4. Une valeur ajoutée difficile à identifier précisément

Les résultats obtenus dans les territoires en délégation sont globalement satisfaisants par rapport aux objectifs de production de logements fixés par les conventions et en termes de consommation des crédits disponibles.

Peut-on pour autant attribuer ces réussites au mode de gestion en délégation ou sont-elles la conséquence d'autres facteurs, comme la typologie particulière des territoires concernés souvent caractérisés par la tension de leur marché immobilier ?

Confronté à cette interrogation, votre rapporteur spécial n'a pu que constater la faiblesse des informations disponibles et l'absence d'études comparatives. Les représentants de l'Etat et ceux de l'ANAH ont indiqué ne pas disposer de statistiques discriminant les territoires en fonction de leur mode de gestion.

Les opinions formulées ne reposent alors que sur des bases subjectives. Ainsi, selon les responsables de l'ANAH, « il ne peut pas être considéré que la délégation permette d'une manière générale une meilleure consommation des crédits ou une économie budgétaire . Les territoires de délégation ne se distinguent pas par le niveau d'atteinte des objectifs . »

a) Sur la pratique budgétaire de l'Etat

Auditionné par votre rapporteur spécial, le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, a indiqué que la délégation n'avait entrainé aucune modification des pratiques antérieures de l'Etat s'agissant de la définition des enveloppes régionales des aides à la pierre.

Les délégations de compétence ne font d'ailleurs pas l'objet d'un suivi particulier de la DHUP dans le cadre du bilan de performance présenté dans les documents budgétaires .

Le projet annuel de performances (PAP) de la mission « Ville et logement » sur le programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement » ventile certes les crédits entre transferts aux entreprises (43 %), correspondant au versement d'aides à la pierre directement aux bailleurs sociaux par les services de l'État, et transferts aux collectivités territoriales (57 %), correspondant aux versements aux délégataires, mais aucun objectif ou indicateur de performance ne fait état de cette distinction dans la présentation des résultats obtenus.

Un audit des opérations d'inventaire en matière d'aide à la pierre a été conduit en 2010 par la mission nationale d'audit de la DGFIP et le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Son rapport définitif souligne les lacunes du suivi des délégations et les marges d'amélioration en la matière.

« De façon générale, les délégataires ne respectent pas les dispositions conventionnelles relatives à l'information du délégant. Il en résulte un contrôle imparfait et une connaissance insuffisante du délégant sur l'état d'avancement de la réalisation du programme conventionnel de production de logements. En effet, le recensement des besoins réels des organismes et des délégataires est basé sur un système déclaratif et les services n'ont, dans la plupart des cas, aucun moyen de contrôle de la consommation des crédits . »

b) Sur le nombre de logements construits

De manière générale, les personnes auditionnées par votre rapporteur spécial ont considéré que les résultats obtenus en termes de construction de logements sont difficilement voire impossibles à attribuer avec certitude au mode de gestion des crédits d'aides à la pierre.

Certes, le bilan pour l'année 2010 du nombre de logements hors ANRU sur les différents territoires de programmation montre la prédominance des territoires en délégations qui rassemblent la majorité des logements financés, quelle que soit leur catégorie.

Logements financés en 2010

PLAI

PLUS

Total

Objectif 2010

% financé

PLS
et PLS foncière

Aide spécifique hébergement

Total LLS

Total

25 802

58 981

84 783

93 000

91,2%

45 692

1 034

131 509

Part des
délégataires

12 267

34 650

49 917

52 140

95,7%

25 112

541

75 570

En %

59,2%

58,7%

58,9%

55%

52,3%

57,5%

Source : infocentre Sisal DHUP

Ces résultats annuels sont confortés par le bilan des cinq premières années de la délégation. Ils illustrent le fait que depuis 2005, première année des premières conventions de délégation, le nombre de logements financés par les délégataires de compétence n'a cessé de croître, tout comme leur part dans la production globale de logements. Depuis 2007, le nombre de logements financés en territoire délégué est supérieur à celui des logements financés hors territoire de délégation 10 ( * ) .

