B. LA POSSIBILITÉ DE SUSPENDRE L'ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LES MODALITÉS DE RETOUR AU MONDE DU TRAVAIL

La création de droits constitue un droit important pour l'exercice du mandat local. Cette solution n'est cependant pas adaptée à toutes les situations, nécessaire elle n'est pas toujours suffisante. C'est pourquoi, la loi du 3 février 1992 a proposé une innovation importante pour les élus en leur reconnaissant le droit de devenir des élus à temps plein . Cette consécration a été rendue possible par l'adoption de plusieurs dispositions législatives permettant aux élus d'interrompre leur activité professionnelle pour se consacrer à l'exercice de leur mandat, puis à bénéficier de garanties sur leur réinsertion professionnelle à l'issue du mandat.

Ces dispositions protectrices ne sont pas ouvertes à tous les élus locaux. Alors que, dans un premier temps, le législateur avait soumis le bénéfice de ce dispositif à des seuils démographiques, cette première condition a été assouplie et le bénéfice de cette disposition a été étendu à tous les présidents d'exécutifs locaux.

Le législateur a, ici encore, recherché un équilibre entre les intérêts de l'élu et la nécessité de lui permettre d'exercer son mandat dans les meilleures conditions possibles, d'une part, et les contraintes susceptibles de peser sur son employeur, d'autre part.

1. La possibilité de suspendre son activité professionnelle pour exercer le mandat

La logique des autorisations d'absence et des crédits d'heures répond à une logique précise : celle liée à la situation d'un élu local qui conserve son activité professionnelle et qui a donc besoin de droits d'absence pour participer à la vie locale.

Le législateur a considéré que cette logique avait des limites et s'avérait insuffisante pour l'exercice de certains mandats locaux, notamment lorsque l'élu assure des fonctions exécutives. Dans ce cas de figure, il a été estimé qu'un élu, qui le souhaite, doit pouvoir se consacrer à son mandat à temps complet. Les élus exerçant une activité professionnelle devaient alors pouvoir bénéficier d'une disposition juridique leur permettant d'interrompre leur activité professionnelle pour exercer leur mandat.

Un mécanisme de suspension du contrat de travail ou d'interruption de l'activité professionnelle a ainsi été instauré pour permettre à l'élu de se consacrer exclusivement à l'exercice de son mandat.

Le droit à suspension du contrat a initialement été introduit dans le Code du travail, par la loi n° 78-3 du 2 janvier 1978, pour les parlementaires. Il a été étendu aux élus locaux par la loi du 3 février 1992 et aménagé par celle du 5 avril 2000.

Ce mécanisme ne profite toutefois pas à l'ensemble des élus locaux. Le droit de cessation de l'activité professionnelle pour l'exercice du mandat est en effet actuellement reconnu au profit des maires, des adjoints au maire des communes de plus de 20 000 habitants, des présidents de communautés et de « syndicats mixtes ouverts » associant exclusivement des collectivités territoriales et des groupements de collectivités, des vice-présidents des communautés de plus de 20 000 habitants et de « syndicats mixtes ouverts » associant exclusivement des collectivités territoriales et des groupements de collectivités, de plus de 20 000 habitants, des présidents et vice-présidents ayant délégation de l'exécutif des conseils généraux et régionaux.

Compte tenu de la charge croissante pesant sur les adjoints au maire et sur les vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants, vos rapporteurs vous proposent d'abaisser le seuil ouvrant droit à la suspension du contrat de travail 5 ( * ) . Cette mesure est d'ailleurs d'autant plus nécessaire que le législateur vient d'élaborer les modalités d'élaboration d'achèvement de la carte intercommunale dont la mise en oeuvre va se traduire par un surcroit d'activité pour les élus concernés.

Proposition n° 3 : Ouvrir le bénéfice du droit à la suspension du contrat de travail aux adjoints des communes et vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants

Dans l'hypothèse où ils relèveraient d'un contrat de travail salarié, les élus doivent justifier d'une ancienneté supérieure à un an pour bénéficier du droit à suspendre leur contrat de travail pour se consacrer à l'exercice de leur mandat.

L'élu doit informer l'employeur par lettre recommandée avec avis de réception. La suspension du contrat de travail prend effet quinze jours après cette notification. Le contrat de travail est suspendu jusqu'à l'expiration du mandat mais il n'est pas résilié.

