2. L'Etat doit déduire les CIMC de son analyse stratégique et non l'inverse

Les capacités industrielles militaires critiques (CIMC) doivent découler de la physionomie de l'outil de défense et non l'inverse. Si le nouveau Livre blanc dessinait un outil de défense très différent de l'outil actuel, il devrait donc en déduire les capacités industrielles associées.

Aujourd'hui notre outil de défense est organisé pour remplir trois missions, définies dans la préface du Livre blanc :

- « relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales ;

- « assurer l'indépendance de la France ;

- « assurer la protection de tous les Français. »

Pour remplir ces missions, les forces armées doivent disposer des moyens leur permettant de garantir l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action des responsables politiques. Elles doivent donc avoir la capacité non seulement de protéger les Français, sur l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, mais aussi de se projeter, pour remplir nos obligations internationales. Ces fonctions stratégiques supposent que l'Etat soit particulièrement vigilant sur les capacités industrielles militaires suivantes :

a) La surveillance de l'espace extra-atmosphérique et de l'espace aérien

La défense antimissile balistique (DAMB) telle que déployée dans le cadre de l'OTAN fait peser un risque de perte de la souveraineté de l'espace extra-atmosphérique européen. En effet, toute la chaîne DAMB sera américaine.

Le respect de notre autonomie stratégique commande au minimum que nous fassions des efforts dans l'alerte avancée (satellite infrarouges - radars) et l'architecture du système (commandement et de contrôle). Pour ce qui est des radars, peut être faudrait-il rouvrir la piste des radars transhorizon qui présentent l'avantage d'être tous azimuts (un seul pourrait suffire à assurer la protection du territoire métropolitain) et sont susceptibles de détecter des véhicules aériens en vol rasant.

Précisément, l'indépendance de la France supposerait également que nous mettions les moyens nécessaires pour rénover notre dispositif de surveillance de l'espace aérien : système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCOAA) en respectant le déploiement de la version 4, et en s'engageant vers une version 5 qui nous assure un droit d'entrée dans le dispositif otanien de la DAMB.

b) La dissuasion nucléaire

Les capacités industrielles militaires critiques de la France en matière de missiles balistiques pourraient sérieusement être mises à mal si aucune solution n'était rapidement dégagée quant au successeur de la fusée Ariane. Il serait nécessaire de lancer les études amont sur un possible missile successeur du M 51.2 dans des délais assez brefs.

c) Les missiles de croisière hyper véloces

La France dispose avec le missile ASMP/A de l'un des meilleurs missiles de croisière assaillants au monde. Les technologies utilisées pour ce type de missile serviront pour les missiles de croisière, qui outre le fait d'être invulnérables à la DAMB, jouent un rôle croissant dans les conflits actuels (Libye etc).

L'ONERA et MBDA travaillent sur deux projets successeurs  de l'ASMP/A : un missile à statoréacteur (plage de vitesse Mach 4 à 5) PEA Camosis et un missile à super statoréacteur (Mach 7 à 8) PEA Prométhée. Il est important que ces programmes d'études amont puissent être menés dans de bonnes conditions.

d) L'interception de cibles rasantes

Les progrès de l'interception exo-atmosphérique sont connus. Il faut donc envisager que la prolifération change de forme, avec davantage de missiles rasants ou de missiles balistiques de courte portée manoeuvrants, de type SS-26 Iskander. La réponse à cette menace militaire passe par le développement des missiles Aster-15 (auto-défense) et Aster 30 (interception) ainsi que des systèmes (radars et C2) dans lesquels ils s'insèrent, soit à terre (SAMP/T) et donc des radars de conduite de tir (type GS1000) soit en mer (PAAMS) et donc de la mise en partage des radars (type SMART L (Thales NL) et des C2.

La DGA et la Marine nationale ont réalisé avec succès, le 4 avril 2012 à partir de la frégate Forbin, l'interception par le système PAAMS via un missile Aster 30 d'une cible aérienne simulant l'attaque d'un missile antinavire supersonique volant à très basse altitude. Il s'agit d'une première en Europe. Ce tir d'une haute technicité démontre la capacité du système antiaérien PAAMS à protéger un groupe aéronaval contre un type de menace particulièrement dangereux.

La réponse à cette menace militaire passe par un développement incrémental du missile ASTER 30 B1 pour améliorer ses performances tout en traitant ses obsolescences. Un tel développement permettrait de surcroit d'ouvrir une voie européenne au futur des systèmes antibalistiques Italiens, allemands, voire  britanniques.

e) Les drones

Le dossier des drones MALE mérite d'être rouvert. En effet, la pertinence économique de la création filière de drones MALE nationale ou même franco-britannique fait débat. Au regard des quantités envisagées seule un regroupement des besoins des différentes nations européens semble faire sens économiquement. Dans ces conditions, il semblerait opportun de laisser venir tous les éventuels candidats (EADS, Dassault, General Atomics ) à l'offre. Seule une cible la plus large possible permettra de réduire les coûts.

