B. LE CONCEPT « D'ÉCONOMIE VERTE » EN QUESTION

« Une politique qui n'engloberait pas l'écologie serait mutilée, mais une politique qui se réduirait à l'écologie serait également mutilée » (Edgar Morin).

1. Clarifier le concept d'économie verte

Comme évoqué plus haut, le concept d'économie verte risque d'être longuement discuté lors de la Conférence de juin 2012 , dans la mesure où à ce jour, aucune définition académique n'existe. Il faut dans ce contexte éviter d'aboutir à une énumération de déclarations d'intentions visant des grands secteurs d'activités (agriculture, énergie, industrie, tourisme, etc).

Le document final qui sera adopté à Rio devra veiller à ce que le concept d'économie verte ne soit pas en recul par rapport à la notion de développement durable consacrée en 1992. Pour cela, les stratégies, les outils, les méthodes et les indicateurs devront être passés en revue et interrogés, tout autant que les valeurs de nos sociétés.

La définition de l'économie verte devra mentionner la nécessité de promouvoir des modes de vie plus sobres et plus durables dans un contexte de raréfaction des ressources. Elle devra également explorer les trois dimensions du développement durable de manière équivalente : environnementale, économique et sociale (il est surprenant de constater qu'aujourd'hui la notion de « travail » n'est pas mentionnée dans le « draft zero »). Elle devra permettre d'appréhender la réflexion sur la possibilité d'un avenir fondé davantage sur les besoins présents et futurs de la communauté planétaire que sur une croissance illimitée de la consommation matérielle.

La notion d'économie verte devra en outre tenir compte du pilier social du développement durable qui s'appuie sur des conditions de travail décentes, sur une logique de transmission des savoirs, de formation et de capital humain.

Enfin, elle devra porter dans sa définition l'objectif d'un droit au même niveau de développement pour tous.

Recommandation 3 : La Conférence « Rio+20 » devra définir l'économie verte comme un modèle de développement moins consumériste, plus sobre, économe des ressources naturelles et ouvert aux sauts technologiques lorsqu'ils sont respectueux de l'environnement. Il est le corollaire du droit au même niveau de développement pour tous.

2. Les ressources naturelles disponibles
a) Protection des terres agricoles et des océans

La course à la terre devient aujourd'hui un des enjeux essentiels en matière de ressources naturelles disponibles. Une récente étude du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et de l'Université de Berne a mis en évidence un véritable accaparement des terres arables au profit des pays les plus riches, qui cherchent à externaliser et à sécuriser leur production alimentaire nationale en achetant des terres agricoles dans d'autres pays.

Un rapport de la FAO de juillet 2011 tire la sonnette d'alarme sur ce phénomène d'accélération de l'appropriation de terres agricoles des pays du Sud par des investisseurs d'autres pays, publics ou privés. Il précise notamment qu'au cours des cinq dernières années, « de 50 à 80 millions d'hectares de terres agricoles dans les pays en développement ont ainsi fait l'objet de négociations avec les investisseurs internationaux cherchant à acheter ou à louer ces terres, dont les deux tiers d'entre eux en Afrique sub-saharienne ».

Or, comme l'indique ce rapport, ces investissements à grande échelle nuisent à la sécurité alimentaire, aux revenus, aux moyens de subsistance et à l'environnement des populations locales.

Votre groupe de travail estime que si les investissements dans l'agriculture sont fondamentaux, ils doivent impérativement être réalisés sans mettre en péril la sécurité alimentaire locale et respecter un cadre juridique protégeant les droits individuels des populations locales. A cet égard, le document final de Rio devra insister sur la nécessaire mise en oeuvre des Directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, pêches et forêts dans le contexte de Directive sur la sécurité alimentaire nationale du 11 mai 2012.

Parallèlement à la question des terres agricoles, celle des espaces forestiers doit être prise en compte. En effet, la durabilité des écosystèmes agricoles passe par la promotion d'une agroforesterie innovante, reposant sur une association de cultures et d'arbres équitablement répartis sur les territoires pour amortir les chocs climatiques, améliorer la ressource en eau et participer à l'activité biologique des sols tout en maintenant une productivité agricole.

Recommandation 4 : La Conférence « Rio+20 » devra préconiser des investissements agricoles qui ne mettent pas en péril la sécurité alimentaire locale et qui respectent un cadre juridique protégeant les droits individuels des populations locales. A cet égard, le document final de Rio devra insister sur la nécessaire mise en oeuvre des Directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, pêches et forêts.

