B. LA CRISE DE LA ZONE EURO : UN ALÉA POUR LA CROISSANCE EN 2012 ET AU-DELÀ

1. La révision à 0,7 % de la prévision de croissance pour 2012 n'a guère de signification

Le 22 mars 2012, le Gouvernement a révisé à la hausse sa prévision de croissance pour 2012, désormais de 0,7 % (contre 0,5 % selon la prévision associée au premier projet de loi de finances rectificative pour 2012 ; la prévision associée au projet de loi de finances initiale pour 2012, de 1,75 %, avait été revue à 1 % le 27 octobre 2011 par le Président de la République).

Cette révision à la hausse de 0,2 point n'a guère de signification. Il est bien évident qu'en ce début de deuxième trimestre, personne n'est en mesure de prévoir le taux de croissance de l'année en cours à 0,2 point près. Cette révision s'explique par des considérations d'affichage, alors qu'au même moment l'hypothèse de croissance pour 2013 était ramenée de 2 % à 1,75 %.

A titre d'illustration, le tableau ci-après indique divers scénarios de croissance de trimestre à trimestre en 2012, et le taux de croissance correspondant en moyenne annuelle 38 ( * ) . Comme l'Insee l'a souligné dans sa note de conjoncture de mars 2012, l'acquis de croissance à la fin du premier semestre 2012 39 ( * ) serait, selon ses prévisions, de 0,5 %. Pour parvenir, comme le Gouvernement, à une croissance de 0,7 %, il faut supposer une croissance trimestrielle de l'ordre de 0,3 % chacun des deux derniers trimestres de l'année.

La croissance du PIB en 2012, selon différents scénarios de croissance trimestrielle

(en %)

Croissance par rapport au trimestre précédent

Croissance en moyenne annuelle

T1

T2

T3

T4

Croissance trimestrielle nulle

0,0

0,0

0,0

0,0

0,3

Croissance correspondant aux prévisions de l'Insee* pour les deux premiers trimestres, nulle ensuite

0,0

0,2

0,0

0,0

0,5

Croissance correspondant aux prévisions de l'Insee* pour les deux premiers trimestres, de 0,3 % par trimestre ensuite

0,0

0,2

0,3

0,3

0,7

* Note de conjoncture, mars 2012.

Sources : Insee, calculs de la commission des finances

A titre de comparaison, le consensus des conjoncturistes 40 ( * ) prévoit en avril 2012 une croissance de seulement 0,3 % en 2012. Les prévisions vont de - 0,3 % (Citigroup) à 1 % (UniCredit).

2. Une hypothèse de croissance pour 2013, ramenée de 2 % à 1,75 %
a) Le consensus des conjoncturistes prévoit une croissance de 1 % en 2013

Le Gouvernement retient pour 2013 une hypothèse de croissance du PIB de 1,75 %.

C'est certes 0,25 point de moins que dans la programmation pluriannuelle du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2012.

Cependant, c'est près de deux fois plus que le consensus des conjoncturistes 41 ( * ) , de 1 %.

b) Une hypothèse de croissance de 1,75 % en 2013 ne paraît, à ce stade, pas moins vraisemblable qu'une hypothèse de croissance de 1 %

• Comme en avril 2011, le Gouvernement fait donc le choix de retenir, pour l'année suivante, une hypothèse de croissance supérieure à celle du consensus des conjoncturistes.

On rappelle qu'en avril 2011, le consensus des conjoncturistes prévoyait pour 2012 une croissance de 1,7 %, contre 2,25 % pour le Gouvernement (la commission des finances préconisant alors de retenir une hypothèse de 2 %).

Le Gouvernement a dû ensuite revoir progressivement à la baisse son hypothèse de croissance pour 2012 :

- dans un premier temps il l'a ramenée à 1,75 % lors du « plan Fillon » annoncé le 24 août 2011 (prévoyant des mesures supplémentaires de 11 milliards d'euros) ;

- il l'a ensuite ramenée à 0,5 % lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012 (et 0,7 % avec le présent projet de programme de stabilité).

• Dans ces conditions, on pourrait penser a priori que le Gouvernement commet actuellement une erreur analogue, et qu'il serait préférable de retenir pour 2012 une hypothèse de croissance plus proche du consensus des conjoncturistes, on le rappelle de 1 %.

• Tel n'est pas cependant le point de vue de votre rapporteure générale.

En effet, il n'est pas possible, en avril d'une année donnée, de prévoir ce que sera la croissance l'année suivante, comme le montre le graphique ci-après.

La croissance du PIB : comparaison de l'exécution et de la prévision des conjoncturistes au mois d'avril de l'année précédente

(en %)

NB : pour l'exécution de 2012 on a retenu le consensus des conjoncturistes d'avril 2012.

Sources : Consensus Forecasts, Insee

C'est pour cette raison que, selon la « doctrine » de la commission des finances, rappelée de manière constante depuis plusieurs années, il convient de retenir systématiquement une hypothèse de croissance égale à la croissance potentielle de longue période de l'économie française, de l'ordre de 2 % .

Quelle estimation de la croissance potentielle retenir pour les programmations de finances publiques ?

La croissance potentielle peut être définie comme la croissance maximale sans accélération de l'inflation. Il s'agit de la croissance soutenable sur longue période par une économie.

Elle résulte de l'évolution de la quantité de travail, du stock de capital et de la productivité globale des facteurs de production (ou « progrès technique »).

