B. LA FRANCE SOUHAITE MAINTENIR SON RANG ET UNE PRÉSENCE MARITIME SUR TOUS LES OCÉANS

L'engagement de l'État français à construire et à entretenir une Marine de haute mer est le produit d'un consensus politique qui s'est maintenu par-delà les alternances et renforcé ces dernières années.

Comme l'a souligné le Contre-amiral Patrick Chevallereau, : « Il y a chez nous l'existence d'une ambition maritime affichée par les autorités gouvernementales et le monde politique en général. »

Chacun des responsables politiques se retrouverait en effet dans ces mots du Général de Gaulle , devant les élèves de l'Ecole Navale, en 1965 : «[...] le destin de cette France pour laquelle la mer est à la fois un obstacle, c'est-à-dire une défense, et aussi un chemin, c'est-à-dire un moyen de se répandre, de la France qui est le cap d'un continent avec ses trois façades sur la mer, de la France qui est par conséquent marquée pour être une grande puissance maritime ».

Les récentes élections présidentielles l'ont confirmé : il y a consensus autour de l'idée que posséder une vraie marine est un moyen bon marché, en termes de rapport coût/efficacité, de compter dans l'avenir de la planète.

Ainsi que le considérait le Président Sarkozy , au Havre en 2008 : « Notre avenir dépend de la mer [...] je veux donc que notre Nation soit désormais à la hauteur de ses responsabilités et de ses opportunités de très grande puissance maritime, pour les Français d'aujourd'hui, mais aussi pour les hommes et les femmes de demain .».

De même, alors qu'il était candidat, le Président de la République François Hollande a-t-il souligné, dans un entretien à la revue Marine & océans : « la mer est depuis trop longtemps la grande oubliée du débat public et des stratégies nationales définies..... Si la France détient ici un potentiel majeur pour son avenir, encore doit-elle se donner les moyens politiques et administratifs de concrétiser cette ambition maritime . ».

Cette ambition politique commune, quelle est-elle ? A quel niveau se situe-t-elle ? Sur quelle géographie ? Avec quel degré d'ambition et d'autonomie ?

Si on s'en tient au Livre Blanc de 2008, la Marine française doit être en mesure :

- d'assurer la mise en oeuvre de la dissuasion et en garantir la sûreté ;

- de faire face, avec les autres armées et les alliés, aux menaces et aux risques pesant sur nos sociétés.

- d'assurer la sauvegarde maritime de nos approches maritimes et de nos intérêts.

- d'exploiter la dimension stratégique des mers pour prévenir les situations de crises ;

- de maîtriser les espaces océaniques d'intérêts pour garantir aux opérations interarmées un accès privilégié aux théâtres et, si nécessaire, pour projeter de la puissance ou des forces .

Si l'on s'en tient à l'ambition, décrite ici de façon très générale, la question porte sur les moyens : le format actuel de la marine permet-il d'atteindre tous ces objectifs et dans quelles conditions ?

Ces objectifs n'ont-ils pas, au regard du processus de maritimisation décrit dans la première partie, changé d'échelle ?

Voilà les questions qui ont occupé le groupe de travail. Il nous est apparu particulièrement important de bien évaluer les rapports entre les ambitions maritimes et les moyens des forces navales, entre les objectifs et les forces nécessaires pour les atteindre.

Car dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, les enjeux se situent dans cette corrélation entre les ambitions politiques et leurs traductions matérielles. Deux écueils sont, en effet, à éviter : se fixer des ambitions sans rapport avec nos moyens ou faire des choix budgétaires sans mesurer la révision des ambitions qu'ils impliquent.

Comme le souligne le Président de la République dans sa lettre de mission au président de la commission du Livre Blanc, il convient d'accorder une importance particulière à la « cohérence à rétablir entre les missions, le format et les équipements des armées »

Ce n'est pas le lieu ici de décrire par le menu l'ensemble des moyens militaires exigés pour atteindre les contrats opérationnels de la Marine.

Cette opération de mise en cohérence entre les objectifs et leur traduction en nombre de jours de mer selon les types de bâtiments sera faite en son temps pour préparer la loi de programmation. On connaît la rigueur de l'exercice, mais aussi son caractère formel qui contribue aussi bien à la préparation de la décision qu'à sa justification à posteriori.

