2. La lente mise en oeuvre des quatre « espaces communs »

Lors du Sommet de Saint-Pétersbourg, en mai 2003, l'Union européenne et la Russie ont adopté une déclaration visant à renforcer leur coopération avec l'objectif de créer à terme quatre « espaces communs » : un « espace économique commun » ; un « espace commun de liberté, de sécurité et de justice » ; un « espace de coopération dans le domaine de la sécurité extérieure » et un « espace commun de recherche et d'éducation incluant les aspects culturels » .

L'idée de ces quatre « espaces communs » est une initiative française, qui a été reprise au niveau européen grâce au couple franco-allemand.

Des « feuilles de route », qui ont été agréées au Sommet de Moscou, le 10 mai 2005, détaillent pour chacun de ces quatre « espaces communs », les mesures à prendre pour atteindre les objectifs fixés.

A la différence de l'accord de partenariat et de coopération, les « feuilles de route » ne sont pas des instruments juridiquement contraignants, comme le sont les traités internationaux, mais des documents d'orientation. Elles se distinguent également par leur souplesse et leur caractère évolutif. Surtout, elles témoignent d'une approche concrète et pragmatique des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Selon le dernier rapport sur la mise en oeuvre des quatre « espaces communs, de mars 2011 17 ( * ) , les progrès se sont poursuivis en 2010.

a) Les relations économiques se sont beaucoup développées

Le domaine économique est certainement celui où les relations entre l'Union européenne et la Russie ont le plus progressé ces dernières années.

L'Union européenne est, de loin, le premier partenaire commercial de la Russie avec lequel elle réalise plus de la moitié de ses échanges (55 % des exportations russes ont été dirigées vers l'Union européenne et 49 % des importations de la Russie provenaient de l'Union européenne en 2005).

En sens inverse, la Russie ne constitue que le 3 e partenaire commercial de l'Union, après les États-Unis et la Chine , avec lequel elle réalise 11 % de ses importations et 6 % de ses exportations.

Après une période de forte croissance, les échanges de biens entre l'Union européenne et la Russie ont connu une reprise partielle en 2010, après avoir connu une forte baisse en 2009 en raison de la crise économique mondiale.

Les exportations de l'Union européenne vers la Russie ont baissé, passant de 105 milliards d'euros en 2008 à 66 milliards d'euros en 2009, puis ont augmenté à 87 milliards en 2010.

Les importations ont, quant à elles, diminué, passant de 178 milliards d'euros en 2008 à 118 milliards d'euros en 2009, puis sont remontées à 158 milliards en 2010.

En conséquence, le déficit du commerce extérieur de l'Union européenne avec la Russie a augmenté, passant de 52 milliards d'euros en 2009 à 72 milliards d'euros en 2010.

Échanges de biens de l'UE27 avec la Russie

en milliards d'euros

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Russie

Exportations

22 ,7

31,6

34,4

37,2

46,0

56,7

72,3

89,1

105,0

65,6

86,5

Importations

63,8

65,9

64,5

70,7

84,0

112,6

140,9

145,0

178,1

117,7

158,4

Solde

-41,0

-34,3

-30,1

-33,5

-37,9

-55,9

-68,6

-55,9

-73,1

-52,1

-71,9

Total extra-UE27

Exportations

849,7

884,7

891,9

869,2

953,0

1052,7

1160,1

1240,6

1309,9

1097,1

1348,8

Importations

992,7

979,1

937,0

935,2

1027,5

1179,6

1352,8

1435,0

1566,3

1206,5

1501,8

Solde

-143,0

-94,4

-45,1

-66,0

-74,6

-126,8

-192,7

-194,5

-256,4

-109,3

-153,1

Russie/Total

Exportations

2,7%

3,6%

3,9%

4,3%

4,8%

5,4%

6,2%

7,2%

8,0%

6,0%

6,4%

Importations

6,4%

6,7%

6,9%

7,6%

8,2%

9,5%

10,4%

10,1%

11,4%

9,8%

10,5%

L'Allemagne est le premier partenaire commercial de la Russie (26,3 milliards d'euros, soit 30 % des exportations de l'Union européenne), loin devant l'Italie (7,9 milliards, soit 9 %). La France figure en troisième position (6,3 milliards, soit 7 %).

