TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 29 juin 2011 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission entend une communication de celle-ci sur la politique familiale et la protection de l'enfance au Québec .

Muguette Dini , présidente . - En septembre dernier, une délégation de la commission, que j'ai eu l'honneur de conduire et dont Brigitte Bout, Alain Gournac, Claire-Lise Campion, Christiane Demontès et Isabelle Pasquet étaient membres, s'est rendue à Québec puis à Montréal. Nous voulions étudier, sur place, la politique familiale provinciale, réputée généreuse, et le système de protection de l'enfance, que l'on disait efficace.

Les nombreux entretiens et visites que nous avons conduits nous ont amenés à la conclusion que l'exemple québécois pourrait utilement nourrir nos réflexions sur l'avenir de nos politiques de soutien aux familles comme d'aide à l'enfance en danger.

En matière de politique familiale, le Québec a fait le choix, en 1997, d'investir massivement en direction des familles, avec pour objectif de répondre à un double défi :

- rompre avec la spirale d'un déclin démographique annoncé : chute des naissances d'un tiers sur la décennie 1990, érosion continue de l'indice de fécondité, tombé à 1,36 enfant par femme en 1987 ;

- s'adapter à la diversité croissante des modèles familiaux et faciliter, en particulier, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Trois mesures phares ont été retenues : simplifier et majorer les prestations monétaires en faveur des familles ; subventionner le développement d'un réseau de garde à contribution minime pour les parents ; créer, de toutes pièces, un régime d'assurance parentale propre à la province, pour un effort budgétaire global de l'ordre de 6,5 milliards de dollars canadiens (soit près de 4,6 milliards d'euros) en 2009 - 10 milliards de dollars avec les prestations fédérales - et un niveau de dépenses publiques rapporté au Pib qui place désormais la province dans le peloton de tête de l'OCDE (3,2 % contre 3 % en France en 2005).

D'abord, le « soutien aux enfants » : bien que prenant la forme d'un crédit d'impôt annuel remboursable, cette prestation monétaire est largement comparable à nos allocations familiales : il est non imposable et comprend une prestation universelle, variable suivant le nombre d'enfants. Mais il s'en distingue par le fait que les droits sont ouverts dès le premier enfant et, surtout, que s'y ajoute une composante variable, modulée selon le revenu familial. Ainsi, le soutien aux enfants s'échelonne, pour un premier enfant, de 619 à 2 204 $ sur l'année ; des majorations sont également prévues à compter du quatrième enfant, pour les familles monoparentales ainsi que pour les enfants handicapés.

D'autres prestations monétaires peuvent venir le compléter, qu'il s'agisse d'aides spécifiques - subventions ponctuelles aux naissances multiples, détaxation de produits courants (couches, biberons, etc.) entre autres -, de la « prime au travail » - équivalent de notre prime pour l'emploi - qui tient compte de la composition familiale, ou des prestations monétaires fédérales à destination des familles ;

Ensuite, les services de garde à tarif réduit : constatant que le manque de solutions de garde constituait l'un des freins majeurs à la réalisation du désir d'enfants, le Gouvernement québécois a misé, dès 1997, sur le développement accéléré d'un réseau de garde à contribution réduite - 5 $ puis 7 $ par jour à la charge des parents, soit moins de 14 % du coût réel du service - pour un coût budgétaire global évalué, en 2009, à 2,4 milliards de dollars.

Le nombre de places disponibles est ainsi passé de moins de 79 000 en 1997 à plus de 211 000 au 30 juin 2010, pour un objectif porté à 235 000 d'ici à la fin de l'actuelle législature, en 2013. Surtout, et contrairement à la pratique française qui fait varier les tarifs de garde collective en fonction du revenu familial, ces tarifs réduits sont accessibles à tous les parents d'enfants de moins de cinq ans, quels que soient leurs revenus, ce qui, au passage, ne désincite pas les mères, comme c'est hélas trop souvent le cas, à la reprise d'activité.

