N° 664

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) et de la commission des affaires européennes (2) sur les relations entre l' Union européenne et la Russie ,

Par M. Yves POZZO di BORGO,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Bel, René Beaumont, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di  Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

(2) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes  Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Mme Roselle Cros, M. Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

INTRODUCTION

«L'Europe doit respirer avec ses deux poumons :
celui de l'Est et celui de l'Ouest »

Jean-Paul II

Mesdames, Messieurs,

A la demande du Président Hubert Haenel, j'avais présenté, il y a quatre ans, au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, un rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et la Russie 1 ( * ) , qui était paru quelques jours avant l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, en mai 2007.

A l'époque, les relations entre l'Union européenne et la Russie étaient marquées par de fortes tensions, avec notamment la vive opposition de Moscou au projet d'installation d'éléments du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque, à l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie, ou encore en raison des crises du gaz.

Ainsi, le lancement des négociations sur un nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie, qui doit succéder à l'actuel accord de partenariat et de coopération, signé en 1994 et entré en vigueur en 1997 pour une période initiale de dix ans, était durablement bloqué, notamment en raison du veto de la Pologne, puis de la Lituanie.

La situation en matière de démocratie et de droits de l'homme en Russie était également une importante source de préoccupation.

Malgré ce contexte difficile, il me semblait indispensable de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Depuis l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, la Russie représente pour l'Union européenne, son plus grand voisin, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur de gaz et de pétrole. De son côté, l'Union européenne constitue le premier partenaire commercial de la Russie et son principal débouché pour ses hydrocarbures. En réalité, il existe une interdépendance entre l'Union européenne et la Russie.

De plus, si l'Union européenne veut jouer un rôle accru sur la scène internationale et faire entendre sa voix dans la mondialisation, face aux Etats-Unis ou aux puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, elle se doit d'établir un dialogue étroit avec la Russie.

Par ailleurs, je crois que la plupart des malentendus s'expliquent par le fait que de nombreux responsables occidentaux continuent de regarder la Russie avec des lunettes datant de la guerre froide, alors que celle-ci s'est achevée depuis plus de vingt ans avec la disparition du bloc soviétique et de l'URSS.

Je plaidais donc, dans mon rapport, en faveur d'un renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie et de la mise en place d'un véritable partenariat stratégique.

Depuis quatre ans, le contexte international a beaucoup changé.

Les relations entre la Russie et les Etats-Unis se sont nettement améliorées depuis l'élection du Président Barack Obama, de même que la coopération entre l'OTAN et la Russie. Dans le même temps, on a assisté à la poursuite de la montée en puissance de la Chine et des autres pays émergents, comme le Brésil ou l'Inde.

Or, si les deux partenaires ont connu des évolutions, notamment avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et l'élection de Dimitri Medvedev à la présidence de la Russie, la place de l'Europe et de la Russie semble s'être relativisée par rapport à l'Asie ou aux autres grands ensembles.

La crise économique mondiale, la chute brutale du prix des hydrocarbures et la découverte du gaz de schiste ont révélé les fragilités de l'économie russe, qui reste encore fortement dépendante du pétrole et du gaz.

Les négociations sur le nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie ont été lancées en juin 2008, mais semblent piétiner depuis. Ainsi, le dernier Sommet Union européenne-Russie, qui s'est tenu les 9 et 10 juin à Nijni-Novgorod, n'a pas permis de réaliser de grandes avancées.

J'ai donc pensé utile de « réactualiser » mon rapport afin de dresser un nouvel état des lieux des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Compte tenu du rôle majeur joué par la Russie sur la scène internationale, il m'a semblé opportun que ce rapport soit présenté à la fois devant la commission des Affaires européennes et la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat.

J'ai, en effet, la conviction qu'il est indispensable de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie de manière à établir un véritable partenariat stratégique fondé sur un espace économique commun, de libre circulation des personnes et de sécurité à l'échelle du continent, comme l'a d'ailleurs souligné le Président de la République à Evian en 2008.