L'Allemagne a été également le principal importateur (29,9 milliards d'euros, soit 19 % des importations de l'Union européenne), suivie des Pays-Bas (21,7 milliards, soit 14 %), de la Pologne (13,6 milliards, soit 9 %), de l'Italie (13,1 milliards, soit 8 %) et de la France (11,7 milliards, soit 7 %).

La plupart des Etats membres ont affiché des déficits commerciaux avec la Russie en 2010, les plus importants étant observés aux Pays-Bas (- 15,6 milliards d'euros), en Pologne (- 8,6 milliards), en France (- 5,4 milliards), ainsi qu'en Italie (- 5,2 milliards). Les plus forts excédents ont été enregistrés en Autriche (0,7 milliard) et au Danemark (0,6 milliard).

Échanges de biens des Etats membres de l'UE27 avec la Russie

en millions d'euros

Exportations

Importations

Solde

2000

2010

2000

2010

2000

2010

UE27

22 738

86 508

63 777

158 385

-41 039

-71 877

Belgique

944

3 682

1 614

6 225

-670

-2 543

Bulgarie

129

444

1 641

3 094

-1 512

-2 650

Rép. Tchèque

420

2 672

2 260

4 892

-1 840

-2 220

Danemark

542

1 268

419

685

123

583

Allemagne

6 660

26 276

14 263

29 933

-7 603

-3 657

Estonie

82

847

391

752

-310

94

Irlande

179

342

11

147

168

195

Grèce

269

322

1 185

4 703

-916

-4 381

Espagne

578

1 956

2 412

6 092

-1 834

-4 136

France

1 838

6 295

4 501

11 663

-2 662

-5 369

Italie

2 521

7 923

8 336

13 078

-5 815

-5 155

Chypre

7

19

160

43

-153

-23

Lettonie

85

1 099

402

877

-317

222

Lituanie

238

2 449

1 544

5 757

-1 306

-3 308

Luxembourg

21

178

18

11

3

168

Hongrie

496

2 574

2 809

5 199

-2 313

-2 625

Malte

0

1

12

2

-12

-1

Pays-Bas

1 796

6 077

3 901

21 700

-2 105

-15 623

Autriche

711

2 873

1 132

2 170

-421

704

Pologne

943

5 046

5 019

13 618

-4 077

-8 572

Portugal

17

120

248

413

6231

6293

Roumanie

97

831

1 218

2 035

61 121

61 203

Slovénie

210

768

251

312

-41

456

Slovaquie

115

1 932

2 346

4 679

-2 231

-2 746

Finlande

2 174

4 693

3 471

9 064

-1 296

-4 371

Suède

601

2 201

958

5 500

-357

-3 299

Royaume-Uni

1 066

3 618

3 256

5 740

-2 190

-2 123

Total extra-UE27

849 739

1 348 790

992 698

1 501 843

-142 959

-153 053

Russie/Total

2,7 %

6,4 %

6,4 %

10,5 %

Le commerce entre l'Union européenne et la Russie se caractérise par une forte asymétrie : la Russie exporte surtout des matières premières, principalement des hydrocarbures, alors que l'Union européenne lui fournit essentiellement des biens d'équipement, des produits transformés et de l'agroalimentaire.

En 2010, environ 85 % des exportations de l'Union européenne vers la Russie ont concerné des produits manufacturés (principalement des médicaments, des véhicules automobiles, des téléphones portables et des avions), alors que l'énergie (pétrole, gaz, charbon) a représenté près des trois-quarts des importations.