Les services de garde à contribution réduite sont dispensés dans trois types de structures bien distincts :

- les centres de la petite enfance (CPE), organismes parapublics à but non lucratif associant les parents à leur gestion selon un modèle coopératif - pour un total de 80 000 places environ ;

- les garderies subventionnées, entreprises privées principalement à but lucratif - pour un peu plus de 39 000 places ;

- et l'équivalent de nos assistantes maternelles, les quinze mille « responsables d'un service de garde en milieu familial », offrant un peu plus de 91 000 places. Précisons qu'ils peuvent accueillir de six à neuf enfants - dont deux à quatre enfants de moins de dix-huit mois - selon qu'ils sont seuls ou assistés d'un autre adulte, et qu'ils sont placés sous la supervision de bureaux coordonnateurs chargés du respect des normes de sécurité et de qualité applicables en la matière.

Malgré ces efforts, on estime qu'il faudrait créer environ quarante mille places à tarif réduit supplémentaires pour répondre aux besoins, ce qui explique le doublement des capacités d'accueil en garderie non subventionnée sur les cinq dernières années - pour un peu moins de 13 000 places. Du reste, la combinaison de trois dispositifs, l'un provincial - le crédit d'impôt remboursable pour frais de garde -, les deux autres fédéraux - prestation universelle pour la garde d'enfants et déduction pour frais de garde - a pour effet de réduire très largement le coût net de la garde non subventionnée pour le porter, dans certains cas, à un niveau voisin de celui des tarifs réduits.

Enfin, le régime québécois d'assurance parentale (RQAP) : entré en vigueur en 2006 en remplacement du volet « congé parental » du régime d'assurance emploi fédéral, le RQAP offre désormais les prestations les plus généreuses du pays, avec pour objectif de favoriser la conciliation travail-famille mais aussi de répondre à la pénurie de main d'oeuvre résultant du vieillissement de la population. Accessible aux parents dont les revenus annuels du travail sont compris entre 2 000 et 62 500 dollars, le régime prévoit :

- le versement de prestations de maternité et de paternité, respectivement réservées à la mère et au père ;

- et de prestations parentales, partageables entre les deux membres du couple.

Le total peut atteindre jusqu'à 75 % du revenu hebdomadaire moyen.

Il se caractérise également par sa souplesse puisque les parents peuvent opter entre deux régimes distincts :

- dans le « régime de base », choisi par les deux tiers des prestataires, les taux de remplacement varient de 55 % à 70 %. Le congé dure alors au minimum dix-huit semaines pour la mère, auxquelles s'ajoutent trente deux semaines partageables : si le couple s'accorde pour attribuer à la mère la totalité des semaines de prestations parentales, elle aura donc cinquante semaines de congé ; à l'inverse, si les parents choisissent d'affecter au père toutes les semaines partageables, celui-ci bénéficiera alors de trente-sept semaines de prestations ;

- dans le « régime particulier », le taux de remplacement est plus élevé (75 %) mais la durée maximale de congé parental moindre - quinze semaines minimum pour la mère et vingt-cinq partageables, soit un maximum de quarante semaines pour la mère selon la répartition retenue pour les semaines parentales.

En autorisant le partage des prestations parentales et en leur ouvrant des droits exclusifs, le RQAP encourage ainsi fortement les pères à participer activement aux premières semaines de l'enfant.

Au total, la mise en oeuvre de ces trois piliers - soutien aux enfants, garde à tarif réduit et assurance parentale - a produit des résultats probants :

- une inversion des principaux indicateurs démographiques : sur la dernière décennie, le Québec a connu la plus longue période de croissance des naissances depuis le « baby-boom » de l'après-guerre (88 300 naissances en 2010, soit 22,6 % de plus qu'en l'an 2000) et l'indice de fécondité est remonté à 1,73 enfant par femme, chiffre le plus élevé depuis 1977, avec à la clé une reprise de l'accroissement naturel de la population ;

- une hausse continue du revenu disponible des familles avec enfants - jusqu'à 43 % dans le cas d'une famille avec deux enfants disposant de 15 000 $ de revenus d'activité ;

- une présence accrue des femmes sur le marché du travail, avec un taux d'emploi des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-quatre ans (79 %) désormais supérieur d'un point à la moyenne canadienne ;

- enfin, une place croissante des pères dans la vie de famille : plus de 75 % d'entre eux utilisent les droits aux congés qui leur sont ouverts à la naissance d'un enfant.

