B. LA REMISE EN CAUSE DES MODES DE FINANCEMENT

Les principes posés en 1898 pour l'indemnisation et en 1945 pour le financement paraissent remis en cause par l'augmentation des dépenses non directement imputables à des accidents du travail ou des maladies professionnelles ainsi que par le développement d'une pratique systématique du contentieux en matière de cotisation.

1. L'importance des transferts

Plus du tiers des charges de la branche AT-MP est constitué de dépenses de transfert vers d'autres régimes de sécurité sociale, vers la branche maladie du régime général ou vers différents fonds, notamment ceux dédiés aux victimes de l'amiante. L'ampleur de ces charges - 2,5 milliards d'euros en 2011 - et leur justification ont suscité des critiques, car elles sont perçues comme remettant en cause l'équilibre de la branche.

a) Les différents types de transferts

En dehors de transferts dits de « solidarité » tendant à compenser le déséquilibre démographique de certains régimes de base (celui des Mines et celui de la Mutualité sociale agricole), la branche effectue trois reversements budgétairement conséquents : vers l'assurance maladie, vers les fonds amiante et vers la branche retraites.

Le transfert le plus contesté est le reversement à la branche maladie du régime général pour compenser la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des AT-MP . Le montant de ce reversement n'a cessé de croître depuis sa création en 1997 19 ( * ) , et s'élève à 790 millions d'euros en 2012 . Il est déterminé par la LFSS à partir des évaluations fournies par une commission 20 ( * ) , présidée actuellement par Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes. Celle-ci se réunit régulièrement et a remis son dernier rapport en juin 2011.

La branche AT-MP du régime général est également le principal financeur des fonds destinés aux victimes de l'amiante . En 2012, le montant versé aux deux fonds est de 1,2 milliard d'euros , 890 millions pour le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), et 315 millions pour le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).

Enfin, en application de l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, le départ anticipé à la retraite pour pénibilité n'est pas financé par la branche vieillesse, mais par la branche AT-MP. Lors du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites 21 ( * ) , le Gouvernement a justifié ce choix au motif que « la pénibilité étant liée aux conditions de travail, le financement de ce dispositif sera assuré par une contribution de la branche AT-MP à la branche vieillesse qui couvrira à due concurrence les dépenses supplémentaires générées par les départs à la retraite à raison de la pénibilité » 22 ( * ). Le montant de cette contribution pour la première année d'application du dispositif est relativement modeste, 110 millions d'euros en 2012. Il est susceptible d'augmenter de manière rapide et sans lissage dans le temps puisqu'il appartiendra à la Cnav de déterminer, à l'euro près, le surcoût résultant de la possibilité de départ à la retraite à soixante ans à taux plein par rapport au montant de pension calculée à l'âge légal de départ à la retraite. Toutefois les premières données concernant le nombre de dossiers acceptés par la Cnav semblent indiquer que la montée en charge du dispositif sera modeste 23 ( * ) .

b) Leur contestation

L'ampleur et la légitimité des transferts imposés à la branche ont été contestées par les organisations représentatives des employeurs. S'agissant du transfert à la branche maladie, les modalités et les limites de cette contestation ont été rappelées par Noël Diricq lors de son audition par la Mecss : « Par le passé, le Medef a pu écrire que puisqu'il n'y avait pas de chiffre certain de la sous-déclaration, il fallait considérer qu'il n'y avait pas de coût. Je pense qu'il ne le ferait plus aujourd'hui. Les critiques techniques formulées en 2008 par le Medef et la CGPME quant à la méthode suivie par la commission s'étaient d'ailleurs révélées peu fondées, car elles avaient déjà été prises en compte lors du travail des experts . »

Il convient toutefois de noter que les employeurs ne sont pas les seuls à avoir formulé des critiques à l'encontre de cette charge. Un commentateur aussi peu suspect de parti-pris en faveur du patronat que le professeur Yves Saint-Jours peut ainsi affirmer que, tant que le mécanisme prévu par l'article L. 176-1 du code de la sécurité sociale sera mis en oeuvre, « continueront à être pénalisés comme par le passé :

« 1°) les victimes qui perdent ainsi leur indemnisation au titre d'AT-MP pour celle moindre de l'assurance maladie,

« 2°) les employeurs corrects contraints d'acquitter des cotisations AT-MP majorées du fait des sous-déclarations de leurs confrères indélicats, ceux-ci encouragés à persévérer dès lors que les sanctions pécuniaires prévues à leur encontre par l'article L. 471-1 [du code de la sécurité sociale] ne sont que très rarement mises en oeuvre par les caisses primaires d'assurance maladie 24 ( * ) . »

Un reproche analogue est également souvent adressé aux transferts vers le Fiva et le Fcaata qui pénalisent l'ensemble des entreprises et non les seules entreprises ayant eu recours à l'amiante et responsables des dommages subis par les salariés. Le président de la branche, Franck Gambelli, a par ailleurs souligné le désengagement de l'Etat du budget du Fiva et du Fcaata, contrairement à l'architecture initiale du fonds.

Vos rapporteurs ont pu constater que les critiques adressées aux transferts se trouvent aujourd'hui renforcées par l'apparition d'une dette de la branche qui est présentée comme leur résultant. L'équivalence entre les transferts et la dette ne peut cependant être aussi clairement établie.


* 19 L'article 11 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 relative aux mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre financier de la sécurité sociale a inséré dans le code de la sécurité sociale un article L. 176-1 qui fonde l'obligation du transfert.

* 20 L'existence de cette commission découle de l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale.

* 21 Devenu loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010.

* 22 Etude d'impact annexée au projet de loi portant réforme des retraites.

* 23 De juillet 2011 à juin 2012, 1 731 demandes ont été attribuées sur 3 200 demandes déposées.

* 24 Recueil Dalloz 24/11/2005 p. 2817, « De la fiabilité des comptes de la sécurité sociale ».

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