Il serait souhaitable par ailleurs que l'Etat tranche le dossier des drones tactiques.

f) Les avions de combat futur et les UCAV

L'Europe et la France en particulier ne sont pas restées inertes en matière de drones de combat (UCAV) dont les technologies et les doctrines d'emploi seront radicalement différentes des drones MALE. Deux projets sont en lice : le démonstrateur NEURON de Dassault et le démonstrateur TARANIS de BAé. L'Europe ne peut se permettre le luxe de recommencer les erreurs du combat fratricide Eurofighter/Rafale. Il est donc urgent de faire converger les deux projets et dégager une feuille de route industrielle et financière crédible.

g) Les nanotechnologies, la biologie, l'informatique et les sciences de la cognition

Le domaine des NBIC est parmi les plus prometteurs, avec des enjeux économiques et des avancées techniques considérables dans les domaines civils et militaires.

Les nanotechnologies, socle du processus de convergence de toutes ces technologies, peuvent conduire à des gains considérables dans l'industrie civile et à des écarts capacitaires significatifs pour les moyens de défense, car elles offrent une ultra-miniaturisation de fonctions existantes, parfois accompagnées par des réductions de coût et permettant la dissémination sur le terrain de fonctions intelligentes. Elles permettent également d'envisager de nouveaux matériaux aux propriétés avancées (résistance aux balles) et de nouvelles fonctions extrêmement importantes (furtivité, invisibilité).

Elles ne seraient pas pour autant dénuées de potentialités redoutables, si elles étaient détournées en vue de mettre au point de nouvelles armes, notamment à l'interface de la chimie et de la biologie. L'identification de leur juste encadrement est rendue d'autant plus critique que ces technologies sont porteuses d'enjeux économiques, éthiques, juridiques et sociétaux majeurs.

h) Galileo : la nécessaire indépendance vis-à-vis du GPS américain

Galileo est un projet européen de système de positionnement par satellite. Les quatre premiers satellites de la constellation seront testés à partir de 2011 et le système devrait être achevé d'ici 2019-2020.

Il garantira l'autonomie de l'Union européenne vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie dans ce domaine critique pour l'indépendance nationale. Il déploiera des facultés avancées par rapport à celles présentement offertes par le GPS des Etats-Unis ou le GLONASS de la Russie.

Cette indépendance est importante car le GPS actuel souffre de nombreuses restrictions sur la précision du positionnement, la fiabilité ou la continuité. Le positionnement peut être impossible dans certaines zones du globe ou à certains moments, pour des raisons techniques ou politiques.

i) Andromède : le « nuage souverain informatique » pour protéger le secret industriel

Le cloud ou nuage est un concept de stockage informatique situé hors les murs d'une entreprise, sur des serveurs accessibles par internet. Ce besoin ne concerne pas la défense, dont les réseaux (DR, CD, SD) sont déconnectés physiquement les uns des autres et d'Internet, mais séduit beaucoup d'entreprises privées (PME et ETI) et même des administrations, essentiellement pour des raisons économiques.

Le problème est qu'aujourd'hui les nuages appartiennent essentiellement à de grands acteurs américains tels que Microsoft, Cisco, IBM, Apple, HP ou Google, qui vient du reste de sortir son cloud , baptisé Drive.

A qui appartiennent les données stockées dans le nuage ? Dans certains Etats américains, la loi locale prévoit qu'elles soient également la propriété de l'opérateur qui les héberge. Le Patriot act permet au gouvernement en cas de risques liés au terrorisme d'accéder à toute donnée stockée par une société américaine. Même avec un stockage privé en France, garanti par contrat, que se passerait-il si le prestataire était racheté par un opérateur asiatique ou moyen-oriental qui effectuerait des copies de sauvegarde loin de nos frontières ?

Ces craintes ont décidé la France, en 2009, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, à bâtir un cloud souverain. Après le retrait de SFR et de Dassault-Systèmes, c'est le couple Thalès-Orange qui a été agréé pour donner naissance au cloud souverain français : Andromède, pour un montant de 350 millions d'euros. Ce cloud souverain sera destiné aux administrations et aux entreprises afin de stocker des informations sensibles telles que des données personnelles administratives, des renseignements liés à l'e-santé ou encore des informations économiques.

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