Si l'on s'en tient aux principales attentes des pouvoirs publics à l'égard de la Marine, à savoir le maintien des composantes de la force de dissuasion nucléaire, une capacité d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations et d'assurer des missions de souveraineté et d'assistance dans l'ensemble de l'espace maritime français, quels sont les moyens nécessaires ?

1. La volonté de maintenir toutes les composantes de la force de dissuasion nucléaire et une capacité d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations constitue une exigence forte en termes de moyens militaires.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, maintient, malgré les difficultés liées à la situation de ses finances publiques, une ambition inchangée de rester maîtresse de son destin et de peser sur les affaires de la planète.

La conséquence de cette ambition est la volonté de disposer des moyens de commandement, en personnel et en matériel, pour mener une opération autonome, être un partenaire majeur et assurer une entrée en premier dans le cadre d'une opération de haute intensité.

En raison de sa présence sur toutes les mers du globe, de l'existence d'une zone d'instabilité qui longe les côtes de l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et de la montée en puissance de nouveaux acteurs stratégiques, la France a maintenu une marine de combat de haute mer conçue pour faire respecter ses intérêts partout où ils sont susceptibles d'être menacés.

Elle a conservé, malgré la diminution du format de sa marine, la capacité de projeter, si nécessaire, les moyens permettant d'emporter la décision et de permettre à la France de participer, au meilleur niveau, aux coalitions internationales.

Si la France ne court plus le risque d'une invasion, le Livre blanc de 2008 a constaté que d'autres menaces pesaient sur ses intérêts vitaux, c'est-à-dire sur les éléments constitutifs de son identité et de son existence en tant qu'Etat-Nation, tels que la prolifération nucléaire, biologique et chimique ainsi que les menaces liés aux missiles balistiques et de croisière.

Dans la doctrine stratégique française, la nation protège ses intérêts vitaux grâce à la dissuasion nucléaire.

L'importance de cette dissuasion vient d'être confirmée par le nouveau Président de la République, le 4 juillet, à l'île Longue où il a confirmé : « l'engagement qui est le nôtre pour préserver ce qui est un élément essentiel de notre sécurité, c'est à dire la dissuasion (...) Malgré les difficultés financières, malgré les contraintes de toutes sortes, malgré les efforts qu'il nous faut engager dans beaucoup de domaines, pour lesquels nous sommes mobilisés, l'éducation nationale, la santé, la solidarité, l'attachement aux plus jeunes, aux plus anciens, nous devons continuer à faire un effort pour permettre que notre dissuasion nucléaire soit toujours respectée ».

La composante navale de la dissuasion représente un quart du budget de la marine . Il s'agit donc d'un engagement fort aux conséquences budgétaires importantes.

Jusqu'ici les différents gouvernements ont également souhaité disposer d'une véritable capacité d'intervention pour faire respecter nos intérêts et projeter les moyens permettant d'emporter la décision tout en participant, au meilleur niveau, aux coalitions internationales.

Cette capacité suppose d'avoir à disposition le porte-avions et son groupe aérien, un BPC muni d'hélicoptères d'assaut, un SNA et des frégates afin de faire face à des forces adverses en imposant une supériorité aéromaritime sur mer, au-dessus et en dessous, projeter de la puissance ou des forces de la mer vers la terre et, éventuellement, évacuer des ressortissants avec des BPC.

Aujourd'hui, la Marine française reste la seule marine européenne capable d'agir sur tout le spectre de ces activités . Alors que la planète s'arme dans le domaine naval, les pays membres de l'UE ne semblent pas vouloir, à court terme, de se doter des outils politiques et matériels permettant de disposer d'une capacité d'action collective.

Face aux enjeux de ce monde incertain, l'Europe est donc condamnée durablement à s'appuyer sur la France qui a su conserver des moyens d'intervention rares et précieux . Par exemple, en République de Côte d'Ivoire, 50% des personnes évacuées par la marine française étaient ressortissants d'autres pays membres de l'Union Européenne.

Ces moyens forment un tout cohérent qui a été fortement sollicité pendant l'année 2011 illustrant l'éventail des missions susceptibles d'être menées avec le format actuel.

Sur les douze derniers mois, le niveau d'activité de la marine a, en effet, très fortement augmenté en raison de sa participation, aux côtés d'autres armées, à de nombreuses opérations combinées.

Cette intense activité s'est caractérisée par un engagement sur de nombreux théâtres.

