b) Lever l'obstacle juridique de la protection des données personnelles
Tout registre doit également respecter la législation relative à l'utilisation et à la conservation de données personnelles, en particulier la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 84 ( * ) . Il doit donc être déclaré auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et se soumettre aux éventuelles modifications que celle-ci imposerait.
En application du chapitre IX de la loi du 6 janvier 1978, la mise en place de « traitements de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé » est soumise à une procédure en plusieurs étapes qui vise à s'assurer de leur sérieux scientifique et de l'adéquation des mesures de protection des données envisagées. Partant du principe que chacun doit pouvoir faire valoir son droit d'opposition à l'utilisation de ses données personnelles, tout projet doit d'abord être soumis pour avis au Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS), placé auprès du ministère chargé de la recherche et qui étudie la méthodologie scientifique utilisée. Dès lors que celui-ci s'est prononcé favorablement, la Cnil, bien que n'étant pas juridiquement liée par la position du comité, autorise la mise en oeuvre du traitement de données.
L'avis favorable d'une troisième instance, le
Comité national des registres (CNR), est nécessaire pour obtenir
l'appellation officielle de « registre qualifié ».
Selon l'arrêté du 6 novembre 1995 relatif à ce
comité, un registre est défini comme «
un recueil
continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou
plusieurs événements de santé dans une population
géographiquement définie, à des fins de recherche et de
santé publique, par une équipe ayant les compétences
appropriées
». C'est donc sur la base de ces
critères cumulatifs que le CNR, qui s'appuie sur les services de
l'Institut national de la santé et de la recherche médicale
(Inserm) et de l'Institut de veille sanitaire (InVS) prend ses
décisions. Leur validité est de trois ans pour les registres en
création et de quatre ans pour ceux en fonctionnement.
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Selon les données communiquées par la Cnil à la mission d'information, il y aurait actuellement en France 135 registres médicaux autorisés, dont 10 portant sur des dispositifs médicaux implantables.
L'articulation de ce dispositif ne favorise pas la création de véritables registres de dispositifs médicaux. Les projets soumis à l'avis du CCTIRS portent parfois le titre d'« observatoire » ou de « base de données ».
Ils ne peuvent se voir attribuer le titre de registre que lorsqu'ils sont qualifiés par le CNR.
La rédaction de l'article 2 de l'arrêté du 6 novembre 1995 relatif au comité national des registres s'oppose à la constitution de registres pour l'enregistrement de poses de dispositifs médicaux implantables et le suivi des patients implantés.
Sous réserve qu'ils contiennent différentes données attendues d'une recherche menée dans le domaine de la santé (exhaustivité, continuité...), les projets soumis à l'avis du CCTIRS peuvent être autorisés lorsqu'ils portent le titre d'« observatoire » ou de « base de données » . Par exemple, le 5 juillet 2012, le CCTIRS devait examiner une demande portant sur une « étude observationnelle prospective multicentrique évaluant la tolérance à long terme » d'un implant sur mesure « au regard du taux d'explantation et du nombre d'infections ».
En revanche, les projets tenus par des sociétés savantes, en collaboration avec des industriels, ne peuvent être qualifiés de registres, surtout si l'on considère qu'ils ne correspondent pas à la définition d'un registre de morbidité dans une zone géographique définie, département ou région. Le « registre des hémopathies malignes de Côte d'Or » correspondrait bien à un registre, contrairement à l'observatoire cité ou à un autre projet soumis à l'avis du CCTIRS le même jour, qui consistait en une « étude observationnelle multicentrique sur l'utilisation » d'une prothèse orthopédique.
Si elle ne portait sur une préoccupation de santé publique, cette controverse pourrait sembler purement sémantique.
Selon beaucoup d'observations, faute de disponibilité, les médecins participent de moins en moins à la mission de recueil de données. Mais la Cnil nous a précisé que leur implication serait plus forte si le recueil portait le nom de registre. Le législateur a légitimement voulu protéger les citoyens en restreignant l'utilisation de données personnelles y compris dans le domaine de la santé. Mais au nom de cet impératif, l'utilisation du terme registre pourrait être étendue aux études observationnelles ou bases de données relatives au suivi de dispositifs médicaux implantés.
Il reste toutefois un obstacle majeur à la création de registres de suivi des patients efficaces : les conditions très restrictives d'utilisation du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, le Nir, qui figure sur la carte Vitale de chaque assuré . Le Nir, souvent appelé numéro Insee, fournit plusieurs données de nature personnelle : sexe, année, mois, département et commune de naissance. A ce titre, il diffère très sensiblement des systèmes étrangers. Selon l'article 27 de la loi de 1978, un traitement de données utilisant le Nir doit être autorisé par décret en Conseil d'Etat.
La solution passe par le développement de l'identifiant national de santé (INS) prévu à l'article L. 1111-8-1 du code de la santé publique. Il n'est pas signifiant, contrairement au Nir, c'est-à-dire que sa connaissance ne permet pas de déduire des informations de nature personnelle sur son titulaire. Cinq ans après sa création, son décret d'application n'est toujours pas paru bien qu'il soit utilisé dans le cadre du déploiement du dossier médical personnel (DMP) et du dossier pharmaceutique. Au vu des difficultés et retards que connaissent ces deux outils, sa généralisation est donc peu probable à court terme.
Une fois ces considérations présentées, il convient d'agir. Lors de son audition par la mission, Dominique Maraninchi, directeur général de l'ANSM, avait résumé la situation en ces termes : « Il y a des avantages et des inconvénients à avoir des registres. Il n'en reste pas moins que nous sommes pénalisés parce que nous n'en avons pas du tout. La France doit se lancer dans ce domaine » .
* 84 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.