Avant la crise, la croissance potentielle de l'économie française était évaluée à un peu plus de 2 % par an. Ainsi, en 2006 une étude rétrospective de la Banque de France 42 ( * ) l'évaluait à 2,1 % ou 2,3 % en 2000-2005, selon la méthodologie retenue.

La croissance potentielle est désormais plus faible, en raison d'un double phénomène :

- le premier est purement démographique. Alors que jusqu'au milieu des années 2000 la population en âge de travailler augmentait de quelques dixièmes de points chaque année, ce taux devrait être à peu près nul à compter de 2008. Ainsi, en 2004, une étude prospective de la direction de la prévision estimait que la croissance potentielle, de 2,2 % à 2,4 % en 2004-2007, ne serait plus que de 1,9 % à 2,1 % en 2008-2015 43 ( * ) ;

- à cela s'ajoute l'impact de la crise depuis 2008. La croissance potentielle n'est en effet pas totalement indépendante de la conjoncture. Ainsi, le programme de stabilité 2011-2014 (avril 2011) évaluait la croissance potentielle à 0,8 % en 2009, 1,6 % en 2010, 1,8 % en 2011 et 2 % de 2012 à 2014.

La commission des finances a considéré jusqu'à présent que les programmations de finances publiques doivent reposer sur une hypothèse de croissance potentielle neutralisant totalement les effets de la conjoncture, afin que l'effort structurel, qu'elle permet de calculer, corresponde à l'évolution du déficit dépendant effectivement de l'action du Gouvernement. Cela l'a conduite à retenir une hypothèse de croissance potentielle de 2 %.

Si l'évolution des règles européennes (qui accordent peu de place à la notion d'effort structurel) et la dégradation des perspectives de croissance à l'horizon 2017 se confirmaient, la commission des finances pourrait être amenée à revoir à la baisse son hypothèse de croissance potentielle.

Le présent projet de programme de stabilité évalue la croissance potentielle à 1,7 % chaque année de 2011 à 2016.

Le choix, par le présent projet de programme de stabilité, d'une hypothèse de croissance pour 2013 de 1,75 % , soit légèrement inférieure, ne paraît donc pas excessivement optimiste (bien que supérieur au consensus des conjoncturistes, on le rappelle de 1 %). Concrètement, il suppose que la croissance de trimestre à trimestre augmente progressivement à compter du deuxième trimestre 2012, pour atteindre un rythme de 0,5 % par trimestre (soit 2 % en rythme annualisé) à compter du premier trimestre 2013, comme le montre le tableau ci-après.

La croissance du PIB en 2013, selon différents scénarios de croissance trimestrielle

(en %)

Croissance par rapport au trimestre précédent

Croissance en moyenne annuelle

2012

2013

2012

2013

T1

T2

T3

T4

T1

T2

T3

T4

Croissance trimestrielle nulle

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,3

0,0

Croissance correspondant aux prévisions de l'Insee* pour les deux premiers trimestres, de 0,2 % ensuite

0,0

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,6

0,8

Croissance trimestrielle nulle en 2012, de 0,5 % en 2013

0,0

0,0

0,0

0,0

0,5

0,5

0,5

0,5

0,3

1,3

Croissance correspondant aux prévisions de l'Insee* pour les deux premiers trimestres, augmentant progressivement jusqu'à 0,5 % à compter du premier trimestre 2013

0,0

0,2

0,3

0,4

0,5

0,5

0,5

0,5

0,7

1,75

* Note de conjoncture, mars 2012.

Sources : Insee, calculs de la commission des finances

Autrement dit, une hypothèse de croissance du PIB de 1,75 % en 2013 correspond à l'hypothèse d'un « retour progressif à la normale » à compter du second semestre 2012 .

La croissance du PIB en 2013 pourrait toutefois être inférieure à 1,75 %, si l'on considère en particulier :

- que, du fait de la réduction des déficits publics dans la zone euro, la croissance de trimestre à trimestre pourrait être en 2013 inférieure à son potentiel ;

- que, de manière moins « intuitive », une stagnation économique chaque trimestre de 2012 pourrait comptablement susciter un acquis de croissance particulièrement faible en 2013, qui ferait qu'une croissance de 0,5 % de trimestre à trimestre en 2013 (soit 2 % en rythme annualisé) ne correspondrait qu'à une croissance annuelle de 1,3 % ;

- qu'il existe de nombreux aléas, liés en particulier à la crise de la dette de la zone euro ( cf . infra ).


* 38 On rappelle que la croissance du PIB une année donnée est exprimée en moyenne annuelle, définie comme l'évolution du PIB d'une année par rapport à celui de l'année précédente. La croissance en moyenne annuelle ne peut pas être approchée par la somme des taux de croissance de trimestre à trimestre de l'année concernée, contrairement à la croissance en glissement.

* 39 C'est-à-dire la croissance en moyenne annuelle si la croissance de trimestre à trimestre était nulle ensuite.

* 40 Consensus Forecasts, 10 avril 2012.

* 41 Consensus Forecasts, 10 avril 2012.

* 42 Christophe Cahn et Arthur Saint-Guilhem, « Croissance potentielle : d'où viennent les écarts entre quelques grandes économies développées ? », Bulletin de la Banque de France n° 155, novembre 2006.

* 43 Emmanuel Bretin, « La croissance potentielle de l'économie française de moyen-long terme », direction de la prévision, analyses économiques n° 48, septembre 2004.

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