Échanges de biens de l'UE27 avec la Russie par produit

en millions d'euros

Exportations

Importations

Solde

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Total

22 738

86 508

63 777

158 385

-41 039

-71 877

Matières premières :

3 652

10 276

40 172

122 726

-36 519

-112 450

Produits alimentaires

2 823

8 159

727

605

2 096

7 554

Produits de base

708

1 407

3 652

3 929

-2 944

-2 522

Energie

121

711

35 793

118 193

-35 671

-117 482

Articles manufacturés :

18 483

74 832

13 487

19 748

4 996

55 084

Produits chimiques

3 280

15 838

2 519

4 705

761

11 133

Machines et véhicules

8 381

38 671

1 074

1 317

7 308

37 354

Autres art. manufacturés

6 822

20 323

9 895

13 725

-3 072

6 597

Autres

602

1 399

10 118

15 910

-9 516

-14 511

L'Union européenne est également le premier investisseur en Russie (70 % des investissements étrangers), même si une partie importante de ces capitaux proviennent de Chypre et du Luxembourg et sont en réalité des capitaux russes placés à l'étranger mais réinvestis en Russie.

Les investissements directs étrangers (IDE) de l'Union européenne en Russie ont augmenté de 18,2 milliards d'euros en 2007 à 27,3 milliards d'euros en 2008, avant de connaître une baisse de 0,6 milliard en 2009 et un désinvestissement de 0,4 milliard d'euros en 2010 en raison de la crise. Les investissements directs russes dans l'Union européenne ont, pour leur part, baissé de 10,5 milliards d'euros en 2007 à 0,5 milliard d'euros en 2008, puis sont remontés à 2,7 milliards en 2009, avant de connaître un désinvestissement de 0,4 milliard d'euros en 2010.

Flux d'IDE entre l'UE et la Russie

En millions d'euros

2007

2008

2009

2010

IDE de l'UE27 en Russie

18 186

27 344

658

-414

IDE de la Russie dans l'UE27

10 476

518

2 699

-401

Source : Eurostat

Les relations économiques entre l'Union européenne et la Russie pourraient encore être fortement développées.

A cet égard, l'adhésion de la Russie à l'organisation mondiale du commerce (OMC) pourrait ouvrir la voie à la mise en place d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne et la Russie.

b) La coopération en matière de justice et d'affaires intérieures a permis certains progrès

Des progrès ont été enregistrés sur la sécurité intérieure.

Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le renforcement de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme a été érigé en priorité.

Les attentats meurtriers de Madrid et de Londres, comme de l'école de Beslan ou encore la dramatique prise d'otages au théâtre de Moscou, montrent que l'Union européenne et la Russie doivent faire face à des défis communs.

Malgré certaines divergences de vues concernant notamment la définition du terrorisme et les moyens de lutter contre ce fléau, l'Union européenne et la Russie ont adopté plusieurs déclarations communes sur la lutte contre le terrorisme international et ont décidé de renforcer leur coopération dans ce domaine.

Plus généralement, l'Union européenne et la Russie, qui partagent 2 200 km de frontières communes, ont un intérêt mutuel à renforcer leur coopération en matière de lutte contre la criminalité organisée, de lutte contre la drogue, de lutte contre l'immigration illégale et la traite des êtres humains ou encore en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.

En matière de coopération policière, un accord a été conclu entre le ministère de l'Intérieur russe et l'Office européen de police Europol en novembre 2003. Il s'agit d'un accord de coopération stratégique qui devrait être suivi d'un autre accord de coopération opérationnelle, permettant l'échange de données à caractère personnel.

La négociation de ce deuxième accord, qui avait pris du retard en raison de l'absence de garanties suffisantes de la législation russe en matière de protection des données personnelles, a été lancée en octobre 2010.

On peut également mentionner la coopération entre l'agence européenne de protection des frontières extérieures (Frontex) et la garde-frontière russe ou les contacts entre l'Observatoire européen des drogues et de toxicomanies et Europol, d'une part, et l'agence fédérale russe pour le contrôle des stupéfiants, d'autre part.

La coopération dans le domaine judiciaire est restée, en revanche, plus limitée .