Enfin, je tiens à remercier les nombreuses et diverses personnalités rencontrées à Paris, à Bruxelles, à Genève et à Moscou, pour leur grande disponibilité et leur aide précieuse dans l'élaboration de ce rapport. 2 ( * )

I. UN NOUVEAU CONTEXTE PLUS FAVORABLE AU DÉVELOPPEMENT DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA RUSSIE

Depuis 2007, le contexte des relations entre l'Union européenne et la Russie a beaucoup évolué, tant en raison de facteurs externes que de raisons internes.

A. LES RAISONS INTERNES

Par rapport à 2007, la physionomie de l'Union européenne a été transformée avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1 er décembre 2009, qui a notamment réformé et renforcé les instruments de la politique étrangère de l'Union européenne.

De son côté, la Russie a connu une transition politique inédite, avec l'élection de Dimitri Medvedev à la présidence de la Fédération de Russie en mai 2008 et la désignation de Vladimir Poutine au poste de Premier ministre.

1. Le renforcement des instruments de la politique étrangère de l'Union européenne par le traité de Lisbonne

La politique étrangère est sans doute le domaine où le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1 er décembre 2009, apporte les changements les plus notables.

Ces évolutions ne sont pas sans incidences sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, dans la mesure où, en raison des fortes divisions entre ses Etats membres, l'Union européenne avait du mal à parler d'une seule voix à l'égard de la Russie, qui privilégiait, pour sa part, les relations bilatérales avec les grands Etats membres, comme l'Allemagne ou la France, comme je l'avais souligné dans mon précédent rapport en 2007.

Avec la création d'un président stable du Conseil européen et du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui remplace à la fois le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le Commissaire européen chargé des relations extérieures, le traité de Lisbonne offre à l'Union européenne « une voix et un visage » sur la scène internationale, ce qui devrait permettre de renforcer la cohérence de la politique extérieure de l'Union européenne.

La mise en place du service européen pour l'action extérieure , qui rassemble des fonctionnaires issus des services concernés de la Commission européenne, du Secrétariat général du Conseil et des agents détachés des services diplomatiques nationaux, vise également à renforcer la coordination et l'efficacité de la politique étrangère de l'Union européenne et à favoriser l'émergence progressive d'une culture diplomatique commune en rapprochant les points de vues entre les différents Etats membres.

Les modifications institutionnelles apportées par le traité de Lisbonne ont permis des progrès en ce qui concerne les relations de l'Union européenne avec la Russie

Tout d'abord, la création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique a été une source de clarification concernant les relations avec la Russie.

Auparavant, la compétence concernant les relations avec la Russie était partagée entre le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, le Commissaire européen chargé des relations extérieures, ainsi que les différents commissaires européens compétents.

De même, les différents aspects relatifs aux relations avec la Russie étaient dispersés entre plusieurs services relevant du Secrétariat général du Conseil et les nombreuses directions générales de la Commission européenne, ce qui rendait très difficile une approche cohérente et coordonnée de l'Union européenne.

Dorénavant, c'est le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui, assisté par le service européen pour l'action extérieure, est chargé de coordonner l'ensemble de la politique de l'Union à l'égard de la Russie, y compris au sein de la Commission européenne.

Ainsi, c'est Mme Catherine Ashton et le Service européen pour l'action extérieure qui sont chargés, pour la partie européenne, de piloter les négociations sur le nouvel accord entre l'Union européenne et la Russie, qui devrait remplacer l'actuel accord de partenariat et de coopération.

Ensuite, le traité de Lisbonne a permis de clarifier le partage des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres sur certaines questions sensibles pour les relations avec la Russie, telles que les visas ou en matière de droit de la famille.

Enfin, la présidence stable du Conseil européen a permis de renforcer la préparation et le suivi des Sommets entre l'Union européenne et la Russie.

La Russie est, en effet, le pays tiers avec lequel l'Union européenne dispose du cadre politique le plus dense, avec en particulier deux Sommets Union européenne-Russie par an.

Avant le traité de Lisbonne, l'Union européenne était représentée, lors des Sommets avec la Russie, comme avec les autres pays tiers, par le chef d'Etat ou de gouvernement du pays exerçant la présidence semestrielle du Conseil, le Président de la Commission européenne et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.