Cependant, la politique familiale québécoise est, en quelque sorte, victime de son succès :

- sous l'effet de la hausse des naissances, le développement, bien que rapide, du réseau de garde à tarif réduit peine à suivre la hausse de la demande, à la fois quantitativement et qualitativement : comme en France, il est en particulier difficile de satisfaire les besoins de garde à des horaires atypiques, alors même que les formes de travail à horaires décalés progressent ;

- de la même façon, la hausse ininterrompue des prestations versées par le RQAP depuis sa création pèse sur l'équilibre financier du régime et oblige à relever, chaque année depuis quatre ans, le niveau des cotisations acquittées par les salariés et les employeurs, pour résorber à terme un déficit cumulé estimé à 902 millions de dollars au plus haut (2014) ; en attendant, les difficultés de trésorerie sont couvertes par des prêts à taux préférentiel accordés par le Gouvernement ;

- enfin, la province est confrontée, comme partout, à une contrainte budgétaire forte (lors de notre visite : 3,2 milliards de dollars de déficit attendu en 2009-2010, pour un budget total de 67 milliards).

En matière de protection de l'enfance, le Québec fait figure de précurseur depuis l'adoption de sa loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) en 1977 et de ses révisions successives.

Fondée sur le principe de l'antériorité de l'intervention sociale sur le recours au juge, la LPJ vise à concilier respect de l'autorité parentale et préservation de l'intérêt de l'enfant. Ainsi le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) n'intervient que lorsqu'il y a compromission, ou menace de compromission, de la sécurité ou du développement de l'enfant.

Tout au long du processus, intervenants sociaux et judiciaires doivent s'assurer du respect des droits de l'enfant comme de la primauté de la responsabilité parentale, agir avec diligence et garantir la participation active de l'enfant et de ses parents, avec pour horizon le maintien de l'enfant dans son milieu familial ou, à défaut, l'établissement d'un projet de vie stable. Chaque fois que possible, des ententes sont conclues avec les parents sur la mise en oeuvre de mesures volontaires et même après l'intervention du juge, une approche consensuelle est privilégiée - au travers, notamment, de conférences de règlement à l'amiable.

Si ces concepts ont, depuis, été largement exportés, le Québec se distingue encore par l'introduction, en 2006, de délais maximaux de placement, au-delà desquels une solution de vie pérenne pour l'enfant doit avoir été trouvée, afin d'éviter les effets dévastateurs d'allers-retours permanents entre famille biologique et famille(s) d'accueil.

Parce qu'il est établi que plus l'enfant est jeune, plus il convient d'agir vite, cette durée maximale d'hébergement est modulée suivant l'âge de l'enfant : elle est fixée à douze mois s'il est âgé de moins de deux ans, dix-huit mois s'il est âgé de deux à cinq ans et vingt-quatre mois au-delà. A l'expiration de ce délai, et seulement si un retour dans la famille n'est pas possible, le tribunal doit rendre une décision visant à assurer un milieu de vie stable à l'enfant de façon permanente.

Dans tous les cas, l'application de cette date butoir, loin d'être une clause-couperet, est laissée à l'entière appréciation du juge. Ce dernier peut y déroger lorsque le retour de l'enfant dans sa famille est envisagé à court terme, dans l'intérêt de l'enfant ou pour des motifs sérieux, notamment dans le cas où les services sociaux et de santé aux parents n'auraient pas été rendus.

