5. Assurer la pleine traçabilité des dispositifs médicaux implantés grâce à des registres exhaustifs

Comme les exemples australiens, suédois ou américains en sont la preuve, la création de registres des dispositifs médicaux implantés permet d'assurer efficacement leur surveillance et de détecter les éventuels dysfonctionnements avant qu'ils ne se transforment en véritables scandales de santé publique.

Dans ce domaine, la France accuse un retard flagrant, notamment dans le domaine orthopédique. Les seules initiatives privées existantes, comme celle de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) pour les prothèses totales de hanche, reposent sur le volontariat des praticiens, connaissent des difficultés de financement et ne parviennent pas à atteindre le niveau de développement de leurs modèles anglo-saxons ou scandinaves.

Comme l'avait souligné le professeur Daniel Loisance lors de son audition par la mission d'information, « un registre qui n'est pas complet n'a strictement aucune valeur : il est même trompeur » . C'est la raison pour laquelle il convient de s'inspirer des expériences étrangères afin de développer efficacement cet outil en France et, à long terme, à l'échelle européenne. S'ils ne constituent pas, à eux seuls, la panacée en matière de matériovigilance et de suivi clinique des patients, les registres bien conçus et correctement alimentés par les professionnels de santé n'en restent pas moins l'un des outils les plus utiles pour la réalisation de ces tâches.

a) Respecter des principes de mise en oeuvre précis

Les détails des quelques registres orthopédiques décrits ci-dessous permettent d'identifier les conditions générales de leur réussite :

- maîtrise par la communauté médicale, le registre ne devant pas constituer un moyen de contrôler les pratiques ;

- décentralisation, chaque registre spécialisé étant administré par une équipe différente ;

- financement stable, le plus souvent assuré par l'Etat ;

- participation la plus exhaustive possible, pas toujours obligatoire mais exigeant le consentement éclairé du patient ;

- identification du patient avec des données personnelles permettant de le retrouver rapidement.

Les principes de fonctionnement des principaux registres orthopédiques étrangers

Administration

Financement (1)

Participation obligatoire (2)

Numéro de sécurité sociale

Consentement du patient

Angleterre et Pays de Galles

G

R

+ (3)

+

+

Australie

A

G

-

+

-

Canada

G

G

-

+

+

Danemark

hanche

A

G

+

+

-

genou

A

G

+

+

+

Finlande

G

G

+

+

-

Nouvelle Zélande

A

G, A

-

+

+

Norvège

A

G

-

+

+

Roumanie

A

G

-

+

+

Slovaquie

A

G

+

+

-

Suède

genou

A

G

-

+

-

hanche

A

G

-

+

-

coude

A

A

-

+

-

épaule

A

G, A

-

+

-

Suisse

A

A

-

-

-

(1) A, associations; G, gouvernement, R : redevance sur les implants

(2) + : oui ; - : non

(3) dépend du statut de l'hôpital

Source : mission d'information du Sénat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique

b) Lever l'obstacle juridique de la protection des données personnelles

Tout registre doit également respecter la législation relative à l'utilisation et à la conservation de données personnelles, en particulier la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 84 ( * ) . Il doit donc être déclaré auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et se soumettre aux éventuelles modifications que celle-ci imposerait.


Création d'un registre et protection des données personnelles

En application du chapitre IX de la loi du 6 janvier 1978, la mise en place de « traitements de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé » est soumise à une procédure en plusieurs étapes qui vise à s'assurer de leur sérieux scientifique et de l'adéquation des mesures de protection des données envisagées.

Partant du principe que chacun doit pouvoir faire valoir son droit d'opposition à l'utilisation de ses données personnelles, tout projet doit d'abord être soumis pour avis au Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS), placé auprès du ministère chargé de la recherche et qui étudie la méthodologie scientifique utilisée. Dès lors que celui-ci s'est prononcé favorablement, la Cnil, bien que n'étant pas juridiquement liée par la position du comité, autorise la mise en oeuvre du traitement de données.

L'avis favorable d'une troisième instance, le Comité national des registres (CNR), est nécessaire pour obtenir l'appellation officielle de « registre qualifié ». Selon l'arrêté du 6 novembre 1995 relatif à ce comité, un registre est défini comme « un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées ». C'est donc sur la base de ces critères cumulatifs que le CNR, qui s'appuie sur les services de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'Institut de veille sanitaire (InVS) prend ses décisions. Leur validité est de trois ans pour les registres en création et de quatre ans pour ceux en fonctionnement.