Or, comme je l'avais souligné dans mon précédent rapport, les priorités changeantes des présidences tournantes de l'Union européenne, leur volonté d'afficher des résultats à tout prix, mais aussi l'insuffisante coordination entre les différentes institutions européennes, aboutissaient souvent à l'absence de véritables impulsions et à des frustrations inutiles.

Aujourd'hui, l'Union européenne est représentée par le Président du Conseil européen, le Président de la Commission européenne et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sans la présence du pays exerçant la présidence tournante du Conseil.

À l'initiative du Président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont d'ailleurs réunis à Bruxelles, le 16 septembre 2010, pour un Conseil européen extraordinaire consacré aux relations entre l'Union européenne et ses principaux partenaires stratégiques . Rappelons que la Russie avait été reconnue par l'Union européenne comme un « partenaire stratégique » , dans une stratégie commune de juin 1999, mais que cette reconnaissance n'avait pas réellement eu de répercussions pratiques.

L'objectif de ce Conseil européen était d'examiner la manière dont l'Union européenne gère ses relations avec ses principaux partenaires stratégiques que sont la Russie, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil ou le Japon. Il s'agissait, notamment, pour l'Union européenne de mieux définir ses intérêts et ses objectifs et les moyens d'y parvenir.

À la lecture des conclusions adoptées lors de ce Conseil européen, on reste toutefois assez perplexe sur les résultats concrets de ce Sommet concernant les relations entre l'Union européenne et la Russie. Certes, ce Conseil européen a permis de dégager les grands principes qui doivent guider les relations de l'Union européenne avec ses principaux partenaires stratégiques, en particulier, la définition précise des intérêts européens à promouvoir et à défendre, une meilleure articulation entre l'action de l'Union européenne et celle de ses Etats membres, ainsi que la recherche de relations équilibrées fondées sur le principe de réciprocité.

Toutefois, l'accent est principalement mis, dans les conclusions, sur la dimension économique et la libéralisation des échanges.

Surtout, on peut se demander s'il est réellement pertinent de vouloir débattre du partenariat stratégique avec la Russie dans le cadre des relations de l'Union européenne avec l'ensemble de ses autres partenaires.

Or, à mes yeux, le partenariat avec la Russie ne peut être mis sur le même plan , car il se distingue des relations qu'entretient l'Union européenne avec d'autres partenaires, comme la Chine ou le Brésil, ne serait-ce que parce que la Russie est le plus grand voisin de l'Union européenne.

La Russie est d'ailleurs le pays qui a suscité le plus de discussions lors de ce Sommet, comme me l'ont confié le Secrétaire général du service européen pour l'action extérieure, M. Pierre Vimont, ainsi que le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Philippe Etienne, lors de mes entretiens à Bruxelles, ce qui semble confirmer la nécessité d'une approche spécifique des relations avec la Russie.

Extraits des conclusions du Conseil européen extraordinaire du 16 septembre 2010 consacré aux relations entre l'Union européenne et ses partenaires stratégiques

(...)

Un monde en évolution: un défi pour l'UE

1. Dans un monde en évolution rapide, l'Europe est confrontée à de nombreux défis, qui tous appellent une réponse internationale concertée. La récente crise économique et financière a montré de manière frappante à quel point le bien-être, la sécurité et la qualité de vie des Européens dépendent de la conjoncture extérieure. Par ailleurs, l'apparition de nouveaux acteurs, qui ont une vision du monde et des intérêts qui leur sont propres, constitue un nouvel élément important dans l'environnement international.