En pratique, le DPJ élabore simultanément, dès le début de l'intervention, deux projets de vie, l'un privilégié - le plus souvent, maintien ou retour dans le milieu familial -, l'autre alternatif - solution de repli n'advenant que par défaut, lorsque des motifs cliniques ou judiciaires s'opposent à l'autre.

Au total, les effets de la LPJ s'avèrent largement positifs : en privilégiant l'intervention en milieu parental, on a constaté une baisse des deux tiers du nombre des placements - de 30 000 au milieu des années 70, à 11 000 en 2009 - alors que le nombre des signalements faisait plus que doubler - 30 000 en 1980 puis 70 000 en 2009. En outre, depuis l'instauration de délais maximaux de placement, les enfants vivent globalement moins d'instabilité : moins de placements, changements de milieu de vie moindres et recours accru à la famille élargie ou aux personnes « significatives ».

En dépit de ces succès incontestables, certaines difficultés subsistent : comme en France, le recrutement de nouvelles familles d'accueil s'avère problématique tant les postulants sont rares. Il demeure par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans l'application de la LPJ, les intervenants et les moyens manquant là où les besoins sont les plus criants : c'est notamment le cas de la communauté inuite du Nunavik, à l'extrême nord de la province. Enfin, la continuité du suivi des enfants entre les différents intervenants - en particulier les centres de santé et de services sociaux et les centres jeunesse - mériterait encore d'être améliorée afin d'éviter les « vides de services ».

En matière de justice pénale pour adolescents, enfin, les solutions retenues méritent également toute notre attention.

Depuis l'adoption, en 1982, de la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSPJA) - législation fédérale mais administrée dans chaque province -, la voie des mesures et sanctions extrajudiciaires est privilégiée à chaque stade de la procédure : après l'intervention policière d'abord et s'il n'y a pas lieu d'engager des poursuites pénales, l'adolescent peut être orienté vers un programme ou un organisme communautaire susceptible de l'aider à ne plus commettre d'infractions ; à l'inverse, si une procédure judiciaire est engagée, le procureur peut toujours décider d'adresser le jeune contrevenant au DPJ qui pourra choisir de lui appliquer un programme de sanctions extrajudiciaires : travaux d'intérêt général, séance de médiation avec la victime, etc.

Pour autant, la préférence pour la non-judiciarisation ne confine pas au laxisme dans les cas les plus graves : ainsi le procureur peut exceptionnellement requérir l'application d'une peine pour adulte à l'égard d'un adolescent déclaré coupable d'un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement de plus de deux ans, dès lors qu'il était âgé d'au moins quatorze ans au moment des faits.

Enfin, l'accent est mis tant sur la responsabilisation des auteurs d'infractions que sur la recherche d'une participation accrue des victimes au processus de réparation : en organisant la confrontation physique entre le jeune contrevenant et sa victime, le recours à la médiation autorise en particulier l'adhésion et la prise de conscience du premier et permet de convenir du mode de dédommagement de la seconde.

Au total, la mise en oeuvre de ces mesures extrajudiciaires a permis, selon les organismes de justice alternative qui la conduisent, de réduire le taux de récidive des mineurs délinquants.

Après ce bref tour d'horizon, je souhaite vous exposer, mes chers collègues, les quelques propositions sur lesquelles la mission invite à la réflexion :

- le système québécois d'aide financière aux familles ayant permis d'accroître le soutien aux familles les moins aisées et aux classes moyennes, peut-être pourrions-nous nous en inspirer pour créer une part additionnelle d'allocations familiales, modulée en fonction du revenu, en complément de la part universelle actuellement versée à l'ensemble des familles, quel que soit leur revenu.