Selon les données communiquées par la Cnil à la mission d'information, il y aurait actuellement en France 135 registres médicaux autorisés, dont 10 portant sur des dispositifs médicaux implantables.

L'articulation de ce dispositif ne favorise pas la création de véritables registres de dispositifs médicaux. Les projets soumis à l'avis du CCTIRS portent parfois le titre d'« observatoire » ou de « base de données ».

Ils ne peuvent se voir attribuer le titre de registre que lorsqu'ils sont qualifiés par le CNR.

La rédaction de l'article 2 de l'arrêté du 6 novembre 1995 relatif au comité national des registres s'oppose à la constitution de registres pour l'enregistrement de poses de dispositifs médicaux implantables et le suivi des patients implantés.

Sous réserve qu'ils contiennent différentes données attendues d'une recherche menée dans le domaine de la santé (exhaustivité, continuité...), les projets soumis à l'avis du CCTIRS peuvent être autorisés lorsqu'ils portent le titre d'« observatoire » ou de « base de données » . Par exemple, le 5 juillet 2012, le CCTIRS devait examiner une demande portant sur une « étude observationnelle prospective multicentrique évaluant la tolérance à long terme » d'un implant sur mesure « au regard du taux d'explantation et du nombre d'infections ».

En revanche, les projets tenus par des sociétés savantes, en collaboration avec des industriels, ne peuvent être qualifiés de registres, surtout si l'on considère qu'ils ne correspondent pas à la définition d'un registre de morbidité dans une zone géographique définie, département ou région. Le « registre des hémopathies malignes de Côte d'Or » correspondrait bien à un registre, contrairement à l'observatoire cité ou à un autre projet soumis à l'avis du CCTIRS le même jour, qui consistait en une « étude observationnelle multicentrique sur l'utilisation » d'une prothèse orthopédique.

Si elle ne portait sur une préoccupation de santé publique, cette controverse pourrait sembler purement sémantique.

Selon beaucoup d'observations, faute de disponibilité, les médecins participent de moins en moins à la mission de recueil de données. Mais la Cnil nous a précisé que leur implication serait plus forte si le recueil portait le nom de registre. Le législateur a légitimement voulu protéger les citoyens en restreignant l'utilisation de données personnelles y compris dans le domaine de la santé. Mais au nom de cet impératif, l'utilisation du terme registre pourrait être étendue aux études observationnelles ou bases de données relatives au suivi de dispositifs médicaux implantés.

Il reste toutefois un obstacle majeur à la création de registres de suivi des patients efficaces : les conditions très restrictives d'utilisation du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, le Nir, qui figure sur la carte Vitale de chaque assuré . Le Nir, souvent appelé numéro Insee, fournit plusieurs données de nature personnelle : sexe, année, mois, département et commune de naissance. A ce titre, il diffère très sensiblement des systèmes étrangers. Selon l'article 27 de la loi de 1978, un traitement de données utilisant le Nir doit être autorisé par décret en Conseil d'Etat.

La solution passe par le développement de l'identifiant national de santé (INS) prévu à l'article L. 1111-8-1 du code de la santé publique. Il n'est pas signifiant, contrairement au Nir, c'est-à-dire que sa connaissance ne permet pas de déduire des informations de nature personnelle sur son titulaire. Cinq ans après sa création, son décret d'application n'est toujours pas paru bien qu'il soit utilisé dans le cadre du déploiement du dossier médical personnel (DMP) et du dossier pharmaceutique. Au vu des difficultés et retards que connaissent ces deux outils, sa généralisation est donc peu probable à court terme.

Une fois ces considérations présentées, il convient d'agir. Lors de son audition par la mission, Dominique Maraninchi, directeur général de l'ANSM, avait résumé la situation en ces termes : « Il y a des avantages et des inconvénients à avoir des registres. Il n'en reste pas moins que nous sommes pénalisés parce que nous n'en avons pas du tout. La France doit se lancer dans ce domaine » .

c) Créer en priorité des registres de dispositifs médicaux à risque, en coopération avec les parties intéressées

Pour toutes ces raisons, la France connaît un retard certain en matière de registres. Fixer comme objectif de constituer d'emblée un registre général des dispositifs médicaux implantables n'aurait guère de sens, d'autant que chaque spécialité médicale présente ses spécificités. Il convient donc d'accorder la priorité aux dispositifs médicaux implantables innovants ou à risque, préalablement identifiés par les autorités sanitaires et les professionnels de santé et nécessitant un suivi très fin. Les deux spécialités principalement concernées sont l'orthopédie et la cardiologie.