Depuis 2003, le parquet général de Russie et l'unité européenne de coopération judiciaire Eurojust discutent d'un accord sans toutefois parvenir à trouver un terrain d'entente. Les difficultés portent également sur les garanties offertes par la législation russe en matière de protection des données personnelles. A cet égard, la signature d'un accord entre l'Union européenne et la Russie sur la protection des informations classifiées, le 1 er juin 2010, pourrait peut-être permettre des avancées.

L'annonce récente de l'adhésion de la Russie à la Convention de La Haye devrait également faciliter les relations en matière de droit de la famille et d'adoption, en particulier en apportant des réponses aux douloureuses difficultés rencontrées par les couples mixtes en matière de divorce ou de garde d'enfants et en mettant un terme aux enlèvements d'enfants par l'un ou l'autre des parents.

Compte tenu du fait que la Russie représente pour l'Union européenne son plus grand voisin, la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures pourrait représenter à l'avenir un axe important de développement des relations entre l'Union européenne et la Russie.

c) Le dialogue sur la sécurité extérieure n'a pas donné les résultats espérés

Le renforcement de la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité entre l'Union européenne et la Russie figure au rang des priorités des deux partenaires.

Même si la Russie a perdu sa qualité de « super grande puissance » avec la disparition de l'URSS, elle reste un acteur de premier plan sur la scène internationale. Sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies lui permet de traiter tous les grands dossiers de politique internationale.

C'est le cas par exemple pour le conflit israélo-palestinien, dans lequel elle est impliquée comme membre du « quartet » 18 ( * ) ou les Balkans occidentaux, puisqu'elle est membre du « groupe de contact » 19 ( * ) , du nucléaire iranien, mais également pour un grand nombre de dossiers dans lesquels sa diplomatie est engagée, comme par exemple la Syrie.

Enfin, la Russie continue d'exercer une forte influence sur les pays de l'ex-URSS, à l'exception des trois pays baltes.

La stratégie commune de l'Union européenne à l'égard de la Russie de 1999 avait notamment pour objectif de « renforcer la stabilité et la sécurité en Europe et dans le monde » . Elle prévoyait, en particulier, de renforcer le dialogue politique, de donner sa place à la Russie dans l'architecture européenne de sécurité et de pratiquer une « diplomatie préventive » afin, d'une part, d'encourager la maîtrise des armements et le désarmement et, d'autre part, d'intensifier la coopération entre l'Union européenne et la Russie en vue de contribuer à la prévention des conflits, à la gestion des crises et au règlement des conflits.

Ces objectifs ont été repris par la « feuille de route » relative à l'espace de sécurité extérieure qui retient cinq domaines prioritaires :

- le renforcement du dialogue et de la coopération sur les questions internationales ;

- la lutte contre le terrorisme ;

- la non-prolifération des armes de destruction massive ;

- la gestion des crises ;

- la protection civile.

La Russie a obtenu, depuis 2002, un statut privilégié au sein des structures de sécurité de l'Union européenne . La Russie est le seul pays non membre de l'Union européenne à avoir des consultations régulières avec le Comité politique et de sécurité (COPS). De plus, un officier de liaison russe est détaché auprès de l'État-major militaire de l'Union européenne (EMUE).

En juin 2002, le Conseil européen de Séville a arrêté les modalités concernant la participation éventuelle de la Russie aux opérations de gestion des crises de l'Union européenne. Dans ce cadre, la Russie a participé à une mission de police de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, qui s'est déroulée de janvier 2003 au printemps 2006.

La Russie a également apporté une contribution importante à l'Union européenne en mettant à sa disposition quatre hélicoptères avec leur équipage lors de l'opération EUFOR-Tchad.

Toutefois, malgré la volonté de l'Union européenne de reconnaître à la Russie une place dans l'architecture européenne de sécurité, celle-ci est restée limitée, comme en témoigne notamment l'accueil très réservé au projet de traité sur la sécurité en Europe, proposé par le Président Dimitri Medvedev .