Pour tenir compte des contraintes budgétaires actuelles, ce supplément pourrait être financé par l'extinction de certains avantages fiscaux : suppression progressive de la demi-part fiscale supplémentaire accordée à tout parent célibataire, divorcé ou veuf, sans enfant à charge, qui a élevé seul un enfant, voire réforme de la règle du quotient familial. A niveau égal de dépenses de la collectivité en faveur des familles, cette dernière réforme conduirait non seulement à une redistribution forte des familles aisées vers celles à revenus faibles ou moyens mais renforcerait aussi la lisibilité et la cohérence d'ensemble de notre politique familiale ;

- il s'agirait ensuite de réfléchir à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant comme cela existe déjà pour les agents de la fonction publique avec le supplément familial de traitement, à un montant certes minime (2,29 euros au 1 er juillet 2010) ;

- en matière de garde d'enfants, nous pourrions aussi envisager l'institution d'un tarif de garde universel, indépendant du revenu familial, afin d'élargir les choix d'un mode de garde pour tous les parents ; comme les précédentes, cette proposition pourrait être financée par redéploiement des économies produites par la remise à plat de certains dispositifs fiscaux ; du reste, si un tel tarif universel était étendu non seulement aux modes de garde collective, mais aussi à la garde d'enfants à domicile, les avantages fiscaux pour l'emploi d'une personne à domicile pourraient également être réorientés vers le financement du dispositif ;

- enfin, il conviendrait d'étudier l'introduction, dans la législation française, de délais maximaux de placement des enfants en danger, établis en fonction de leur âge, au-delà desquels une solution de vie stable devrait avoir été trouvée. Comme au Québec, l'application de cette règle serait conditionnée à l'accompagnement effectif des parents et, dans tous les cas, laissée à l'appréciation du juge qui pourrait toujours y déroger à raison de circonstances particulières.

Je veux, pour finir, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes québécois ainsi que la parfaite information qu'ils ont su nous procurer. Je crois ne pas trahir le sentiment des autres membres de la délégation en disant tout le plaisir que nous avons eu à participer à cette mission !

Christiane Demontès . - Je vous remercie de ce rapport très complet, dans lequel je me retrouve presque intégralement et dont je partage l'ensemble des propositions. Je souhaite simplement insister sur la double dimension de la politique familiale québécoise telle que je l'ai perçue : il s'agit tout à la fois d'une véritable politique parentale, et non exclusivement d'aide aux mères, et d'une politique axée sur le retour à l'emploi et la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Les parents y sont considérés en tant que tels, mais aussi en tant qu'acteurs indispensables au bon fonctionnement de l'économie.

Concernant la protection de l'enfance, j'y ai vu, comme vous, des éléments intéressants mais aussi d'autres plus inquiétants : ainsi la séparation définitive entre l'enfant et ses parents intervient parfois de façon très rapide et, à mon sens, sans doute trop abrupte.

Je dois vous dire, enfin, tout le plaisir que j'ai eu à participer à cette mission et à rencontrer des interlocuteurs intéressants et particulièrement disponibles pour répondre à nos interrogations.

Muguette Dini , présidente . - Je précise, s'agissant des propositions que j'ai évoquées, qu'il s'agit uniquement de pistes de réflexion.

Isabelle Pasquet . - Comme Christiane Demontès, j'ai aussi été frappée par le fait que la politique d'accueil de la petite enfance était tournée vers le retour à l'emploi, en particulier des femmes, et qu'elle impliquait les mères comme les pères. Au-delà de la conciliation travail-famille, cette politique est aussi marquée par le souci permanent du bon développement de l'enfant.

Quant à la protection de l'enfance, je partage les mêmes inquiétudes sur la coupure, parfois un peu brutale, avec les parents même si certaines des mesures présentées sont intéressantes.

Enfin, j'ai aussi particulièrement apprécié les échanges avec nos interlocuteurs québécois ...

Muguette Dini , présidente . - ... qui étaient à la fois rigoureux et chaleureux !

Brigitte Bout . - A mon tour, je vous remercie de cette mission ; comme mes collègues, j'ai été marquée par l'accent porté sur la famille, plutôt que sur les seules mères, ainsi que par la préservation d'une ambiance la plus familiale possible dans les structures d'accueil visitées - je pense aux projets « L'Escargot » et « l'Explorateur » accueillant des enfants présentant des troubles de l'attachement. Essayons de faire aussi bien chez nous !