Les élus fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités peuvent, pour leur part, bénéficier, pour l'exercice de leur mandat, et à leur demande, d'une mise en disponibilité de plein droit ou d'un détachement (soumis à autorisation hiérarchique).

Toutefois, la position de détachement, qui est plus favorable que la mise en disponibilité en termes de carrière (maintien des droits à avancement et à retraite) n'est possible que pour certains mandats. Ainsi, le détachement sera de plein droit (« sur leur demande » toutefois) pour tous les maires, les adjoints au maire des communes de plus de 20 000 habitants, tous les présidents de communautés, les vice-présidents de communautés de plus de 20 000 habitants, les présidents et vice-présidents des conseils généraux et régionaux ayant reçu une délégation de ces derniers.

Les autres conseillers élus bénéficieront d'une mise en disponibilité, qui est de droit dans ce type de situation (décret n° 98-854 du 16 septembre 1985, art. 47).

Malgré les préconisations du rapport Mercier 6 ( * ) , ni la loi du 5 avril 2000, ni celle du 27 février 2002 n'ont cherché à étendre le dispositif de suspension du contrat de travail à l'ensemble des adjoints au maire, des conseillers généraux et des conseillers régionaux.

La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 a prévu l'instauration de conseillers territoriaux qui viendront se substituer aux conseillers généraux et régionaux. Votre délégation s'interroge donc sur l'opportunité d'étendre le bénéfice de la suspension du contrat de travail à cette nouvelle catégorie d'élus (interrogation qui doit bien évidemment être déconnectée de la question de fond, tranchée par le législateur, sur l'opportunité de créer cette nouvelle catégorie). Cette évolution législative pourrait être aisément justifiée par les exigences de ce nouveau mandat appelé à être particulièrement « prenant » 7 ( * ) .

Proposition n° 4 : Etendre aux conseillers territoriaux la possibilité de suspendre leur contrat de travail pour exercer leur mandat

2. Les droits à l'issue du mandat

Lorsqu'il quitte son mandat, l'élu local bénéficie d'un certain nombre de mesures destinées à faciliter sa réinsertion professionnelle.

a) Le droit à réinsertion à l'issue du mandat

A l'expiration du mandat, l'élu salarié du privé ayant suspendu son contrat de travail peut demander à reprendre son activité professionnelle et retrouver, dans les deux mois, un emploi analogue assorti d'une rémunération équivalente . Il bénéficie alors de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie pendant la durée de son mandat.

La réintégration n'est applicable qu'à l'issue d'un seul mandat . Dans l'hypothèse où le mandat aurait été renouvelé, la réintégration n'est possible que si la durée de suspension est inférieure à cinq ans . En cas de renouvellement de mandat après un mandat d'une durée au moins égale à cinq ans, l'élu bénéficie pendant un an d'une priorité de réembauche dans un emploi correspondant à sa qualification. Il jouit alors de tous les avantages qu'il avait acquis au moment de son départ.

Les élus fonctionnaires qui ont été placés en détachement sont obligatoirement réintégrés, immédiatement et, au besoin, en surnombre, dans leur corps d'origine et affectés dans un emploi correspondant à leur grade.

Pour les autres élus locaux, placés, à leur demande, en situation de disponibilité, la réintégration n'est pas automatique. Elle est subordonnée au respect de certaines conditions comme l'obligation de faire connaître son souhait de réintégration trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité.

b) Les droits connexes au droit à réinsertion

Les élus locaux qui ont eu recours aux dispositifs de suspension de leur activité professionnelle peuvent, malgré les garanties de réintégration qui s'y attachent, connaître des difficultés au moment du retour dans leur emploi.

Par conséquent, diverses mesures destinées à sécuriser la fin du mandat ont été prévues, sans que leur efficacité soit égale à une réintégration pure et simple.

L'ancien élu doit pouvoir bénéficier de dispositifs lui permettant de s'adapter à ses nouvelles fonctions. Sa nouvelle activité peut, en effet, exiger de sa part une réadaptation.