La proposition russe d'une nouvelle architecture de sécurité en Europe

Le Président de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev, a proposé en juin 2008 à Berlin une nouvelle architecture de sécurité en Europe, reposant sur un nouveau traité de sécurité européenne. Si cette idée n'est pas nouvelle, puisqu'elle conjugue des éléments de la vieille proposition Gorbatchev sur « la maison commune » et de l'ancienne proposition Primakov des années 90 sur la création d'un conseil de sécurité pour l'Europe, elle constitue néanmoins une importante contribution aux réflexions actuelles sur la refonte de l'architecture de sécurité en Europe depuis la fin de la guerre froide.

Les piliers de ce projet de Traité seraient le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des Etats, le non-recours à la force armée, le contrôle des armements et le principe selon lequel aucune organisation internationale n'a le droit exclusif d'assurer la sécurité en Europe. Dans son projet de refonte de l'architecture de sécurité en Europe, la Russie propose de mettre en oeuvre sur le continent un principe de «sécurité indivisible» selon lequel toute mesure de sécurité prise par un État ou par une organisation (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, Union Européenne) devra prendre en compte «les intérêts de sécurité» des autres parties membres du traité.

Le contenu de la proposition

Le 29 novembre 2009, le projet russe de Traité pour la sécurité en Europe, composé de 14 articles, a été mis en ligne sur le site du chef de l'Etat russe pour être transmis par la suite aux partenaires européens, aux Etats de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) et à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

Le projet de traité comporte quatorze articles

L'article 1 du traité prévoit que « toutes les parties présentes s'engagent à coopérer sur la base d'une sécurité indivisible, égale pour tous et intégrale. Chaque mesure de sécurité prise par l'une des parties, individuellement ou en commun avec d'autres, y compris dans le cadre d'une organisation internationale, d'une alliance militaire ou d'une coalition, doit être mise en oeuvre dans le respect des intérêts sécuritaires de toutes les autres parties. Les parties agissent conformément à l'accord, pour mettre en oeuvre ces principes et renforcer la sécurité mutuelle ».

Les articles suivants (articles 2 à 5) évoquent la mise en pratique de cet accord qui passe par le non-recours à la force armée, la transparence, la coordination des Etats, le principe de consultation entre Etats en cas de non-respect des fondements du traité. Les Etats peuvent alors convoquer une conférence (article 6) qui a valeur juridique si au moins les deux tiers des parties y prennent part. Ses décisions sont prises au consensus et sont contraignantes.

Dans les cas d'une agression ou menace d'agression armée contre l'une des parties contractantes (article 7), « la partie agressée ou menacée d'agression armée informe le dépositaire qui convoque sans délai une Conférence extraordinaire, pour décider des mesures collectives à mettre en oeuvre ».

Que faut-il penser de cette proposition ?

L'initiative du Président russe constitue une importante contribution à la refonte de l'architecture de sécurité en Europe et le signe d'une volonté de dialogue sur ce sujet, après le conflit russo-géorgien de l'été 2008.

La principale nouveauté du projet russe de Traité de sécurité en Europe, qui serait un instrument juridiquement contraignant, repose sur le principe de «sécurité indivisible», selon lequel toute mesure de sécurité prise par un État ou par une organisation (OTAN, Union Européenne) devra prendre en compte «les intérêts de sécurité» des autres parties membres du traité. Ainsi, la Russie accepterait par ce traité de restreindre sa liberté de recourir à la force de manière unilatérale à condition que les pays européens et les Etats-Unis en fassent de même.

Toutefois, tel qu'il a été présenté par la partie russe, ce projet de traité emporterait des conséquences importantes pour les mécanismes actuels de sécurité en Europe.

Tout d'abord, ce traité viendrait en quelque sorte remplacer l'Acte final de la conférence d'Helsinki, acte fondateur dans le domaine de la sécurité en Europe. Le projet russe met davantage l'accent sur la dimension politico-militaire de la sécurité et ne reprend pas la dimension humaine de la « troisième corbeille » d'Helsinki, comme la défense des droits de l'Homme.