Il est tout d'abord nécessaire d'associer au développement d'un registre les sociétés savantes et les médecins intéressés , ou tout du moins de s'assurer de leur collaboration. Ensuite, plusieurs options s'offrent aux pouvoirs publics pour inciter praticiens et hôpitaux à alimenter les registres . Le caractère jusqu'à présent purement volontaire des registres a malheureusement montré ses limites. La seule bonne volonté de leurs promoteurs se montre toujours insuffisante pour assurer leur exhaustivité. C'est pourquoi il faut envisager d'intégrer une éventuelle obligation de renseigner un registre dans les règles de fonctionnement plus générales de notre système de santé .

Proposition n° 18 :
Rendre obligatoire, sous certaines conditions, le renseignement
des registres par les médecins

Ainsi, il serait envisageable de prévoir, dans le cadre de la procédure de certification obligatoire des établissements de santé par la HAS, une clause concernant la participation à un registre, pour un ou plusieurs types de dispositifs médicaux implantables utilisés en son sein. Le même type de raisonnement pourrait être adapté au niveau local afin de faire des registres un objet de contractualisation entre les hôpitaux et les agences régionales de santé (ARS). Dans les deux cas, si l'hôpital en question ne tenait pas ses engagements, il perdrait son agrément pour poser l'implant en question.

L'idée, plusieurs fois évoquée devant la mission et adoptée par d'autres pays, comme les Etats-Unis avec Intermacs, de conditionner la prise en charge du dispositif médical implantable et de l'acte chirurgical qui y est associé au renseignement d'un registre, ne semble pas directement transposable à l'heure actuelle à la France. Le codage des procédures et des produits de santé dans le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) n'est pas suffisamment précis pour permettre d'identifier précisément les dispositifs médicaux utilisés à l'hôpital, en particulier ceux qui sont intégrés dans les GHS ou qui sont inscrits en ligne générique dans la liste en sus. Il s'agit néanmoins d'une idée séduisante dont il faudrait étudier plus en détail les modalités d'application pour envisager son adoption à moyen terme.

d) Parvenir enfin à valoriser les informations des systèmes d'information hospitaliers

Malgré ces difficultés, les données du PMSI sont une source très riche d'informations dont l'utilité en matière de suivi épidémiologique et sanitaire a été reconnue ces dernières années. Ainsi, le Gip « Etudes en santé publique » créé par l'article 33 de la loi du 29 décembre 2011 a pour but de faciliter leur exploitation.

Toutefois, pour l'instant, comme l'a précisé lors de son audition Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, « aucune donnée dans le système d'information de l'assurance maladie n'existe pour les dispositifs médicaux implantables intégrés au tarif des GHS » . La mise au point d'un codage spécifique pour mieux appréhender leur utilisation est envisageable et techniquement possible, sans toutefois régler le problème des lignes génériques, qui ne permettent pas d'identifier un produit spécifique.

Néanmoins, l'enrichissement des données du PMSI et l'adoption d'un codage plus précis semblent être la solution à privilégier pour pouvoir, sur les bases existantes, construire un véritable outil de suivi de l'utilisation des dispositifs médicaux implantables . Cela permettra d'automatiser la remontée de l'information sans modifier en profondeur les pratiques des équipes médicales ni alourdir leur charge de travail. Un travail important de modification des systèmes d'information des hôpitaux sera cependant nécessaire . C'est pourquoi il est important d'engager dès aujourd'hui les travaux préparatoires qui poseront les bases de ce chantier et de déterminer, dans le cadre d'une concertation avec tous les professionnels, la nature précise des données qui devront être récoltées. La mise en oeuvre, dans le même temps, de l'UDI devrait simplifier le suivi des dispositifs médicaux en faisant figurer celui-ci dans le PMSI.

Proposition n° 19 :
Mettre en place un codage plus fin dans le PMSI
afin de mesurer précisément l'usage des DMI à l'hôpital


* 84 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

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