E. LE REJET UNANIME DU RENFORCEMENT DES POUVOIRS DU PRÉFET

Dans son article 9, le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique institue un nouveau pouvoir de substitution du préfet dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, qui s'ajoute à ceux déjà prévus dans le droit commun par le code général des collectivités territoriales.

L'article 9 dispose ainsi :

« Lorsqu'une de ces collectivités [de l'article 73] néglige de prendre, ou de faire prendre par un de ses établissements publics, les mesures relevant de ses compétences et nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l'environnement, ou au respect, par la France, de ses engagements européens ou internationaux, le représentant de l'État peut, après mise en demeure restée sans effet, arrêter, en lieu et place de cette collectivité, toute disposition appelée par l'urgence. »

Cette disposition a été discutée lors des États généraux de l'outre-mer organisés à la suite de la crise sociale importante de début 2009. Elle a été retenue par le premier conseil interministériel de l'outre-mer, réuni au Palais de l'Elysée le 6 novembre 2009. Elle a été ainsi exposée par le Président de la République à cette occasion :

« Il faut bien reconnaître que, parfois, les blocages politiques rendent la vie de nos concitoyens ultramarins impossible, pour des raisons difficilement compréhensibles. Ainsi, dans le domaine de la gestion des déchets sur certains territoires par exemple. Cela a conduit la France à être mise en difficulté devant l'Union européenne pour non-respect des directives communautaires. Dans ce cas il faut que l'État puisse se substituer aux collectivités locales défaillantes dans un certain nombre de cas bien précis. Ce pouvoir de substitution, qui existe déjà en matière budgétaire, sera très encadré notamment avec des procédures d'alerte de la collectivité. Mais je vous le dis, mes chers amis, si personne ne se décide à agir, l'État prendra ses responsabilités et il agira. Cela pourra être le cas, par exemple, en matière de santé publique ou en matière d'environnement. »

Vos rapporteurs tiennent à souligner que cette disposition ne concerne pas seulement les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique, mais également le Département de Mayotte, les départements et régions de Guadeloupe et de La Réunion, ainsi que les communes et leurs établissements publics. Le champ d'application est ainsi particulièrement large.

Le représentant de l'État dispose déjà de pouvoirs de substitution de droit commun vis-à-vis des communes, départements et régions 102 ( * ) . Il peut aussi, par le contrôle de légalité, déférer des actes au tribunal administratif. Il existe également un contrôle des comptes par les chambres régionales des comptes.

Perçue comme une recentralisation et une infantilisation, voire une humiliation, des élus, cette disposition a été unanimement rejetée par les élus et partis politiques rencontrés par vos rapporteurs. L'expression employée a été partout la même, le « retour du gouverneur », en référence au gouverneur colonial qui administrait le territoire avant la départementalisation.

Le problème particulier du traitement des déchets en Guyane, mais aussi en Guadeloupe, a été avancé pour justifier cette disposition 103 ( * ) . La France est en effet menacée d'être condamnée à de lourdes astreintes pour violation des règles européennes en matière de traitement déchets, du fait de la carence des autorités locales. Plusieurs personnes rencontrées par vos rapporteurs ont indiqué que l'application de ces règles représenterait des coûts exorbitants pour les communes, dont les finances sont déjà dans une situation difficile. Le président du conseil régional de Guyane a évoqué un triplement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour créer des centres de traitement. Notre collègue Jacques Gillot, président du conseil général de Guadeloupe, estime qu'il ne faut pas oublier dans ce dossier la part de responsabilité qui incombe à l'État, pour ne pas avoir incité davantage les communes à exercer leur compétence. Même M. Bertrand Diringer, président des chambres régionales des comptes de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, s'est interrogé sur l'adaptation, notamment à la Guyane, des normes communautaires en matière de traitement des déchets et sur le coût significatif de leur application.

Aussi, concernant spécifiquement cette question des déchets, vos rapporteurs s'interroge sur la pertinence d'appliquer indistinctement dans les départements d'outre-mer les règles européennes avec toute leur rigidité, alors même que, selon les traités européens 104 ( * ) , les régions ultrapériphériques peuvent bénéficier d'adaptations tenant compte de leurs spécificités. Ils s'interrogent donc sur la possibilité pour la France, au titre de cette faculté, de solliciter pour le traitement des déchets, comme d'ailleurs pour toute question spécifique à l'outre-mer, un régime d'exception, des règles plus adaptées ou encore une période plus longue de mise aux normes, et ainsi appliquer les possibilités ouvertes par les traités eux-mêmes.

Compte tenu du poids symbolique négatif de ces nouveaux pouvoirs du préfet si l'article 9 du projet de loi était adopté en l'état, vos rapporteurs estiment très improbable leur utilisation. Il convient donc de supprimer cette disposition ou, à tout le moins, de la rédiger sous une forme plus acceptable.


* 102 L'inscription d'office au budget d'une collectivité, par le préfet, d'une dépense obligatoire résulte d'une mise en demeure, restée sans effet, adressée à la collectivité par la chambre régionale des comptes, saisie le cas échéant par le préfet (article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales). Lorsque les crédits sont inscrits, le préfet peut mandater d'office une dépense obligatoire de la collectivité, après mise en demeure restée sans effet (article L. 1612-16 du même code). Le préfet peut se substituer au maire lorsque celui-ci, en sa qualité d'agent de l'État, refuse de faire les actes prescrits par la loi (article L. 2122-34 du même code). En matière de police municipale, le préfet peut, en cas de négligence des autorités municipales d'une ou plusieurs communes, prendre « toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques » (article L. 2215-1 du même code). Le préfet peut se substituer, après mise en demeure, au président du conseil général lorsque celui-ci néglige d'exercer ses attributions en matière de police sur le domaine départemental (article L. 3221-5 du même code). Le code de la santé publique comporte des dispositions analogues, en cas de menace sur la santé publique (article L. 1311-4).

* 103 A cet égard, Mme Marie-Laure Phinéra-Horth, maire de Cayenne, a fait état d'un projet de syndicat entre le département et la ville de Cayenne, pour le traitement des ordures ménagères.

* 104 Le premier alinéa de l'article 349 du traité instituant la Communauté européenne, tel qu'il résulte du traité de Lisbonne, stipule en effet : « Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes. ».

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