La loi du 3 février 1992 a d'abord prévu l'organisation d'un stage de remise à niveau , organisé dans l'entreprise, pour tenir compte notamment de l'évolution des postes de travail ou de celle des techniques utilisées. Seuls les titulaires des fonctions exécutives locales bénéficiant de la réintégration professionnelle prévue dans le Code du travail peuvent accéder à ce stage. Les élus concernés doivent néanmoins en faire la demande.

La loi du 27 février 2002 a étendu à ces élus d'autres dispositifs du Code du travail qui bénéficient normalement aux salariés. Désormais, les élus ont ainsi droit, sur demande, « à une formation professionnelle et à un bilan de compétences dans les conditions fixées par le livre IX du Code du travail ».

Lorsque les intéressés demandent, en outre, à bénéficier du congé de formation ou d'un congé de bilan de compétences, le temps passé au titre du mandat local est assimilé aux durées d'activité exigées pour l'accès à ces congés.

3. Accompagner financièrement la réinsertion professionnelle

En 2000, le rapport Mercier avait suggéré la création d'une « indemnité d'aide au retour à la vie professionnelle ». Cette indemnité différentielle devait bénéficier aux personnes ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat de maire à temps plein pendant six mois à l'issue du mandat. Pour bénéficier de cette aide, l'ancien élu devait être inscrit au chômage, ou avoir repris une activité lui procurant des revenus inférieurs à son indemnité d'élu local.

L'objectif poursuivi par la mission sénatoriale était de permettre aux élus de suspendre leur activité professionnelle le temps de leur mandat et de pouvoir se réinsérer sur le marché du travail à l'issue de ce dernier sans subir une pénalisation financière trop importante.

Cette proposition a reçu une traduction juridique en 2002.

a) La création d'une allocation de fin de mandat

La loi du 27 février 2002 a créé une « allocation de fin de mandat ». Il s'agit d'une allocation différentielle dont le montant correspond à la différence entre l'indemnité de fonction antérieure à l'exercice du mandat et les nouveaux revenus . Versée au titre d'un seul ancien mandat et pour une période de six mois maximum, son montant ne peut excéder 80 % de la différence entre le montant de l'indemnité brute mensuelle que percevait l'élu avant retenue à la source de l'imposition et l'ensemble des ressources qu'il perçoit à l'issue du mandat (revenus du travail, revenus de substitution et indemnités liées à d'autres mandats électifs).

Le bénéfice de cette allocation de fin de mandat (AFM) est réservé aux élus ayant suspendu leur activité professionnelle pour se consacrer aux fonctions exécutives suivantes : maire d'une commune d'au moins 1 000 habitants ; adjoint au maire, ayant reçu délégation de fonction, d'une commune de plus de 20 000 habitants ; président d'une communauté d'au moins 1 000 habitants, vice-président, ayant reçu délégation de fonction, d'une communauté de plus de 20 000 habitants, président de conseil général, de conseil régional ou du conseil exécutif de l'Assemblée de Corse, vice-président, ayant reçu délégation de fonction, d'un conseil général ou régional.

Pour bénéficier de l'AFM, l'élu doit en faire la demande, au plus tard cinq mois après la fin du mandat, et être inscrit à Pôle Emploi ou avoir repris une activité professionnelle procurant des revenus inférieurs aux indemnités de fonction antérieurement perçues.

La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 a posé deux nouvelles conditions restreignant le bénéfice du dispositif. Ainsi, l'allocation ne peut être versée qu'aux élus dont le mandat a pris fin lors du renouvellement général de leur assemblée (ou, pour les conseillers généraux, lors du renouvellement d'une série sortante). En outre, l'adjoint au maire ou le vice-président d'un conseil général ou régional doit avoir reçu une délégation de fonction de la part du maire ou du président du conseil.

Cette allocation, imposable, n'est pas cumulable avec celle que l'élu pouvait déjà percevoir au titre d'un mandat de conseiller général ou régional. L'allocation n'est versée qu'au titre d'un seul mandat.