Muguette Dini , présidente . - En matière de protection de l'enfance, les décisions peuvent certes paraître un peu radicales, elles n'en méritent pas moins d'être étudiées en détail. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, dans notre système, les dégâts causés aux enfants par les ballottements permanents d'une famille d'accueil à l'autre et à l'issue de retours infructueux dans leur famille biologique. Il est par ailleurs des environnements familiaux plus néfastes que bénéfiques pour le bon développement de l'enfant ...

En outre, la coupure avec la famille, dans le système québécois, est loin d'être immédiate et deux projets de vie - dont le maintien ou le retour dans la famille - sont élaborés concurremment. Enfin, la décision du retrait de l'enfant appartient toujours au juge, étant précisé que les juges pour enfants québécois sont obligatoirement recrutés parmi des avocats expérimentés et déjà connaisseurs du terrain pour l'avoir pratiqué pendant au moins dix ans. Tel n'est pas le cas pour les juges aux affaires familiales français qui sont souvent tout juste issus de l'école de la magistrature et peu au fait des réalités de terrain.

Isabelle Pasquet . - Ce qui est le plus traumatisant pour les enfants, c'est la séparation brutale d'avec les parents. S'agissant de la protection de l'enfance, il n'existe sans doute pas de solutions idéales mais plutôt une gestion au cas par cas. Ce qui distingue les pratiques québécoise et française en la matière, c'est avant tout une différence de culture qui rend difficile l'importation, à droit constant, des règles de l'un vers l'autre, et réciproquement.

Muguette Dini , présidente . - Notre système est, à mon sens, performant pour ce qui relève de la détection des enfants en danger mais défaillant dès lors qu'il est question de protéger l'enfant et de lui trouver un projet de vie stable.

René Teulade . - Pour m'être rendu au Québec il y a une vingtaine d'années, j'avais été frappé, à l'époque, par la rapidité avec laquelle les travaux d'intérêt général étaient mis en oeuvre après la constatation de l'incivilité, sans pour cela avoir à multiplier les procédures judiciaires et en associant les acteurs locaux. A mon retour, j'ai pu constater, dans ma commune, que c'était loin d'être aussi facile !

Muguette Dini , présidente . - Le système québécois est toujours aussi réactif.

André Lardeux . - Vous nous avez indiqué que les assistantes maternelles peuvent accueillir de six à neuf enfants selon qu'elles sont elles-mêmes assistées ou non, mais quelles sont les capacités maximales d'accueil en garde collective ?

Muguette Dini , présidente . - S'agissant des centres de la petite enfance, la loi détermine, pour l'essentiel, un effectif minimal de personnel encadrant en fonction de l'âge des enfants accueillis simultanément : ainsi une personne au moins doit être présente pour cinq enfants âgés de moins de dix-huit mois, huit enfants de dix-huit mois à quatre ans, dix enfants de quatre à cinq ans ou vingt enfants de plus de cinq ans.

André Lardeux . - Concernant les propositions sur lesquelles vous invitez à la réflexion, je suis, pour ma part, très défavorable à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant car cela reviendrait, de fait, à créer une allocation pour enfant seul ; en outre, l'efficacité d'une telle mesure serait, du point de vue du bénéfice social, pratiquement nulle et, sur le plan de l'incitation démographique, totalement inexistante.

Quant à l'idée d'une part additionnelle d'allocations familiales variable selon le revenu, il s'agit là d'un vieux serpent de mer dont je suis convaincu qu'in fine, les catégories intermédiaires seraient les principales victimes. Il convient plutôt, à mon sens, de maintenir des prestations familiales universelles tout en améliorant les dispositifs sociaux en faveur des familles à faible revenu.