Ce traité aurait également des conséquences importantes pour l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et le rôle des Etats-Unis en tant qu'acteur de la sécurité européenne. Ainsi, ce traité, s'il était accepté tel quel, reléguerait l'OTAN au second plan en forçant les États signataires à s'en remettre, en dernière instance, au Conseil de sécurité des Nations unies. L'Alliance atlantique n'aurait ainsi pas pu engager la guerre en Yougoslavie, en 1999, sans un aval onusien.

En tout état de cause, il convient de discuter de cette initiative au sein de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui est l'enceinte de discussion en matière de sécurité en Europe.

Les progrès limités de la coopération entre l'Union européenne et la Russie en matière de gestion des crises s'expliquent par une divergence de vue fondamentale entre les deux partenaires .

La Russie souhaite, en effet, être associée à la prise de décision en matière de gestion des crises, mais cette revendication se heurte au refus de l'Union européenne de voir remettre en cause le principe de son autonomie de décision. Comme me l'ont expliqué les responsables russes, notamment Vladimir Pozdniakov, Directeur du bureau de la sécurité internationale du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, les modalités de participation de la Russie aux opérations de l'Union européenne suscitent une insatisfaction à Moscou, car la Russie est confinée dans un rôle de simple exécutant, sans avoir la possibilité d'être associée à la prise de décision.

Le Conseil OTAN-Russie, créé en mai 2002, est à cet égard cité comme modèle pour un renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie en matière de sécurité extérieure.

La reconnaissance de l'indépendance du Kosovo en 2008 par un grand nombre de pays de l'Union européenne avait également été dénoncée par la Russie, qui continue de contester cette indépendance.

Par ailleurs, le lancement par l'Union européenne du « Partenariat oriental », dans le cadre de la politique européenne de voisinage, a suscité certaines tensions avec la Russie, soucieuse de maintenir son influence dans son « étranger proche ».

Le Partenariat oriental 20 ( * )

Résultant d'une initiative polono-suédoise, le Partenariat oriental, qui est inclus dans la politique européenne de voisinage, a été lancé lors du Sommet de Prague en 2009. Il s'adresse aux voisins orientaux de l'Union européenne, c'est-à-dire à l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ainsi que, lorsque ce pays aura progressé sur la voie de la démocratie, à la Biélorussie.

La déclaration adoptée lors du Sommet de Prague évoque l'établissement d'une association politique et l'approfondissement de l'intégration économique, le soutien aux réformes politiques et sociaux-économiques, de manière à faciliter le rapprochement avec les valeurs communes et les normes de l'Union européenne. Les objectifs visent aussi un renforcement des relations bilatérales, avec la conclusion d'accords d'association, l'instauration de zones de libre-échange, une amélioration de la mobilité, avec, comme perspective à long terme, la libéralisation des visas de court séjour, ainsi que la sécurité énergétique. Enfin, la coopération régionale est encouragée.

Le prochain Sommet du Partenariat oriental devrait se tenir les 29 et 30 septembre 2011 à Varsovie sous présidence polonaise de l'Union européenne.

Enfin, l'Union européenne a fondé beaucoup d'espoirs sur le dialogue de sécurité pour la résolution des « conflits gelés » où la Russie est fortement impliquée.

Toutefois, ces espoirs ont été jusqu'à présent largement déçus, la Russie n'acceptant pas une intervention de l'Union européenne dans ce qu'elle considère comme son « pré carré ».


Les « conflits gelés » : l'exemple de la Transnistrie

L'expression « conflits gelés » renvoie aux conflits séparatistes apparus lors de l'effondrement de l'URSS dans les régions de Transnistrie en Moldavie et du Caucase du Sud, en Géorgie (Ossétie du Sud et Abkhazie) et en Azerbaïdjan (Nagorny-Karabakh). Comme l'a montré le conflit russo-géorgien de l'été 2008, ces régions demeurent une source d'instabilité et de tensions en Europe.