2. L'Union européenne doit jouer véritablement un rôle sur la scène internationale, en étant prête à assumer sa part de responsabilité dans la sécurité mondiale et à montrer la voie pour trouver des réponses communes à des défis communs. La cohésion interne de l'Union et la vigueur de son économie la rendront mieux à même d'exercer une influence dans le monde. L'Union peut s'appuyer sur son profond attachement au multilatéralisme effectif, en particulier au rôle des Nations unies, aux valeurs universelles et à une économie mondiale ouverte et sur un ensemble d'instruments unique au monde. Elle demeure le plus important bailleur de fonds pour les pays démunis, elle est la première puissance commerciale mondiale et elle a élaboré une politique de sécurité et de défense commune étayée par des outils de gestion des crises, qu'il conviendrait de renforcer encore. Elle joue également un rôle stabilisateur important dans son voisinage. L'Union est parvenue à stabiliser la situation dans les Balkans occidentaux, notamment grâce à la perspective européenne proposée à cette région ; le Conseil européen y reviendra lors d'une prochaine réunion.

3. Conformément au traité de Lisbonne et à la stratégie européenne de sécurité, l'Union européenne et ses États membres agiront de manière plus stratégique afin que l'Europe puisse jouer le rôle qui lui revient sur la scène internationale. Cette dernière doit pour cela pouvoir identifier clairement ses intérêts et objectifs stratégiques à un moment donné et mener une réflexion ciblée sur les moyens de les défendre plus résolument. Le Conseil européen demande que les synergies entre l'Union européenne et le niveau national soient améliorées, conformément aux dispositions des traités, que la coordination entre les acteurs institutionnels soit renforcée, que toutes les politiques et tous les instruments pertinents soient mieux intégrés et que les rencontres au sommet avec les pays tiers soient utilisées plus efficacement, comme indiqué plus en détail à l'annexe I.

4. Les partenariats stratégiques de l'Union européenne avec des acteurs clés dans le monde constituent un instrument utile pour servir les objectifs et les intérêts européens. Mais, pour qu'il en soit ainsi, ces partenariats doivent fonctionner dans les deux sens, sur la base d'intérêts et d'avantages mutuels, étant entendu que tous les acteurs ont des droits mais aussi des devoirs. La pleine participation des économies émergentes au système international devrait permettre d'en répartir les bénéfices de manière équilibrée et d'en partager les responsabilités de manière égale. À cet égard, il est primordial de développer le commerce avec les partenaires stratégiques et de contribuer ainsi à la relance de l'économie et à la création d'emplois. Nous devons prendre des mesures concrètes pour permettre la conclusion d'accords de libre-échange ambitieux, garantir aux entreprises européennes un accès plus large au marché et renforcer la coordination avec nos principaux partenaires commerciaux en matière réglementaire.

(...)

Le Conseil européen du 16 septembre 2010 a néanmoins adopté un ensemble de mesures destinées à améliorer le fonctionnement de la politique extérieure de l'Union européenne , en renforçant notamment la préparation et le suivi des Sommets entre l'Union européenne et les pays tiers, ce qui présente une importance particulière pour les relations avec la Russie.

Mesures internes destinées à améliorer la politique extérieure de l'Union européenne, annexe I aux conclusions du Conseil européen du 16 septembre 2010

a) Dans le cadre de la réflexion qu'il a menée sur des mesures concrètes destinées, de manière générale, à améliorer le fonctionnement de la politique extérieure de l'Union européenne, le Conseil européen appelle de ses voeux une approche plus intégrée, afin que l'ensemble des politiques et instruments pertinents de l'UE et des États membres soient mobilisés pleinement et de manière cohérente, conformément aux dispositions des traités, au service des intérêts stratégiques de l'Union européenne. Lors de la préparation des sommets et des événements internationaux, il faut tenir pleinement compte de l'importance que revêtent des thèmes tels que le changement climatique, la politique énergétique, le commerce, le développement ou les questions liées à la justice et aux affaires intérieures, notamment les migrations et la politique des visas, dans les contacts de l'UE avec ses partenaires et au niveau multilatéral. À cet égard, l'Union européenne devrait davantage renforcer la cohérence et la complémentarité entre sa politique intérieure et sa politique extérieure. La pratique consistant à tenir des débats d'orientation bien avant les sommets devrait être étendue, l'accent devant être mis en particulier sur l'établissement de priorités et d'instructions concrètes.