Elle devra insister sur la promotion d'une agroforesterie innovante alliant cultures et arbres équitablement répartis sur les territoires.

C'est aussi sur la mer que se porteront les attentions à Rio en juin. La haute mer notamment constitue un véritable vide juridique au niveau international. Or, la définition d'objectifs d'une « économie bleue » devient urgente.

En effet, un rapport de l'International programme on the state of the oceans de juin 2011 insiste sur la dégradation inquiétante de l'état des océans, qui menace la biodiversité marine et la chaîne alimentaire planétaire, comme le montre, par exemple, l'importance des barrières de corail, qui, si elles venaient à disparaître, risqueraient de perturber l'alimentation de millions de personnes.

Les océans subissent de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique qui provoquent leur acidification, préjudiciable à la survie de certaines espèces marines. Ils sont également victimes de toutes les formes de pollution industrielle, chimique, agricole, ménagère, déversée par les cours d'eau et les canalisations. Selon le PNUE, ces pollutions représentent 80% des pollutions marines.

La surexploitation des ressources halieutiques a des conséquences dramatiques sur la survie des espèces et l'équilibre de la biodiversité marine. La surpêche du thon rouge en Méditerranée constitue un exemple frappant car elle menace directement la survie de cette espèce ainsi que l'équilibre écologique marin. Enfin, l'exploitation offshore des hydrocarbures accentue les risques environnementaux en milieu marin.

Adoptée en 1982, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) n'a pas permis de freiner la dégradation croissante de l'environnement marin. Elle a surtout laissé de côté le problème du contrôle et de la gestion de ces zones de haute mer, en entérinant les principes de la liberté de circulation, d'exploitation et de refus de toute autorité prévalant sur celle des États.

Votre groupe de travail est favorable à ce que la Conférence de Rio adopte une feuille de route ambitieuse pour la protection des océans. Cette dernière devra notamment insister sur la mise en oeuvre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, en mettant l'accent sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine dans les zones de haute mer.

Il préconise également la création d'une liste d'aires marines protégées en haute mer.

Recommandation 5 : La Conférence « Rio+20 » devra donner lieu à l'adoption d'une feuille de route ambitieuse et précise pour la préservation et la gestion durables des océans.

Une gouvernance internationale consolidée devra être préconisée en matière de protection de la biodiversité en haute mer et de l'utilisation des ressources marines. L'accent devra être mis également sur un renforcement du contrôle des prélèvements sur les ressources halieutiques, dans un contexte de forte dégradation de l'environnement marin.

Enfin, la Conférence « Rio+20 » devra souligner la nécessité de la définition d'un statut juridique de la haute mer, en ajoutant un chapitre à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

b) Sécurité d'approvisionnement alimentaire et sécurité sanitaire et droit à l'eau

Le monde est aujourd'hui confronté à un défi bien concret : nourrir 9 milliards d'individus à l'horizon 2050. Et ce, alors que 1,4 milliard de personnes vivent déjà dans des conditions d'extrême pauvreté, dont la moitié en Afrique subsaharienne et qu'un sixième de la population mondiale souffre de malnutrition. Cette menace est directement palpable aujourd'hui comme l'ont tragiquement rappelé les « émeutes de la faim » qu'ont connues une quarantaine de pays en voie de développement lors de la crise alimentaire de 2007-2008.

La sécurité alimentaire de la planète n'est pas en effet assurée pour tout le monde en qualité comme en quantité. Et comme l'indiquait Philippe Chalmin, président de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires : « Le monde a faim aujourd'hui, mais demain, dans quelques décennies, dans deux générations à peine, ce sont 10 milliards d'hommes qu'il faudra nourrir ».

Plus encore que l'accroissement démographique, le phénomène de volatilité des prix agricoles est aujourd'hui particulièrement inquiétant, ainsi que l'a bien rappelé le rapport 10 ( * ) de notre collègue Marcel Deneux relatif à la proposition de résolution européenne sur la volatilité des prix agricoles. En outre, cette volatilité risque de s'accentuer au cours des prochaines années du fait de la conjugaison d'un certain nombre de facteurs : l'accroissement démographique des pays émergents, notamment d'Asie, l'intensification des aléas climatiques, qui impactent fortement le volume de production agricole, ou encore l'explosion de la demande de biocarburants, liée à la flambée du prix du pétrole.