Le projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale prévoit, dans son article 6, que l'allocation de fin de mandat soit étendue aux maires des communes de moins de 1 000 habitants, afin de leur permettre de suspendre leur activité professionnelle pour se consacrer à plein temps à leurs fonctions. Cette disposition a été intégrée dans la proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local adoptée au Sénat le 30 juin dernier (article 9) 8 ( * ) . Cette dernière étend également le bénéfice de cette allocation aux adjoints des communes d'au moins 10 000 habitants ayant reçu délégation (le seuil étant auparavant fixé à 20 000) 9 ( * ) .

b) Cette allocation peine à atteindre ces objectifs

La gestion de l'allocation de fin de mandat est assurée par le fonds d'allocation des élus en fin de mandat (FAEFM), administré par la Caisse des dépôts et consignations.

Le fonds d'allocation des élus en fin de mandat

Créé par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, le fonds d'allocation des élus en fin de mandat (FAEFM) a pour objectif d'offrir aux élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle pour exercer une fonction élective, un soutien financier temporaire facilitant le retour à la vie professionnelle à la fin de leur mandat.

Cette loi est complétée par les décrets n° 2003-592 du 2 juillet 2003 et n° 2003-943 du 2 octobre 2003 relatifs à la cotisation et à l'allocation du FAEFM. Par ailleurs, une circulaire du ministère de l'intérieur en date du 31 décembre 2003 précise les modalités de gestion du FAEFM.

Le FAEFM est alimenté par une cotisation annuelle obligatoire intégralement à la charge des collectivités territoriales et des EPCI à fiscalité propre dont le nombre d'habitants est supérieur à 1 000. Le taux de cotisation a été fixé à 0,2 % du montant annuel maximum des indemnités de fonction des élus (la perception de cette cotisation est suspendue depuis 2009).

La gestion administrative, technique et financière du FAEFM est confiée à la Caisse des dépôts et consignations.

Source : Rapport annuel du FAEFM

L'excédent de ressources du fonds, constaté au 31 décembre 2009, est lié au faible nombre de demandes d'allocations.

A la fin 2008, c'est-à-dire à l'issue des élections municipales et cantonales, 134 allocations étaient servies (117 élus municipaux, 16 élus des EPCI, ainsi qu'un vice-président de conseil général).

Le service chargé de la gestion des fonds avait reçu 148 demandes d'allocations, parmi lesquelles 11 ne remplissaient pas les conditions légales et 3 avaient été déposées hors délai.

Le faible nombre de demandes d'indemnisation a conduit le Gouvernement, sur proposition du comité des finances locales, à abaisser le taux de cotisation des collectivités territoriales à 0 % à compter de l'année 2010. La trésorerie du FAEFM lui permet de faire face à ses charges, sans ressources supplémentaires.

L'AFM a rencontré un succès très limité et la mise en oeuvre de cette disposition ne peut faire l'objet que d'une appréciation nuancée. Interrogées par vos rapporteurs, les associations d'élus considèrent que le caractère largement méconnu de ce dispositif explique seul le faible nombre de demandes déposées auprès du FAEFM .


* 5 La proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local adoptée au Sénat le 30 juin 2011 étend le bénéfice du droit à la suspension du contrat de travail aux adjoints au maire des communes de plus de 10 000 habitants (article 8).

Dans sa proposition de loi tendant à rénover le statut de l'élu local (article 3), le député Pierre Morel-A-L'Huissier suggère une ouverture du bénéfice de ce droit plus étendue, incluant les adjoints au maire de toutes les communes ainsi que l'ensemble des vice-présidents des EPCI mentionnés aux articles L. 5211-12 et L. 5215-1 du CGCT.

* 6 Michel Mercier, Mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer des améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, sur la sécurité juridique des actes des collectivités locales et les conditions d'exercice des mandats locaux, Sénat 1999-2000, n°166.

* 7 Appelée à se prononcer sur cette question lors de l'examen de la proposition de loi des sénateurs Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx, qui étendait le bénéfice du droit à la suspension du contrat de travail aux conseillers généraux et régionaux sans fonction particulière dans leur collectivité, la Commission des lois a préféré reporter l'examen de cette disposition à l'examen du projet de loi n° 61. Elle a été suivie par le Sénat.

* 8 Elle est également présente dans la proposition de loi tendant à rénover le statut de l'élu local du député Pierre Morel-A-L'Huissier (article 8).

* 9 La proposition de loi du député Pierre Morel-A-L'Huissier l'étend aux adjoints au maire de toutes les communes, ainsi qu'aux vice-présidents des communautés de communes (article 8).

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