Bilan global de la production de logements sur 2005-2010 (parc public)

(en nombre de logements hors hébergement)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Hors délégation

57 055

51 199

43 799

46 707

52 089

55 395

Délégation

7 225

43 535

48 673

50 657

65 026

75 159

Total

64 280

94 734

92 472

97 364

117 115

130 554

% en délégation

11 %

46 %

53 %

52 %

56 %

58 %

Source : infocentre Sisal DHUP

Ces résultats globaux ne sont pourtant pas concluants quant à l'efficacité de la gestion en délégation de compétence.

Une analyse plus fine montre, en effet que les territoires où les aides à la pierre sont gérées par l'Etat n'ont pas de meilleurs ou de pires résultats que les conseils généraux ou EPCI délégataires.

Cette constatation se vérifie sur plusieurs critères et, en particulier, celui du dépassement des objectifs PLAI et PLUS qui est souvent cité comme une des réussites des territoires en délégation.

Il serait toutefois assez illusoire de fonder un jugement sur les délégations de compétence à partir des chiffres de la production de logements rapportés aux objectifs fixés par la programmation physique.

La première raison est que certains EPCI délégataires ont une taille très réduite 11 ( * ) ; or plus le territoire est limité, plus l'exercice de programmation est difficile.

Les délégataires ont aussi la possibilité d'annuler des opérations financées au cours des années antérieures pour dégager des ressources permettant de financer des opérations au titre de l'exercice en cours. Cette faculté réduit la signification des dépassements d'objectifs, le bilan d'une délégation de compétence ne pouvant dès lors s'établir non pas en additionnant les résultats des publications annuelles successives mais en effectuant le bilan actualisé sur la durée de la convention.

Mais surtout, les objectifs inscrits dans les conventions de délégation ont parfois été emprunts d'un fort volontarisme . Plutôt que de s'appuyer sur les PLH existants et les besoins des territoires, ils reflétaient les ambitions du plan de cohésion sociale. Dans la plupart des cas, les objectifs chiffrés résultant du PCS étaient supérieurs à ceux des PLH et leur ventilation entre les produits du parc social et du parc privé n'étaient pas compatibles 12 ( * ) .

c) Sur la consommation des crédits

Votre rapporteur spécial s'est interrogé sur l'impact de la gestion en délégation s'agissant du taux de consommation des subventions.

En ce qui concerne le parc privé , l'ANAH estime qu'il n'y a pas de différence entre les territoires en délégation et les autres. Le taux d'engagement des crédits atteint un niveau très satisfaisant et s'il est légèrement plus faible en délégation, la différence tend à disparaître. Au total, les crédits ANAH sont toujours consommés à hauteur de 97 % ou 98 %.

Taux d'engagement des crédits à destination du parc privé

Montant total des enveloppes

Montant total des enveloppes engagées

Taux d'engagement total

Montant total des enveloppes notifiées aux délégataires

Montant total des enveloppes engagées par les délégataires

Taux d'engagement des délégataires

Enveloppe déléguée /Enveloppe totale

2006

503 259 318 €

477 925 526 €

95 %

213 978 219 €

188 644 629 €

88 %

43 %

2007

584 580 690 €

552 719 633 €

95 %

289 656 936 €

257 795 879 €

89 %

50 %

2008

539 895 058 €

525 798 577 €

97 %

265 028 487 €

250 934 350 €

95 %

49 %

2009

669 417 546 €

619 250 312 €

93 %

329 361 690 €

290 230 468 €

88 %

49 %

2010

563 407 559 €

556 868 644 €

99 %

254 327 986 €

250 655 376 €

99 %

45 %

Source : ANAH

Les avis semblent plus partagés pour les aides au logement locatif social .

Ainsi, lors de son audition, notre collègue Philippe Leroy, vice-président de l'ADF s'est appuyé sur l'exemple de la Moselle, en affirmant que le département avait « reçu plus d'argent que nécessaire ».

La chambre régionale des comptes d'Ile-de-France 13 ( * ) avait pointé un problème de sous-consommation de CP pendant les premières années de la convention de délégation du département de Paris. Elle observe que « l'Etat déléguait les CP prévus dans la convention, souvent tardivement et le délégataire ne reversait pas aux bailleurs ». Dans le cas de Paris, délégataire départemental, le taux de consommation des crédits délégués atteint seulement 0,23 % en 2005, première année de la convention 14 ( * ) .