Dans l'Océan Indien tout d'abord, où le groupe aéronaval a été déployé pour apporter son soutien aux opérations en Afghanistan, dans le cadre de la mission AGAPANTHE.

Toujours dans l'Océan Indien, la participation de la marine à l'opération ATALANTA de lutte contre la piraterie s'est aussi traduite par la présence permanente d'une frégate.

En Afrique, les moyens de la marine ont été utilisés lors des opérations anti-terroristes au Sahel avec un dispositif qui a compté jusqu'à 3 Atlantique 2, un FALCON 50M et 8 équipages. En Côte d'Ivoire, le BPC a joué un rôle déterminant au cours de l'opération Licorne, restant 63 jours à la mer sans toucher terre.

En Méditerranée enfin, l'opération HARMATTAN a nécessité un niveau d'engagement exceptionnel de l'ensemble des composantes de la marine.

Cet exercice de vérité a permis de mesurer la réactivité de la marine française, mais aussi la capacité à mener des opérations de haute intensité, exigeant un haut niveau de coopération interarmées, inter-composantes et interalliée.

Ainsi, 29 bâtiments se sont succédé au large de la Libye pour assurer la permanence du volet naval de l'engagement militaire, contrôler l'espace aéromaritime, opérer des missions de renseignement et conduire des frappes coordonnées impliquant des avions de chasse, des hélicoptères, des avions de patrouille maritime et des bâtiments de surface en appui-feu naval.

2. La volonté d'assurer des missions de souveraineté et d'assistance dans l'ensemble de l'espace maritime français

Ces missions de combat ont été menées de manière concomitante aux missions permanentes de la Marine.

Des patrouilleurs aux chasseurs de mines en passant par les avions de patrouille maritime, les moyens de la Marine assurent la protection de notre souveraineté dans les approches maritimes, les eaux territoriales, la ZEE, et les abords des grands ports, et les zones maritimes d'intérêts.

Ces missions, on l'aura compris, ne font que croître au fur à mesure que le nombre des acteurs en mer augmente. Car plus leur nombre progresse, plus l'activité de sauvegarde maritime pour surveiller, prévenir, secourir, interdire ou intercepter augmente.

A titre d'exemple, on peut citer pour 2011 :

- la lutte contre le narcotrafic dans l'arc antillais : 5 navires ont été déroutés et près de 9 tonnes de cocaïne saisies ;

- l'immigration clandestine à Mayotte en provenance des Comores : 2 236 migrants et 132 passeurs ont été interceptés ;

- la police des pêches a représenté plus de 1 000 jours de mer et 200 heures de vol. Les unités de la marine ont contrôlé plus de 3 000 navires et en ont dérouté près de 50 ;

- la recherche et le sauvetage en mer a permis cette année de sauver 400 vies ;

- la prévention des pollutions maritimes qui a permis d'intercepter et de dérouter plusieurs navires ;

- le remorquage d'urgence de 9 navires en difficulté et une vingtaine d'escortes réalisées par les navires affrétés par la marine.

Les forces navales qui assurent ces missions de sauvegarde doivent par ailleurs se tenir prêtes et être en nombre suffisant pour faire face aux catastrophes naturelles et industrielles, notamment dans les DOM-COM qui sont particulièrement exposés aux séismes et aux cyclones.

Rappelons que, lors du séisme et du tsunami qui ont touché Fukushima, les forces navales japonaises ont mobilisé jusqu'à 47 bâtiments auxquels il faut ajouter 16 bâtiments de l'US Navy, dont le porte-avions Ronald Reagan.

Ces missions de sauvegarde maritime viennent s'ajouter à une présence permanente des forces navales françaises sur l'ensemble des océans afin de dissuader, contenir et/ou anticiper des crises potentielles .

Dans un contexte marqué par l'augmentation de la piraterie et les risques du terrorisme maritime, les bâtiments de la Marine nationale doivent aujourd'hui être également capables de durer à la mer et d'être suffisamment armés pour faire face à une piraterie plus violente.

La marine nationale, par sa présence continue sur tous les océans, est également un acteur majeur de la protection des Français dans le monde.

Les capacités de la Marine nationale et notamment les bâtiments de projection et de commandement (BPC) permettent de protéger rapidement les ressortissants français à l'étranger (République de Côte d'Ivoire, Liban) ou les personnes menacées (Libye) ou en difficulté (tremblement de terre à Haïti, Tsunami en Indonésie).