COMMUNIQUÉ FINAL
SOMMET DES CHEFS D'ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DU G20
CANNES 3-4 NOVEMBRE 2011
(
Extrait )

S'attaquer à la volatilité des prix des matières premières et promouvoir l'agriculture

18. Dans le cadre de notre programme de régulation financière, nous entérinons les recommandations de l'OICV pour l'amélioration de la régulation et de la supervision des marchés de dérivés de matières premières. Nous convenons que les régulateurs de marché doivent être dotés de réels pouvoirs d'intervention pour prévenir les abus de marché. En particulier, ils devraient, entre autres pouvoirs d'intervention, disposer et faire usage de leurs pouvoirs de contrôle des positions, y compris établir des limites de position ex ante en tant que de besoin.

19. Promouvoir la production agricole est essentiel pour nourrir la population mondiale. A cette fin, nous décidons d'agir dans le cadre du Plan d'action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l'agriculture approuvé par nos Ministres de l'agriculture en juin 2011. En particulier, nous décidons d'investir dans la recherche et développement en matière de productivité agricole et de la soutenir. Nous avons lancé le « Système d'information sur les marchés agricoles » (SIMA) pour accroître la transparence sur les marchés des produits agricoles. Pour renforcer la sécurité alimentaire, nous nous engageons à élaborer les instruments appropriés pour la gestion des risques et des situations humanitaires d'urgence. Nous décidons que les denrées alimentaires achetées par le Programme alimentaire mondial à des fins humanitaires non commerciales ne seront pas soumises à des restrictions aux exportations ou à des taxes extraordinaires. Nous nous félicitons de la création d'un « Forum de réaction rapide » afin d'améliorer la capacité de la communauté internationale à coordonner les politiques et à élaborer des réponses communes en cas de crises des marchés.

La commission a également débattu de la question du développement du modèle alimentaire qui est caractérisé, dans les pays développés, par une augmentation de la consommation des produits carnés et qui risque de devenir insoutenable. A été discutée l'éventualité d'une utilisation mieux adaptée des productions végétales au sein d'un nouveau modèle alimentaire prenant en compte une gestion durable des ressources.

Recommandation 6 : La sécurité de l'approvisionnement alimentaire et la sécurité sanitaire devront être mentionnées dans le document final de la Conférence « Rio+20 » et reconnues comme un droit inaliénable de chaque être humain.

Étroitement liée à la question alimentaire, celle de l'eau qui, selon le rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soulève des problèmes persistants : 13 % de la population mondiale, soit 800 millions de personnes, n'ont toujours pas accès à l'eau potable en 2010 . Bien que réduit de moitié depuis 1990, ce taux est encore très élevé malgré les efforts et les progrès qui ont été réalisés par les 189 membres de la Déclaration du millénaire. Le manque d'accès à l'eau potable constitue toujours la première cause de mortalité dans le monde.

Cinquante pays, notamment en Afrique et en Asie, regroupant près d'un tiers de la population mondiale, souffrent de la soif. En outre, un milliard d'individus ont un accès irrégulier à l'eau.

Le droit à l'eau figurait dans le « draft zero » du texte préparatoire à la déclaration finale de la conférence sur le développement durable, publié en janvier 2012 : le chapitre 67 en faisait en effet très clairement mention. Au fil des négociations, cette mention a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part de l'Union européenne, ou encore de pays comme le Canada, les États-Unis, l'Australie ou le Japon qui, au cours des négociations informelles de mars notamment, ont mis en avant que la Conférence de Rio devait avant tout privilégier la construction d'une économie verte, c'est-à-dire promouvoir des investissements, plutôt que d'énoncer des droits.

Bien que les pays demandant la suppression du chapitre 67 du texte de négociations aient reculé, il est plus que jamais nécessaire de souligner l'importance du rappel d'un tel principe à la Conférence de Rio+20.

La sécurité alimentaire et le droit à l'eau sont des principes du développement durable à part entière. Votre groupe de travail estime qu'ils doivent être portés à la Conférence de Rio, d'une part pour affronter les menaces imminentes de demain, d'autre part pour densifier la conception d'économie verte, qui ne doit pas constituer seulement un outil du développement durable mais doit promouvoir de nouvelles pratiques et de nouveaux principes.

Recommandation 7 : La Conférence « Rio+20 » devra s'engager dans la reconnaissance d'un droit à l'eau universel et à l'accès à l'assainissement et maintenir dans son document final l'actuel chapitre 67 du texte préparatoire à la déclaration finale « draft zero ». La déclaration finale devra également prévoir la création d'une Agence mondiale de l'eau.


* 10 Rapport n°623 (2010-2011) de M. Marcel Deneux au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire sur la proposition de résolution européenne sur la volatilité des prix agricoles, 15 juin 2011.

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