des îles du Sud que sont la Désirade, Marie-Galante et les deux îles des Saintes (Terre-de-Haut et Terre-de-Bas).

* 100 Étaient ainsi représentées les principales forces politiques de la majorité du conseil général : Guadeloupe unie, socialisme et réalités, le Parti progressiste démocratique guadeloupéen, la fédération guadeloupéenne du Parti socialiste et le Parti socialiste guadeloupéen.

* 101 A plusieurs reprises, des élus guadeloupéens ont signalé que l'existence de deux collectivités était perçue par la population comme une garantie démocratique, le président du conseil général étant un contre-pouvoir pour le président du conseil régional et vice versa.

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