b) De nouvelles règles de transparence sur les marchés financiers
Dans cette attente, d'autres moyens de régulation des marchés et produits financiers, notamment dérivés, sont en train d'être mis en place au niveau communautaire. Le commissaire européen M. Michel Barnier, avec lequel votre commission d'enquête a pu s'entretenir à Bruxelles, a en effet initié une dynamique réglementaire visant à enrayer les excès ayant conduit à la crise financière de 2008 et à mettre en oeuvre les orientations définies au G20 en ce sens.
Sans détailler les avancées déjà réalisées en ce qui concerne la supervision et la régulation financières, quelques points spécifiques retiennent l'attention au regard de la lutte contre l'évasion fiscale. En effet, depuis l'adoption en juin 2011 de la directive AIMF ( Alternative Investment Fund Managers ) 408 ( * ) , l'activité des fonds alternatifs ( hedge funds et OPCVM non coordonnés ) relève d'un cadre juridique harmonisé à l'échelle européenne qui renforce notamment les obligations de transparence de ce secteur . En outre, avec le soutien du Parlement européen, confirmé par M. Pascal Canfin, député européen lors de son entretien avec votre commission d'enquête, les articles 34 et suivants de cette directive prévoient d' interdire la commercialisation dans l'Union européenne de parts d'un fonds alternatif si ce fonds ou son gestionnaire sont établis dans un des pays figurant sur la liste des pays et territoires non coopératifs du GAFI ou dans un pays n'ayant pas signé avec l'État membre concerné une convention fiscale conforme aux normes énoncées à l'article 26 du modèle OCDE, garantissant un échange efficace d'information en matière fiscale 409 ( * ) .
Sur l'insistance britannique, la portée de cette disposition a toutefois été réduite par la définition de la « commercialisation », entendue par la directive comme une démarche active à l'initiative du gestionnaire (ou pour son compte) : ainsi, un investisseur européen professionnel pourra toujours acheter, de sa propre initiative, des fonds déposés ou gérés dans les « paradis fiscaux »... De même, le Royaume-Uni n'est sans doute pas étranger à la souplesse accordée aux gestionnaires établis dans l'UE qui souhaitent commercialiser dans l'UE des fonds alternatifs de pays tiers : dans ce cas, le pays tiers dans lequel est établi le fonds ne doit pas figurer sur la liste du GAFI mais peut ne pas se conformer aux normes OCDE en matière d'échanges d'informations. Là encore, la lutte européenne contre l'évasion fiscale se heurte aux intérêts nationaux...
En tout état de cause, comme l'a reconnu M. Olivier Guersant, chef de cabinet du commissaire Barnier, la mise en place de nouvelles règles , le renforcement des sanctions et de la coordination européenne en matière financière qui découlent du nouvel arsenal législatif qui se met progressivement en place inciteront nécessairement au déplacement des activités financières les plus risquées ou les plus opaques vers le système bancaire parallèle . Ce déplacement entraîne deux difficultés : alors que l'objectif est d'éliminer le risque systémique, ce risque pourrait simplement se déplacer ; plus encore du point de vue de votre commission d'enquête, ce développement de la finance parallèle est de nature à faciliter l'évasion fiscale.
Le Conseil de stabilité financière a estimé la taille de ce système bancaire parallèle au niveau mondial à environ 46 000 milliards d'euros en 2010, contre 21 000 milliards en 2002. Cela représente 25 à 30 % de l'ensemble du système financier et la moitié des actifs des banques. Aux États-Unis, cette part est encore plus importante : elle est estimée à 35 à 40 %. Cependant, selon les estimations du CSF, la part des actifs d'intermédiaires financiers autres que des banques situés en Europe dans le système bancaire parallèle mondial a fortement augmenté entre 2005 et 2010, tandis que la part de ces actifs situés aux États-Unis a diminué. En France, selon les informations recueillies par votre rapporteur, les intermédiaires détiendraient 6 % des actifs du système bancaire parallèle mondial.
Pour empêcher cette évasion fiscale vers le « shadow banking 410 ( * ) », la Commission européenne insiste sur la nécessité de poser des règles de transparence. Ainsi, en matière de produits dérivés où la majorité des échanges se fait de manière opaque ou « over the counter » (OTC), le règlement EMIR sur les produits dérivés négociés de gré à gré 411 ( * ) , près d'être définitivement adopté, devrait créer un cadre pour centraliser les échanges de produits dérivés grâce à des chambres de compensation multilatérales. Ces dérivés OTC constituent en effet le marché financier mondial le plus important et le plus concentré ; le volume mondial de ces transactions est estimé à plus de 600 000 milliards de dollars soit près de douze fois le PIB mondial...
La révision de la directive « Marché des instruments financiers » de 2007, sous la forme d'une directive et d'un règlement (MIFID et MIFIR) présentés en octobre 2011 412 ( * ) , s'inscrit dans la même logique. Elle vise à renforcer le cadre actuel en intégrant les derniers développements de marchés et prévoit de redéfinir les frontières entre le gré à gré et le marché organisé pour couvrir sur le plan réglementaire un plus grand nombre de transactions, accroître la transparence sur les marchés des obligations et des dérivés et mieux contrôler les nouvelles pratiques de marché par l'encadrement du trading algorithmique. L'un des enjeux des négociations en cours est de trouver comment cantonner les dérogations aux obligations de transparence...
* 408 Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 1095/2010.
* 409 Cf. articles 35, paragraphe 1b), 36, paragraphe 1c) et 37, paragraphe 7e) de la directive AIMF.
* 410 Le shadow banking est une activité de banque menée par des entités qui, ne recevant pas de dépôts, ne sont pas régulées en tant que banques et échappent ainsi aux règlementations de Bâle, en particulier sur les fonds propres : c'est vrai pour certaines banques d'affaires et pour les hedge funds .
* 411 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux du 15 septembre 2010, COM (2010)0484.
* 412 Proposition de directive concernant les marchés d'instruments financiers, abrogeant la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2011, COM (2011)0298, et proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant le règlement [EMIR sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux] du 20 octobre 2011, COM (2011)0296.