Ainsi, en 1992, la région orientale de Moldavie, la Transnistrie, surtout peuplée de Russes et d'Ukrainiens, a voulu faire sécession du nouvel État moldave, majoritairement peuplé d'une population roumanophone. Des affrontements armés ont opposé les troupes moldaves aux forces locales. Un cessez-le-feu est intervenu entre les deux camps, et la Russie a déployé une force d'interposition qui est toujours présente sur place.

En 2003, la Russie avait proposé un plan de règlement, le « plan Kozak », du nom de son auteur, qui a été rejeté par la Moldavie.

Lors d'un référendum d'autodétermination, organisé en septembre 2006, 97 % des habitants de la province se sont prononcés en faveur de l'indépendance et d'une association avec la Russie. La République autoproclamée de Transnistrie n'est pas reconnue par la communauté internationale.

Des négociations dans le format 5 + 2 (Moldavie, Transnistrie, Russie, Ukraine, OSCE, plus l'Union européenne et les États-Unis depuis leur admission comme observateurs en mai 2005) n'ont pas permis d'arriver à ce jour à un accord sur le statut de cette province.

Toutefois, on constate depuis plusieurs semaines des signaux positifs qui peuvent laisser espérer une reprise des négociations.

d) La coopération en matière de recherche, d'éducation et de culture est restée très insuffisante

La culture, l'éducation et la recherche devraient naturellement constituer un terrain privilégié des relations entre l'Union européenne et la Russie, même si ces domaines relèvent, pour l'essentiel, de la compétence des États membres.

Toutefois, si le développement des échanges universitaires, culturels et scientifiques figure au rang des priorités, force est de constater que les réalisations concrètes sont restées très limitées dans ces domaines.

La coopération en matière scientifique et technique repose sur un accord, qui a été signé en 2002 et renouvelé en 2009. Cet accord vise à encourager la coopération et les échanges dans une série de secteurs prioritaires, comme l'espace, l'aéronautique, l'énergie, l'environnement et le climat, la santé ou encore les nouvelles technologies, où la communauté scientifique russe dispose d'une expertise reconnue.

Il contient un cadre général pour la mise en oeuvre d'actions conjointes qui peuvent revêtir différentes formes : participation réciproque à des programmes de recherche, échanges d'informations scientifiques et techniques, partage ou échanges d'équipements et de matériels, visites et échanges de chercheurs, etc. Un comité conjoint Union européenne-Russie est chargé de superviser la mise en oeuvre opérationnelle de cet accord et de définir les priorités.

L'Union européenne, qui s'est fixé pour objectif la création d'un « espace européen de la recherche », s'est également engagée vers une large ouverture de ses programmes de recherche à des chercheurs issus de pays tiers. Cela concerne en particulier le septième programme-cadre de recherche et de développement (PCRD). Dans le cadre de ce programme, la Russie, qui a obtenu le statut de pays partenaire ( « International Cooperation Partner Country » ) représente un partenaire privilégié et le pays tiers le plus actif.

Enfin, on peut citer deux accords dans le domaine du nucléaire, portant respectivement sur la sûreté nucléaire et le contrôle de la fusion nucléaire, qui ont été signés en 2001 et sont entrés en vigueur en 2002. La Russie est d'ailleurs intéressée de devenir membre associé au programme cadre de recherche et de développement technologique de l'Union européenne et d'EURATOM en matière nucléaire.

La nouvelle « feuille de route » relative à cet espace, telle qu'elle a été adoptée en juillet dernier, insiste sur une meilleure synergie et une utilisation plus efficace des nombreux programmes de recherche existants au niveau bilatéral et européen et sur un renforcement des échanges et de la mobilité des chercheurs.

En ce qui concerne le domaine de l'éducation, les relations entre l'Union européenne et la Russie reposent sur plusieurs instruments.

La Russie fait tout d'abord partie du « processus de Bologne », qui est une initiative intergouvernementale regroupant la plupart des pays européens visant à développer l'idée d'un « espace commun d'enseignement supérieur » et à accroître la mobilité des étudiants et des professeurs, grâce notamment à l'harmonisation des cursus (autour du modèle Licence-Master-Doctorat).