b) Il convient de renforcer les synergies entre les relations extérieures de l'Union européenne et les relations bilatérales des États membres avec les pays tiers, de manière à ce que, s'il y a lieu, l'action menée au niveau de l'Union européenne complète et renforce celle qui est menée au niveau des États membres et inversement. Le processus d'échange d'informations et de concertation sur les développements intervenus à ces deux niveaux devrait être plus dynamique et plus régulier, sur la base d'un calendrier constamment mis à jour des sommets tenus par l'UE et les États membres avec les principaux partenaires stratégiques.

c) Il est nécessaire d'assurer une coordination étroite et régulière entre l'ensemble des différents acteurs institutionnels participant à la définition et à la mise en oeuvre des relations extérieures de l'Union européenne afin que les représentants de celle-ci puissent défendre des positions cohérentes en ce qui concerne l'ensemble des intérêts et des objectifs stratégiques de l'Union.

d) Des progrès importants ont été accomplis dans la préparation, au niveau de l'Union européenne, des sommets multilatéraux, notamment grâce aux dispositions pratiques sur la représentation de l'UE dans les structures du G8 et du G20 arrêtées par le président du Conseil européen et le président de la Commission, qui sont invités à poursuivre leurs travaux visant à améliorer la manière dont l'Union européenne présente ses positions dans ces enceintes.

e) L'Union européenne doit disposer d'une vue d'ensemble claire des questions particulières que soulèvent les relations avec les divers pays partenaires. Elle doit mettre en place une planification à moyen terme fixant les objectifs à atteindre au fil du temps, chaque sommet se concentrant sur deux ou trois questions essentielles. Le Conseil européen demande donc à la Haute Représentante, en coordination avec la Commission et avec le Conseil des affaires étrangères, d'évaluer les perspectives des relations avec l'ensemble des partenaires stratégiques et de définir en particulier nos intérêts et les moyens que nous pouvons mettre au service de ces intérêts. La Haute Représentante est invitée à présenter un premier rapport sur l'état d'avancement de ces travaux au Conseil européen de décembre 2010. À cet égard, il conviendrait de mener une réflexion sur la fréquence, la configuration et le résultat de ces sommets, qui doivent être davantage ciblés sur la réalisation des objectifs de l'UE. Le Conseil européen invite son président, en coopération avec le président de la Commission et la Haute Représentante, à prendre toute initiative nécessaire en vue d'améliorer ce processus.

f) Le Service européen pour l'action extérieure constituera un instrument de première importance pour soutenir les efforts entrepris afin de renforcer la politique extérieure de l'Union européenne. Ses services, sous l'autorité de la Haute Représentante, apporteront un appui au Conseil européen, au Conseil et à la Commission en ce qui concerne la vue d'ensemble stratégique et la coordination qui sont nécessaires pour assurer la cohérence de l'action extérieure de l'Union européenne dans son ensemble.

Malgré ces avancées, la politique étrangère reste une politique de nature intergouvernementale relevant de la compétence première des gouvernements des Etats membres .

Les orientations en matière de politique étrangère commune continuent de relever des chefs d'Etat et de gouvernement, réunis au sein du Conseil européen, et les décisions des ministres des affaires étrangères au sein du Conseil statuant en règle générale à l'unanimité.

Or, la relation avec la Russie est l'un des domaines qui continue de susciter le plus de clivages entre les Etats membres de l'Union européenne , qui n'ont pas la même expérience historique et ne partagent pas les mêmes intérêts, ni la même vision de ces relations.

En particulier, il subsiste un important clivage entre les Etats membres, avec d'un côté les « pays fondateurs » , comme l'Allemagne, l'Italie ou la France, qui poussent à un renforcement des relations avec la Russie, et, de l'autre, les pays d'Europe centrale et orientale, comme la République tchèque ou les Pays-baltes, qui se montrent souvent plus réservés à l'égard de la Russie, principalement du fait de leur passé et de leur plus grande proximité géographique. Il en va ainsi, par exemple, en matière de suppression des visas de court séjour avec la Russie. Le récent rapprochement entre la Pologne et la Russie montre cependant que ce clivage n'est plus toujours aussi pertinent.