De manière générale, la régulation des CP s'est souvent révélée déficiente et peu en phase avec le rythme de consommation des crédits par les délégataires.

Le rapport de la mission d'audit DGFIP-CGEDD précité, indique par exemple que les contrôleurs financiers régionaux (CFR) de deux régions auditées (Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur) ont demandé une révision des conventions afin de ne plus permettre les avances systématiques ; ce sont donc les consommations réelles de crédits qui conditionnent l'octroi de nouvelles délégations. Pour le délégataire principal Marseille Provence Métropole (MPM), il n'y a ainsi pas eu de délégations de CP en 2008 ni en 2009.

d) En termes d'efficacité de l'action publique

La mise en place des circuits administratifs de la délégation des aides à la pierre a eu pour conséquence négative une complexité accrue des procédures qu'il convient cependant de ne pas surestimer.

La « lourdeur administrative » tient à la coexistence de trois territoires de programmation : en cas de délégation de compétence à un EPCI, c'est le territoire de l'EPCI ; en cas de délégation de compétence à un département, c'est le territoire du département duquel sont retirés le cas échéant les territoires des EPCI délégataires ; enfin, la partie du territoire de chaque département qui ne fait pas l'objet d'une délégation de compétence est gérée par les services de l'Etat.

S'agissant de l'ANAH, il a été fait état d'une augmentation des temps moyens de traitement d'un dossier d'aide de trois jours supplémentaires pour le délégataire compte tenu des délais de transmission des dossiers.

Quant au bilan en termes de dépenses de fonctionnement et de personnel , il n'a jamais été effectué 15 ( * ) .

Il est pourtant certain que les délégataires ont recruté, alors qu'il n'est pas sûr que l'Etat ait réduit d'autant ses effectifs. En effet, les services de l'Etat et/ou de l'ANAH assurent aujourd'hui l'instruction des dossiers de financement sur près de 80 % des territoires de délégation. Seuls douze délégataires assurent eux-mêmes l'instruction des dossiers de financement du parc privé et du parc public, huit n'assurent que l'instruction pour le parc public et quatre uniquement pour le parc privé. Par ailleurs, la délégation de compétence entraîne une activité supplémentaire liée au pilotage des conventions : négociation des conventions initiales, déclinaison des programmations nationales annuelles, mise au point et instruction des avenants annuels, des avenants de gestion, et dans certains cas, des avenants spécifiques en cas de modification du contexte local ou national, suivi des objectifs, des engagements et des paiements, et évaluation. Ces missions supplémentaires doivent être assurées par les agents des DDT ou de l'ANAH, que l'instruction des dossiers ait été prise par le délégataire ou non.


* 10 Cette évolution est à mettre en parallèle avec l'augmentation depuis 2005, des sommes engagées par les délégataires pour le compte de l'Etat et de leur part dans les financements globaux sur le territoire métropolitain. Depuis 2007, les sommes engagées par les territoires délégués sont supérieures à celles engagées hors territoires de délégation. Sur l'ensemble des sommes engagées sur 2005-2010 (en €) pour le développement de l'offre nouvelle, les territoires en délégation représentent 54 % de l'ensemble des financements, soit 1,6 milliard sur 3,024 milliards.

* 11 Le seuil minimum opposable aux EPCI pour la délégation de compétence a été écarté par le Sénat en 2004.

* 12 Ce point était déjà soulevé par une étude réalisée pour le compte de l'USH par l'Observatoire de l'économie et des institutions sociales en juin 2007.

* 13 Rapport d'observations définitives (ROD) sur la gestion du logement social et de la délégation des aides à la pierre à Paris. Juillet 2010.

* 14 Comme le précise toutefois le ROD : « Selon la collectivité parisienne, les enseignements de la sous-consommation en CP auraient été tirés. L'Etat aurait commencé à tenir compte, en 2009, des crédits de paiements non employés pour déterminer le montant de ceux à verser au département de Paris ». En conséquence, il n'y a pas eu de versement de CP pour Paris en 2009.

* 15 Le seul surcoût certain est celui du schéma directeur informatique lancé par l'ANAH pour se doter d'un nouvel applicatif (OP@L) capable de gérer des réglementations locales, soit 2,8 millions d'euros.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page