Le prépositionnement des BPC à proximité des zones de crises potentielles (golfe de Guinée, océan Indien) permet une rapidité d'intervention souvent décisive.

Les bâtiments de la Marine présents dans le golfe de Guinée, en mer Méditerranée, en océan Indien, en Atlantique ou autour de nos DOM/COM répondent à cet impératif de prévention.

Il s'agit aussi de prévenir les prétentions de certains Etats sur les espaces maritimes français en y faisant croiser des bâtiments et patrouiller des aéronefs militaires.

Par une présence ostensible (frégates/avions de patrouille maritime) ou discrète (SNA), la Marine nationale conduit des opérations de nature à dissuader les agressions et les crises potentielles.

3. Une ambition aujourd'hui confrontée à un format étriqué.

Lors de ses auditions par la commission ou par le groupe de travail, l'Amiral Bernard Rogel a l'habitude de dire que « Le format de notre Marine nationale est « juste suffisant » pour remplir toutes les missions qui lui sont dévolues, le cas échéant au prix de certains arbitrages »

Force est de constater que l'ensemble des opérations menées en 2011 ont confirmé la valeur du modèle de préparation opérationnelle, et notamment la polyvalence des bâtiments et des équipages qui peuvent changer de missions sans difficulté.

Ainsi, ce sont bien les mêmes marins qui neutralisent les engins explosifs en Baie de Somme et qui, quelques semaines plus tard, interviennent au large de Misratah.

L'année 2011 a apporté la preuve que la Marine était bien équipée et bien entraînée, mais cela n'a cependant pas été sans arbitrages. En effet, plusieurs missions de présence ou d'entraînement ont dû être annulées ou interrompues.

Alors que la coalition avait à affronter, en Libye, un ennemi dont la capacité de nuisance était somme toute limitée, du moins très différente de celle que nous aurions à affronter si, par malheur, il nous fallait intervenir en Syrie ou en Iran, la marine n'a pu mener ses missions au sein de la coalition qu'en supprimant certaines missions permanentes, en détournant un SNA de sa mission de soutien des SNLE, ou en annulant des opérations contre les narcotrafiquants.

Comme l'a souligné le Vice-amiral d'escadre Xavier Magne, commandant de la Force d'Action Navale : « la Marine ne peut plus répondre à toutes les sollicitations opérationnelles. Nous n'avons plus le nombre de jours en mer suffisant ».

L'écrasement du temps médiatique, politique et militaire est tel que, dès qu'une crise surgit, il faut instantanément jeter un dispositif à la mer. La présence de forces prépositionnées à la mer à proximité des zones de crise garantit cette rapidité d'action. La polyvalence des moyens y contribue puisqu'il faut pouvoir remplir tout à la fois des missions très diverses , comme la surveillance de la pêche au thon rouge, la gestion d'une crise internationale au large de la Libye ou du Liban, la lutte contre la piraterie dans l'océan Indien ou encore la garantie de la liberté de circulation dans le Golfe arabo-persique.

Cependant, la multiplication des missions liée à l'augmentation des acteurs en mer et du niveau des menaces met sous tension les forces navales.

Ainsi la disponibilité des forces n'a pu être maintenue qu'au prix d'une tension extrême sur les moyens de soutien. La contrainte financière conduit à faire des impasses sur les rechanges, en armes et en équipements. Pour arriver à produire de la disponibilité, la marine a dû renoncer à disposer de moyens redondants permettant d'assurer une disponibilité permanente . De ce fait, selon le Vice-amiral d'escadre Xavier Magne : « La résistance en mer est aujourd'hui moins élevée que par le passé car si un équipement normal tombe en panne, la pièce de rechange est souvent inexistante ». Le taux de disponibilité de certains bâtiments s'en ressent .

La Marine a été sollicitée de manière exceptionnelle. L'outil naval requiert aujourd'hui une grande énergie pour le maintien et la régénération du potentiel tout en maîtrisant les coûts du maintien en condition opérationnelle. Cet effort de maîtrise des coûts doit être mené dans un contexte de réformes qui est aussi l'un des grands défis à relever par la Marine à l'instar des autres armées.

Alors que les missions augmentent du fait de la maritimisation du monde, les moyens de la Marine semblent désormais sous le seuil de suffisance.

Cette situation s'explique par l'évolution du format de sa flotte et les retards dans le renouvellement de ses bâtiments.

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