Dans ce contexte, les relations bilatérales occupent toujours une place particulière , comme l'illustrent notamment l'importance des liens entre la Russie et l'Allemagne ou des relations entre la France et la Russie. Ainsi, le Sommet de Deauville, réunissant le Président de la République français, la Chancelière allemande et le Président russe, en octobre 2010, a permis d'aboutir à des avancées sur la question de la libéralisation des visas, qui ont été confirmées lors du Sommet Union européenne-Russie de décembre 2010. De même, en matière énergétique, les relations présentent encore un fort caractère bilatéral, même si des progrès ont été réalisés ces dernières années vers la mise en place d'une politique européenne de l'énergie.

Avec le traité de Lisbonne, l'Union européenne s'est dotée de l'ambition d'une politique commune de l'énergie.

Bien que la construction européenne ait été lancée dans le domaine de l'énergie, avec le premier traité européen de 1951 instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), puis avec l'Euratom en 1957, l'Union européenne ne s'était, pour l'essentiel, intéressée depuis aux questions énergétiques que sous l'angle de la concurrence.

Ce n'est qu'au début des années 2000, avec la publication d'un Livre vert par la Commission sur la sécurité d'approvisionnement énergétique 3 ( * ) , que des priorités ont été esquissées en vue d'élaborer une véritable politique européenne de l'énergie visant à maîtriser la demande, à diversifier les sources d'approvisionnement, à développer un marché intérieur mieux intégré et à maîtriser l'offre externe en privilégiant le dialogue avec les pays producteurs.

Dans ce livre vert, la Commission européenne avait mis en lumière la forte dépendance énergétique de l'Union européenne vis-à-vis des pays producteurs, les importations de pétrole et de gaz devant passer de 50 % aujourd'hui à 70 % vers 2020 ou 2030.

Le traité de Lisbonne a introduit, à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une base juridique nouvelle visant à établir une politique européenne de l'énergie . Cela ne signifie pas pour autant que l'Union européenne n'intervenait pas auparavant dans ce domaine, mais elle le faisait sur la base de la clause de flexibilité de l'ancien article 308 du traité, donc à l'unanimité.

Article 194 du TFU issu du traité de Lisbonne

1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres:

a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie;

b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union;

c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables; et

d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.

2. Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions. Elles n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c).

3. Par dérogation au paragraphe 2, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité et après consultation du Parlement européen, établit les mesures qui y sont visées lorsqu'elles sont essentiellement de nature fiscale.

Le domaine de l'énergie fait désormais partie des compétences partagées entre l'Union et ses Etats membres.

La reconnaissance d'une compétence de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie avait suscité des réticences de la part de l'Allemagne, soucieuse de préserver sa souveraineté et son indépendance en la matière.

D'importantes différences existent, en effet, au sein de l'Union européenne, entre les Etats, comme la France, qui privilégient l'énergie nucléaire, et ceux qui la refusent, principalement pour des raisons environnementales.

Pour lever les craintes de l'Allemagne, il a été précisé que la législation de l'Union européenne « n'affecte pas le droit d'un Etat membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » .

Le traité évoque aussi l' « esprit de solidarité » qui doit prévaloir entre les Etats membres dans la définition et dans la mise en oeuvre de la politique européenne de l'énergie. L'ajout de cette clause, dont la portée juridique demeure imprécise, avait été demandé par la Pologne et par les pays Baltes, lors de la Conférence intergouvernementale de 2007, en raison de leurs différends avec la Russie pour leur approvisionnement en gaz et en électricité.

La politique commune de l'énergie vise, entre autres objectifs, à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie, à assurer la sécurité de l'approvisionnement en énergie et à promouvoir l'efficacité et le développement d'énergies renouvelables.

Son régime juridique est celui de la procédure législative ordinaire, c'est-à-dire, le vote à la majorité qualifiée au Conseil, sur proposition de la Commission européenne et en co-décision avec le Parlement européen, même si le paragraphe 3 de l'article 194 du TFUE autorise, à titre dérogatoire, le Conseil à statuer à l'unanimité, après consultation du Parlement européen, s'agissant des mesures qui sont « essentiellement de nature fiscale » .