Yves Daudigny . - Aujourd'hui tous les enfants ouvrent droit aux mêmes prestations mais seulement à la condition qu'ils soient au moins deux ! Or, chacun connaît la situation d'enfants uniques dans une famille aux ressources particulièrement modestes qui, parce qu'étant seuls, ne bénéficient de rien.

S'agissant de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu parental, on touche effectivement à un sujet tabou qui renvoie à une distinction de fond : en vertu des principes arrêtés en 1945 pour notre système de protection sociale, l'on ne tient pas compte des revenus pour attribuer les prestations, qu'il soit question de santé ou d'aide aux familles ; à l'inverse, la logique de l'aide sociale consiste à verser des allocations en fonction du niveau des ressources, tandis que des dispositifs plus récents - l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) par exemple - combinent droits universels et modulation de leur montant selon le revenu.

De ce point de vue, la piste de réflexion suggérée ici est très habile puisqu'elle consiste à maintenir, à leur niveau actuel, les prestations universelles mais en introduisant une part additionnelle variable, ce qui rétablirait un minimum de justice dans le système. Certes, les familles très aisées sont largement minoritaires mais comment justifier, les concernant, qu'elles touchent le même montant que toutes les autres ?

Guy Fischer . - Il est toujours intéressant d'étudier les expériences étrangères pour les confronter aux nôtres ; je partage les propos tenus par Isabelle Pasquet et ajouterai, concernant l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant, qu'il s'agit d'un amendement régulièrement déposé par notre groupe !

Concernant la demi-part fiscale supplémentaire accordée aux parents isolés, il me semblait que sa suppression progressive avait d'ores et déjà été décidée ...

Muguette Dini , présidente . - C'est en partie exact : à compter de l'imposition des revenus de l'année 2009, cette demi-part n'est plus attribuée qu'aux parents isolés qui ont effectivement élevé seuls un enfant pendant au moins cinq ans ; l'extinction progressive du dispositif d'ici à 2012 ne vise que les parents ne remplissant pas cette condition.

En matière de justice pénale pour adolescents, j'ajoute que l'organisation rapide d'une confrontation entre l'auteur des faits et sa victime semble réduire sensiblement le taux de récidive.

Raymonde Le Texier . - La pratique de la médiation, en présence d'un médiateur ou d'un juge, était autrefois courante dans les maisons de la justice et du droit tant que l'on disposait de subventions pour la mettre en oeuvre ... Et lorsqu'il apparaissait qu'à l'issue de cette confrontation, l'agresseur n'avait pas pris conscience de la gravité des faits, il était alors orienté vers un magistrat. En plus d'incarner la victime, on évite ainsi d'avoir à attendre dix-huit ou vingt-quatre mois avant d'être présenté au juge des enfants après un premier délit, naturellement suivi par d'autres commis entre temps.

S'agissant de la protection de l'enfance, je partage les remarques de la présidente sur ces enfants ballotés d'une structure d'accueil à l'autre, au motif notamment qu'il conviendrait qu'à chaque âge corresponde un type de placement, voire qu'il importe que l'enfant ne s'attache pas trop ! Or, si on ne s'attache pas, on ne grandit pas.

Enfin, lorsqu'il est question de durée maximale d'hébergement avant la fixation d'un cadre de vie stable pour l'enfant, ne vise-t-on que les placements en structure collective ?

Muguette Dini , présidente . - Sont concernés tous les types de placements, auprès d'une personne significative, de la famille élargie, d'une famille d'accueil, etc.

Brigitte Bout . - Lors de notre mission, on nous a parlé, à demi-mots, de la situation de la communauté inuite du Nunavik et des difficultés particulières auxquelles elle était confrontée.

Muguette Dini , présidente . - Pour m'y être rendue, il est vrai que les problèmes d'alcool et de violence intra-familiale y sont très fréquents ; du fait de l'éparpillement des communautés villageoises, il est cependant très difficile d'assurer une présence suffisante des intervenants sociaux.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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