D. LE VOLET FINANCIER DE L'HYPER-COMPÉTITIVITÉ ALLEMANDE

Les enchaînements en cours dans les années 2000 ont provoqué une augmentation de la valeur du patrimoine extérieur de l'Allemagne

La hausse de la position créditrice de l'Allemagne peut apparaître comme un élément positif. Dans une interprétation des mécanismes à l'oeuvre dans le pays, se référant à l'adoption d'un « néomercantilisme » allemand, elle serait même l'un des objectifs plus ou moins délibérés de la stratégie économique allemande.

Confrontée à des perspectives économiques moroses du fait d'un affaiblissement probable de sa croissance potentielle, de la concurrence industrielle renforcée des pays émergents et de la dégradation de ses équilibres démographiques 65 ( * ) , l'Allemagne serait entrée dans une phase d'épargne et d'accumulation visant à constituer la base de revenus courants complémentaires pour le futur.

Le faible niveau de l'investissement productif en Allemagne et le défaut d'intensification nette de l'effort de R&D combinés avec l'augmentation de la position créditrice sur le reste du monde étayent ce diagnostic pour le passé.

Dans cette mécanique, il s'agirait de compenser le ralentissement probable des revenus tirés du PIB par l'augmentation des revenus perçus à partir du capital constitué à l'étranger.

La cohérence d'un tel projet peut apparaître forte de prime abord. Au demeurant, la France a suivi elle-même un tel schéma. Alors qu'au milieu des années 90, les revenus nets engendrés par les investissements directs à l'étranger étaient négatifs, ils ont progressé par la suite pour atteindre, en cumulé, 78 milliards d'euros entre 1999 et 2004.

Par ailleurs, dans un contexte de liberté des flux de capitaux où l'allocation optimale du capital est une quasi-obligation, on peut toujours justifier un tel système par le constat de la supériorité du rendement du capital investi dans les pays en forte croissance économique ou sur telle ou telle classe d'actif accessible hors des frontières nationales.

Malgré tout, la question de la robustesse d'un tel plan implicite se pose de même que celle de la cohérence des effets de richesse qu'il exerce avec ses effets sur le potentiel de croissance du pays qui le met en oeuvre.

Sur le premier point, on a indiqué que l'Allemagne se singularisait par les conditions dans lesquelles son actif net sur le reste du monde s'accroît. Elle paraît privilégier le truchement de son système bancaire plutôt que le recours à des investissements directs à l'étranger. Il est possible que cette structure de choix résulte de la préférence des entreprises allemandes pour la constitution d'un réseau international plus flexible que celui qu'offrent des investissements en capital.

Ce choix (plus ou moins implicite) a un premier inconvénient : il expose l'accumulation des actifs sur l'étranger aux faiblesses d'un système bancaire dont le niveau de régulation n'est pas satisfaisant.

Par ailleurs, la cohérence entre les mécanismes macro-économiques qui engendrent les excédents commerciaux de l'Allemagne et l'allocation de la contrepartie financière de ces excédents est problématique. Si l'on considère que les premiers reposent sur un désajustement des équilibres économiques avec, d'un côté, une Allemagne, excessivement exportatrice, et, de l'autre, des importateurs, excessivement endettés, la soutenabilité des dettes de ceux-ci peut n'être pas assurée posant, dans l'hypothèse, assez réaliste, où le pays excédentaire renforce sa position créditrice sur les pays déficitaires, un problème systémique exposant le pays en excédent à une dévalorisation de ses actifs.

Une telle mécanique paraît clairement à l'oeuvre en Europe (ainsi d'ailleurs que dans le monde).

En bref, l'accumulation d'excédents et de déficits pose problème non seulement dans la sphère réelle mais également dans la sphère financière et les déséquilibres qu'elle y occasionne sont un problème pour les débiteurs mais aussi pour les créanciers.

Il est bien possible que la pression en découlant pour les débiteurs et les créanciers soit asymétrique et qu'elle s'exerce plus fortement sur les premiers. La rareté relative des ajustements des excédents courants par rapport aux épisodes concernant les déficits, pointée par le FMI, en témoigne.

Mais dans une telle configuration, des ajustements s'imposent dont les créanciers subissent nécessairement une partie de la charge :

- d'abord, l'ajustement macroéconomique dans les pays débiteurs risque de réduire l'assise de leurs excédents ;

- ensuite, l'existence de créances compromises se révèle, ce qui réduit la valeur de leur patrimoine ;

- le rendement des actifs peut s'affaisser ;

- l'union monétaire entre les pays peut se disloquer pour permettre les ajustements de taux de change réels nécessaires...

On peut toujours estimer que les pays créanciers disposent de la faculté de réorienter leurs actifs vers des positions moins risquées. Mais, outre l'amplification des déséquilibres que cela peut induire pour les pays débiteurs, avec, en retour, tous les effets décrits, le monde multipolaire d'aujourd'hui, où notamment le système monétaire n'est pas régulé et où les déséquilibres commerciaux touchent souvent les pays les plus dynamiques et porteurs, n'offre pas nécessairement d'alternative satisfaisante aux actifs accessibles dans la zone monétaire qui est celle des créanciers.

En bref, une stratégie d'accumulation d'excédents réels peut poser un problème d'allocation de leur contrepartie financière d'autant plus aiguë que les excédents réels reposent sur des déséquilibres macroéconomiques.

Par ailleurs, la stabilité externe d'un régime économique reposant sur un objectif de maximisation des excédents extérieurs peut être remise en cause par l'accumulation d'actifs financiers.

Mais avant d'en expliquer les raisons, il convient d'apprécier les effets de richesse attendus de l'accumulation d'excédents commerciaux et des actifs financiers qui en découlent.

Dans un pays où les excédents commerciaux sont réalisés au terme de mécanismes augmentant les inégalités de revenu 66 ( * ) , les inégalités de patrimoine tendent à augmenter. L'accumulation d'actifs correspondant aux excédents commerciaux est par conséquent inégale. Le processus peut donc engendrer des inégalités cumulatives. Les effets de richesse attendus représentent des opportunités inégales pour les agents économiques. Une mécanique mercantiliste ne profite qu'aux agents du pays qui peuvent accéder aux créances, c'est-à-dire à ceux dont l'épargne est suffisamment élevée.

Cela dit, il faut envisager les incidences des effets de richesse provoqués par une telle mécanique. Ils peuvent entrer en collision avec les contraintes d'équilibre du système économique en conduisant à l'inflexion du régime de croissance vers davantage de demande domestique même si les salaires sont contraints.

L'intensité de ce processus dépend de la distribution des actifs et la nature de la transmission des effets de richesse également.

Quoiqu'il en soit de cette question à ce stade, le problème se pose de l'adéquation entre l'augmentation de la demande et les possibilités de l'offre. À terme, une recomposition de celle-ci est probable mais un système durablement tourné vers la production de biens échangeables peut n'être pas en mesure de répondre au surcroît de la demande.

La gamme des incidences de cette inadéquation est assez large (allant de l'augmentation des importations à l'inflation ou aux bulles d'actifs). Ce qui importe ici est de montrer que l'hyper-compétitivité (dont l'élévation du poids des exportations et du solde commercial dans le PIB allemand témoignent) recèle des déséquilibres non seulement pour les partenaires mais aussi pour le pays concerné.

Ces déséquilibres sont d'autant plus élevés que le pays ne profite pas de ses excédents pour augmenter son potentiel de croissance.


* 65 Une population confrontée aux perspectives du vieillissement aurait tendance à épargner.

* 66 Si celles-ci ne sont pas corrigées par la redistribution.

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