La portée de ce nouvel article est précisée par la déclaration n°35 annexée au traité de Lisbonne, qui prévoit que « l'article 194 n'affecte pas le droit des Etats membres de prendre les dispositions nécessaires afin d'assurer leur approvisionnement énergétique dans les conditions prévues par l'article 347 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » , c'est-à-dire en cas de « troubles intérieurs graves affectant l'ordre public, en cas de guerre ou de tension internationale grave constituant une menace de guerre ou pour faire face à des engagements contractés en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale » .

La politique européenne de l'énergie a fait l'objet d'importants développements ces dernières années , notamment à la suite des tensions provoquées par les crises du gaz entre la Russie et l'Ukraine et entre la Russie et la Biélorussie, en 2005 et en 2009, qui ont mis en évidence la dépendance énergétique de l'Union européenne à l'égard de la Russie et la crainte d'une utilisation par Moscou de l'arme énergétique à des fins politiques.

Le 8 mars 2006, la Commission européenne a publié un Livre vert qui assigne trois objectifs à une politique européenne de l'énergie : lutter contre le changement climatique, renforcer la sécurité énergétique et améliorer la compétitivité européenne. En juin 2006, une communication commune du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et de la Commission européenne a souligné l'importance de la dimension extérieure de la politique européenne de l'énergie 4 ( * ) .

Le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007 a adopté le principe d' une politique intégrée énergie-climat en reconnaissant trois objectifs stratégiques majeurs à l'horizon 2020 : économiser 20 % d'énergie, réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dues à la consommation d'énergie et garantir que les sources d'énergie renouvelable représenteront à cette date au moins 20 % du bouquet énergétique de l'Union.

Un plan global, intitulé « Une politique énergétique pour l'Europe » , annexé aux conclusions de ce Conseil européen, comporte cinq priorités : achèvement du marché intérieur du gaz et de l'électricité, sécurité de l'approvisionnement, politique énergétique internationale, efficacité énergétique et énergies renouvelables, technologies de l'énergie.

Le 13 novembre 2008, la Commission européenne a présenté une communication, intitulée « Deuxième analyse stratégique de la politique énergétique - Plan d'action européen en matière de sécurité et de solidarité énergétiques », dont les grandes initiatives ont été approuvées par le Conseil européen, les 19 et 20 mars 2009.

Ce plan d'action, qui a pour objectif de renforcer la sécurité énergétique, érigée en une « question d'intérêt commun pour l'Union européenne », comprend cinq axes : promouvoir les infrastructures essentielles à la satisfaction des besoins en énergie de l'Union européenne ; mettre davantage l'accent sur l'énergie dans les relations internationales de l'Union européenne ; améliorer le système de stockage de pétrole et de gaz, ainsi que les mécanismes de réaction en cas de crise ; créer une nouvelle dynamique en matière d'efficacité énergétique ; faire meilleur usage des réserves énergétiques indigènes de l'Union européenne, en donnant la priorité au développement des énergies renouvelables.

Enfin, en septembre 2009, le Conseil a adopté le troisième « paquet énergétique », qui contient un ensemble de mesures concernant le marché intérieur de l'énergie. Concernant l'électricité, une directive a ainsi été adoptée qui définit les modalités de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité, complétée par un règlement sur les échanges transfrontaliers. En ce qui concerne le marché intérieur du gaz naturel, ont été adoptés une directive sur le transport, la distribution, la fourniture et le stockage et un règlement sur les conditions d'accès aux infrastructures gazières. Un nouveau règlement prévoit aussi la création d'une agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie.

L'adoption de ce troisième « paquet énergétique » a toutefois suscité de fortes réserves en Russie, dont le Premier ministre, Vladimir Poutine, s'est fait l'écho lors de sa visite à Bruxelles, en février dernier.


* 1 Rapport d'information n°307 (2006-2007) sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, présenté par M. Yves Pozzo di Borgo, au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, le 10 mai 2007.

* 2 La liste des personnalités rencontrées figure en annexe du présent rapport.

* 3 « Vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement », 29 novembre 2000.

* 4 « Une politique extérieure au service des intérêts de l'Europe en matière énergétique », juin 2006.

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