La Russie bénéficie également des programmes européens dans le domaine de l'éducation et de la formation, comme les programmes Tempus et Erasmus Mundus ou encore Jeunesse.

Toutefois, la coopération dans le domaine de l'éducation est restée de l'ordre du symbole.

Ainsi, dans le cadre du programme Erasmus Mundus, moins d'une centaine d'étudiants russes (75) seulement bénéficient actuellement d'une bourse de l'Union européenne pour étudier dans une université ou une grande école européenne 21 ( * ) . Depuis 2004, au total seulement 350 étudiants russes ont bénéficié d'une telle bourse pour étudier dans un pays de l'Union européenne. 520 étudiants russes ont également bénéficié en 2010 du programme de partenariat Erasmus Mundus pour effectuer un séjour d'études dans l'Union européenne. Sur un total estimé à près de 44 000 étudiants russes inscrits dans les universités ou les grandes écoles à l'étranger, environ 9 800 étudient en Allemagne, 4 900 aux Etats-Unis, 4 350 en Ukraine, 3 500 en France et 2 600 au Royaume-Uni.

De la même manière, le nombre d'universités russes impliquées dans des programmes de coopération avec leurs homologues de l'Union européenne est resté très limité, notamment en raison d'une baisse du financement de l'Union européenne ces deux dernières années. La délégation de l'Union européenne en Russie estime qu'il existe actuellement environ 239 programmes entre des universités européennes et des universités russes, dont 65 % au niveau Master et seulement 6 % au niveau doctoral.

Par ailleurs, de nombreux obstacles subsistent en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications.

On peut cependant se féliciter de la création, au sein de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO), d'un institut d'études européennes, cofinancé par l'Union européenne et le gouvernement russe à hauteur de 3 millions d'euros. Cet institut, conçu comme une sorte de troisième université de l'Europe, après le Collège d'Europe de Bruges et le Collège d'Europe de Natolin, a pour vocation d'apporter à de jeunes fonctionnaires russes une bonne connaissance de l'Union européenne. Il a ouvert ses portes au début de l'année 2006. Environ 200 étudiants ont été diplômés en janvier 2010 et 110 étudiants ont été sélectionnés en septembre 2009.

Comme l'a reconnu le représentant adjoint de l'Union européenne à Moscou, M. Michael Webb, lors de notre entretien, la coopération universitaire pourrait encore être fortement développée.

Malgré des objectifs ambitieux, les actions concrètes dans le domaine culturel sont également restées très limitées.

Certaines actions culturelles ont pu bénéficier de cofinancements de l'Union européenne, en particulier dans le cadre du programme « Culture ».

On peut citer notamment certains événements culturels organisés à l'occasion de l'année culturelle de la France en Russie et de la Russie en France en 2010, qui a donné lieu à de nombreuses manifestations culturelles en France et en Russie qui ont rencontrés un très grand succès populaire.

Mais, au niveau de l'Union européenne, tout ceci est resté relativement marginal. Ainsi, entre 2007 et 2010, on dénombre seulement 25 projets culturels communs, pour un montant total d'environ 6 millions d'euros.

La culture apparaît donc comme un domaine où les relations entre l'Union européenne et la Russie mériteraient d'être encouragées.


* 17 « EU-Russia common spaces progress report 2010 », mars 2011, EEAS.

* 18 Le quartet pour le Proche-Orient réunit l'ONU, l'Union européenne, la Russie et les États-Unis.

* 19 Le groupe de contact pour les Balkans, créé en 1993, est composé de quatre pays membres de l'Union (l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l'Italie), des États-Unis et de la Russie

* 20 Voir l'audition de M. Serge Smessow, ambassadeur chargé du Partenariat oriental et de la mer Noire, devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, le 18 mai 2011

* 21 Ce chiffre ne concerne que les étudiants ayant bénéficié d'une bourse de l'Union européenne et non les étudiants ayant bénéficié d'une bourse ou d'une aide délivrée par les autorités nationales ou encore par les régions, les universités ou les grandes écoles.

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